TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.X (1996)

Ezio VACCARI
Lazzaro Spallanzani (1729-1799) : un naturaliste italien du dix-huitième siècle et sa contribution aux sciences de la terre

A l'époque de la publication, l'auteur travaillait au Laboratoire CIBAMAR (Cinématique des Bassins et Marges), Université Bordeaux 1, Avenue des Facultés, 33405 Talence Cedex

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 12 juin 1996) Réunion commune COFRHIGÉO/SGF

La présente communication a été présentée le 14 juin 1996 dans le cadre des séminaires d'Histoire des Sciences organisés par le Centre Alexandre Koyré. Elle se substitue à celle exposée oralement le 12 juin 1996 sur le thème Classification des montagnes et premières études lithostratigraphiques dans l'Italie du dix-huitième siècle.

Lazzaro Spallanzani (1729-1799) est certainement l'une des figures les plus éminentes de la science italienne de la fin du dix-huitième siècle. Il peut être considéré comme un exemple très significatif du niveau d'éclectisme scientifique et d'encyclopédisme atteint par les naturalistes italiens à la fin de ce siècle, alors même que certaines disciplines de recherche commençaient à s'organiser sous l'effet d'une tendance graduelle à la spécialisation. Etudier la vie de Spallanzani, son activité scientifique, ses voyages et sa vaste correspondance internationale ne nécessite pas seulement de reconstituer sa biographie mais aussi de s'intéresser à divers aspects généraux de la science italienne et européenne.

Les historiens de Spallanzani peuvent se considérer comme favorisés car les sources primaires concernant ce savant italien sont particulièrement riches et intéressantes. Il laissa en effet un nombre impressionnant d'articles et d'ouvrages imprimés, souvent traduits dans les principales langues européennes (Prandi, 1951) et plus de deux cents volumes d'archives personnelles manuscrites, y compris une énorme correspondance avec de nombreux savants italiens et européens. Ses manuscrits et la majeure partie de sa correspondance sont principalement conservés dans la bibliothèque "A. Panizzi" de Reggio Emilia (Manzini, 1981). On en a également retrouvé dans d'autres bibliothèques (Di Pietro, 1984-1994). En outre, ses collections naturalistes ont été conservées, ainsi que certains de ses instruments (M. F. Spallanzani, 1985).

La composition de la bibliothèque privée de Spallanzani a été étudiée dans plusieurs inventaires et manuscrits (Di Pietro, 1979, p. 280-295). A l'origine, sa bibliothèque privée comportait environ deux mille volumes, incluant de nombreux périodiques et mémoires d'académies scientifiques. Les principaux thèmes représentés étaient la médecine, la philosophie, le droit, la physique, les mathématiques, la chimie, les classiques grecs et latins, l'histoire et la géographie, l'histoire naturelle, la géologie et la minéralogie. Malheureusement, les livres de Spallanzani ne sont pas conservés tous ensemble mais ont été dispersés dans la remarquable collection de livres imprimés anciens de la bibliothèque "A. Panizzi" de Reggio Emilia.

En dépit du fait que Spallanzani soit probablement le plus étudié des scientifiques italiens du dix-huitième siècle, cette situation historiographique présente cependant des lacunes évidentes et significatives relatives à certains aspects de son activité scientifique : si les recherches biologiques, zoologiques et chimiques de Spallanzani ont été régulièrement soulignées et analysées autrefois, en revanche sa contribution à l'étude de la Terre, quoique prise en considération par les historiens, n'a encore jamais fait l'objet d'une étude détaillée.

Il existe différentes raisons qui peuvent expliquer l'accroissement de l'intérêt historique pour la personnalité scientifique de Spallanzani depuis la fin du siècle dernier : la grande qualité de sa correspondance et de ses oeuvres imprimées qui furent bien prises en compte dans les débats scientifiques européens contemporains, mais aussi l'abondance des sources primaires disponibles. Mais la raison principale est probablement due à l'établissement d'une tradition historiographique précise, renforcée par le fait que, durant la première moitié de ce siècle, le nom de Spallanzani fut associé à la naissance de la biologie expérimentale.

Ce n'est pas par hasard que deux des premiers travaux monographiques consacrés à Spallanzani par deux éminents biologistes, Giuseppe Montalenti (1928) et Jean Rostand (1951) portent pratiquement le même titre et présentent une table des matières similaire. Montalenti considérait comme "travaux mineurs" les recherches non-biologiques ou non-médicales de Spallanzani. Cette interprétation semble être confirmée par les actes du dernier symposium qui lui fut consacré (Montalenti & Rossi, 1982) car vingt articles sur un total de trente-huit y sont consacrés aux sciences de la vie, alors qu'un seul traite des sciences de la terre.

Néanmoins, quelques-unes des directions de recherche ouvertes ou approfondies durant ce symposium ont été développées par la suite, notamment grâce à l'étude des sources manuscrites et des collections naturalistes. Le rôle joué par Spallanzani a été analysé sous l'angle, particulièrennent riche en débats internes, du développement des études embryologiques en Italie au cours du dix-huitième siècle (Bernardi, 1986). La genèse de ses collections naturalistes a également été étudiée en détail (M. F. Spallanzani, 1985). Enfin, plus récemment, quelques aspects significatifs de ses recherches chimiques ont été soulignés (Manzini, 1990 ; Capuano & Manzini, 1996).

