TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Première série -
(1982)

Jean-Charles FONTES
PROGRESSION DES RECHERCHES, FLUCTUATIONS DES IDEES SUR LA GENESE DU GYPSE PARISIEN.
FAITS, CONCEPTS ET DOGMATISME.
(1ère partie)

L'auteur travaillait en 1981 au Laboratoire d'Hydrologie et de Géochimie Isotopique - Université Paris-Sud Orsay.

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (Séance du 16 décembre 1981)

Sait-on encore aujourd'hui que c'est par la géognosie que Antoine-Laurent Lavoisier entame, en 1765, une carrière scientifique demeurée sans égale dans notre pays avant que la Convention n'estimât plus opportun en 1794, de supprimer l'ensemble des quelques 17 titulaires de ferme générale que de conserver un savant dont, comme l'on sait, la "République n'avait -par ailleurs- pas besoin"? En attendant qu'hommage soit un jour rendu par la géologie française au plus illustre de ses pionniers, auteur en particulier d'une très claire définition des cartes géologiques qui servent à "représenter sur des cartes géographiques la nature des substances renfermées à l'intérieur de la Terre", on peut noter que ce premier travail concernait, déjà, le gypse de Montmartre.

Les premières hypothèses pour expliquer la genèse de la fameuse pierre à plâtre ludienne (en ses plus grandes parts) procèdent des visions tout à la fois naïves et grandioses de Paul de Lamanon (1782) qui imagine, et figure même, un lac de dépression circonscrite, aux nombreux tributaires dont la charge séléniteuse ne manquait point d'être le produit de l'action des eaux vitrioliques (sulfuriques) sur la craie de Champagne, ce qui toutefois n'empêchait pas les hommes préhistoriques d'en coloniser assidûment les rives et d'égarer les clés de leur demeure dans la fange sulfatée du fond où de Lamanon les retrouve et les identifie.

Beaucoup plus logique, et bien plus proche d'une démarche scientifique, l'idée de Pralon (1780) s'inspire des précipitations salines qui s'opèrent sous nos yeux dans les marais salants et en conclut à l'origine marine du minéral. Les deux termes de l'alternative sont donc présentés. C'était voici deux siècles. Controverses et querelles vont pouvoir débuter. Il n'est point exagéré de prétendre qu'elles couvent encore et pourraient se ranimer à la première occasion. Par quel étrange regain de vigueur chacune de ces hypothèses -intercalée de quelques propositions de moindre tenue, et qui n'ont d'intérêt qu'epistemologique- a pu successivement gagner la faveur des hommes de science, s'imposer comme un fait, s'enseigner ex cathedra et ex libris, avant de s'étioler, disparaître et laisser la place à l'autre ?

Il nous a été donné d'en proposer une chronique et d'avancer quelques éléments de justification à des affirmations souvent d'autant plus péremptoires ou même véhémentes, qu'elles étaient moins fondées. Certains aspects de logique et de méthode ont bénéficié de l'analyse pénétrante de G. Gohau. Les références historiques n'interviendront donc dans ce qui suit qu'à l'appui d'une réflexion sur les causes et les mécanismes des errements et des emballements de la pensée scientifique dans un contexte précis, celui de l'évolution des idées et des concepts dans la géologie universitaire française du XIXè siècle et de la première moitié du XXè.

Et tout d'abord, il convient de clarifier un point d'importance : qu'il provienne de la mer ou du continent, le gypse de Montmartre ne saurait, sauf conditions géochimiques très particulières, procéder des deux origines. Aucune conciliation n'est possible et les deux hypothèses ne sont pas réductibles à un moyen terme, qui satisfasse leurs tenants respectifs.

En effet, le problème ne consiste pas à disserter sur la proximité plus ou moins grande du domaine marin et du bassin du gypse et sur leurs éventuelles communications hydrauliques. Nous pouvons bien facilement admettre, sans toutefois en détenir les preuves, que rien ne s'oppose à une telle relation.

Encore faut-il mentionner que J. Gaudant identifie parmi les poissons dulcaquicole du gypse des collections de Cuvier et Priem, des formes proches de nos daurades et probablement capables de transiter en milieu de type estuarien.
La vraie et seule question est dans la polarité des apports en sulfate de calcium : celui-ci était-il puisé au réservoir marin ou provenait-il au contraire du remaniement après dissolution, ou par transport solide, d'un dépôt antérieur préexistant sur le continent ? Dans un cas comme dans l'autre, les conséquences paléogéographiques, paléoclimatiques, paléohydrologiques, que l'on pourra en inférer, seront totalement différentes.

Pour que se précipite le sulfate de calcium à partir d'une solution contenant des ions SO42- et Ca2+ il faut, on le sait, que le produit des activités ioniques a SO42- x a Ca2+ atteigne la valeur réputée limite (en conditions thermodynamiques strictes) que l'on définit comme le produit de solubilité Ks qui est alors pratiquement égal à la constante de l'équilibre :


et s'écrit :
a SO42- x a Ca2+ =~ Ks

L'activité ai de chaque ion i est liée à la concentration généralement exprimée par la molalité mi (mole/kg eau pure) par la relation :

ai = Yimi

où Yi est le coefficient d'activité ionique de l'ion i, qui schématiquement, est fonction inverse de la concentration totale de la solution.

En d'autres termes, on se rapproche d'une espèce de paradoxe puisque plus une solution est initialement riche en sels dissous, plus difficile à atteindre sera la saturation vis-à-vis des différents sels qu'elle peut exprimer par rapport au comportement d'une solution qui ne contiendrait qu'un sel potentiel. Cela est vrai en particulier du gypse. Ainsi, la précipitation du gypse à partir de l'eau de mer ne commence pas avant que l'evaporation ait exporté près des quatre cinquièmes de l'eau marine initiale, et que la teneur en Ca2+ et SO42- atteigne l'équivalent de quelque 6 g de gypse par litre de saumure. Cela requiert un dispositif hydrologique particulier qui isole et retienne les solutions mais permette aussi à l'evaporation de les concentrer. Tout apport d'eau continentale pauvre en sels dissous et en particulier en ions Ca2+ et SO42- aura pour effet de diluer la saumure et de contrarier la précipitation en requérant, pour que la saturation soit atteinte, un surcroit d'evaporation, sensiblement égal à la quantité d'eau continentale importée dans le bassin. Ce n'est donc point à l'embouchure des cours d'eau que s'implantent les dispositifs évaporants susceptibles de déposer des gypses marins, mais bien dans des lagunes isolées du large et protégées des apports continentaux.

En revanche, le gypse peut fort bien se précipiter à partir d'une eau continentale séléniteuse, pour autant que la saturation, c'est-à-dire le produit de solubilité soit atteint et maintenu au sein de la solution. A partir d'eau distillée, la saturation en gypse est réalisée lorsqu'un litre de la solution a dissous environ 2 g du minéral.

Une eau continentale à faciès sulfaté calcique, contenant 1,5 g de gypse potentiel, n'est pas une rareté géochimique. C'est aujourd'hui le cas de la plupart des eaux anciennes des grandes nappes aquifères profondes du Sahara. C'est aussi le cas de nombreuses sources en Lorraine sedimentaire. Une telle eau se trouvera saturée en gypse dès qu'elle aura perdu un quart de sa masse initiale sous forme de vapeur et sa salure globale ne se trouvera alors augmentée que d'un tiers, c'est-à-dire qu'elle peut fort bien ne pas donner lieu à un résidu sec supérieur à quelques grammes par litre, tout en laissant s'accumuler le gypse au fond du bassin. On est bien loin de la saumure, à près de 180 g de résidu sec par litre, qui est la solution mère du gypse marin.

Le cas en apparence intermédiaire, d'un afflux d'eau continentale séléniteuse dans les eaux marines ne saurait être considéré comme un compromis génétique possible. En effet, les calculs de saturation montrent que si la concentration des solutions atteint la saturation, cela reste le fait des apports séléniteux fluviatiles (FONTES, inédit). Cette hypothèse n'a qu'un mérite : celui de permettre de rendre facilement compte de la présence de faunes à affinités marines. Pour ce qui regarde l'origine du gypse, c'est encore l'hypothèse de l'apport continental.

