COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (Séance du 30 novembre 1983)
L'histoire que nous allons parcourir s'étale sur bientôt un siècle et demi, à travers plusieurs étapes dans la construction et le développement de la géologie stratigraphique. Elle illustre la manière progressive et tâtonnante suivant laquelle s'est élaborée la nomenclature stratigraphique, l'évolution des concepts qui la sous-tendent, l'influence des personnes et aussi des écoles... Et c'est une histoire essentiellement française.
En 1850, dans le Prodrome de Paléontologie stratigraphique (t.II, p. 97), Alcide d'Orbigny introduisit le terme "Urgonien" pour désigner de façon plus précise les terrains classés jusqu'alors dans le Néocomien supérieur, entre le Néocomien inférieur, ou Néocomien proprement dit, et l'Aptien.
En 1852, dans son Cours élémentaire de Paléontologie stratigraphique (t.II), il précisa sa définition : "La série supérieure (du Néocomien) à laquelle on pourrait donner le nom d'Urgonien, Orgon (Bouches-du-Rhône) en offrant le plus beau type, est représentée dans le Bassin parisien par l'argile ostréenne de M. Cornuel, à Vassy (Haute-Marne), dans l'Aube et l'Yonne. Elle a des caractères bien plus marqués dans le Bassin méditerranéen. Au faciès sous-marin de cette série de couches correspond dans ce bassin l'horizon si remarquable des Requienia ammonia et Lonsdalii, qui forme notre première zone de rudistes..."
L'Urgonien a donc été défini comme un étage, c'est-à-dire, en rejoignant les idées qui s'expriment à travers la définition : un ensemble de terrains (une série de couches) caractérisés par certains fossiles et correspondant à une certaine époque de l'histoire géologique. Autrement dit un ensemble de terrains représentant une certaine durée située en un point déterminé de la succession chronologique de la stratigraphie. Des listes de fossiles sont données ainsi qu'un lieu de référence (un stratotype dirions-nous aujourd'hui). L'Urgonien avait donc au départ tout ce qu'il fallait pour un parfait statut d'étage.
Que lui est-il donc arrivé ?
En 1862, Henri Coquand, dans la logique de l'affinement progressif de l'échelle stratigraphique, crée le nom de Barremien pour ce qu'il pense être un étage supplémentaire qu'il situe "entre le Néocomien proprement dit (couches à Toxaster complanatus et à Ostrea Couloni) et le Néocomien supérieur (étage urgonien d'Alcide d'Orbigny)". Coquand a défini son étage par sa faune et par sa position stratigraphique : "Nous reconnaissons donc et nous admettons, au-dessous du calcaire à Chama ammonia, dans le grand bloc qui a reçu primitivement le nom d'étage néocomien, trois étages distincts qui sont :
Là était l'erreur de Coquand, erreur qui va coûter la vie à l'étage urgonien.
Dans son étage, Alcide d'Orbigny avait associé deux types de formations, deux types de faciès très différents. Sa description de 1852 ne laisse aucun doute :
b) D'autre part le faciès argileux à ammonites, situé dirions-nous aujourd'hui en position plus ouverte par rapport à la mer, mais que d'Orbigny plaçait à proximité du littoral : "Au faciès cotier, rempli de corps flottants, appartiennent ces couches chloritées supérieures, si remplies de Céphalopodes, qu'on rencontre au ravin de Saint-Martin près d'Escragnolles, à Gréollières (Var) ; les calcaires argileux de Blieux, de Blaron, de Vergons, de Barrême, de Chardavon, d'Angles, de Robion, de Chamateuil, d'Audon, d'Aiglun (Basses-Alpes), etc.. toujours caractérisés par un grand nombre d'espèces de Céphalopodes spéciaux, tels que les Belemnites minaret, Grasianus ; les Ammonites ligatus, recticostatus, Honnoratianus, Cassideus , Dumasianus, Lepidus, Heliacus, Galeatus ; le Scaphites Yvani, l'Ancyloceras Emerici et Puzosianus, etc..."
En 1862, Coquand mettait donc le faciès à ammonites, dont il faisait son Barrémien, sous le faciès calcaire à Rudistes, auquel il réduisait l'étage urgonien d'Alcide d'Orbigny.
