Texte rédigé avec la collaboration de Jean Gaudant.
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 1er décembre 1993)
Il est des hasards fâcheux : à peine mon récent ouvrage d'Histoire de la Géologie était-il envoyé pour de bon chez l'éditeur, voilà que je recevais le livre d'Ezio VACCARI. Or, convaincu de longue date de la stature majeure de Giovanni ARDUINO, je venais d'écrire que cet homme était "encore très insuffisamment étudié par les historiens". Il était trop tard pour corriger cette assertion, désormais caduque, car le magnifique volume d'Ezio VACCARI comble ce voeu au-delà de toute attente. Il s'agit d'un maître livre, appelé à faire date dans l'histoire des sciences. L'auteur et l'éditeur ont rivalisé de soins pour que l'oeuvre finale soit en tous points parfaite : fruit, à coup sûr, d'une extrême rigueur, portée par une grande ferveur et une noble ambition. Rien que d'en feuilleter les pages est déjà un plaisir presque physique, tant le papier et la typographie sont d'exceptionnelle qualité. Décidément, l'Italie n'a pas perdu l'amour de la beauté parfaite.
Mais c'est évidemment le contenu du livre qui est le plus important. Lire plus de 300 pages denses écrites dans une langue étrangère exige quelque effort et un peu de persévérance. Ce fut mon agréable devoir de m'y astreindre, pour mon plus grand profit personnel, car dans cette lecture, on apprend énormément de choses. Ezio VACCARI a commencé, préliminaire à sa grande entreprise, par le dépouillement minutieux de tous les documents manuscrits relatifs à ARDUINO conservés dans les diverses bibliothèques : un nombre considérable de lettres écrites ou reçues, mais aussi des textes autographes inédits (brouillons d'oeuvres inachevées, etc.).
Que je dise d'emblée que cette exploration exhaustive n'apporte rien de fondamentalement nouveau au géologue assoiffé de révélations sur la géologie de terrain d'ARDUINO : l'essentiel figure soit dans ses propres oeuvres imprimées, soit dans l'étude de G. STEGAGNO parue en 1929. (A en excepter toutefois la fort curieuse Risposta Allegorico Romanzesca..., dont il sera question plus loin). Mais les activités et pensées d'ARDUINO géologue sont merveilleusement réinsérées par VACCARI dans leur contexte et leur climat du moment. Quiconque s'intéresse au problème des grandes percées novatrices, et s'interroge sur le mystère de ces jaillissements, fera bien de lire avec soin les analyses extrêmement fouillées qu'en donne le livre.
Précisons ici l'heureuse formule adoptée : chacune des pages comporte un riche appareil de notes en petits caractères, couvrant parfois jusqu'à la moitié inférieure de la surface totale, relatives à l'exposé discursif proprement dit. Parmi ces mille et quelques notes infrapaginales, beaucoup forment à elles seules un petit exposé monographique sur un sujet incident ou sur un personnage mentionné en passant : résultat d'un effort peu commun, à coup sûr énorme, de ne rien laisser dans l'a peu près et l'inachevé. Le lecteur pourra peut-être regretter que cet immense effort documentaire ne soit pas assez valorisé par un index plus détaillé que celui donnant simplement les noms propres par ordre alphabétique brut, en fin de l'ouvrage. Pour qui n'aura pas tout lu d'un bout à l'autre en prenant des notes détaillées, bien des informations souvent très intéressantes lui échapperont. Elles sont notamment relatives à une multiplicité d'auteurs secondaires italiens ou germanophones méconnus, mais fournissent également de précieux renseignements complémentaires sur des auteurs plus importants. De nombreuses publications sont ainsi mentionnées dans les notes, et là seulement (les listes bibliographiques données à la fin de l'ouvrage sont volontairement limitées - un peu trop à mon avis). On eût aimé qu'une carte géographique simplifiée aidât le lecteur à localiser les noms des lieux cités. - Mais ce sont là des critiques tout à fait mineures, à la mesure de l'immense richesse de l'oeuvre de VACCARI.