Telle est la vraie question et pour Cuvier et Brongniart elle appelle une très simple et très complète réponse dans la fameuse "Description Géologique des environs de Paris" ( la première édition en 27 pages était parue au "Journal des Mines" de 1808 sous le titre "Essai sur la géographie minéralogique des environs de Paris"), dont la dernière livraison en 1835, trois ans après la mort de Cuvier est identique à celle de 1822 déjà due selon toute probabilité à la seule plume de Alexandre Brongniart. Ecoutons-le faire état de faits appelant des conclusions simples et difficilement contestables, dans ce style précis et maîtrisé, où correction et exactitude n'excluent pas l'élégance -encore que l'on soit loin du talent littéraire de Georges Cuvier- : "les couches (de gypse) ont suivi un ordre de superposition qui a été toujours le même dans la grande bande gypseuse que nous avons étudiée, depuis Meaux jusqu'à Triel et Grizy, sur une longueur de plus de vingt lieues". C'est le principe de la continuité des faciès qui implique dans la pratique le dépôt chimique et exclut l'apport détritique qui sera pourtant invoqué par la suite . Bien entendu, le rôle des organismes est largement commenté, en particulier celui des vertébrés de la plus haute masse.

"C'est dans cette première masse qu'on trouve journellement des squelettes et des ossemens épars d'une multitude de quadrupèdes inconnus, ainsi que des os d'oiseaux, de crocodiles, de tortues trionyx, de tortues terrestres ou d'eau douce, et de plusieurs sortes de poissons dont la plupart sont de genres appartenant à l'eau douce". Il est patent que cette profusion d'organismes herbivores exige la présence de riches pâturages, incompatibles avec le taux d'evaporation, c'est-à-dire l'aridité nécessaire au fonctionnement d'un bassin marin. La végétation est d'ailleurs présente dans la seconde assise des marnes supra gypseuses. "C'est dans les assises inférieures de ces bancs, et dans une marne calcaire et friable, qu'on a rencontré à diverses reprises des troncs de palmiers pétrifiés en silex ; ils étaient couchés et d'un volume considérable". Dans ces mêmes couches des "marnes blanches" les auteurs font aussi mention de la présence de "Limnées et Planorbes très similaires aux espèces qui vivent dans nos mares". Dans le détail, les qualités d'observateurs de Cuvier et Brongniart s'expriment par l'extraordinaire minutie de la description de la coupe de Montmartre qui n'occupe pas moins de 18 pages du Traité. Avec une admiration non dépourvue d'une certaine émotion, nous avons pu retrouver une remarquable similitude avec nombre de niveaux naguère accessibles à Conneilles et fort bien recensés par R. Soyer.

Un autre sujet de réflexion, voire d'étonnement, réside dans les encouragements officiels alors accordés à deux jeunes géologues amateurs d'âge scolaire : Constant Prévost (qui allait être l'un des instigateurs de la fondation de la Société Géologique de France), et Anselme Desmarest, dont les levers à la carrière de la Hutte-aux-Gardes à Montmartre, et les conclusions, sont accueillis dans la seconde édition de 1811, de l'ouvrage des deux maîtres, malgré semble-t-il une certaine réticence de Brongniart sur la position de cette coupe dans la série gypsifère.

La conclusion génétique de Cuvier et Brongniart sur le gypse tient alors scrupuleusement compte de l'attribution au domaine marin par différents auteurs dont Desmarest père et le scrupuleux Coupé, des malacofaunes découvertes à la base de la formation à Montmartre. "Les couches inférieures du gypse ont dont été déposées dans une eau marine, comme le prouvent les coquilles qu'elles renferment ; elles forment la transition entre le terrain de calcaire marin et le terrain d'eau douce qui l'a suivi". Toutefois, il est clair que la logique de Brongniart, et probablement surtout celle de Cuvier, sont heurtées par cette dualité d'origine, et on laissera le soin au lecteur de s'interroger sur un éventuel scepticisme des auteurs à propos d'un dépôt qui se fût produit en eau marine franche lorsqu'ils affirment cependant que l'on "ne peut donc douter que les premières couches de gypses n'aient été déposées dans un liquide analogue à la mer puisqu'il nourrissait les mêmes espèces d'animaux". Certes, nous savons maintenant que la seule et simple vie des genres découverts par C. Prévost et A. Desmarest, puis reportés (sous réserve d'un inventaire qui serait peut-être à reprendre) par Cuvier et Brongniart (Calyptrea, Cardium, Murex, Turritelle Cerithium, Voluta, Ampullaria, Corbula, Solen, Cithevea et Crassatella) est incompatible avec le degré de concentration saline exigé par le dépôt de gypse à partir de l'eau de mer et que l'explication de la présence d'une telle faune dans un niveau marneux de la Troisième Masse de gypse doit être recherchée dans d'autres mécanismes de fonctionnement du bassin et peut-être dans une évolution de la salure des solutions continentales jusqu'aux teneurs acceptables par ces organismes, ou encore dans un envahissement momentané du bassin par les eaux marines et leur cortège faunistique.

Toutefois, en 1853, quarante cinq ans après avoir levé la coupe de la carrière de la Hutte-aux-Gardes de Montmartre en compagnie de A. Desmarest, C. Prévost estima que le niveau fossilifère alors décrit était similaire à la couche de marnes marines à Pholadomye, récemment entaillée et mise à jour par la tranchée de la Gare St Lazare (cf. Gosselet, 1896). Par ailleurs, il semble que la description préalable des niveaux fossilifères du Lutétien de Grignon par Brongniart et Cuvier avait influencé les deux jeunes gens d'alors qui se pressèrent peut-être un peu d'y retrouver des analogies de fossiles et de faciès.

Pour ce qui regarde les parties supérieures des couches gypseuses et notamment le gypse riche en restes fossiles, Cuvier et Brongniart s'empressent d'ajouter que la présence d'organismes réputés marins à la base "n'infirme pas les conséquences de l'observation des couches supérieures ; elles ont été formées et déposées dans un liquide analogue à l'eau douce, puisqu'il nourrissait les mêmes animaux".

On pourra convenir ici d'une simple considération dont le fait qu'elle fasse appel au bon sens ne devrait cependant pas altérer la portée : il est probablement plus facile d'obtenir dans la nature un liquide "analogue à la mer" par evaporation ou dissolution d'eau continentale, qu'un liquide "analogue à l'eau douce" à partir d'une intrusion marine.
Il est ici fait allusion en particulier aux mollusques du type Cyclostomia mumia découverts dans la Haute-Masse (ou première masse) du gypse. Et les deux grands savants s'attardent à nouveau sur cette "transition difficile à concevoir", mais que semblent leur imposer les "faits d'observation" paléontologiques qui consistent souvent à prendre pour identité ce qui n'est qu'analogie, avant de conclure sur la disposition géographique singulière des buttes à gypse du Bassin de Paris, avec une direction constante nord-ouest, sud-est, dont on saura bien plus tard tout en la "découvrant", qu'elle correspond à une orientation tectonique. De la même façon, les variations d'épaisseur du gypse entre le centre et la périphérie du bassin avec continuité des niveaux repères est également fort bien notée et assortie d'une intéressante considération sur l'augmentation prohibitive des coûts d'exploitation par tranchées et déblais, en fonction de la diminution de l'épaisseur des couches vers les marges du bassin. Ce type d'incident accentue le caractère d'actualité et de modernité d'un ouvrage qui, aujourd'hui encore, confond le lecteur de ce magistral effort de synthèse. On pourra à cette occasion méditer aussi sur les gigantesques progrès méthodologiques et conceptuels qui marquent cette extraordinaire période de moisson de données et de débat d'idées, animé notamment par l'Ecole dite "neptunienne" de Gottlob Werner à Freyberg, de part et d'autre de l'année 1800. C'est aussi l'époque (1801) où selon la cinglante formule du conchyologue Draparnaud "la géologie a été jusqu'à présent le roman de la minéralogie".
Songeons par exemple que Alexandre Brongniart (1770-1849) a vécu un télescopage politique, sociologique, scientifique, technologique, sans équivalent en passant de l'ère des mousquets à celle des chemins de fer à travers quatre ou cinq royautés, deux républiques, directoire, consulat et empire.