Les recherches de Spallanzani dans le domaine des sciences de la terre eurent lieu pendant une période cruciale de l'instauration de la géologie comme discipline autonome en Italie et en Europe à la fin du dix-huitième siècle. C'est pourquoi, loin de considérer comme "mineure" cette partie de l'activité scientifique de Spallanzani, nous avons besoin de mieux connaître le contenu de ses oeuvres imprimées et de ses manuscrits et journaux détaillés car l'étude de ses collections a déjà mis en lumière l'importance qu'avaient acquises pour lui les sciences de la terre (M. F. Spallanzani, 1985). Il est également important de rappeler que pendant les quinze dernières années de sa vie (approximativement à partir de 1785, de son voyage à Constantinople jusqu'à sa mort), Spallanzani fut principalement impliqué dans des recherches géologiques. En particulier, sa contribution à l'étude des volcans actifs au dix-huitième siècle fut d'une importance capitale (Ponte, 1939 ; Magnani, 1939 ; D'Erasme, 1939 ; Parea, 1979 ; Morello, 1982). Cependant, les volcans ne furent pas les seuls centres d'intérêt géologiques de Spallanzani : les fossiles, les roches, les strates et l'origine des fontaines firent l'objet de ses recherches à partir de la fin des années 1750.

Dans le cadre de ses recherches sur le terrain, l'approche méthodologique de Spallanzani est particulièrement significative car elle était particulièrement liée à l'utilisation des voyages comme moyen incomparable d'observation et de comparaison des données. Cela nous révèle une personnalité complexe et fascinante de naturaliste qui émergea puissamment dans la communauté scientifique italienne de la fin du dix-huitième siècle.

Le but du présent article est de donner un aperçu général de la vis et de l'oeuvre de Spallanzani et de traiter quelques aspects méthodologiques de son activité scientifique en accordant un intérêt tout particulier à ses études géologiques. Il est également de préciser : (1) le rôle du travail sur le terrain, rendu possible par l'organisation de voyages systématiques ; (2) le rôle d'un travail précis au laboratoire, en relation avec les expériences déjà réalisées sur le terrain et avec la récolte d'échantillons judicieusement choisis pour le musée d'histoire naturelle. L'importance du laboratoire est également confirmée par ses recherches chimiques et, naturellement, par toutes ses expériences biologiques, alors que les voyages scientifiques rendaient possibles non seulement les recherches géologiques, mais aussi les études zoologiques et botaniques sur le terrain. L'attitude expérimentale se développa constamment dans la méthodologie scientifique de Spallanzani : dans le domaine biologique et physiologique, elle se perfectionna au cours de centaines d'expériences et à travers l'utilisation soutenue d'instruments spécifiques, comme en témoignent ses journaux manuscrits et ses notes. De même, dans ses recherches géologiques, Spallanzani associait les données accumulées pendant ses voyages et divers essais en vue de répéter expérimentalement les phénomènes naturels au laboratoire.

Lazzaro Spallanzani est né en 1729 à Scandiano, près de Reggio Emilia. Grâce à l'aide procurée par feu Antonio Vallisneri Père (1661-1730), Spallanzani fut envoyé à l'âge de quinze ans au séminaire des Jésuites de Reggio Emilia pour y étudier la philosophie et la rhétorique. Ensuite, en 1749-50, il alla étudier le droit à l'université de Bologne, suivant en cela le désir de son père qui était juriste. Mais Spallanzani, stimulé par le milieu scientifique animé de Bologne où un institut scientifique avait été créé dès 1711, réalisa bientôt que son véritable intérêt était dans l'étude de la nature. L'enseignement physique et mathématique de son cousin Laura Bassi (1711-1778) et le soutien de son protecteur Antonio Vallisneri Fils (1708-1777), professeur d'histoire naturelle à l'université de Padoue, achevèrent de le décider.

Pendant cette période de formation, approximativement jusqu'en 1755, Spallanzani prépara son doctorat de philosophie, acquit une connaissance appréciable des langues et des littératures classiques (français et grec ancien). Il entra dans les ordres mineurs, ce qui lui permit d'enseigner le grec dans son ancien séminaire de Reggio Emilia et, plus tard, d'occuper de 1757 à 1763 la chaire de mathématiques et physique à l'université nouvellement créée de Reggio Emilia.

Ses activités d'enseignant imposèrent à Spallanzani un travail de compilation de plusieurs thèses physico-mathématiques pour ses étudiants, principalement dans le domaine de l'astronomie. En dépit de cette occupation, il commença alors ses fameuses recherches sur la génération et la reproduction des animalcules des infusions ("animaletti infusori") répétant les expériences de John Tuberville Needham (1713-1781) et réfutant la théorie buffonienne de la génération spontanée produite par les "molécules organiques" (Pancaldi, 1972 ; Montalenti & Rossi, 1962).

Cependant, à la même époque, Spallanzani éprouva également un intérêt croissant pour l'étude de la surface terrestre. Dans ce domaine de recherche, il était nettement influencé par les études géologiques de Vallisneri Père sur les fossiles, les montagnes et la question de l'origine des fontaines (Tucci, 1983 ; Morello, 1995).

Parmi les dissertations naturalistes inédites qui furent lues par Spallanzani entre 1757 et 1762 devant l'Accademia degli Ipocondriaci de Reggio Emilia, on relève différents sujets relatifs aux sciences de la terre : l'origine des tremblements de terre due aux "sotterranee accensioni (incendies souterrains), la figure de la terre, la théorie de la terre de Leibniz (1749) et l'action possible du feu avant celle de l'eau ("fuoco prima dell'acqua") sur la surface terrestre (Di Pietro, 1979 : 25).