L'auteur, après une introduction générale, présente les choses en suivant un ordre chronologique précis, ce qui aide à bien suivre les étapes du développement de sa pensée et de sa vision, au long de sa carrière et de ses lieux de séjour successifs. La vie d'ARDUINO est retracée en quatre grands chapitres (je précise les dates et l'âge de l'intéressé) :
I - Giovanni Arduino "minerista" : sa formation scientifique au travers de l'apprentissage technique minier (1714 - fin 1757 : de la naissance à 43 ans).
II - Les observations sur le terrain, comme prélude à l'élaboration d'une théorie géologique (fin 1757 - début 1760 : 43 à 45 ans).
III - La publication d'une nouvelle classification stratigraphique et l'intégration graduelle dans la communauté scientifique (1760-1767 : de 45 à 52 ans).
IV - Giovanni Arduino, savant européen ; la difficile synthèse entre les engagements publics et l'activité scientifique (1767-1795 : de 53 à 80 ans).
Dès maintenant, notons la brièveté de la seconde période, et pourtant son importance cruciale : c'est celle où s'élabore le noyau essentiel de la géologie d'ARDUINO. - Reprenons les choses dans l'ordre.
Giovanni ARDUINO, né aux environs de Vérone en octobre 1714, où il étudie, notamment la peinture et le dessin, sans doute aussi les Lettres et la géométrie ; mais il ressent dès 18-20 ans un attrait invincible pour l'art minier. Il séjourne dans les exploitations minières du sud-Tyrol germanophone, où il acquiert sur le tas les connaissances nécessaires, théoriques et pratiques, auprès de professionnels sans doute formés aux méthodes saxonnes. Il continuera souvent à user de termes lithologiques allemands. - Toute sa vie, ARDUINO maintiendra des liens étroits avec les "minéralogistes" (s. lato) d'Europe centrale. On a peu de renseignements sur cette formation. En tout cas, en 1740 (il a 26 ans), il observe les structures complexes du Monte Bolca, fameux pour ses Poissons fossiles, et en donne deux croquis en vue perspective où sont figurées "au vol" les diverses couches, à Poissons, à "Nummulaires", etc. Il sait donc, dès ce moment, décomposer un ensemble rocheux naturel en strates distinctes caractérisées par leur contenu. Qui le lui a appris ? VACCARI ne peut nous éclairer. Son histoire évite les conjectures ; elle se fonde exclusivement sur les sources écrites primaires. Peut-être, dans ce cas, aurait-il pu s'abandonner à des hypothèses raisonnables : fréquentant assidûment des mineurs de l'école germanique, certains d'entre eux devaient être familiers de la notion de séquences de couches ordonnées, telle celle décrite dès AGRICOLA dans le bassin des Schistes cuprifères de Thuringe et du Harz. En tout cas, ARDUINO en maîtrisait le principe. Et jusqu'au terme de sa vie, il ne manquera aucune occasion d'insister sur le devoir impératif de toujours partir de l'étude personnelle directe du terrain.
ARDUINO fait rapidement preuve de ses capacités. En 1741, il est chargé de la direction des mines de Schio dans les monts du Vicentin. Il trouve de nouveaux gisements, revoit et compile les documents existants, fait des croquis de terrain. En 1747, il a acquis la réputation d'un "metallurgo" et "maestro fonditori" : il est donc non seulement expert du sol, mais aussi du traitement physico-chimique des produits.
Changement de statut en 1748 : le voici pour six ans "Expert arpenteur public de la cité de Vicenza", entre autres chargé du cadastre. Situation un peu de repli, mais où il a le temps de lire avec ardeur.