Mais idées et concepts s'organisent très vite. De Pralon et Lamanon à Cuvier, l'essentiel est pratiquement recensé, observé, critiqué, confronté aux données existantes, et pourrait-on même dire, mis en place à l'exception du problème de la signification de la "transition" entre faciès marins et faciès d'eau continentale. Tel n'est évidemment pas le cas et s'il semble difficile aujourd'hui de revenir sur la rigueur des grandes lignes de l'exposé de Cuvier et Brongniart, il faut bien se rendre à l'évidence, les choses ne font que commencer, et la controverse qui s'ensuivra sera marquée des heurts et des stigmates qui ne sont probablement pas l'apanage des débats académiques dans les seules sciences de la Terre.

On essaiera d'en isoler et d'en illustrer quelques causes dans la suite de cette communication qui s'attachera à examiner les circonstances de l'évolution cyclique des concepts génétiques sur le gypse parisien jusqu'à une époque récente

Interventions sur la 1ère partie de la communication de M. J.-C. FONTES
Remarques de M. G. GOHAU

Le bel exposé de mon ami FONTES montre clairement l'intérêt pour le géologue de l'histoire de sa discipline. Il rejoint sur ce point la mise au point de F. ELLENBERGER sur les sables de Fontainebleau (Travaux du COFRHIGEO n° 38). Tous deux font voir admirablement que le scientifique trouve, dans les travaux anciens, des observations, des arguments, etc qui furent ensuite occultés parce qu'on ne pouvait pas les expliquer... ou parce qu'ils contredisaient les thèses du moment. Cette démarche illustre parfaitement ce que Bachelard nomme "l'actualité de l'histoire des sciences", ou ce que Langevin présente comme antidote à la "sénilisation" des théories. On peut qualifier cette histoire de "récurrente" pour souligner qu'elle remonte vers le passé à partir d'un problème actuel.

Mais il existe évidemment une autre façon d'écrire l'histoire, qui est celle des historiens, et qui prend plutôt la chronologie dans le sens direct, en cherchant comment de nouveaux problèmes se posent à chaque époque. FONTES montre, par exemple, sur quels arguments vers 1810 Prévost-Desmarest fils s'opposent à Cuvier-Brongniart à propos de l'origine du gypse. Mais l'historien reteindrait plutôt la nouveauté des idées de Cuvier et Brongniart qui, à une époque où l'on croit encore que la terre s'est progressivement dégagée des eaux d'un océan primitif, affirment la répétition des immersions et emersions. Il noterait que Prévost, au contraire, reste attaché aux idées anciennes du retrait irréversible de la mer. Il situerait la polémique sur l'origine "palustre" ou marine du gypse dans le débat entre partisans attardés des thèses wernériennes (voire buffoniennes) pour qui l'histoire est linéaire, et défenseurs des idées nouvelles débouchant sur les conceptions cycliques (cycle sédimentaire et cycle orogénique).

Et bien sûr, ces deux façons d'écrire l'histoire sont légitimes. Si leurs résultats divergent c'est seulement qu'elles répondent à des objectifs différents .

Je renvoie, pour les détails, à ma communication sur "Constant Prévost et la Géologie positive". Travaux du COFRHIGEO, séance du 17 mars 1978.

Interventions sur la communication de M. J.-C. FONTES
Remarques de M. G. BUSSON

G. BUSSON rappelle le caractère exemplaire de la controverse évoquée par J-C. FONTES au sujet de l'alternance entre les hypothèses marines, continentales et geyseriennes proposées successivement pour l'interprétation des gypses du bassin de Paris. La succession, ou même l'alternance, de ces hypothèses a été classique dans un grand nombre de bassins évaporitiques. Par ailleurs SOZANSKY proposait, il y a quelques années (1973), une origine "interne" pour de nombreux grands gisements évaporitiques : les éléments chimiques constitutifs des roches salines proviendraient, dans les cas que cite cet auteur, des eaux juvéniles issues du magma, et non pas du réservoir océanique ou d'un recyclage de sels en milieu continental par le truchement d'un ruissellement endoréique.

J.CH. FONTES
PROGRESSION DES RECHERCHES, FLUCTUATIONS DES IDEES SUR LA GENESE DU GYPSE PARISIEN. LES THEORIES FACE AUX MODES, AUX DOGMES ET AUX ECOLES. (2ème partie)

A la faveur de la première partie de cette revue, nous avons évoqué la naissance des deux hypothèses fondamentales sur l'origine des assises gypsifères ludiennes du Bassin de Paris. L'une est conceptuelle et donc deductive puisqu'elle repose sur une assimilation analogique du fonctionnement du bassin à celui des salines actuelles. Elle fait appel à la mer pour rendre compte de la source de sulfate. L'autre procède de façon inductive de la démarche naturaliste en accordant une large importance à la présence de faune dulcaquicole et continentale. Elle conclut donc à un gypse palustre avec l'appui du grand Cuvier en cette période de passage au XIXè siècle.

Dans le cas des travaux sur le gypse parisien et des théories sur sa genèse, le recul est ainsi très suffisant pour mettre en évidence une sorte d'étonnante vulnérabilité des théories aux seuls effets de temps, sans production de faits ou de documents nouveaux. Probablement, dès 1811, avec la deuxième édition de la "Géographie Mineralogique" et en tout cas à l'issue de la parution de la première édition de la "Description Géologique des Environs de Paris", en 1822, les idées de Georges Cuvier et d'Alexandre Brongniart, semblent acceptées par la quasi unanimité de la communauté scientifique française. Seul, de la Métherie au Collège de France s'indigne et le fait vertement savoir dans le "Journal de Physique" : "Ne vaudrait-il pas mieux dire qu'on ne sait pas que de hasarder pareilles explications". Pour lui, le gypse est marin littoral, cela ne saurait se discuter et n'a donc pas besoin d'être prouvé.

On peut se demander si de la Métherie n'est point de son côté la cible de la raillerie discrète de Cuvier qui lui donne volontiers du "citoyen lamétherie" alors que le Maître évite par ailleurs dans ses écrits toute référence à la phraséologie révolutionnaire et qualifie plutôt ses collègues de "savant", de "confrère", de "célèbre minéralogiste" ou "naturaliste".

L'amitié témoignée à Brongniart (malgré le défaut de soutien du maître à la candidature de son acien élève à l'Institut en 1835) empêche sans doute Constant Prévost de critiquer les faiblesses des visions catastrophistes de Georges Cuvier qui ne conçoit le remplacement des eaux continentales par les masses marines qu'à l'issue de véritables "révolutions" et n'a cessé de prendre en compte le déluge biblique dans ses reconstitutions. Constant Prévost est à coup sûr partisan d'une plus grande stabilité, quitte à invoquer des remaniements pour expliquer les mélanges ou les intercalations de faunes de milieux différents au sein d'une même formation.

Peu à peu toutefois, vont se faire jour des amendements à la conception du gypse marin à la base et palustre dans sa plus large part qui est celle de Cuvier et Brongniart. Ces modifications procèdent de deux réactions "psycho-géologiques" complémentaires.

L'écho des conceptions plutoniennes : C. Prévost, Hébert.

D'une part, l'école du tout puissant Werner, "neptunienne" jusqu'à l'absurde, était allée trop loin dans sa propagation du dogme, en déclarant par exemple que les laves et autres produits volcaniques anciens étaient le résultat d'une sédimentation aquatique : l'allure irrégulière des surfaces de coulées n'était que la conséquence d'un milieu agité de dépôt tandis que les scories signifiaient à l'évidence que des incendies de lignites avaient calciné les sédiments. Les réticences s'accentuent lorsque les observations des manifestations du volcanisme actuel s'ajoutent aux évidences morphologiques offertes par les formes fraîches du Massif Central. A l'instar de de von Buch et de von Humboldt, les meilleurs élèves de Werner l'abandonnent dans les dernières années du premier Empire. Avec Elie de Beaumont pour meilleur prosélyte, les idées "plutoniennes" gagnent alors lentement toute la géologie française. Bien entendu, après l'abus des visions werneriennes, l'excès affectera tout autant les applications que l'on voudra faire des théories plutoniennes. Le gypse n'y échappera pas. Constant Prévost lui-même, est impressionné par ce qu'il voit, ou croit voir, lors de sa visite en Sicile comme observateur désigné par le gouvernement français pour rapporter sur les éruptions de 1831. La présence de basalte intercalé dans des séries sédimentaires à faune lui fournit l'occasion de définir une nouvelle catégorie de formations qu'il appelle Pluto-Neptuniennes. A la vue des conditions de gisement des évaporites de Sicile (Messinien), il conclut à l'influence de fluides que l'on peut aujourd'hui considérer comme périvolcaniques, à travers la définition que donne C. Prévost lui-même, d'un gypse auquel il attribue une "formation pour ainsi dire mixte entre les sédiments et les précipités, dans les caractères particuliers de laquelle on reconnaît, avec les effets d'un dissolvant liquide, l'influence plus ou moins directe d'un ou plusieurs agents, qui auraient exercé leur action de bas en haut".

