"Un livre sur le mammouth[?]"... Non, proclame l'auteur qui utilise cet animal comme fil conducteur pour retracer l'évolution des idées et des mythes relatifs aux proboscidiens fossiles à travers les siècles. Et, de fait, s'il ne s'agit pas d'une réelle histoire de la paléontologie des mammifères, le lecteur se trouve rapidement confronté à une série de mythes et d'idées force qui, au fil des siècles, ont nourri l'imaginaire collectif. C'est ainsi que l'auteur choisit d'ouvrir son récit avec le mythe des géants qui, hérité de l'Antiquité, connut un regain de popularité au XVIIème siècle, au point de donner naissance à une discipline nouvelle, la gigantologie.
C'est à la fin de ce siècle qu'apparaît pour la première fois dans la littérature le nom du mammouth. Pierre le Grand ne tarde pas à ordonner dans les années 1720 qu'on lui apporte des restes (ossements et défenses) de cet animal singulier. Bientôt, un autre animal géant, que Blumenbach baptisera Mastodonte, sera découvert en Amérique du Nord, dans la vallée de l'Ohio. Buffon qui en examine une molaire, considère qu'elle appartient à une "espèce perdue" dont il suppose qu'un refroidissement progressif du globe a pu entraîner l'extinction, de même qu'il a occasionné la disparition d'Europe des éléphants dont on trouve parfois les ossements fossiles sur notre continent.
Plus tard, Georges Cuvier, confronté à des espèces perdues dont le nombre se multiplie (mammouth, mastodonte, Megatherium, mosasaure, Palaeotherium, etc.), expliquera leur disparition par de "grands et terribles événemens" qui s'abattirent de manière catastrophique sur la surface du globe.
Mais, pour Richard Owen, l'explication serait plus naturelle et le "devenir ordonné des choses vivantes" suffirait à rendre compte de l'extinction des espèces. C'est précisément le moment que choisit Hugh Falconer pour découvrir de nouvelles espèces d'éléphants fossiles dans les Siwaliks, ce qui le conduit à reconnaître l'existence de "formes intermédiaires" qui trouveront leur pleine signification à la lumière de la théorie darwinienne pour laquelle la découverte de "missing links" est primordiale.
Peu après, la reconnaissance de l'antiquité de l'homme conduit à s'interroger sur une possible contemporanéité de l'homme et du mammouth, ce que confirmeront bientôt certaines découvertes préhistoriques dues notamment à Edouard Lartet.
Ayant ainsi raconté à sa manière l'histoire du mammouth, l'auteur évoque ensuite les scénarios explicatifs imaginés par les chercheurs. Le premier a trait aux essais d'interprétations phylogénétiques qui se sont succédé depuis la première tentative d'Albert Gaudry (1866). Le second concerne la paléobiogéographie qui révèle une migration depuis le Sud-Est de l'Afrique vers l'Europe puis, à travers la Sibérie et le détroit de Behring, vers l'Amérique du Nord où les mammouths s'avancèrent jusqu'au centre du Mexique. Le troisième traite des causes supposées de la disparition du mammouth qui, selon les auteurs, pourrait avoir été victime de "cataclysmes", du Déluge, d'un ">hiver soudain et intense", d'un "épuisement de leur force vitale", de leur "hyperspécialisation", ou encore d'une chasse trop intensive.
En résumé, cet ouvrage, destiné au grand public, est donc avant tout un récit qui met en scène le mammouth et les paléontologistes qui l'ont plus ou moins directement étudié depuis près de deux siècles, donnant naissance à des mythes successifs qui ont laissé une empreinte profonde et durable dans l'inconscient collectif. On regrettera qu'il renferme malheureusement quelques inexactitudes qui, sans nuire à l'intérêt de l'ensemble, font tache dans un livre par ailleurs bien documenté et de présentation agréable. On s'étonne ainsi que Guettard (né à Etampes) soit qualifié de "géologue et minéralogiste suisse" (p. 119), que le grand animal de Maastricht soit nommé "crocodile" au lieu de mosasaure (p. 145) ou encore que Lamarck (décédé en 1829) soit ici involontairement mêlé à la querelle qui opposa en février-mars 1830, devant l'Académie des Sciences, Georges Cuvier et Etienne Geoffroy Saint-Hilaire (p. 283).