L'une des communications, lue en janvier 1758, concerne les "corpi marino-montanni" (les fossiles) mais traite aussi de questions géologiques majeures (Spallanzani, 1758). Ce texte comporte l'habituelle discussion introductive de la littérature relative à ce sujet, à laquelle fait suite un exposé de la théorie adoptée. Il est intéressant de noter que, dans cette oeuvre de jeunesse, Spallanzani apparaît comme étant nettement influencé par Antonio Vallisneri Père (1721) car il utilise la question des fossiles comme une sorte de "filtre" pour parler des montagnes et, plus généralement, de la formation de la surface terrestre. En effet, la large répartition des fossiles à différentes altitudes et à des fréquences variées (au sommet des montagnes et en profondeur dans les couches rocheuses) était la preuve typiquement "vallisnerienne" utilisée par Spallanzani contre l'idée que le Déluge était le seul événement géologique très important qui se soit produit au cours de l'histoire terrestre, comme l'affirmait John Woodward (1695 ; traduction italienne, 1739). D'autre part, le problème non résolu du lieu où toute l'eau en excès se serait rassemblée après le Déluge, affaiblissait aussi, d'après Spallanzani, l'idée leibnizienne d'une ancienne mer couvrant la surface terrestre jusqu'au sommet des montagnes (Spallanzani, 1758, 9r-16r).

La théorie de Spallanzani considérait le globe terrestre comme une machine ("terrestre macchina") qui n'était pas encore consolidée juste après la Création, mais composée de boue molle ("lenta fanghiglia") détrempée et couverte d'eau. Spallanzani imaginait que la surface terrestre était originellement irrégulière : ses cavités et ses reliefs déterminaient différents degrés d'intensité de la pression exercée sur elle par cette eau. En conséquence, dans quelques régions, l'eau s'était réfugiée dans des cavités internes ou bien son niveau s'était abaissé dans de grands bassins, tandis que, par un phénomène de compensation, les montagnes étaient soulevées au-dessus de la mer en raison de l'accumulation graduelle de terre sur les reliefs originels. Ces montagnes n'apparurent pas toutes ensemble mais à plusieurs reprises, durant de nombreux siècles ("per molti secoli"). Néanmoins, le premier groupe de montagnes ("monti primitivi") qui émergèrent après la Création se distingue des autres, plus récents, par l'absence totale de fossiles. Spallanzani expliquait cette différence parce que la vie marine ("pesci e altri animali") n'était pas encore apparue pendant cette première phase de l'histoire terrestre. Finalement, l'inclusion des "corpi marini" dans les roches et les couches profondes était due à l'état originel de la croûte terrestre encore demeurée "semifluida" (partiellement molle), même après l'apparition de la vie marine (Spallanzani, 1758, 16v-20r).

La Dissertazione sopra i corpi marino-montani témoigne de l'approche théorique initiale de Spallanzani sur quelques questions géologiques fondamentales dont discutaient les érudits italiens pendant la première moitié du dix-huitième siècle. Cependant, quelques années plus tard, et à nouveau sur les traces de son maître idéal, Vallisneri Père, Spallanzani rendit compte d'une recherche détaillée sur le terrain. Cela se produisit à l'occasion d'un voyage de quinze jours dans les Apennins septentrionaux, près de Scandiano et plus particulièrement au lac Ventasso, pendant l'été 1761.

Dans deux lettres adressées à Antonio Vallisneri Fils, Spallanzani (1762) confirma par ses observations la théorie de Vallisneri Père à propos de l'origine des fontaines. Spallanzani décrivit une série de mares qui collectent la neige et la pluie et qui sont situées plus haut que les fontaines ; il nota ensuite que la morphologie et la variété des strates détermine les différentes possibilités de cheminement de l'eau météoritique et le jaillissement des fontaines. Enfin, il effraya aussi les gens qui vivaient près du lac Ventasso en prenant un petit bateau pour sonder le fond au milieu du lac. En effet, les habitants de ces lieux croyaient superstitieusement en l'existence d'un tourbillon d'eau diabolique mais Spallanzani démontra simplement que le lac était constamment alimenté par l'eau de deux sources situées sur son fond.

Ces lettres furent le premier travail publié par Spallanzani sous son propre nom et, de même que la dissertation inédite sur les "corpi marino-montani", elles démontrèrent que son intérêt pour les phénomènes géologiques n'était pas occasionnel. On doit rappeler ici que l'exploration des Apennins, particulièrement dans les environs de Scandiano, se poursuivit durant toute la vie de Spallanzani car il passait régulièrement la majeure partie de l'été dans sa ville natale. Naturellement, la totalité des observations qu'il fit dans cette région ne fut pas publiée ; néanmoins, par exemple dans les décennies 1780 et 1790, il existe des preuves imprimées et manuscrites d'explorations faites par Spallanzani sur les sommets les plus élevés des Apennins (Mont San Pellegrino, Mont Cimone) et de recherches qu'il réalisa sur certaines curiosités naturelles comme les "fuochi" ou les nombreuses "salse" (Spallanzani 1792-97, V : 52=370 ; 1981 : 41-104 ; 1985). Les premiers sont des phénomènes d'expulsion de gaz inflammable jaillissant du sol autour de Barigazzo, près du mont Cimone, tandis que les derniers sont des phénomènes pseudovolcaniques typiques de la région entre Reggio Emilia et Modène, qui sont particulièrement spectaculaires près du village de Querzola : les "salse" sont de petits cônes de terre salée avec un cratère empli d'une boue semi-liquide bouillonnante qui est fréquemment projetée hors du cratère avec des pierres sous l'action du gaz inflammable.