En chaque cas d'affrontement d'interprétations opposées, il se trouve des esprits portés à la conciliation qui s'efforcent de réconcilier les extrêmes par conviction profonde ou par sage prudence. Cela est fort souvent avisé lorsque l'on s'adresse aux imbrications de conséquences comme ici C. Prévost qui note avec justesse la présence d'intercalations de produits d'origines différentes incontestables. Mais cela n'est pas convenable lorsque l'on s'adresse aux causes essentielles pour lesquelles raisons et torts ne se partagent pas : de même que Werner se fourvoyait irrémédiablement en expliquant les accumulations volcaniques par des dépôts aquatiques -et l'existence fréquente de faciès volcano-sédimentaire ne saurait à l'évidence pourvoir une possibilité d'appel car elle ne change rien aux mécanismes-, de même le recours même très partiel aux théories plutoniennes pour reconstituer les conditions de dépôt du gypse vont conduire à l'inepte, d'autant plus doctement asséné qu'il sera, évidemment, moins fondé sur des faits d'observation rigoureuse.

En effet, après une tentative sans écho en 1832 d'un sieur Fénéon, aphoticaire à Clermont-Ferrand, pour appliquer cette théorie d'une genèse profonde au gypse parisien lui-même, c'est du plus haut de la puissance académique que viendra l'affirmation du dogme plutonien, quelques années plus tard. Hébert, en 1855, invoque des coulées boueuses d'origine geysérienne pour interpréter la mise en place du gypse ludien.

On pourrait proposer différentes explications à cet égarement qui n'en apparaîtrait pas en cela plus justifiable. Il faut certainement attacher une importance capitale au comportement scientifique de l'époque et à un extrême souci de généraliser, de théoriser, dans une atmosphère de hâte, de compétition, voire de rivalité passionnée, sous le voile d'un discours formel encore tout imprégné de l'exquise courtoisie du XVIIIè siècle. Hébert n'échappe point à cet état d'esprit, et cela d'autant moins qu'il se trouve en position d'oracle à la chaire de Géologie. Qu'importe si cette théorie geysérienne lui est suggérée par les affirmations d'un certain Gressly, médecin dans le canton de Berne, fort épris de géologie et qui a cru retrouver dans le sidérolithique de Délémont un niveau équivalent du gypse du Bassin de Paris. Des observations du médecin, transmises à Hébert pour présentation, immédiatement annexées par celui-ci au sein d'une note soumise à la même séance de la Société Géologique de France, il résulterait que les dépôts du sidérolithique de la région de Berne sont "les produits d'épanchement analogues aux éruptions boueuses, de sources chaudes jaillissantes chargées d'oxydes de fer et de manganèse, de silice, d'alumine, de chaux et d'acide sulfurique". Pour Hébert, il faut aller vite s'il veut s'assurer la primauté dans la livraison d'une nouvelle théorie qui, on l'a vu, est dans l'air et qui concerne un niveau essentiel de toutes les subdivisions des couches de terrain du Bassin de Paris.
En effet, depuis Cuvier et ses magistrales découvertes en 1796, jusqu'au Vicomte d'Archiac qui s'efforce de recenser les découvertes dans son "Histoire des Progrès de la Géologie" (1849), chaque auteur a considéré le gypse du Bassin de Paris comme une coupure majeure et subdivisé les couches en celles qui lui étaient supérieures et celles qui lui étaient inférieures. Hébert, bien au fait du retentissement de toute nouvelle conception sur ce niveau clé, n'hésite pas et enchaîne sans nuances. "Et maintenant pour nous qui nous sommes souvent demandé d'où venait notre gypse, il est clair que l'origine est celle qu'indique M. Gressly". C'est le procédé bien connu et éternel qui consiste à chercher, et à trouver, des explications vraisemblables aux faits d'observation en les subordonnant à la théorie présentée elle-même comme une évidence établie. Si les cheminées geysériennes sont invisibles, in situ, c'est qu'elles sont plus loin. C'est d'ailleurs cet éloignement qui rend possible la parfaite superposition et stratification des couches. A n'en pas douter les courants issus des geysers lointains étaient suffisamment violents pour entraîner les cadavres de Paleotherium et Anoplotherium victimes des inondations qui se produisaient même à certaines époques.

Quant aux faits qui ne se conformeraient pas à la théorie "tant pis pour eux" selon la boutade fameuse. On pourrait éprouver un étonnement d'autant plus légitime devant cette hâte d'Hébert à conclure, sans supplément d'enquête, à l'origine périvolcanique du gypse, que le docte maître de l'Ecole Normale et de la Sorbonne, s'est rendu célèbre en démontrant l'équivalence latérale du gypse et du calcaire de Champigny par la même position de ces deux faciès entre deux couches de marnes marines fossilifères et en aucun cas marquées d'hydrothermalisme. Or, précisément, le calcaire de Champigny riche en silicification et souvent pauvre en faune, a depuis longtemps intrigué les auteurs et jusqu'à Brongniart lui-même qui se montre suffisamment explicite pour enlever quelque éclat à la découverte de 1860 qui valut sa renommée à Hébert : "Nous avons eu l'occasion .. de reconnaître .. que ce calcaire (la formation de Champigny) n'appartenait pas à la formation marine du calcaire grossier, mais à la formation d'eau douce moyenne qui fait partie du terrain gypseux".

Même vers la fin du siècle, le caractère énigmatique du calcaire de Champigny incitera encore Gustave Dollfus en 1885 à évoquer avec prudence mais sans émettre de réticences, le recours à une hypothèse geysérienne pour rendre compte des modifications de ce calcaire qui semble être "durci et silicifié postérieurement à son dépôt...".
Quant à la formation de ce calcaire, Brongniart précise qu'elle n'est "pour ainsi dire qu'une cirscontance mineralogique du terrain d'eau douce moyen, de celui qui renferme les gypses à ossements". Si l'on ajoute que la description mineralogique assez précise par Brongniart de ce calcaire siliceux implique des phases successives de dissolution et de cristallisation affectant notamment la silice, on pourrait au contraire, trouver presque naturel qu'Hébert en vînt assez facilement à le considérer comme un produit geysérien. On est tenté de voir en cela l'exégèse des leçons des écrits de celui qu'il appelait son illustre maître dont nous ne doutons guère qu'ils aient été pour lui "un guide si précieux"
Il ne nous plairait guère de projeter du personnage d'Hébert l'image d'un scientifique hâtif à conclure et prompt à la captation des idées. Une image est forcément déformée comme l'est certainement celle, traditionnelle, que l'on propage de l'auguste et vénérable maître, découvreur du passage latéral de faciès.

La théorie invraisemblable d'Hébert va pourtant durer. En effet, dans son Traité de 1875, Stanislas Meunier, tout en laissant paraître sa gêne dans la discussion des hypothèses, se rallie à la vision hydrothermale d'Hébert mais exile les sources périvolcaniques dans un lointain fort obscur où elles sont très proches de disparaître ; le dépôt intervenait dans les eaux d'un estuaire ou d'un bassin assez proche de la mer pour que l'influence des marées s'y trouvât répercutée dans la rythmicité des différents types d'accumulation. Et pourtant dans l'intervalle, les découvertes auraient pu et dû mettre à bas le dogme. C'est, dans la capitale et en banlieue proche, l'époque des premiers grands travaux publics que certains ont appelé l'"Haussmanisation" de Paris.

L'importance des données écologiques : Munier-Chalmas.

La géologie de la région parisienne va désormais progresser au rythme même des grands travaux. En 1885, Gustave Dollfus pourra affirmer qu'elle "n'est plus à faire". Ce développement est une aubaine pour une équipe de chercheurs enthousiastes et prompts à faire état de leurs collectes et de leurs découvertes, même si parfois ces dernières sont plutôt le fait de terrassiers ou de carriers dont l'intérêt a été attiré sur fossiles et coquilles.