"Il est juste de dire, écrivent J. Sornay et S. Taxy-Fabre (1967, p. 262) que dès 1866 Coquand reconnaît son erreur et le bien-fondé de la correspondance proposée par d'Orbigny entre Barrémien et Urgonien, entre calcaires à rudistes d'Orgon et marno-calcaires à ammonites de Barrême". Cependant les observations qu'il venait de faire en Aragon le conduisent à mettre les calcaires à rudistes en correspondance stratigraphique avec l'Aptien, ce qui était exact dans le domaine sud-pyrénéen étudié. "Il assimile l'Urgonien à l'Aptien inférieur et, par voie de conséquence, le Barrémien également" (J. Sornay et S. Taxy-Fabre, op. cit.). D'une observation exacte, Coquand tirait une généralisation trop rapide.
En 1868, Alexandre Leymerie [1801-1878], pour les régions pyrénéennes, confirma l'équivalence d'âge reconnue par Coquand entre les faciès calcaires à rudistes (assimilés par Coquand à l'Urgonien d'A. d'Orbigny) et les faciès à ammonites caractéristiques de l'Aptien. Il proposa le terme d'Urgo-Aptien qu'il introduisit de la façon suivante : "Dans les Pyrénées, comme dans les régions d'Algérie et de l'Espagne signalées par M. Coquand, les deux types urgonien et aptien se confondent par des alternances... Dans la plupart des vallées pyrénéennes, au Sud de cette série urgo-aptienne existent de nouveaux calcaires de couleur foncée... L'étage urgo-aptien..."
Marcel Casteras [1904-1976], géologue pyrénéen, commentait ainsi (in Lexistratigraphique international, 1967, p. 360) cette définition : "La dénomination d'étage urgo-aptien est donnée par Leymerie pour indiquer que dans le Crétacé inférieur des Pyrénées, sont représentés en alternances deux types de faciès, le faciès des calcaires à Rudistes, rappelant l'Urgonien de Provence, d'une part, le faciès de schistes noirs à Exogyra latissima Lmk., d'autre part."
En conclusion, "les deux types urgonien et aptien", autrement dit deux faciès, alternent et se confondent dans une même unité stratigraphique dont l'âge serait ici aptien.
Voilà donc un nouveau terme, assez bancal, assez peu conforme à la nomenclature qui était en train de se constituer, mais intéressant pour suivre l'évolution des idées. On y voit séparées, quoique encore mal distinguées semble-t-il, deux notions : celle de faciès et celle d'âge. Deux notions contenues déjà dans les conceptions d'Alcide d'Orbigny qui parlait du "faciès sous-marin" et du "faciès côtier" dans la "série de couches" qu'il avait étiquetée "Urgonien".
Le terme composite Urgo-Aptien en est venu, dans l'usage des géologues pyrénéens du milieu du XXème siècle, à désigner les calcaires comparables à ceux de l'Urgonien type de Provence, de la vallée du Rhône, des Chaînes subalpines, mais estimés d'âge différent (Aptien au lieu de Barrémien) et éventuellement les couches qui leur sont intimement associées quoique de faciès différent. Urgo-Aptien ainsi utilisé ne serait-il pas l'étiquetage d'une formation plutôt que d'un faciès ? En tout cas pas celui d'un étage. Pourquoi Leymerie lui conféra-t-il le rang d'étage alors qu'il le présentait en fait comme un aspect particulier de l'étage aptien, bien installé dans la nomenclature stratigraphique de l'époque ? Quoiqu'il en soit, la procédure de divorce entre Urgonien et Barrémien était désormais irrémédiablement engagée.
Nouvel acteur, en 1883, F. Leenhardt démontre l'équivalence d'âge entre l'Urgonien du Ventoux et l'Aptien de la région de Vaison. D'une manière implicite, il admet également la superposition de l'Urgonien au Barrémien sensu Coquand. Comme ce dernier, il propose la suppression du terme urgonien de la nomenclature stratigraphique générale (J.P. Masse 1976). En bonne logique, n'aurait-il pas dû parler d'Urgo-Aptien ? Mais ce dernier terme ne semble pas avoir été exporté hors du domaine pyrénéen.
En 1888, Wilfrid Kilian aboutit à des conclusions semblables. Il définit, dans la Montagne de Lure en particulier, les rapports entre l'Urgonien, le Barrémien de Coquand et l'Aptien d'A. d'Orbigny. Selon lui, seules devraient conserver valeur d'étage les deux dernières subdivisions (J.P. Masse 1976).