De 1753 à 1775, ARDUINO est en Toscane, chargé de faire renaître les mines de la région de Sienne. Cela ne va pas sans des problèmes de rapports humains. Dans ses notes, on voit se multiplier les désignations précises de roches variées, subdivisées dès ce moment (selon la coutume du temps) en "calcaires" (ou calcinables) et "vitrifiables" (= fusibles à grand feu). Cette distinction pragmatique banale revêtira de plus en plus d'importance (notons-le) dans ses visions théoriques futures. En 1753, il rend visite à Florence à Giovanni TARGIONI TOZZETTI (1712-1783), l'une des figures dominantes de la géologie italienne du XVIIIème siècle, actualiste convaincu quant au modelé du relief par les eaux courantes, et bon paléontologiste. Il répercutait de plus, dans son ouvrage sur la Toscane, les idées de MICHELI (célèbre botaniste) sur l'existence de volcans éteints dans la partie méridionale de cette région, VACCARI pense qu'ARDUINO en aura été durablement influencé, dans son intérêt de plus en plus pressant accordé au volcanisme ancien.
En 1757, ARDUINO s'établit à Modène pour s'occuper de la mine de cuivre de Sassuolo, dans l'Apennin. D'après VACCARI, il commence alors à réfléchir sur la structure de la terre.
En 1758, ARDUINO s'installe à Vicenza. S'ouvre alors pour lui, alors âgé de 44 ans, une décennie d'études et de recherches. Il rencontre Antonio VALLISNIERI junior, avec qui il entreprend une correspondance suivie, dans laquelle il manifeste un intérêt croissant pour les questions géologiques. Il décide alors d'aller visiter les "Monti minerali" de Recoaro et désire faire part à VALLISNIERI de ses nouvelles observations relatives à "la Théorie de la Terre", une référence appuyée au célèbre ouvrage de BUFFON qu'il vient de lire.
C'est en octobre 1758 qu'eut lieu le voyage à Recoaro qui constitua une véritable excursion géologique. Après avoir rencontré à Valdagno deux médecins passionnés d'histoire naturelle, ARDUINO explore la vallée du 20 au 23, abandonnant souvent la route pour s'engager dans des vallons latéraux et escalader quelques collines. Il note minutieusement toutes les caractéristiques structurales des montagnes, ainsi que les minéraux et les fossiles rencontrés, et dessine sur place une esquisse au crayon qui constituait une sorte de carte générale de la région visitée. De la lecture de ses notes se dégage clairement l'attention portée à l'interprétation stratigraphique des divers composants observés. Le 23 octobre (le soir même de son retour), il écrit à VALLISNIERI pour lui faire part de ses observations. Il souligne que la "pietra scissile" observée à la base des Monts de Recoaro est la plus ancienne ou la plus primitive de toutes celles qu'il a observées jusqu'à présent et qu'elle paraît avoir subi l'action de "quelque cause fluidifiante analogue au feu". En réponse, VALLISNIERI conseille à ARDUINO de rédiger une lettre destinée à être publiée. Ce dernier dessine alors de mémoire une esquisse du Monte Spitz sur laquelle il indique la disposition des strates jusqu'à une certaine hauteur. Le mois suivant, il réalise de même une remarquable coupe géologique de la vallée de l'Agno.
Fin novembre 1758, ARDUINO avait déjà commencé une première ébauche de la lettre demandée par VALLISNIERI. Il y exprime sa "forte inclination" pour les études minéralogiques et pour la "Théorie de la Terre". A cette époque, il demande à VALLISNIERI de lui procurer une copie du "De Solido..." de Sténon, qu'il ne connaît pas encore.
Le 21 décembre 1758, ARDUINO rédige une lettre à VALLISNIERI sur l'exploration de la grotte de Costozza, près de Vicenza. Outre des observations sur la formation des stalagmites et des stalactites, il y constate qu'on peut retrouver sous terre la même superposition des strates que dans les montagnes.
Fin janvier 1759, ARDUINO décide de refondre sa lettre et de la scinder en deux (les fameuses "Due Lettere"!) : la première consacrée aux eaux acidulées de Recoaro, et la seconde à "quelques observations personnelles" (cette dernière sera corrigée par VALLISNIERI en avril 1759).
