COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 6 décembre 2000)
Nous savions que notre ami Albert Carozzi travaillait depuis longtemps sur Horace-Bénédict de Saussure, et qu'il avait lu ses manuscrits avec soin. Il avait pu notamment montrer que l'auteur des Voyages dans les Alpes n'en était pas resté à une tectonique de soulèvement par explosion, mais qu'il avait compris que les Alpes résultaient de refoulements horizontaux de sens opposés. Et il nous avait offert un bel exposé sur la question (Travaux du Comité français d'Histoire de la Géologie, 3e série, t.XI, 1997, p. 89-112). Nous connaissions aussi sa capacité de travail, particulièrement perceptible dans son gros ouvrage sur l'Histoire des sciences de la Terre entre 1790 et 1815 vue à travers les documents inédits de la Société de physique et d'histoire naturelle de Genève (Mém. Soc. Phys. Hist. nat. Genève, vol. 45, fasc. 2, 1990). Mais voilà qu'il nous offre à nouveau un gros volume, et sur un sujet parfaitement original : les idées de Saussure sur l'origine du basalte.
Qui savait que l'illustre Genevois s'était autant intéressé au basalte, qu'on ne trouve pourtant pas dans les Alpes ? Peu de gens assurément. Et pourtant voici 800 pages sur le sujet, à la fois en anglais et en français.
Les observations sur les basaltes furent faites au cours de randonnées familiales, et sont restées, comme l'essentiel de ses idées tectoniques dernières, à l'état de manuscrit. On sait que le problème de l'origine du basalte opposait deux écoles : les neptuniens qui le tenaient (même quand il s'agissait de basalte prismé) pour un dépôt sédimentaire, tandis que les vulcanistes, à la suite de Desmarest, le croyaient d'origine volcanique. H.-B. de Saussure rencontre Desmarest en 1768, à Paris, lors de son " Grand Tour ". En 1772, pour des raisons de santé, il parcourt l'Italie, et observe le Vésuve avec William Hamilton, ministre plénipotentiaire anglais à Naples, et monte à l'Etna. A Venise, il rencontre Arduino, mais on n'en trouve pas trace dans ses notes. En 1776, il décide de vérifier avec Faujas de Saint-Fond les observations de Desmarest : il parcourt pour cela l'Auvergne et le Vivarais, puis passe par Dijon et Semur, où il rencontre successivement le chimiste Guyton de Morveau et Guéneau de Montbéliard, le collaborateur de Buffon.
Il confirme les vues de Nicolas Desmarest, sauf sur un point : le basalte ne provient pas de la fusion du granite comme le prétend celui-ci, mais de celle de la " pierre de corne ". Et il entreprend des expériences pour le démontrer. Mais il décide vite d'interrompre ses recherches pour revenir aux explorations alpines. Et quand il s'y remet tardivement, après 1790, le contexte a changé. Gottlob Werner a exposé sa théorie de l'origine aqueuse et Déodat de Dolomieu a offert une porte de sortie à ceux qui doutaient de la théorie volcanique en prétendant que la fusion d'une pierre de corne pouvait en faire une lave sans que sa composition et son aspect ne changent. En 1794, après visite des volcans éteints du Brisgau, Saussure rédige un court texte, Des Basaltes, où il combine les idées des deux naturalistes qu'il admire le plus, en faisant du basalte un dépôt pouvant être ensuite remanié par le feu. Avant d'opter définitivement, dans ses dernières années, pour l'origine purement aqueuse.
Les manuscrits étudiés sont, tout d'abord, traduits en anglais, puis suivis d'abondantes notes, très précises, également en anglais, sur les observations de terrain et les descriptions des cabinets visités, étudiés, tant dans le contexte de l'époque que vis-à-vis du savoir actuel. Ces notes ont été rédigées à partir des propres investigations de l'auteur qui a refait les voyages de Saussure, marteau et carte géologique à la main. Elles sont suivies des textes en français.
Après un court chapitre d'introduction sur le " Grand Tour " (1768-1769) et la rencontre avec Nicolas Desmarest, pour situer l'historique de la découverte de l'origine des basaltes, Carozzi traduit en anglais les pages du manuscrit du voyage en Italie de 1772-1773, relatives à la géologie, ainsi qu'une fameuse lettre à Hamilton sur la géographie physique de l'Italie (parue en 1776 dans Observations sur la physique). Puis viennent notes (en anglais) et textes originaux français (chapitres 2 à 5).
Les chapitres 6, 7 et 8 sont relatifs au voyage de 1776 aux volcans d'Auvergne et du Vivarais. Le texte est composé de quatre carnets de notes. C'est un long manuscrit : la version française occupe les pages 441 à 565.
La suite est consacrée à l'interlude des années 1777-1794. Elle est uniquement rédigée en anglais. Et se compose d'un résumé des expériences sur les volcans d'Auvergne et du Vivarais (1776), d'après ses carnets, puis d'extraits du volume I des Voyages... et du volume II. Viennent ensuite quelques lignes de sa contribution à la réédition (1786) du Voyage en Italie de La Lande et un manuscrit sur les volcans de Provence (1787). Les dernières pages du chapitre portent sur l'influence de Werner et Dolomieu.
Le chapitre 10 rapporte les idées sur la double origine du basalte (1794-1796) avec ses observations sur les volcans du Brisgau (mai 1791) et sur son manuscrit Des Basaltes (donné en français et en traduction) ainsi que des extraits du volume IV des Voyages... Un court chapitre 11 présente ses observations sur le granite (relatives à l'article de James Hutton sur le sujet), et publiées en 1797 dans la Bibliothèque britannique, données en français et en traduction. Puis le chapitre 12, final, est une épître de Mossier, pharmacien à Clermont-Ferrand et quelques autres textes sur la nomination de Saussure aux chaires d'histoire naturelle des écoles centrales de Clermont et de Paris.
Tous les textes rassemblés sont relatifs à la géologie. Mais tous ne portent pas sur le basalte. Et parmi ceux-ci beaucoup sont de pures descriptions dont se dispensera sans doute le lecteur pressé. Mais l'intérêt de ce travail est précisément de permettre à chacun d'y trouver sa pitance. Même celui qui s'intéresse aux poissons de Bolca, discutés avec Séguier, à la correspondance des angles... ou à la bête du Gévaudan, évoqués au passage.