Comme le font remarquer J. Sornay et S. Taxy-Fabre (op. cit.), A. d'Orbigny n'avait avancé aucun argument à l'appui de sa manière de voir l'équivalence entre calcaires à rudistes et marno-calcaires à ammonites. C'est F. Leenhardt (1883) puis W. Kilian (1889) et V. Paquier (1900) qui ont démontré la corrélation latérale entre calcaires à rudistes et formations à ammonites dans la Montagne de Lure d'une part, le Diois et les Baronnies d'autre part.
Toutefois, et c'est ce qui peut contribuer à expliquer les appréciations de Coquand, en Provence et dans les Chaînes subalpines les formations à ammonites placées en regard des formations à rudistes sont, dès cette époque, rapportées au Barrémien et au Bedoulien (= Aptien inférieur). Ces datations ont été confirmées par les travaux les plus récents (J.P. Masse 1976, A. Arnaud-Vanneau 1980 et H. Arnaud 1981).
Voilà donc le terme urgonien (urgonien pro parte au sens d'Orbigny) restreint à la désignation d'un faciès particulier, mais un faciès assez original, jouant un rôle marquant, parfois fascinant, dans les paysages méditerranéens. D'où la vogue que le nom a connu, en France tout au moins.
L'ensemble des travaux de W. Kilian et de ses collaborateurs a permis à celui-ci (1910-1915) de donner une mise au point des connaissances sur l'Urgonien qui a été désormais classique jusqu'à l'introduction de la démarche sédimentologique à partir des années 1950. Le poids, le prestige de l'école grenobloise ont sans doute joué un rôle important pour faire prévaloir cette vue de l'Urgonien.
Ainsi Maurice Gignoux et Léon Moret pouvaient-ils écrire en 1946 : "Le terme d'Urgonien n'est plus employé dans le sens très précis que lui avait donné d'Orbigny.
Actuellement, en effet, ce nom est réservé à un faciès très spécial : ce sont des calcaires blancs (dont le type est à Orgon), plus ou moins oolithiques ou à débris, très compacts, rarement crayeux ; la faune comprend des formes très caractéristiques : Requienia ammonia, Toucasia carinata, Matheronia gryphoîdes, Agria Blumenbachi, Monopleura, Précaprinidés ; il s'y associe des Milioles, des Orbitolines de petite taille (O conoidea-discoidea), des Diploporidés, des Zonatelles (Pseudostromatopores), des Polypiers, des Oursins (Heteraster oblungus, Pygaulus depressus) des Ptérocères, des Nerinea Renauxiana et gigantea, des Brachiopodes (Rhynchonella lata, B. Renauxiana) ; il n'y a jamais ni Ammonites ni Bélemnites.
Comme on le voit, cette définition ne correspond pas du tout à celle de d'Orbigny. Ce dernier, avec une intuition tout à fait remarquable pour l'époque, faisait en effet rentrer dans son Urgonien, non seulement les calcaires récifaux du type de ceux d'Orgon (Urgonien des auteurs actuels) mais encore le Barrémien glauconieux et à Ammonites du Var, les calcaires marneux à Céphalopodes barrémiens des Basses-Alpes (couches à Macroscaphites Yvani de Barrême) et enfin les "argiles ostréennes" du Bassin de Paris. Les recherches plus récentes n'ont fait que confirmer les synchronismes indiqués par d'Orbigny. L'Urgonien de cet auteur n'est donc pas du tout un simple faciès, mais bien un véritable étage, susceptible de se présenter sous différents faciès, et équivalant très exactement à ce que nous appelons aujourd'hui l'étage Barrémien. En toute rigueur, le terme d'Urgonien aurait donc dû avoir la priorité sur celui de Barrémien, créé en 1861, et basé sur une erreur de Coquand, qui croyait à une lacune stratigraphique de l'Urgonien dans les Basses-Alpes.
Toutefois, l'acception actuelle du mot Urgonien est tellement répandue et depuis si longtemps qu'il n'y a pas lieu de la reprendre dans la signification que lui avait donnée son auteur."