Malgré ces incertitudes et celles qui pèsent notamment sur les documents proposés par le jeune Goubert, la plupart de ces fossiles sont réputés marins par les autorités de l'époque en la matière, et en particulier par Deshayes qui conçoit donc un dépôt de cette nature pour l'ensemble des gypses.

Les déterminations de Deshayes seront plus tard contestées avec raison (cf. Dollfus, 1885) tant il confondait la malacofaune de la série du gypse avec celles des niveaux infra-gypseux (bartonien) et supra-gypseux (stampien).
Avant de disparaître dans l'impréparation meurtrière de la campagne de 1870, Goubert (1866), plus nuancé, estime que les marnes qui s'intercalent dans le gypse sont marines et que le doute subsiste en ce qui concerne le gypse qui pourrait être le produit d'une précipitation en eau saumâtre.

Lorsqu'on saura de plus que ces affirmations reposent sur une attribution de sténohalinité à des formes affines de Cerithium que l'on rapproche aujourd'hui volontiers du très tolérant Potamides selon G. Truc (comm. pers.), on comprendra la fragilité et le caractère hasardeux de ces distinctions de faciès.

De toute cette fermentation, l'élément le plus intéressant à dégager en ce qui concerne le cheminement des idées est encore le même que 40 ans plus tôt. Les paléontologistes jouent et vont jouer le même rôle de précurseur et d'instigateur à synthèse paléogéographique que C. Prévost avait tenu pour Hébert avec l'hydrothermalisme périvolcanique et geyserien. Cette fois, cependant, ils préparent le lit d'une théorie extrêmement élaborée et en bien des points plus difficile à critiquer. Elle sera l'oeuvre d'un savant d'exception qui ne l'exprimera par écrit qu'au soir d'une vie trop vite consumée. Il s'agit d'Etienne Philippe Auguste Munier-Chalmas. Nous avons eu l'occasion de dire notre admiration pour Munier-Chalmas, avec la ferveur un peu onirique que l'on peut porter à des esprits que l'on ne pourra jamais connaître que de façon parcellaire par des écrits et des témoignages d'époque, forcément tronqués ou trop volontiers complaisants. On sait ce destin scientifique hors du commun, qui le vit embrasser à 15 ans, et donc sans autre référence que son inclination d'adolescent et, faut-il le préciser, sans le moindre diplôme, la carrière de géologue qu'il acheva 45 ans plus tard au faîte des honneurs et des promotions après qu'il aura successivement gravi de la plus étrange façon un cursus studiovum où, du succès au baccalauréat à l'admission à l'Institut, tout lui fut accordé par une sorte de dérogation générale, excellentiae causa. Rapidement distingué par Hébert, alors professeur à la Sorbonne, Munier-Chalmas illustrera, expliquera, commentera l'enseignement magistral, dogmatique et péremptoire du maître en le nuançant, semble-t-il, de façon très importante. Il est probable que l'ombre portée d'Hébert est cependant trop longue pour Munier-Chalmas qui s'en va dès 1880 enseigner à l'Ecole Normale. Du sanctuaire de la création intellectuelle, Munier-Chalmas professe bientôt une théorie ingénieuse sur l'origine du gypse parisien. Pour lui, le sulfate est d'origine marine et la seule difficulté consiste à expliquer la présence concomitante à de faibles distances de milieux à salinité très variable que lui suggèrent les associations faunistiques (plus de 100 espèces) qu'il identifie dans le Ludien. N'eût été l'obligation que lui fit l'Institut de rédiger une notice à l'occasion de sa candidature, sa théorie fût probablement restée dans le seul domaine des cours qu'il dispensait et des adaptations grossières qu'en ont proposé ses disciples. Malheureusement, les études qu'il annonce achevées sur la Haute-Masse de Gypse à Montmartre et à Romainville resteront à jamais inédites.

Les variations de salure des eaux est tout d'abord le fait de sortes d'ondulations venues de l'est, selon la théorie dite des "bourrelets" due à Marcel Bertrand et qu'il adopte de la façon suivante avec un style de discours non écrit dont le relâchement insolite en dit long sur l'atmosphère fiévreuse qui présidait à l'élaboration en quelques jours de ce qui devait être un testament scientifique. "A chaque période de plissement, les mêmes phases se reproduisent ; il y a d'abord des mouvements précurseurs, qui amènent une diminution progressive dans la profondeur et la salure des eaux ; puis, après la formation du dôme, il y a descente générale du bassin, la mer revient en transgression, avec un maximum de profondeur et avec un retour de faunes franchement marines". La ride périphérique qui se forme peut donc soit repousser la mer vers le nord-ouest, selon une limite franche, soit encore se trouver partiellement submergée et déterminer la formation de zones à salinité intermédiaire. Cette ride majeure est flanquée "d'ondulations ou de rides secondaires" qui déterminent des zones d'isolement ou de confinement hydraulique.

Munier-Chalmas distingue : la zone interne marine, la zone médiane à lagunes marines ou saumâtres et lagunes d'evaporation, la zone externe des lagunes lacustres et des lacs lagunaires. Les communications existent par des passes, ce qui autorise les mélanges de faune. Au fil de la plume et dans la hâte d'une rédaction nécessairement trop concise, Munier-Chalmas dénonce, toutefois, les marqueurs fallacieux de milieux comme certains Foraminifères et en particulier le genre Rotalia qui "pouvait se reproduire en très grande quantité dans les eaux les moins salées, jusqu'à la limite des lacs lagunaires". D'une façon probablement moins heureuse, les formes du genre Potamides sont attribués à l'eau de mer et certifient l'origine marine du gypse. On objectera également à l'auteur une imprécision probablement difficile à réduire sur le mécanisme de fonctionnement des lagunes à gypse qui reçoivent des eaux concentrées, mais aussi des solutions diluées des lagunes lacustres "qui y amenaient du calcaire, ce qui explique la présence du carbonate de chaux dans les gypses ludiens".

La critique de l'opinion de Munier-Chalmas est axée sur deux points : tout d'abord, il apparaît de nos jours illusoire de faire jouer à la tectonique un rôle suffisamment actif à toutes les échelles de temps et d'espace (du mètre au kilomètre et de quelques heures à des siècles), un rôle de régisseur des bilans hydrologiques ; de plus, il est vain, on l'a vu, de vouloir faire se précipiter des gypses marins dans une zone où l'on admet des venues continentales fortes et à tout le moins suffisantes pour "charrier" des cadavres de gros herbivores ou de poissons d'estuaire, et ce serait manquer à tout le respect que nous inspire cet extraordinaire savant que d'omettre la plus décisive des critiques, celle que doit en toutes occasions inspirer le dogmatisme. Ecoutons-le simplement conclure sur la genèse du gypse : "Les géologues admettaient qu'une partie des gypses ludiens du Bassin de Paris s'étaient formés dans des eaux douces ; M. Hébert partageait également cette opinion. J'ai démontré de la façon plus positive qu'il n'en était rien et que tous les gypses lutétiens et bartoniens du Bassin de Paris que j'avais fait connaître, s'étaient .. formés par précipitation chimique dans les lagunes d'evaporation très peu profondes où les eaux marines venaient se condenser".

L'explication du transport des organismes continentaux par les fleuves pour justifier de leur présence dans des couches réputées marines est déjà dans les écrits de la Méthérie en 1816 qui, on l'a vu, répugnait fortement à considérer que des dépôts aquatiques pussent ne point être marins. Auparavant, on trouve aussi cette idée très explicitée dans Coupé (1805) ".. tandis que les bancs de la contrée .. se formaient sous la mer, il existait à notre orient une rivière qui avait son embouchure vers nous : on en juge par les ossements d'animaux terrestres qu'elle a apportés".

A la suite et à l'instar de son acien mentor et protecteur dont il s'ingéniait 30 ans plus tôt à atténuer les brutales affirmations, Munier-Chalmas lui-même était devenu péremptoire et dogmatique. Et comment ne point l'être lorsque l'on est sûr de ses diagnoses, de son expérience, de son habileté à observer, en un mot, de son art et, si cela ne suffisait pas, lorsque l'on se trouve journellement baigné des effluves de thuriféraires diligents jusqu'à la caricature.

