COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (Séance du 9 juin 1982)
B) Définitions: Sera comptée comme "métier" toute activité manuelle ou intellectuelle assurant la subsistance de celui (ou celle) qui l'exerce; on considérera comme "métiers différents" ceux qui supposent des différences d'objet (par exemple glaisier ou ocrier) ou de techniques (par exemple laveur d'alluvions diamantifères et mineur dans les gisements primaires de diamants). Un métier exercé indifféremment par un homme ou une femme sera compté pour deux, comme reflétant un état social; ainsi l'on trouve dans l'antiquité romaine le "metallarius", ouvrier mineur, et la "metallaria", ouvrière des mines.
Les sources d'informations pour le relevé des métiers ont été diverses:
B) Des dictionnaires et encyclopédies ont été utilisés; en particulier, pour l'antique grecque et latine, ceux de Bailly et de Gaffiot, ainsi que le "Dictionnaire étymologique latin" de Bréal et Bailly ; la méthode aopliquée a consisté en une recherche systématique des métiers cités par ces ouvrages, à partir des racines; par exemple, le grec χρυσος (or) nous a fourni χρυσωρυχος qui désigne tantôt un mineur dans une mine d'or, tantôt un explorateur de mine d'or; le latin aurum (or) nous a donné aurilegulus: orpailleur. Pour la fin du XIXe siècle, nous avons eu recours au "Nouveau Larousse illustré" en 7 volumes et, pour la période contemporaine, nous avons complété le nombre de métiers indiqués dans cet ouvrage, et encore actuels, par des articles de journaux et de revues, et par les volumes "La Terre" et "La Mer" de l'Encyclopédie Life "Le Monde Vivant". Les deux tomes "Géologie" de l'encyclopédie Alpha "Les Sciences" ont également été fort utiles pour les diverses époques considérées.
C) Des traités techniques se rapportant à l'antiquité romaine et à l'exploitation minière au XVIe siècle ont fourni des renseignements détaillés et précieux; ce sont ceux de Vitruve et de Pline l'Ancien, d'une part, et, d'autre part, le "De re metallica" d'Agricola, dont les belles planches nous ont permis de constater la division du travail et par la suite la diversité des spécialisations dans l'extraction des minerais. (Biblio, 21, 22 et 27).
D) Enfin, certains renseignements ont été fournis par l'archéologie, par exemple l'outillage préhistorique, ou encore la découverte, au début de V année 1979, de vestiges de puits et de galeries d'exploitation de minerai de cuivre, à environ 50 Km au SW du barrage de Portes-de-Fer, exploitation remontant à plus de 7000 ans, selon les archéologues yougoslaves.
B) Graphique: Après le long palier du Paléolithique, une progression apparaît jusqu'au Néolithique, s'accentue au Chalcolithique, jusqu'à l'antiquité romaine, puis l'on retrouve une certaine stagnation jusqu'au Moyen-Age français; le palier est net entre ces deux époques; on revient ensuite à une progression importante, avec cependant un certain ralentissement à l'époque contemporaine. Nous allons analyser ces résultats, et tenter de les expliquer.
C) Analyses des résultats: Comme pour l'alimentation, la première activité de l'homme préhistorique est le ramassage; pendant des millénaires il se borne à la collecte du silex, puis il ajoute celle des pierres ornementales pour la parure, et celles de la glaise et de l'ocre, tout d'abord en vue de pratiques magiques: modelage de statuettes et peintures rupestres destinées à l'envoûtement du gibier; ce caractère sacré de l'art primitif nous amène à penser que c'était sans doute le sorcier qui utilisait les matériaux collectés par certains membres de la tribu, peut-être affectés à son service comme assistants des cérémonies rituelles. Lorsque la poterie apparaît, vers -7000, puis la métallurgie, le nombre de métiers s'accroît.
Les métaux sont d'abord recueillis par ramassage, entre autres le fer météoritique (Biblio, 8); celui-ci (travaillé primitivement à froid par martelage) ne suffit bientôt plus, et les premières mines sont creusées, multipliant le nombre des métiers d'explotation.