Maurice Gignoux et Léon Moret (1946) allaient plus loin dans la restriction du sens d'urgonien. Et l'on voit que leur concept de faciès n'était pas affranchi de toute implication d'âge. "Des calcaires à faciès urgonien n'existent que dans le Sud-Est de la France ; il faut en effet en écarter les calcaires souvent dits "urgoniens" de la bordure des Pyrénées, lesquels contiennent une faune de Rudistes différente, semblent plus récents et doivent pour cela être distingués sous le nom d'"Urgo-aptien"...Le véritable Urgonien ne se trouve que dans la Basse-Provence, la bordure Sud-Est du Massif Central, les chaînes subalpines septentrionales et le Jura." C'était le point de vue qui prévalait dans le Sud-Est de la France et pourtant on savait déjà qu'une partie de cet Urgonien était d'âge aptien.
A partir des années 50, les développements de la pétrographie sédimentaire et de la sédimentologie, ainsi que l'affinement de la stratigraphie, vont modifier le débat.
En demandant aux lecteurs de bien vouloir m'excuser de me citer, voici les conclusions, différentes, auxquelles m'avaient conduit en 1959 nies observations de terrain et les difficultés rencontrées sur ce que tous les géologues, je pense, s'accordent maintenant à appeler l'urgonien des Pyrénées cantabriques :
"Il paraît indispensable, pour la clarté de la nomenclature géologique, de dissocier complètement les notions d'âge et de faciès. Déjà, dans le Sud-Est de la France, les calcaires à faciès urgonien n'ont pas partout l'âge de ceux d'Orgon ; barrémiens à leur base, ils sont aptiens par leur sommet qui mériterait donc aussi le qualificatif d'urgo-aptien. D'autre part, dans la Chaîne cantabrique où l'ancienneté des calcaires à Rudistes n'est pas toujours connue avec exactitude, l'emploi d'un terme lié à un nom d'étage comme urgo-aptien est dangereux car il risque d'introduire une fausse précision."
Cette dernière réflexion était justifiée par le fait que ce que l'on appelait parfois encore l'Urgo-Aptien pyrénéen était déjà, au moins par endroit, daté de l'Albien dans sa partie supérieure, sans aucune discontinuité et, à première vue, sans aucune différence.
J'ajoutais encore : "Enfin, le contenu faunistique d'une roche n'est qu'un des éléments du faciès, le biofaciès. Il est normal que dans deux aires géographiques ou à deux époques distinctes, un même faciès contienne des fossiles différents quoique analogues, diverses espèces d'un même genre par exemple, c'est-à-dire des organismes qui, sans être identiques, ont exigé les mêmes conditions de milieu. Pour parler de faciès construit à Polypiers, on ne s'inquiète pas de connaître les espèces ou les genres de Madrépores qui sont intervenus dans l'édification. D'ailleurs, dans un même banc urgonien, les formules faunistiques peuvent varier sans que la roche change d'aspect : associations à Pseudotoucasia, associations à Polyconites, etc...
Si l'on n'envisage plus seulement le biofaciès, on s'aperçoit que l'usage a groupé sous un même nom des roches bien distinctes par certains de leurs caractères. Entre la craie d'Orgon ou du Jura et les calcaires compacts de Provence, il y a des différences sérieuses, sans pourtant que l'on refuse aux uns ou aux autres l'appellation urgonienne. Les dissemblances, qui portent sur le lithofaciès mais aussi sur le biofaciès, me paraissent moins grandes entre les calcaires à Rudistes provençaux et cantabriques qu'entre les calcaires de Provence et la craie d'Orgon.
Tenant compte de ces remarques, je retiendrai le terme de faciès urgonien, pour définir, sans préjuger de leur âge, les calcaires massifs qui, bien qu'assez divers par l'aspect externe et le microfaciès, ont en commun l'absence quasi-totale d'éléments terrigènes, l'importance du ciment de calcite et des constituants organogènes, une forte recristallisation, et dont le biofaciès est caractérisé par des Rudistes gravitant autour du genre Toucasia. Selon les lieux ou suivant les époques, une espèce plutôt qu'une autre a pu proliférer. Le faciès urgonien, tel que je l'entends, se retrouve en effet à divers niveaux du Crétacé inférieur et moyen, ce qui démontre simplement que les mêmes conditions de sédimentation ont régné à plusieurs reprises, les espèces ayant évolué entre temps."