Les systèmes de lagunes plus ou moins concentriques vont en effet se trouver bientôt popularisés dans l'imagerie naïve qu'en donneront les disciples de Munier-Chalmas.

Pourtant avec l'extraordinaire période de travaux qui se poursuit dans la région parisienne et à Paris même, avec le fonçage des tranchées des lignes de chemin de fer métropolitain, les géologues de terrain devraient pouvoir réunir les preuves de l'aspect surtout théorique des rides de Munier-Chalmas. Mais le dogme persiste et le désaccord se manifeste, surtout par le silence. Seul Dollfus, en fin d'une très longue carrière de levers reste en 1924 imperturbablement fidèle à la conception de ses débuts, dans les années 1870, c'est à dire à celle du gypse marin à la base et palustre au sommet.

Elle n'est d'ailleurs pas nouvelle puisqu'on a reconnu celle de Cuvier et Brongniart. Avec candeur, ou peut-être humour, Dollfus note que cette conception "ne fut pas adoptée, et que bien que de nombreux travaux aient depuis confirmé sa valeur, elle a rencontré, et rencontre encore, des résistances qui ne disparaîtront que lentement". On ne pouvait mieux dire.

Il est pourtant à bien des égards très surprenant que la théorie de Munier-Chalmas ait pu survivre, en quelque sorte purifiée de la tare originelle que contenait l'insoutenable recours des ondulations tectoniques fugaces et s'imposer sans autre fondement que celui de l'autorité paleontologique : les faunes plaidaient pour de très larges variations de salinité, il s'ensuivait forcément qu'il fallait placer de barrières hydrauliques matérialisées.

L'exemption de critique dont bénéficia Munier-Chalmas ne saurait non plus être mise au crédit des manifestations éperdues de déférence scientifique de ses exégètes d'un temps, qui apparaît au contraire quelque peu accablante (cf. Fontes, 1968). Nous préférons porter cette protection au compte de ce qu'il faut appeler "l'effet de traité". Haug dans sa gigantesque synthèse dont l'influence est encore, et parfois très justement, si forte sur les cours, traités et manuels de tous usages et pour tous niveaux, offre une exceptionnelle illustration du double rôle des traités.

Tout d'abord, il se produit un effet béatificateur qui peut être comparé, toutes proportions gardées, à celui des moyens actuels d'information : il faut en effet se pénétrer de l'idée, fort simple au demeurant, que la loi de l'action et de la réaction s'applique à tout essai de vulgarisation et déclenche en retour une intervention et une pression du vulgum sur la vie scientifique. Par l'effet d'un grégarisme rassurant, le public affectionne ce qu'il connaît déjà et les maîtres n'échappent pas toujours à la tentation facile de faire écho à cette tendance en promouvant plus volontiers ce qui semble établi et la spirale s'amorce.

Que l'on veuille bien se demander, par exemple, si telles interventions à caractère, ou prétention, scientifique dans les grands moyens d'information ne provoquent pas un regain d'affection, d'intérêt et/ou de dépendance dans les cercles de spécialistes eux-mêmes.
Ensuite, la concision du traité bien rédigé et d'assimilation aisée fait en quelque façon, barrière à une recherche plus approfondie de l'information originale même si références et citations paraissent s'y conformer. Tous les auteurs ou éditeurs de traités savent bien que même fort peu cités, ils sont toujours lus.

A l'abri de la protection du maître en synthèse de la Sorbonne (dont la discrétion en la matière laisse toutefois supposer qu'il avait senti la fragilité de l'hypothèse des bourrelets tectoniques notamment en ce qui concerne les relations entre gypse et calcaire de Champigny), la théorie de Munier-Chalmas se maintient, le plus souvent simplifiée, et schématisée au bénéfice de l'extraordinaire imprécision du terme lagune qui n'a évidemment d'autre signification que géographique.

Les considérations sédimentologiques : Finaton, Deicha.

Après la réflexion initiale de Cuvier, le premier essai de véritable prise en considération de la plupart des données sédimentologiques en comparaison avec les gisements fossiles et les bassins actuels nous vient d'un ingénieur attentif et scrupuleux dont J. Bourcart accueille l'iconoclasie tranquille dans la "Revue de Géographie Physique et de Géologie Dynamique" en 1934. C'est une négation totale de la théorie marine. Le gypse du Bassin de Paris est d'origine continentale et provient du dépôt par concentration des eaux séléniteuses importées de la région à Trias salifère de l'est de la France. L'examen bibliographique montre que l'idée fort intéressante d'une mise en solution et d'une mobilisation des sels des formations géologiques par les circulations d'eaux souterraines se trouve déjà dans les écrits d'Hassenfratz (1785) qui est peut être le père de la prospection régionale hydrochimique si utilisée de nos jours en géologie appliquée lorsqu'il affirme qu'"il paraîtrait beaucoup plus simple, lorsqu'on a découvert une source d'eau salée, de chercher aussitôt la masse de sel dont elle tire sa naissance"

Dans un fatras étonnant où interviennent pêle-mêle le déluge, l'influence de l'axe de rotation de la terre, la "permutation de l'équateur", écoutons tout de même Coupé (1805) parler d'une rivière affluente au bassin du qypse "les eaux qui la grossissaient pouvaient avoir lavé des terrains.. des Ardennes et des Vosges et y avoir pris l'acide sulfurique", et constatons que rien n'est vraiment tout à fait nouveau dans les théories les plus révolutionnaires.
Et, au passage, cet héritier des encyclopédistes, manifeste un grand souci de rentabilité qui préfigure l'ère industrielle du XIXè siècle : "Par le moyen de cette découverte, on n'employerait les eaux salées que lorsqu'elles seraient saturées de sel ; l'on épargnerait par cette saturation une quantité considérable de combustible." Qui oserait prétendre désormais que la société de consommation s'est réellement laissé surprendre par le gaspillage des ressources naturelles !

La mer est toujours présente pour justifier des niveaux de marnes et en particulier des marnes à pholadomyes, mais chacune de ses incursions vient buter sur le calcaire de Champigny alors en voie de dépôt. Il faut ici noter la prise en compte d'une notion jusque là ignorée et qui est inspirée par les récentes conceptions des chercheurs d'Outre-Atlantique, celle de l'équilibre hydrodynamique entre masses d'eau de salinités variables.

Le respect de Finaton pour les fossiles dits de faciès livrés par les marnes apparaît toutefois tempérée d'une curieuse expression d'ambiguïté dont on ne saura malheureusement pas ce qu'elle comportait exactement de doutes sur la signification de "certaines particularités de la faune ludienne". On reconnaît les contours assez fidèles des schémas de Cuvier et Brongniart mais aucune référence ne vient souligner cette parenté et il est difficile de décider si les idées de grands prédécesseurs ont été retrouvées par simple et seule convergence.

L'événement passe cependant inaperçu et l'on continue à enseigner la théorie des lagunes. Et d'ailleurs ne reçoit-elle point l'aval du très vaste public des manuels scolaires. C'est tout juste si quelques années plus tard l'étude de Finaton sert en quelque sorte de repoussoir aux conceptions d'un chercheur qui s'avance à partir d'un autre horizon des Sciences de la Terre : celui de la minéralogie.

G. Deicha (1942) voit dans l'hypothèse palustre ou lacustre une sorte d'accident de l'avancement général des sciences, qui n'a pu se produire qu'en l'absence de preuves décisives en faveur de l'origine marine. Ces preuves, il veut les voir dans différents caractères minutieusement recensés des cristaux de gypse. La zonation d'abord de certains bancs de la deuxième masse de gypse serait l'effet du remplissage sporadique mais régulier du bassin côtier par les vives eaux des marées de quinzaine. Le concept d'invasion sporadique du bassin par les marées avait tenté Stanislas Meunier (1875) pour rendre compte du mélange de faune. En ce cas encore on la trouvait déjà exposée par Hassenfratz (1785) pour expliquer le fait que les gisements salifères éloignés de la côte avaient pu se trouver alimentés en eaux marines, ce qui est bien sûr une naïveté, mais aussi pour justifier de la rythmicité des dépôts, ce qui est fort logique, et conduit le savant du XVIIIè siècle à la notion de chronométrie potentielle des évaporites, largement reprise par la suite et en particulier par l'école allemande de l'entre-deux-guerres dans son énorme effort d'investigation sur les évaporites et leur genèse.