A partir de 1763 et presque jusqu'à la fin de 1769, Spallanzani vécut à Modène où il exerça comme professeur de philosophie à l'université et comme professeur de grec et de mathématiques au collège San Carlo. Afin d'obtenir ce second poste, il quitta les ordres mineurs et se fit ordonner prêtre en 1762. En novembre 1769, quand l'abbé Spallanzani fut nommé professeur d'histoire naturelle à la prestigieuse université de Pavie, sa production scientifique était déjà impressionnante et bien connue de la communauté scientifique européenne.

En fait, à la suite de ses premières recherches sur les microorganismes des infusions, Spallanzani élargit le domaine de ses centres d'intérêt entre 1765 et 1780. Après son Saggio di osservazioni microscopiche (1765), dans lequel il réfuta la théorie de la génération spontanée, il publia plusieurs travaux sur la reproduction animale, sur la physiologie humaine et animale, sur la circulation sanguine (Spallanzani, 1773) et la digestion (Spallanzani, 1780), sur quelques plantes et animaux et sur l'électricité. Ultérieurement, il étudia encore le vol des chauves-souris (Spallanzani, 1794) et quelques questions chimiques (Spallanzani, 1796).

Au début des années 1780, Spallanzani commença progressivement à concentrer son attention sur la géologie et plus précisément sur la lithologie. Ce retour à un domaine de recherche qu'il avait seulement abandonné de façon temporaire, se produisit en relation avec une série de voyages scientifiques en Italie et à l'étranger ; ces voyages avaient déjà commencé au milieu des années 1770, officiellement pour récolter des spécimens pour le cabinet d'histoire naturelle de l'université de Pavie. Nous pouvons rappeler ses voyages dans les montagnes de Lombardie (1772) et en Suisse (1779), entrepris à la fois pour visiter les cavernes et les mines afin d'y récolter des minéraux, et pour étudier quelques lacs alpins (Di Pietro, 1979 : 47-51).

Cependant, pour la plupart des scientifiques italiens et européens des années 1770, Spallanzani était un naturaliste distingué très renommé pour ses études physiologiques et embryologiques. Dans ses Lettres sur la minéralogie et sur divers autres objets de l'histoire naturelle de l'Italie, qui représente une source inestimable d'informations sur l'état de la science en Italie à la fin du dix-huitième siècle (et tout particulièrement concernant les sciences de la terre), le minéralogiste suédois Johann Jakob Ferber (1743-1790) commença sa notice sur Spallanzani par une brève bibliographie de ses travaux sur la reproduction animale, ses recherches microscopiques et la circulation sanguine (Ferber, 1776 : 477). Il paraît évident que, d'après Ferber - qui voyagea en Italie en 1771-1772 -, Spallanzani n'était pas encore considéré par ses contemporains comme l'un des géologues italiens actifs tels que Giovanni Arduino (1714-1795), Alberto Fortis (1741-1803) et Giovanni Targioni Tozzetti (1712-1783).

La question d'un éventuel changement soudain d'activité scientifique qui aurait fait passer Spallanzani de la biologie à la géologie pendant les dernières années de sa vie est en réalité un faux problème. En pratique, il ne perdit jamais son intérêt pour les études géologiques, mais il se trouve que ses recherches embryologiques et physiologiques l'accaparèrent presque totalement pendant les décennies 1760 et 1770.

Le développement ultérieur de ses préoccupations géologiques est attesté par plusieurs notes et journaux manuscrits relatifs à une série de voyages géologiques qui eurent lieu au rythme d'au moins un voyage par an entre 1779 et 1792 (Manzini, 1985 : 36, 49-81). Spallanzani visita la Suisse (1779), Gênes et la côte orientale de la Ligurie (1780), Marseille (1781), la côte adriatique (1782), les Alpes apuanes et Garfagnana, au nord-ouest de la Toscane (1783), Chioggia et la côte de Vénétie (1784), la province de Gênes (1785), Constantinople et l'Europe orientale (1785-1786), l'Italie méridionale (1788), l'Apennin de Modène, les collines Euganéennes et la Vénétie (1789-1792). Quelques-uns de ces voyages eurent également pour but de réaliser des recherches zoologiques et botaniques, ainsi que de nombreuses études de biologie marine.

Le voyage dans les Alpes apuanes est particulièrement significatif. Spallanzani avait exploré sur les pas d'Antonio Vallisneri Père et de Giovanni Arduino cette région montagneuse située entre la Toscane et la Ligurie. Montrant une bonne connaissance du débat contemporain sur la "classification" des montagnes et sur la séquence lithostratigraphique, Spallanzani avait immédiatement remarqué un fait qui contrastait avec les caractères distinctifs généralement utilisés pour distinguer montagnes primaires (montagnes composées de roches schisto-cristallines recoupées de veines minéralisées et dépourvues de fossiles) et montagnes secondaires (composées de roches calcaires renfermant des fossiles). En effet, pour Spallanzani, les Alpes apuanes paraissaient être des montagnes secondaires dépourvues de fossiles, au point qu'il définissait cette partie des Apennins comme "una montagna secondaria, ma la cui stratificazione poco si accorda [...] con quella che si suole osservare nelle montagne di questo genere" parce que "dalla sua sommità fino alle due opposte radici ella è priva di spoglie marine, le quali spoglie se non costituiscono il carattere, formano però l'ordinario accompagnamento delle secondarie montagne" (Spallanzani, 1784 : 883).