Les dissonnances qui viennent d'être rapportées n'étaient pas les seules. Les conceptions diffèrent suivant les auteurs en fonction de leur expérience, suivant les régions dans lesquelles ils ont travaillé. Une certaine morphologie, un certain paysage sont associés à l'image que l'on se fait de l'urgonien et il n'est pas étonnant que ce terme ne soit pas entré dans le vocabulaire des géologues pétroliers de la subsurface... D'autre part si les faciès à Rudistes du Barrémien, de l'Aptien et même d'âge un peu plus large, présentent une évidente parenté, ils offrent aussi une variation non négligeable. Et d'autres faciès, plus ou moins apparentés, leur sont souvent associés. D'où par exemple le terme de para-urgonien qui avait été suggéré pour désigner certains de ces faciès (Pierre Rat 1959), terme qui a parfois été repris (voir T. Nikolov 1969). Les conceptions se sont aussi modifiées avec le développement des connaissances.
On a vu ainsi se confronter opinions et expériences différentes au Colloque de Lyon sur le Crétacé inférieur en 1963. La discussion se résumait ainsi (Rat 1965) : "Si l'on s'appuyait uniquement sur la présence de Rudistes sans précisions de genre, certains horizons du Jurassique supérieur pourraient, à la limite, être englobés, et des niveaux du Crétacé supérieur tout autant. C'est évidemment trop ! Toutefois au Barrémien et à l'Aptien, une véritable explosion de ces calcaires semble s'être manifestée sur les plateaux néritiques de la Mésogée ; d'où un argument pour une limitation stratigraphique en harmonie avec la tradition.
Faut-il qualifier d'urgonien l'Hauterivien à Rudistes du Jura ? Faut-il inversément, avec certains puristes, rejeter l'Aptien pyrénéen malgré ses Toucasia ? Dans cet échange de vues, on voit apparaître les divergences, voire les oppositions entre géologues qui ne travaillent pas sur les mêmes régions. R. Ciry fait alors brillamment ressortir le côté subjectif des positions de chacun : "Après avoir longuement peiné dans les lapiez que le soleil du Midi fait resplendir d'une blancheur éclatante, chacun s'est fait une idée de l'urgonien. On sent ce qu'il est, plus qu'on ne l'exprime. Or, la sagesse est sans doute de se conformer à l'usage qui réserve le mot pour le Crétacé assez bas : ce n'est pas coutume d'y inclure le Cénomanien ni l'Hauterivien, même s'ils contiennent des Rudistes..."
Ainsi, malgré l'imprécision qu'il garde, personne ne songe à abandonner ce mot évocateur et souvent commode. Finalement c'est une invitation à suivre prudemment l'usage que le Colloque a retenue avec la conclusion suivante :" Le terme d'urgonien doit être réservé pour désigner un type de faciès calcaires du Crétacé inférieur : "les faciès urgoniens", le mot étant écrit alors sans majuscule initiale. On souhaite voir son emploi limité aux calcaires à Toucasia et à ceux qui leur sont directement associés, du Barrémien et de l'Aptien."
Vingt ans plus tard, on doit constater que cette définition était un peu restrictive. Des calcaires "urgoniens", datés jusque là, presque traditionnellement d'ailleurs, de l'Aptien dans le domaine pyrénéen se sont révélés d'âge albien dans leur partie supérieure sans discontinuité, sans modification d'aspect, sans autre changement que le relai de certaines espèces. Des calcaires à Rudistes du Crétacé basal et même du Jurassique supérieur s'apparentent plus aux faciès urgonien que les calcaires à Rudistes du Crétacé supérieur.
Aujourd'hui on parle toujours de faciès urgonien ou de faciès urgoniens. La meilleure preuve en est le Colloque organisé en 1979 à Grenoble par le Groupe Français du Crétacé sous le titre : "L'Urgonien des pays méditerranéens".
Peut-on encore parler d'Urgonien ? lit-on dans les conclusions. Les réponses sont partagées mais on constate que "le titre du colloque utilisait le nom "Urgonien" et les auteurs ne s'y sont pas trompés", malgré leurs préoccupations très diverses (biostratigraphie, sédimentologie, géochimie, études régionales...).