D'après VACCARI, peu d'auteurs, avant ARDUINO, s'étaient réellement intéressés à l'étude des strates terrestres. Dans la première moitié du XVIIIme siècle, les recherches à caractère stratigraphique étaient principalement tributaires de la connaissance directe de l'activité minière. C'est dans ce cadre que se réalisèrent les recherches de John STRACHEY, de Johann Gottlob LEHMANN et de Giovanni ARDUINO. Ces deux derniers ont en commun d'avoir tous deux étudié une région précise : le district d'Ilfeld-Rudigdorf, près du Harz, pour le premier, et la vallée de l'Agno pour le second, ce qui leur a permis d'obtenir une meilleure spécialisation de la recherche à caractère stratigraphique en s'affranchissant des "Théories de la Terre".
Dans la première des "Due Lettere", publiées en 1760, ARDUINO fait état de son rejet des Systèmes théoriques et de sa prédisposition pour l'observation directe des phénomènes. Il s'y consacre à la description du Mont d'où jaillissent les eaux médicinales de Recoaro. La coupe très élaborée (restée inédite jusqu'en 1929) qu'il a préparée de la vallée de l'Agno dénote une intense méditation à partir des notes et croquis accumulés pendant son voyage. Elle suppose en outre une exceptionnelle mémoire visuelle. Le travail d'ARDUINO est d'autant plus remarquable que les conditions météorologiques défavorables (y compris la présence de neige en altitude) l'avaient empêché de réaliser des observations adéquates sur les strates supérieures.
La seconde lettre débute par la relation détaillée de l'exploration de la grotte de Costozza. ARDUINO s'y révèle actualiste convaincu en considérant la nature comme "simple et uniforme dans ses lois et produisant toujours les mêmes ou semblables effets avec les mêmes ou semblables principes". Plus loin, il affirme encore que "les montagnes et les collines qui contiennent des reliques marines (ont été produites) par la mer, non pas tumultueuse, mais régulière, successivement, strate après strate, (de façon) parfaitement analogue aux dépôts que la mer forme aussi à notre époque".
Toutefois, les pages cruciales de la seconde lettre traitent de la division en quatre ordres des strates qui composent l'écorce visible de la terre. D'après ARDUINO, les deux premiers ordres (le plus profond et celui qui lui succède) forment les grandes montagnes, les monts et les collines ; le troisième constitue seulement de petits monts et des collines et le quatrième les plaines.
Le premier ordre est en réalité subdivisé en deux avec, à la base des monts primaires, les "piètre primigenie" constituées par le "Schieffer-stein" ou "pietra scissile", qui ne montrent aucune trace de productions marines et sont constituées d'une substance vitrescible au feu. Au-dessus, ARDUINO place les véritables "Monti Primitivi o Primarj" parmi lesquels il admet également les "Monti minerali".
Dans le second ordre, les "Monti secondarj" sont composés principalement de marbres et de pierres de nature calcaire renfermant le plus souvent des "reliques" d'êtres marins vivants.
A l'intérieur du troisième ordre, les "Monti o piuttosto colli terziari" sont constitués de pierres calcaires, sable, graviers cimentés avec des fragments de coquilles fossiles.
Enfin, le quatrième ordre concerne les alluvions des plaines.
ARDUINO considère ensuite que "les monts et les collines sont faits de strates qui n'ont pas toutes conservé leur position originelle mais qui ont été perturbées (...) par quelque force terrible" et que "les montagnes primitives et secondaires ont été (...) soulevées par des forces souterraines" qu'il assimile au volcanisme.