En dépit de l'adoption des grandes lignes de la théorie lithostratigraphique fondée sur la division en quatre unités proposée par son ami Giovanni Arduino (1760, 1774 ; voir également Vaccari, 1993 : 147-168 et Ellenberger, 1994 : 258-265), Spallanzani ne trouva que quelques confirmations de la nature schisto-cristalline du soubassement primitif des Alpes apuanes, tel qu'il avait été décrit par l'érudit vénitien (Arduino, 1760 : cxlv). Ces montagnes étaient seulement en certains points (mais pas partout comme Arduino l'avait affirmé) partiellement composées d'une sorte de roche schisteuse contenant du mica et du quartz. Dans de nombreux autres lieux, au contraire, les vérifications faites sur le terrain n'avaient montré aucune trace du soubassement primitif supposé schisteux, qu'Arduino appelait "pietra primigenia" (Spallanzani, 1784 : 884).

Il est intéressant de noter l'attitude "expérimentale" dont fit preuve Spallanzani dans l'étude de ce problème géologique : il avait adopté une théorie générale (dans ce cas précis la classification lithostratigraphique d'Arduino) mais il n'eut pas peur de discuter sa validité générale à la lumière d'observations de terrain qui la contredisaient. Spallanzani croyait à la nécessité de contrôles répétés et pensait que toutes les données doivent être vérifiées dans la mesure du possible. Cette sorte de vérification sur le terrain fut appliquée non seulement au modèle d'Arduino, mais aussi à quelques affirmations du géologue suisse Horace-Bénédict de Saussure (1740-1799) qui avait écrit que le grès se trouve presque toujours entre les montagnes schisteuses primitives et les montagnes calcaires (De Saussure, 1779). Les résultats des observations faites par Spallanzani montraient au contraire qu'il existe un contact direct entre les schistes primaires et le calcaire secondaire : "tra le montagne calcari secondarie, e la pietra quarzoso-micacea primaria, non apparisce certamente giammai l'arenaria, che anzi quelle, come già dissi, appoggiano immediatamente a questa" (Spallanzani, 1784 : 886).

La bonne connaissance qu'avait Spallanzani de la littérature géologique du dix-huitième siècle est une autre preuve de la continuité de son intérêt pour l'étude de la surface terrestre, qui le conduisit à explorer les Alpes apuanes en 1783 et, plus tard, au long voyage jusqu'à Constantinople et en Europe orientale en 1785-1786. Ce voyage fut extrêmement important par les nombreuses observations géologiques, naturalistes, météorologiques et anthropologiques qui purent être réalisées à cette occasion, et aussi par la description des régions minières renommées de Transylvanie et de Hongrie qu'en rapporta Spallanzani. Celui-ci avait prévu de publier à la fin des années 1790 le journal de son voyage à Constantinople, mais il mourut avant d'avoir commencé la réalisation de ce projet. C'est pourquoi son manuscrit ne fut publié qu'à la fin du dix-neuvième siècle (Campanini, 1888). Une lettre d'"osservazioni fisiche" faites sur l'île de Cythère, au sud de la Grèce, au cours de son voyage à Constantinople, reste la seule source imprimée relative à cet intéressant voyage. Elle est datée du 8 novembre 1785 (Spallanzani, 1786). Il y rend compte de huit jours d'observations géologiques et volcanologiques réalisées sur une île où le navire de Spallanzani fut forcé de relâcher en raison d'une forte tempête. Les résultats de ces recherches montrèrent que l'île de Cythère est d'origine volcanique et que ses roches ignées contiennent souvent des ostracodes et des mollusques fossiles parfaitement conservés et non altérés par l'action du feu. Qui plus est, toute une montagne de l'île est pleine d'os humains et d'animaux fossiles et quelques grottes naturelles présentent une abondance remarquable de belles stalactites. En quelques pages, Spallanzani exposa quelques-uns des principaux thèmes qu'il aurait aimé traiter au cours des années suivantes, notamment en relation avec l'interprétation des phénomènes volcaniques.

Il est indéniable que les résultats les plus significatifs des recherches géologiques de Spallanzani furent publiés dans les Viaggi alle due Sicilie e in alcune parti dell'Appennino (1792-1797). Ce travail impressionnant en six volumes qui nécessita une très longue préparation contient les comptes rendus de plusieurs voyages en Italie méridionale (dans le Royaume des deux Siciles) et dans le Nord des Apennins, entre Modène et Reggio Emilia, pendant l'été et l'automne des années 1788, 1789, et 1790. Les Viaggi alle due Sicilie furent ensuite traduits en français (Spallanzani, 1795-96), allemand (Spallanzani, 1795-98) et anglais (Spallanzani, 1798).

Le premier de ces voyages réalisés entièrement aux frais de Spallanzani débuta en juin 1788 et fut entièrement consacré à l'observation de la nature. Spallanzani, alors âgé de 59 ans, accorda une importance particulière aux phénomènes volcaniques car il eut la possibilité d'observer personnellement le Vésuve et ses environs, de faire l'ascension de l'Etna et d'étudier en détail les îles Eoliennes. Les volcans sont constamment présents dans les quatre premiers volumes des Viaggi et Spallanzani lui-même avait qualifié ce voyage en Italie méridionale de "vulcanico viaggio". Le but de celui-ci était clairement mentionné dès le début de l'introduction du premier volume : il s'agissait de récolter des échantillons volcaniques pour le musée d'histoire naturelle de l'université de Pavie qui était totalement dépourvu de ce type de roches (Spallanzani, 1792-97,1 : xi-xii).