C'est alors que l'on assiste à un accroissement de ce nombre, avant une certaine stagnation de + 100 à + 1200. En effet, les progrès accomplis par les Romains étaient déjà fort importants et suffirent longtemps aux besoins. Leurs techniques sont décrites par Pline l'Ancien dans son "Histoire Naturelle" (Biblio, 21); il décrit (Livre XXXIII, ch. XXI) l'extraction de l'or dans des mines, étayées par des colonnes de bois, à la lueur des torches; on attaque la roche avec des coins et des marteaux de fer; les quartiers de roc éboulés sont chassés par un torrent aménagé à cet effet, coupé de déversoirs et éventuellemnt détourné; Pline montre les difficultés que réussit à vaincre la rapacité humaine: "Là où un homme n'a pas la place de prendre pied, des cours d'eau sont amenés par l'homme"; et il insiste sur la variété des travaux, et par suite, sur la spécialisation des ouvriers affectés à ces diverses tâches.
Un essor important se manifeste à nouveau en France à partir du XVIe siècle; à cette époque sont introduites les techniques allemandes, grâce à l'afflux d'ouvriers compétents attirés par des conditions avantageuses; par exemple, dans le district de Chateau-Lambert, l'extraction de cuivre, pomme de discorde entre les ducs de Bourgogne et de Lorraine, reçut une impulsion considérable à la suite d'un Edit de Philippe II d'Espagne, en 1578, édit accordant aux mineurs d'importants avantages (Biblio, 29). Ces techniques perfectionnées sont illustrées par "De Re metallica" d'Agricola (Biblio, 27), dont les planches sont montrent la distribution du travail dans les mines de l'époque.
A partir du XIXe siècle, la spécialisation devient de plus en plus poussée; ainsi, dans les mines de charbon, des ouvriers différents sont chargés de tâches bien précises; par exemple, entre autres, le haveur pratique l'abatage parallèlement à la stratification, le bouveleur perce les galeries travers bancs, le bouteur déblaie les matériaux abattus, le remblayeur dispose ceux-ci en remblais, le reculeur construit des murs en pierre sèche... L'essor industriel, stimulé par la recherche du profit, favorise en effet la spécialisation, source de rendement accru. Et le développement de la recherche pétrolière étend à cette époque le nombre des métiers.
Actuellement, on observe une légère tendance au ralentissement, car les nouveaux métiers n'apparaissent pas en nombre considérable; ils sont liés au perfectionnement des techniques (utilisation de nouvelles machines, telle la pelleteuse), et surtout à la contribution de spécialistes à la recherche systématique des minéraux (géologues, géophysiciens, cartographes...). Certains métiers sont abandonnés, tel le ramasseur de silex qui alimentait encore en matière première, au XIXe siècle, une industrie de pierres à fusil établie depuis le XVIe siècle à Luçay-le-Mâle, dans l'Indre. On trouve actuellement ces métiers primitifs dans les pays sous-développés ; ainsi, en République Centrafricaine, des plongeurs vont chercher des diamants dans le lit des rivières.
Dans le graphique établi, quelques points un peu aberrants appellent des remarques particulières. L'Inde vers +500 et l'Empire arabe vers +1000 accusent une régression par rapport à Rome en +100; cela semble dû à l'insuffisance de la documentation disponible, les livres consultés (Daumas, Vies quotidiennes) s'attachant surtout à l'étude de la mise en oeuvre des matériaux (Biblio, 3, 23 et 24).
Une anomalie plus frappante concerne les Hébreux à l'époque de Salomon; il exploitait pourtant, dans le Sinaï par exemple, des mines (Biblio 12) dont les vestiges portent encore le nom de "Colonnes de Salomon". Mais les Hébreux longtemps nomades, dédaignaient les travaux manuels, honorés au contraire par les Egyptiens et les Mésopotamiens. Les Hébreux, pour leur part, s'intéressaient principalement à l'élevage, à l'agriculture et au commerce, et faisaient surtout appel aux étrangers, tant pour la fourniture des matériaux que pour leur utilisation. N'est-ce pas Hiram, roi de Tyr, qui envoya ses ouvriers pour la construction du temple de Salomon?