Après la publication des "Due Lettere", ARDUINO envisage de poursuivre ses recherches en vue d'une "Storia dei Fossili del Vicentino". Sans doute aurait-il pu y démontrer tout à loisir l'idée potentiellement féconde qu'il exprima sommairement le 7 juillet 1760 dans une lettre à VALLISNIERI. Il y soulignait qu'il existe "plusieurs degrés de perfection dans les espèces d'animaux aquatiques pétrifiés, plus grossières et imparfaites dans les strates inférieures des montagnes (...) secondaires et peu à peu plus parfaites dans les strates supérieures, selon l'ordre de leur formation, si bien que dans les dernières strates, à savoir dans celles qui forment les monts et collines tertiaires, se voient des espèces très parfaites et en tout semblables à celles que l'on connaît dans la mer actuelle". En cela, ARDUINO a donc réalisé, près de vingt ans avant GIRAUD SOULAVIE, une découverte qui allait rendre possible l'essor de la science stratigraphique.
Cependant, ARDUINO restait principalement préoccupé par l'étude de la genèse des roches et de leur disposition structurale. Ainsi, dans une note manuscrite relative aux Monti Berici, il confirmait sa propre supposition au sujet de "la correspondance des strates de scaglia avec celles qui forment l'enveloppe ordinaire de nos Alpes". En outre, vers la fin de 1760, il commençait à se rendre compte du rôle joué par le feu dans une bonne part de la lithogenèse et en particulier dans la formation de la "pietra primigenia".
Le 8 avril 1769, ARDUINO est nommé par décret Surintendant à l'Agriculture pour la Vénétie et s'installe à Venise à la fin de l'été. Sa liberté d'action s'en trouve considérablement réduite : l'énorme charge imposée par ses nouvelles fonctions rend plus difficile la poursuite de ses recherches géologiques sur le terrain. Le prestige de sa position facilitera en revanche sa consécration définitive au sein de la communauté scientifique européenne pendant la décennie suivante. Plus que tout autre, le voyageur suédois Johann Jakob FERBER, qui séjourna à Venise en septembre 1771, joua un rôle décisif dans la divulgation des idées géologiques d'ARDUINO. En effet, dans la cinquième de ses "Lettres sur la Minéralogie et sur divers autres objets de l'histoire naturelle de l'Italie", datée du 12 novembre 1771, FERBER précisait qu'ARDUINO "a divisé les montagnes du Vicentin & du Veronois... en montagnes primaires, secondaires & tertiaires, relativement à leur position supérieure ou inférieure & à la différence de leur âge & de leur formation". Or, on sait que ces lettres furent abondamment diffusées en Europe car, outre l'édition allemande originale (1773), elles furent rapidement traduites en français et en anglais (1776).
Au début de 1774, ARDUINO envoya à l'Académie des Sciences de Sienne un manuscrit intitulé Saggio fisico-mineralogico di Lhytogonia e Orognosia, qui parut à l'automne de cette même année. Il y confirmait sa classification stratigraphique en quatre "ordres" mais il relativisait en outre l'échelle chronologique utilisée pour dater les strates terrestres en se fondant sur le type de modifications subies par celles-ci. Il insistait en effet sur le fait que "les parties visibles de notre Globe ne sont pas primordiales en ce qui concerne leur forme et leur structure présentes, mais qu'elles dépendent des diverses révolutions et métamorphoses qu'elles ont subi". Après avoir distingué au sein des montagnes d'ordre primaire celles qui "portent des indices caractéristiques d'antiquité primaire et d'origine ignée" et celles dont la formation est liée à l'élément aqueux, il précisait que les premières montrent les stigmates de "la fusion subie, de bouillonnements tumultueux, de mélanges accidentels et de troubles produits en des temps variés" et suggérait une certaine similitude avec les effets des volcans actuels. ARDUINO assimilait cette sous-catégorie de montagnes primaires formées par le feu aux montagnes à filons métalliques ("Ganggebürge") de LEHMANN. En revanche, les montagnes primaires du second groupe diffèrent des précédentes par "leur structure, leur origine mixte (volcanique et pélagique) et par d'autres phénomènes" qui conduisent ARDUINO à les considérer comme moins anciennes.