En réalité, le voyage de Spallanzani avait été entrepris dans le but de réaliser un programme de recherche, comme le démontrent à la fois son étude attentive de la littérature volcanologique existante consacrée aux régions méridionales de l'Italie et sa méthode de recherche comportant trois stades successifs : (1) recherche bibliographique préalable ; (2) observations approfondies et répétées sur le terrain ; (3) réalisation d'expériences chimiques et analyse au laboratoire des échantillons récoltés.

Le contenu des Viaggi témoigne de cette méthodologie avec de magnifiques descriptions des phénomènes volcaniques, l'analyse détaillée des caractères lithologiques et les comptes rendus des expériences réalisées au laboratoire à l'issue des voyages, dans le but de déterminer la nature des laves et d'étudier les processus de fusion et de vitrification ("vetrificazione"). En effet, d'après Spallanzani, le naturaliste engagé dans l'étude des roches a également besoin de disposer de bonnes connaissances chimiques car "la Storia naturale dei Fossili è si skettamente legata alla Chimica d'oggigiorno [...] che separar non possiamo la prima dalla seconda senza notabile danno di entrambe" (Spallanzani, 1792-97, I : xxxi).

Un aspect particulier de la façon qu'avait Spallanzani de concevoir l'étude des volcans était l'importance qu'il accordait à leur structure géologique et lithologique. Il désirait étudier les volcans car les montagnes étaient généralement étudiées par ses "cauti Litologi", c'est-à-dire en s'intéressant à leurs masses rocheuses, et notamment à la disposition et à la direction de leurs couches. Cette approche "lithologique" détermina l'insertion de nombreuses descriptions détaillées d'échantillons de roches sous forme de longues digressions qui interrompent souvent le fil de l'exposé. Pour cette raison, Spallanzani était conscient que la lecture de ses Viaggi n'est pas facile, ce qui ne l'empêchait pas de souligner la nécessité de "particolarizzate descrizioni" parce que la littérature antérieure sur les régions volcaniques d'Italie méridionale manquait généralement d'analyses et de descriptions lithologiques systématiques.

Après un mois passé à Naples à visiter les sites volcaniques proches de cette ville : la Solfatare de Pouzzoles, les Champs phlégréens (Campi Flegrei) et l'île d'Ischia, Spallanzani se dirigea vers la Sicile. De Messine il alla à Catane et, le 3 septembre 17B8, il atteignit le sommet de l'Etna (Spallanzani, 1792-97, I : 38-291). Pendant ses recherches sur ce volcan, parmi la riche littérature déjà existante, il prit comme référence l'Historia et meteorologia incendii aetnaei anni 1669 de l'érudit napolitain Giovanni Alfonso Borelli (1608-1679) qui avait décrit la grande éruption de 1669 (Morello, 1997). La planche de l'Etna contenue dans le premier volume des Viaggi est reprise de la planche originale publiée par Borelli et n'a été que légèrement modifiée (Fig. 1). Ce fut la carte de référence utilisée par Spallanzani pour la région explorée, comme le montrent plusieurs citations dans le texte. On y voit la grande coulée de lave de 1669 au centre de la gravure. La planche du cratère de l'Etna fut au contraire dessinée personnellement par Spallanzani et achevée par le peintre officiel de l'université de Pavie, Giuseppe Francesco Lanfranchi (Fig. 2). Les morceaux de lave AAA désignent les restes de l'éruption de 1787, tandis que les lettres BBB indiquent la périphérie du cratère. Le compte rendu de l'excursion à l'Etna, riche en descriptions lithologiques, a été récemment réimprimé et analysé par Paolo Gasparini (Spallanzani, 1994).

Le 12 septembre 1788, Spallanzani quitta la Sicile et arriva à Lipari dont il fit sa base pour visiter les îles Eoliennes. Initialement, il pensait n'y séjourner qu'une dizaine de jours mais il y demeura en réalité environ un mois, jusqu'à la mi-octobre (Spallanzani, 1792-97, II : 19). A ce stade, Spallanzani était déjà arrivé au milieu de son voyage de six mois en Italie méridionale, qui s'acheva en décembre 1788. Son long séjour dans les îles Eoliennes et ses observations précédentes à l'Etna constituèrent une étape importante dans le développement de sa théorie volcanologique.

Les îles Eoliennes, situées au Nord-Est de la Sicile, ont particulièrement attiré Spallanzani qui les considérait "figlie tutte quante del fuoco" (Spallanzani, 1792-97, 1 : xxxviii) car elles lui offraient plus d'une possibilité de poursuivre ses projets de recherches sur le terrain. Avant tout, la structure et le matériel rocheux des îles Eoliennes n'avaient jamais été décrits en détail par aucun des érudits qui les avaient visitées auparavant, comme le naturaliste suisse Guillaume Antoine Deluc (1729-1819), qui l'avait fait en 1757, et le géologue français Déodat de Dolomieu (1750-1801), en 1781. Ce dernier avait en revanche établi une classification des roches de l'Etna (Dolomieu, 1788), tandis que le naturaliste sicilien Giuseppe Gioeni (1747-1822) publia, deux ans après les voyages de Spallanzani, un livre sur la lithologie du Vésuve et de ses environs (Gioeni, 1790). La parution récente de ces deux ouvrages fut probablement, conjointement avec la longue durée de son séjour et l'intérêt particulier qu'il portait à ce type d'observations, l'une des raisons qui poussèrent Spallanzani à porter une attention particulière aux îles Eoliennes dans ses Viaggi alla due Sicilie.