Deux possibilités s'offraient à l'issue de ce colloque : Ou bien proposer une redéfinition qui ne laisse aucune ambiguité. Dans ce cas on admettait qu'il fallait élargir la définition de 1963 "pour étendre la notion de calcaires urgoniens à tous les carbonates de plates-formes du Crétacé inférieur. De ce fait, compte tenu de sa répartition stratigraphique, le genre Toucasia ne peut plus être considéré comme le marqueur faciologique déterminant ; il convient de lui substituer un signifiant plus large (c'est-à-dire Requienidae dont les principaux genres ... se relaient... du Berriasien à l'Albien). Ou bien "recommander de substituer chaque fois qu'il est possible, au qualificatif urgonien, des termes lithologiques ou pétrographiques descriptifs précis... assortis de références biostratigraphiques..."
Et l'on concluait : "La question, mieux éclairée, reste donc cependant ouverte".
Cependant d'autres façons de voir, complémentaires de la précédente, se sont fait jour. Tout d'abord celle de complexe urgonien. "Les calcaires à Toucasia du Crétacé cantabrique sont inclus dans un complexe sédimentaire extrêmement puissant. Bien qu'ils n'y tiennent pas toujours la place prédominante, ils suffisent à lui donner une forte originalité et à lui mériter le nom de Complexe urgonien que je lui attribue" (Rat 1959, p. 101).
L'expression a été utilisée par Kh. Krishev (1963) en Bulgarie (Urgonskiia Kompleks) pour les séries du Prébalkan où les faciès urgoniens s'intriquent avec les faciès terrigènes ou des faciès intermédiaires (para-urgoniens), d'une manière très variable et imprévisible. "Le Complexe urgonien du Prébalkan montre une grande diversité lithologique : calcaires à rudistes, calcaires à orbitolines, calcaires oolitiques, grès à grain fin, marnes" (Nikolov, 1969). La même expression a été reprise en Espagne : "Complejo urgoniano" dans la Chaîne cantabrique (Garcia Mondejar 1979), "Complexe urgonien" dans les Chaînes ibériques (Canérot 1979). Elle correspond à une démarche de terrain, à une commodité pour la cartographie, à une première approche dans l'analyse stratigraphique.
Une seconde façon de voir, plus sédimentologique, a été explicitée au Colloque sur l'urgonien où l'on a parlé de "systèmes bio-sédimentaires urgoniens". "Les calcaires à Toucasia et Requienia, comme ceux d'Orgon ou de Cassis en Provence, se sont formés dans un certain environnement qui n'était ni isolé, ni indépendant, et qui faisait partie de systèmes plus vastes et plus complexes dont ils étaient l'un des éléments importants, peut-être le plus caractéristique. J.P. Masse (1976) a donné une très bonne représentation de tels systèmes à propos de l'urgonien provençal.
Les faciès considérés comme l'urgonien typique sont associés à d'autres qui, bien que plus ou moins différents, font partie du même ensemble sédimentaire. Ils peuvent en être des éléments tout aussi indispensables, même s'ils sont moins evocateurs, sur le terrain, que l'urgonien à rudistes. L'étude des uns est nécessaire à la connaissance des autres. Aussi parlerons-nous de systèmes urgoniens ce qui nous paraît tout à fait conforme à la pensée actuelle : systèmes sédimentaires ou mieux systèmes bio-sédimentaires urgoniens étant donné la place qu'y tient la vie.
Sans doute, dans les formations issues de ces systèmes, les faciès sont-ils assez variés, assez divers, pour que certains reçoivent sans conteste le qualificatif d'urgonien, tandis que d'autres paraissent bien éloignés, étrangers même (Rat et Pascal 1979).
On dit communément qu'une "erreur" de Coquand a causé l'abandon du terme urgonien pour désigner un étage stratigraphique. On peut aussi estimer que le prestige de l'école grenobloise a pesé dans le même sens.
On voit, à travers cette histoire, le concept même d'étage se préciser peu à peu au fur et à mesure que l'échelle stratigraphique, celle de l'Europe occidentale, se construisait. La notion de faciès elle-même s'épure. Et l'on voit qu'il n'y a jamais rien de définitif tant que la recherche est vivante, qu'on ne peut rien enserrer pour toujours dans une définition et que finalement, en fonction des connaissances et des formules de pensée du moment, c'est l'usage qui prévaut sur toute réglementation.