De plus, les faces courbes affectées par certains cristaux de gypse seraient imputables à la présence de fortes concentrations en chlorure de sodium.

Il est intéressant de noter qu'à l'énoncé de cette théorie marine stricte, les réticences quoique plus ou moins clairement exprimées sont cependant unanimes de la part des géologues qui étudient le Bassin de Paris : Finaton certes, mais aussi Abrard, Morellet,Soyer. Cela nous paraît bien indiquer à quel point et malgré le silence, la théorie elle aussi essentiellement marine de Munier-Chalmas, était en réalité mal acceptée par les observateurs de terrain car à travers l'opinion, à dire vrai assez abruptement exprimée du tout jeune minéralogiste, c'est bien le vieux dogme de l'apport marin en sulfate qui est visé. Toutefois, Deicha tient bon en une série de joutes oratoires assez vives à la Société Géologique de France, où les fleurets ne sont plus mouchetés par le souci permanent d'élégance et de courtoisie formelle qui présidait aux débats d'un siècle plus tôt. Les contradicteurs n'ont pas ou plus la même pugnacité et bien que persistant dans le désaccord comme le montrent certains écrits en particulier d'Abrard (1948), de Soyer (1953), la théorie du gypse marin va se trouver renforcée pour une vingtaine d'années et l'excursion de la Société Géologique de France dans le ludien du Bassin de Paris en 1955 ne discutera même pas de l'origine du gypse. Il peut paraître surprenant que personne n'ait songé dès le début de l'énoncé des arguments en faveur de cette genèse purement marine à soulever les simples interrogations suivantes : la rythmicité de la croissance cristalline implique-t-elle réellement un fonctionnement du bassin réglé par les marées ; la présence de chlorure de sodium dans le milieu est-elle une indication univoque de milieu marin ? Là encore, comme dans toute l'histoire scientifique du gypse et des avatars de sa genèse, on assimile à une preuve, ce qui n'en est que l'un des volets à savoir la condition suffisante, tandis que la démonstration exige tout autant la condition de nécessité. La mer suffit à fournir le sel, mais l'apport en provenance du réservoir marin n'est pas pour autant nécessaire pour justifier de la présence de chlorures dans une formation ou un bassin.

Les apports géochimiques : Fontes, Trauth, Sabouraud-Rosset.

C'est à la géochimie et plus encore à la branche isotopique de cette spécialité qu'il reviendra de faire rebondir le débat. Au début des années soixante, aube de l'ère des applications géologiques des variations de teneur en isotopes stables, Fontes et coll. abordent le gypse ludien avec le seul souhait d'étalonner une technique nouvellement établie in vitro sur une série dont l'origine est bien admise. La surprise est totale puisqu'aussi bien les carbonates que les eaux de cristallisation révèlent l'influence des eaux continentales.

Reconnaissons toutefois une erreur essentielle de terminologie dans le premier papier de Fontes et al. (1963) ; les auteurs parlent "d'eau douce" alors que leurs méthodes ne leur permettent pas de préjuger de la salinité des eaux et que les termes convenables pour leurs découvertes seraient "eaux continentales" ou eaux "d'origine météorique".
Un peu plus tard, les isotopes du soufre du gypse afficheront une teneur très compatible avec celles du Permien et du Trias. C'est une nouvelle vigueur donnée à l'hypothèse de Finaton, c'est aussi l'occasion de manifestations bien normales de scepticisme face à des conclusions génétiques fondées sur des données de méthodes alors peu familières du public scientifique. G. Deicha défend l'hypothèse marine en mettant en lumière certains points à développer (effet de température, fractionnements propres aux différentes formes cristallines du gypse) dans l'argumentation isotopique dont les auteurs soulignaient eux-mêmes le caractère préliminaire. Pour sa part, Ch. Pomerol attire l'attention sur la révision paléogéographique radicale introduite par le retour à la conception d'un gypse d'origine continentale et souligne l'intérêt d'étendre une étude similaire aux dépôts gypseux antéludiens du Bassin de Paris.

Avec un recul de vingt ans, on constate que la controverse, au demeurant fort courtoise, reste surtout verbale et rares sont les opinions écrites nettes , sauf peut-être celle de l'un des plus éminents spécialistes en matière d'évaporites, Busson (1968) qui ne parvient pas à "s'expliquer les modalités de dépôt dans cette hypothèse" tant elle lui semble définie en "formules tout à fait vagues".

Bien qu'il ne soit guère d'usage de commenter des communications orales, il nous plait toutefois de rapporter, à peu près à la lettre, les propos d'un collègue qui insistait sur la nécessité de prendre en compte les "évidences de terrain". Et comme nous nous enquérions des indications que livrait l'affleurement sur les conditions de dépôt du faciès supragypseux des "marnes bleues", le verdict tomba, lourd d'enseignement sur l'infinie richesse en nuances de la notion d'évidence en Sciences de la Terre : "les marnes bleues peuvent être aussi bien sursalées que soussalées".

Il convient de préciser que cette opinion est extraite d'un contexte beaucoup plus large de discussion sur l'origine des evaporites. Si dans cet ensemble le problème du Ludien du Bassin de Paris fait plutôt figure d'anecdote locale, il est intéressant de s'arrêter quelque peu sur l'un des thèmes centraux de cette étude.

Avec sa netteté coutumière, Busson conteste la probabilité d'un dépôt notable d'évaporite en milieu continental. L'argumentation est d'un intérêt exemplaire car elle fait en quelque sorte appel à la notion d'évidence pour "rejeter la théorie de l'origine continentale des grands gisements d'evaporites" ; les quantités de sels présentes dans ces accumulations salifères sont "démesurées" et "le milieu océanique représente la seule source de sels capable de les avoir alimentées".

L'affirmation conduit alors à une espèce de paradoxe puisque l'une des preuves de l'origine marine des evaporites est donc leur présence en grande quantité au sein des continents • Mais remarquons surtout que, comme le plus souvent en ce qui concerne le recours aux "évidences" dans le domaine scientifique, il apparaît que l'argument peut se trouver dévié, voire partiellement retourné. En effet, les masses continentales représentent, par exemple, le plus grand réservoir potentiel de sulfates des parties supérieures de la croûte terrestre : 1 à 5 fois la masse de SO4-- disponible dans les océans selon les estimations respectives de Krumbein (1951) ou Holser et Kaplan (1966). Que l'on nous permette alors à notre tour une courte parenthèse doctrinale à ce sujet : à chaque modification de morphologie, ou de structure, d'une région dont les terrains recèlent des evaporites, les eaux continentales souterraines et de surface modifient leurs circuits et véhiculent les sels qu'elles dissolvent vers les points les plus bas du système hydraulique. En permanence et selon des relais plus ou moins longs, les evaporites des régions instables ont tendance à être remaniées en solution vers les zones endoréiques des grands môles continentaux ou vers leurs marges comme cela a été pour les sels du plateau iranien et de ses confins qui ne seraient que le produit des remaniements successifs d'un stock initial d'evaporites primaires (Stoecklin, 1965). Donnons toutefois volontiers acte à notre ami G. Busson que l'amorçage du processus implique probablement le recours à un grand réservoir aquatique initial.

Quoi qu'il en soit, coïncidence peut-être, les recherches sur l'épisode ludien sont réactivées avec les travaux minéralogiques de Trauth et les études géochimiques de C. Sabouraud.

On assiste même à l'apparition d'une théorie génétique entièrement nouvelle. Le gypse résulterait d'une succession d'actions bactériennes, réductrices puis oxydantes s'exerçant sur des apports en soufre organique continental et déclenchant finalement la saturation en gypse par attaque sulfurique sur le carbonate de calcium (Vinot, 1965).
A la suite des inventaires de Millot, Pomerol et al., Fontes et al., Trauth confirme que le cortège minéralogique rend compte du confinement et que le fond détritique passe à travers les niveaux marneux et gypseux sans changer fondamentalement de nature et donc d'origine. Au-delà de la remarquable maîtrise de la reconstitution des mécanismes géochimiques qui règlent la compétition entre minéraux néoformés potentiels, la prudence des conclusions génétiques laisse percevoir une certaine sympathie en faveur d'une genèse double, marine à certains niveaux, continentales à d'autres, sans que soit toutefois réellement discuté le problème de la polarité des apports. Nous ne sommes pas loin de penser que le poids des idées reçues et des notions établies gêne peut-être l'auteur pour entreprendre une discussion au fond qui le conduirait à désavouer, à son sens prématurément, l'une des deux parties.