Il est en effet très intéressant de souligner que tout le second volume (1792) et environ la moitié du troisième (1793) furent consacrés à l'analyse des caractères géologiques et volcanologiques du Lipari, du Stromboli et du Vulcano, ainsi que d'autres parties des îles Eoliennes. Ce traitement détaillé est assez significatif si l'on rappelle que les descriptions relatives à l'Etna, au Vésuve et à ses environs sont limitées au seul premier volume des Viaggi (1792). En outre, les îles Eoliennes étaient bien connues en tant qu'îles volcaniques et comme constituant des sites idéaux pour l'observation des bouches des cratères et également des rivages qui correspondent à la base de ces volcans. En effet, Spallanzani considérait comme étant d'égale importance l'exploration des cratères et l'observation des rivages des îles où l'érosion marine pouvait avoir mis à nu la structure lithologique interne des montagnes volcaniques.

Son rapport sur l'exploration des Iles Eoliennes ne se limite pas aux ascensions des cratères et des autres reliefs mais inclut également une circumnavigation autour des îles, à l'aide de petits bateaux, afin d'observer la morphologie des côtes. Les laves et les autres matériaux volcaniques furent examinés sur le terrain, et les résultats des expériences réalisées après le retour de Spallanzani à Pavie (principalement par chauffage des échantillons dans des fours de verriers) sont également rapportés dans les Viaggi, de même que diverses citations de textes, anciens ou contemporains, sur le même sujet, et provenant tout particulièrement des Voyages aux îles de Lipari de Dolomieu (1783).

Ces citations sont comparées dans le texte avec les propres observations de Spallanzani et elles démontrent que son exposé sur les îles Eoliennes était à cette époque le plus complet. Spallanzani visita le cratère du Vulcano où il observa quelques laves basaltiques débitées en prismes de forme penta- ou hexagonale qu'il appela "lave basaltiche o basaltiformi". Spallanzani les considérait comme dus à la lente contraction de la lave qui n'avait pas débordé du cratère après une petite éruption : le refroidissement de morceaux de lave attachés aux bords internes du cratère avait causé la formation de ces formes régulières (Spallanzani, 1792-97, II : 189-192).

Le naturaliste italien passa trois jours à observer le Stromboli à la fois de la mer (notamment à La Sciara où la coulée de lave tombait dans la mer) et d'un excellent point d'observation situé au-dessus du cratère, qui lui permit d'étudier l'activité éruptive principale, diverses fumerolles et un second cratère fumant (Fig. 3). Pendant cette dernière excursion sur le terrain, Spallanzani réalisa que le Stromboli n'avait pas une activité volcanique intermittente comme l'avaient cru de nombreux érudits avant lui, mais manifestait une série continue d'éruptions et d'explosions qui pouvaient seulement être observées en totalité à faible distance (Spallanzani, 1782-97, II : 50-51).

Par la suite, pendant son retour du Strombosi au Lipari, il visita les îles Eoliennes mineures (Basiluzzo, Bottero, Lisca-Bianca, Dattolo et Panarea) qui étaient toutes considérées comme des fragments d'une très ancienne île volcanique démantelée par la mer. Il décrivit aussi en détail la lithologie de Salina. Alicudi et Filicudi, qui n'avaient jamais été décrites par aucun naturaliste, furent explorées pour la première fois par Spallanzani qui démontra clairement leur origine volcanique (Spallanzani, 1782-97, II : 128-155 ; III : 83-137). La périphérie ("circonferenza") du Lipari et la majeure partie de son territoire furent également observées durant diverses excursions, ce qui permit de préparer des descriptions détaillées de la morphologie de l'île et de réaliser des analyses de différents types d'échantillons rocheux, en particulier d'obsidienne et de ponce, considérées comme étant d'origine volcanique à l'issue d'examens chimiques et minéralogiques (Spallanzani, 1792-97, II : 231-350 ; III : 5-82).

Spallanzani conclut son étude des îles Eoliennes par quelques réflexions intéressantes sur la relation qui avait dû exister entre le volcanisme de chacune d'entre elles. Plusieurs essais pour se procurer, aux fins d'analyse, des échantillons de roches du fond de la mer entre les îles permirent à Spallanzani de se convaincre que Vulcano, Lipari et Salina reposent sur le même terrain volcanique ininterrompu. Par conséquent, ces îles ont dû être formées par le même feu centrai qui altéra les fonds marins dans les chenaux entre les îles et ouvrit trois bouches volcaniques différentes à Lipari, Salina et Vulcano (cette dernière était encore active en 1788). Alicudi, Filicudi et Stromboli étaient au contraire séparés par des fonds marins formés de roches primitives ("rocce primordiali") non altérées par le feu. D'autre part, l'orientation des îles (disposées suivant une ligne orientée Est-Ouest) montrait ce que Spallanzani appelait une typique "direzione dei monti vulcanici", comme cela avait déjà été observé par exempte à propos des petites îles qui avaient émergé en 1707, après l'éruption du Santorin en mer Egée, ou sur l'alignement des collines volcaniques ("monticelli") qui apparurent pendant l'éruption du Vésuve en 1760 (Spallanzani, 1792-97, III : 142-154).