ARDUINO souligne également la diversité des effets qui se sont manifestés successivement. Prenant pour exemple les Alpes calcaires, composées de strates superposées sédimentées dans les eaux marines, il remarque ainsi que ces "strates" (c'est-à-dire d'ensembles de lits ayant la même lithologie) sont pétries d'une abondance immense de coquilles appartenant à de très nombreuses espèces qui, de plus, diffèrent d'une strate à l'autre.
ARDUINO semble avoir commencé en 1771 la rédaction d'un manuscrit très vraisemblablement destiné à demeurer inédit. Il s'agit de la "Risposta Allegorico Romanzesca" à FERBER dont STEGAGNO analysa partiellement le contenu en 1929 et que VACCARI publia enfin en 1991. Il renferme une proposition d'échelle chronologique par "Epoques" de la genèse de la Terre. ARDUINO distingue ainsi "quatre grandes Epoques successives" dont il dit ne pouvoir connaître la longueur car "les millésimes manquent dans le Livre de la Nature", tout en proclamant néanmoins "la profonde antiquité des temps". Au cours de ces "Epoques" se sont produites de grandes modifications sous l'action de "deux puissants dominateurs : Vulcain et Neptune". On regrettera ici qu'ARDUINO ait alors pratiquement cessé de réaliser de nouvelles observations sur le terrain !
Au début de la première "Epoque", ARDUINO décrit un stade initial de fusion vitreuse dans lequel la matière était comme un verre très visqueux. Puis la croûte commença à se consolider, ce qui ne suffisait pas à empêcher "les matières inférieures, encore très ardentes et liquéfiées, de se gonfler au contact de l'eau avec une fureur inconcevable". Ce processus aurait été responsable de la formation des "pietre primigenie", constituées de pierres schisteuses, alliant talc et quartz. Après cette période initiale, l'activité volcanique rénovée produisit de nouveaux types de roches parmi lesquels les porphyres, les serpentines, les granites etc. Puis se formèrent les filons de quartz, les spaths et de nombreuses autres espèces de pierres résultant de l'altération et de la dissolution des matériaux superficiels sous l'action d'Eole.
La seconde "Epoque" débuta par une période de tranquillité majeure pendant laquelle la Terre fut cernée par les eaux qui atteignaient un niveau élevé. Les strates déposées durant cette période sont de ce fait beaucoup plus régulières, plus parallèles et plus homogènes.
ARDUINO remarque en outre que les espèces contenues dans les strates les plus basses peuvent être inconnues ("Concilie anomie") ; mais qu'à partir d'une certaine hauteur elles se rapprochent toujours davantage des formes modernes. Cette seconde "Epoque" s'est terminée par deux événements fondamentaux étroitement liés entre eux : l'émersion des continents et l'apparition de la vie sur la terre ferme.
Il est difficile de se faire une idée de la troisième "Epoque", dont traitent seulement trois pages de manuscrit. Elle aurait été principalement caractérisée par l'activité érosive des agents atmosphériques et des eaux courantes.
En conclusion, l'ouvrage d'Ezio VACCARI constitue un travail exemplaire, comme on aimerait en lire plus souvent sur les grands géologues du passé. L'auteur s'est en effet attaché à dépouiller consciencieusement l'ensemble des manuscrits laissés par ARDUINO et à examiner attentivement toute sa correspondance, mettant son point d'honneur à préciser la personnalité de nombre d'auteurs secondaires qui furent les correspondants d'ARDUINO. Cet ouvrage apparaît ainsi comme un chef d'oeuvre de documentation historique grâce auquel on a facilement accès à une foule d'informations essentielles sur la vie et l'oeuvre d'ARDUINO, sans avoir jamais l'impression d'être submergé par des données inutiles. En effet, l'auteur, maître dans l'analyse, a su ne jamais perdre de vue les grandes lignes de son sujet.
L'éditeur florentin, Léo S. OLSCHKI, mérite également d'être félicité pour avoir apporté tout le soin requis à l'impression d'un ouvrage de haute qualité et de belle présentation.