B) Facteurs généraux conditionnant la diversification des métiers:
II) Facteurs sociologiques.
Cette étude nous a montré que le nombre des métiers liés à l'exploitation minérale s'accroît, en particulier à deux époques: vers -5000, avec le début de l' extraction des métaux, et vers +1600, avec les progrès des techniques minières; de nouveau perfectionnemnts, joints au souci de la rentabilité, continuent à favoriser cette tendance depuis le siècle dernier.
L'homme devient le maître de plus en plus exigeant de la Nature; de même que de la cueillette des plantes sauvages il est passé à la culture intensive, de même il est passé du ramassage à une exploitation systématique, pouvant aller jusqu'à l'épuisement, des ressources minérales.
C'est pourquoi l'on envisage l'exploitation des nodules de manganèse, fer, cobalt et nickel qui couvrent certaines aires du plancher océanique. Et pourquoi pas la capture des astéroïdes pour récupérer leur métal ? On reviendra de cette façon au ramassage, pour ainsi dire...
Localisation | Epoque | N de métiers |
Europe occidentale | -100000 à -40000 | 1 |
" | -40000 à -7000 | 4 |
" | -70000 à -2000 | 10 |
Egypte | -1300 | 15 |
Hébreux | -1000 | 10 |
Mésopotamie | -600 | 15 |
Grèce | -500 | 18 |
Rome | +100 | 24 |
Inde | +500 | 20 |
Empire arabe | +1000 | 22 |
France | +1200 | 24 |
" | +1600 | 41 |
" | +1880 | 54 |
" | +1980 | 60 |
2) de Cayeux, André: L'allure hyperbolique des dévaluations monétaires (Revue de Synthèse, 1980, C1/99-100).
3) Daumas: Histoire générale des techniques (Paris, P.U.F., 1962).
4) Durant; Histoire de la civilisation: Notre héritage oriental (Genève, Editions "Rencontre", 1966).
5) Engel, Léonard: La Mer (Collection Life "Le Monde Vivant", 1962).
6) Lépinard, Denys: Structure du biocosme et de l'univers en relation avec la vitesse de l'évolution (Revue de bio-mathématique, 1980, 4è trimestre, n°72).
7) Malet et Isaac: L'Orient et la Grèce (Paris, Hachette, 1925)
10) Montet, Pierre: La vie quotidienne en Egypte au temps des Ramsès (Paris, Hachette, 1946)
12) de Mecquenem, R. : Les mines de cuivre du roi Salomon (Techniques et Civilisations, 5, 2, 1956, p. 65-67, Saint-Germain-en-Laye).
13) Tacite: Histoires, Livre V, ch. VI (in: Georgin: Les Latins, Paris, Hatier, 1929).
15) Théophraste: Des pierres, VI, 35 (in: Opera, texte grec et traduction latine, Paris Firmin Didot, 1866).
17) Flacelière, Robert: La vie quotidienne en Grèce au siècle de Périclès (Paris, Hachette, 1959).
18) Glotz, Gustave: Histoire générale: Histoire grecque (Paris, P.U.F. 1925).
20) Malet et Isaac: Histoire romaine (Paris, Hachette, 1925).
21) Pline l'Ancien: Histoire Naturelle (texte et traduction; Paris, Didot, 1877).
(22) Vitruve: De l'architecture, Livre II, ch. VI (texte et traduction Paris, Didot, 1866).
(26) Pastoureau, Michel: La vie quotidienne en France et en Angleterre au temps des Chevaliers de la Table Ronde (Paris, Hachette, 1976).
(28) Erlanger, Philippe: La vie quotidienne sous Henri IV (Paris, Hachette, 1958).
(29) Grandemange, J. : Cuivre-molybdène du district de Chateau-Lambert (Haute-Saône et Vosges) (Minéraux et Fossiles, Juillet-Août 1978, n°43-44).