COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 10 décembre 2003)
Gabriel Gohau vient de publier un petit livre de présentation soignée et de lecture agréable dans lequel il conte avec talent la naissance de la stratigraphie. Ce volume vient donc compléter utilement son ouvrage de référence intitulé Les sciences de la Terre aux XVIIe et XVIIIe siècles - Naissance de la géologie.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, l'auteur consacre un préambule à connotation épistémologique à la notion de révolution scientifique. Il prend ensuite comme point de départ les premières tentatives de datation de la Création, dont la plus célèbre fut celle d'Ussher, évêque d'Armagh, en Irlande, bientôt suivies par la publication du Prodrome de la dissertation... (1669), dans lequel Sténon, deux ans après avoir démontré l'origine organique des fossiles, énonça le principe de superposition qui constitue le fondement même de la stratigraphie.
C'est en 1740 que fut mise en évidence l'opposition entre " montagnes primaires ", formées de roches massives et " montagnes secondaires " stratifiées. L'effort des géognostes porta alors sur l'étude de la succession des couches. Adeptes du neptunisme, ils supposaient que les roches étant le produit d'une précipitation universelle, les observations réalisées localement étaient susceptibles d'être extrapolées, ce qui ne fut pas confirmé par les premières études à caractère régional réalisées en divers pays. C'est ainsi que les " archives de la nature ", et notamment les fossiles, acquirent une importance accrue pour caractériser les strates successives et les corréler à distance. Toutefois, Élie de Beaumont tenta alors d'opposer aux fossiles les archives tectoniques que constituaient, d'après lui, les directions des chaînes de montagnes car il considérait comme contemporaines les chaînes de même orientation.
L'auteur montre enfin le rôle positif joué par l'interprétation progressionniste du développement des faunes et des flores dans l'émergence, chez les géologues, d'un certain sens de l'histoire car, après avoir découvert les plus anciennes faunes fossiles (la " faune primordiale " de Joachim Barrande), il devint possible de déterminer l'ordre naturel dans lequel apparurent les faunes et flores successives. Pour sa part, Élie de Beaumont considérait que les soulèvements successifs des différents systèmes de montagnes avaient contribué à l'organisation progressive de la structure du globe.
Pour conclure, voici un petit livre d'une lecture aisée qui atteint pleinement son objectif : familiariser le lecteur avec l'émergence d'une étude historique de notre planète. Dans ce développement linéaire d'une grande clarté, on regrettera cependant que l'auteur n'ait pas cru devoir expliquer la raison pour laquelle Élie de Beaumont opposa radicalement aux archives paléontologiques ses archives tectoniques : en 1828 avait éclaté l'affaire dite de Petit-Cœur, du nom d'un site de la Tarentaise où il avait observé des empreintes de fougères de la flore carbonifère voisinant avec des bélemnites jurassiques, ce qui lui paraissait ôter toute crédibilité à la paléontologie stratigraphique. On sait aujourd'hui que cette anomalie était due à l'existence en ce lieu d'un contact anormal, de nature tectonique, entre Carbonifère et Jurassique.