Selon Spallanzani, le feu des volcans serait dû à une énorme quantité de sulfures souterrains ("sulfuri di ferro") qui s'enflammeraient sous l'action de l'oxygène ("gaz ossigeno"). Les recherches qu'il fit dans les îles Eoliennes lui parurent confirmer cette idée et contribuèrent également à renforcer sa conviction que les volcans avaient grandi, éruption après éruption, jusqu'à devenir de grandes montagnes stratifiées comme le Vésuve ou l'Etna (Spallanzani, 1792-97, II : 126-127 et 137-138 ; IV : 5=82).

Nous avons vu précédemment que Spallanzani examina quelques basaltes prismatiques dans le cratère du Vulcano et donna une interprétation de leur formation fondée sur le refroidissement au contact de l'air de morceaux de lave attachés aux parois du cratère. Comme l'a montré Morello (1982 : 278-280), la contribution de Spallanzani au débat européen de la fin du dix-huitième siècle sur l'origine du basalte est significative car elle montre qu'il était davantage un volcanologue qu'un "vulcaniste" passionné. Spallanzani était par ailleurs très prudent quant à la possibilité d'admettre une origine volcanique pour tous les basaltes, ou plus exactement pour toutes les roches qu'on appelait "basaltes" à la fin du dix-huitième siècle. C'est pourquoi Spallanzani fit suivre ses conclusions sur la nature volcanique des îles Eoliennes d'une longue section concernant l'origine des basaltes, dans laquelle il affirma que les deux principaux agents géologiques, l'eau et le feu, avaient été alternativement responsables, en fonction des différentes situations locales, de la formation des basaltes (Spallanzani, 1792-97, III : 173-195).

Les voyages dans les deux Siciles se terminèrent par le retour à Naples à l'occasion duquel Spallanzani escalada finalement le Vésuve le 4 novembre 1788. Pendant cette excursion, il observa une éruption mineure dans une ouverture secondaire ouverte dans le flanc du volcan et décrivit en détail le comportement de la coulée de lave (direction, changements de fluidité et de couleur) ; il essaya également de mesurer sa température, sa vitesse et son étendue (Spallanzani, 1792-97 ,1:1-37). Excepté cette comparaison entre les coulées de laves anciennes et récentes, Spallanzani n'analysa pas les roches du Vésuve à l'aide de ses habituelles descriptions géologiques méticuleuses, comme il l'avait fait pour celles des îles Eoliennes. Ce choix fut essentiellement guidé par le manque de temps pour faire des observations étendues mais il fut également justifié ultérieurement par la publication récente de la Litologia Vesuviana de Gioeni (1790) qui devint immédiatement la principale référence pour l'étude des roches du Vésuve.

Les nombreux échantillons récoltés sur le terrain pendant les voyages en Italie méridionale vinrent enrichir le musée d'histoire naturelle de l'université de Pavie. De même, le désir de compléter cette collection avec des matériaux provenant d'une région de volcans éteints décida Spallanzani à explorer les collines Euganéennes, près de Padoue, pendant l'été 1789. Pendant ce voyage, il fut assisté par Carlo Antonio Dondi Orologio (1751-1801), un érudit de Padoue qui publia de nombreuses notes sur la géologie de cette région. Après une analyse lithologique détaillée de quelques types de laves, Spallanzani affirma que l'élément décisif en faveur du caractère volcanique des collines Euganéennes est la porosité évidente de la plupart de ses constituants rocheux, considérés comme des restes de très anciennes coulées de lave : "la cellulosità nelle rocce vulcaniche è adunque un deciso carattere che una volta erano state fluide. E diverse rocce degli Euganei sono appunto cellulose" (Spallanzani, 1792-97, III, 256). Comme les îles Eoliennes - poursuivait Spallanzani -, les collines Euganéennes formaient un groupe d'îles volcaniques lorsque la mer couvrait la plaine de Vénétie. De plus, la composition des basaltes de Vulcano et Filicudi était semblable à celle des basaltes euganéens (Spallanzani, 1792-97, ISI, 270-283).

Les échantillons récoltés pendant tous ces voyages naturalistes et géologiques constituent d'importantes sources non écrites susceptibles d'être utilisées dans de nouvelles études historiques, il en est de même pour les instruments qu'utilisa Spallanzani : thermomètre, baromètre, aimant, microscope, flacon d'alcool, petits outils anatomiques, réactifs permettant d'identifier les substances acides, alcalines ou neutres, petits flacons et boîtes à échantillons.

La plupart des manuscrits de Spallanzani (journaux, comptes rendus d'expériences, notes et correspondance), complétés par ces sources potentielles, peuvent être utilisés pour accroître nos connaissances sur les recherches géologiques de cet émiment savant italien du dix-huitième siècle. Le présent article, qui ne constitue qu'une partie d'un travail en cours sur le rôle éminent joué par Spallanzani dans les sciences de la terre du dix-huitième siècle, ne prétend être qu'un premier jalon au sein de cette recherche historiographique en cours.

Références


Fig. 1. Panorama de l'Etna adapté de Giovanni Alfonso Borelli (1670), publié par Spallanzani dans ses Viaggi alle due Sicilie, I, 1792, Tab. I.


Fig. 2. Le sommet de l'Etna dessiné par Giuseppe Francesco Lanfranchi d'après un schéma original de Spallanzani.
In : Viaggi alle due Sicilie, I, 1792, Tab. II.


Fig. 3. Vue du Stromboli dessinée par Giuseppe Francesco Lanfranchi d'après un schéma original d'un peintre anonyme qui accompagna Spallanzani sur ce volcan.
In : Viaggi alle due Sicilie, II, 1792, Tab. III.