Grâce à une technique d'activation neutronique extrêmement pénétrante, C. Sabouraud dose les teneurs en chlore et en brome des inclusions primaires et secondaires des grands cristaux du gypse. Les liqueurs primaires retenues dans les cristaux sont très riches en brome. L'élève de Deicha fait un parallèle avec les teneurs marines, et l'on voit donc réapparaître la relation,implicite cette fois, entre la présence d'halogénures et celles des eaux marines.

Prévost puis Munier-Chalmas avaient déjà évoqué l'importance des empreintes de trémies de sel qu'ils avaient relevées dans certains niveaux de la série et ils y voyaient bien sûr, le témoignage, de l'invasion pour l'un, d'une alimentation exclusive pour l'autre, en provenance de la mer.
Encore une fois, malheureusement la discussion n'aborde pas la question cruciale du destin de ces ions lors de l'evaporation à siccité presque totale d'un bassin alimenté en eau continentale. Aucune contre-expérience n'est proposée sur la teneur en brome et en chlore des saumures obtenues par concentration et précipitation de halite à partir des eaux des rivières qui drainent les faciès évaporitiques du Trias de l'Est de la France ou du Permien d'Allemagne.

Une intéressante séance de l'Association des Géologues du Bassin en 1974 permet de constater que les positions ne sont point réconciliées ce qui bien entendu n'exclut d'ailleurs pas le flou et dirions-nous, le sollicite même. On y trouve à nouveau l'affirmation circonstanciée de l'apport continental de Fontes et coll. ainsi que l'hypothèse marine de Deicha renforcé de Sabouraud. On y voit le recours aux systèmes des lagunes avec Mégnien qui apporte au dossier une belle moisson d'informations stratigraphiques inédites et intègre les mesures isotopiques dans son raisonnement pour finalement proposer un système mixte où la base de la série évaporitique s'est déposée dans "des conditions franchement marines qui ont évolué progressivement vers une tendance à la dessalure vraisemblablement par des apports d'eau douce".

Concernant les mesures isotopiques : Il s'agit de mesures de teneurs en 34S existantes (Fontes et Nielsen, 1965) ou nouvelles (Bosch et al., 1974) qui sont interprétées comme marines tertiaires à la base de la série et permo-triasiques au sommet.
On aura à nouveau reconnu l'hypothèse de Cuvier et l'on ne saurait mieux illustrer le caractère cyclique de la reproduction de certaines théories.

Dans la première partie de cette revue, on a assez longuement évoqué en quoi la théorie de Cuvier impliquait en quelque sorte que le géochimiste se transformât pour un temps en maître de ballet habile à régler un final stable (la saturation en gypse) à partir de deux mouvements essentiellement indépendants et aléatoires d'ions sulfate et d'ions calcium en provenance de la mer et du continent.

De l'examen de ce problème, discuté en détail à l'occasion d'une revue générale des conditions de dépôts des gypses tertiaires parisiens (Fontes et Toulemont, 1983), il résulte que l'ensemble de la série évaporitique ludienne a selon toute vraisemblance la même origine continentale. Cela pose évidemment le problème des marnes réputées marines, à Pholadomya ludensis, terme transgressif de base, indissociable semble-t-il du reste du Ludien. En 1974, nous affirmions que la cohérence interne de la théorie de l'apport continental se devait de rendre également compte du mode de sédimentation et de diagenèse de ces marnes ainsi que du niveau d'extension plus limitée, mais également attribué à la mer, des marnes à Lucines qui séparent Troisième et Deuxième Masses du gypse. Au moment de proposer pour ce bassin un modèle hydrologique à salinité héritée par drainage des dépôts antérieurs et singulièrement du Lutétien supérieur évaporitique, constatons que les conceptions paléo-géographiques existantes semblent suffisamment souples pour s'accomoder aisément d'une telle disposition. Les marnes à Pholadomya "franchement marines" de Pomerol (1962) sont également marines pour Cavelier (1962) mais se seraient déposées dans un bassin à l'isolement "quasi-complet". Avec Lorenz et Pomerol (1965), le dépôt retrouve le "cachet de dessalure" que leur attribuait déjà Munier-Chalmas (1903), tandis que pour Cavelier et al. (1980) , le dépôt semble toujours marin mais la salinité est "inférieure à la normale" et apparaît l'intéressante bien qu'imprécise notion d'"influence" du niveau de la mer sur "un arrière-pays plat et lagunaire".

Notre propre conception du fonctionnement du bassin est en effet très proche de celle d'un système à blocage des écoulements (peut-être par la mer) dans une zone où le gradient de charge hydraulique ne pouvait intervenir que sous l'effet des variations de densité, c'est à dire du degré d'evaporation des solutions.

Quelle que soit la façon dont ces importantes nuances puissent se trouver conciliées, il faut d'abord convenir qu'elles prennent leur origine, elles aussi, dans un autre dogme pesant de la Géologie, celui de la notion de fossile de faciès. Dans un essai précédent (Fontes, 1974), nous avions esquissé une critique sévère de ce concept. Il faudra probablement le rappeler avec force avant que certaines opinions ne se trouvent passées au crible des invraisemblances et des contradictions et que ne soient estimées à leur juste et piètre valeur les indications livrées par nombre de mollusques et de foraminifères sur la présence de l'eau marine. Mais, hâtons-nous de le préciser, là comme toujours en matière de méthodologie, la vraie et saine critique ne pourra provenir que de l'inquiétude des spécialistes eux-mêmes. De différents horizons déjà elle se manifeste. Résignons-nous également à émettre une fois encore une opinion tautologique : l'eau de mer n'est pas une eau salée ordinaire mais correspond à une salure non seulement globale mais aussi spécifique parfaitement définie ainsi qu'à des conditions strictes de réserve alcaline,de pH et de pouvoir tampon. Les considérations de bilan et de temps de séjour des éléments et des isotopes suggèrent que ces caractéristiques correspondent à un régime pratiquement permanent. Tout le problème de la fidélité des marqueurs biologiques de milieux consiste alors à définir non seulement leurs exigences mais aussi leurs accomodements vis-à-vis de ce chimisme strict tant il est vrai qu'une telle dépendance n'a force de loi que si l'on peut faire état de la proposition directe et de sa réciproque. On conviendra facilement que tel n'est point le plus souvent le cas ; il s'ensuit que bien des dépôts attribués à la mer avec toutes les incidences paléogéographiques et parfois même tectoniques, que cela implique sont simplement intervenus selon la lumineuse formule de Cuvier dans des "liquides analogues à la mer", en plein continent ou plus probablement encore à ses marges basses et aplaties, dans la zone où le raccord hydraulique avec les masses marines implique théoriquement l'arrêt du mouvement des eaux continentales et leur stagnation génératrice d'enrichissement en sels.

Tout ceci, on le conçoit, prendra encore bien du temps, autant de répit pour que se pérennisent, dans la plus grande sérénité, les conceptions les plus radicalement contraires.

CONCLUSIONS.

On ne sait si le lecteur a pu se trouver convaincu de notre point de vue,à savoir que le sulfate générateur du gypse ludien provenait du continent en solution séléniteuse. Point n'est tant notre propos. Au demeurant, les arguments étant les mêmes que par le passé, il ne serait guère logique de rallier maintenant les quelques suffrages qui nous manquaient hier, sauf à avoir manqué de force de conviction dans nos précédents plaidoyers. Ce que nous souhaiterions situer au coeur de cet essai c'est surtout une modeste référence à l'éternel débat sur le délicat couplage entre les faits et leur interprétation, sur une insidieuse inversion de prédominance qui peut apparaître en tout secteur de la Science conjecturale : les théories finissant par commander aux données d'expérience ou d'observation. C'est ainsi que l'on parvient à la subordination des faits aux théories et parfois même à leur occultation, ce qui permet évidemment toutes les résurgences et toutes les fluctuations d'idées. De ce phénomène, il nous paraît avoir isolé plusieurs causes, non exclusives les unes des autres, qui valent peut-être d'être brièvement rappelées :

Le souci de théoriser un ensemble de faits est certes une préoccupation légitime. Toutefois la théorisation peut parfois dissimuler la pauvreté du dossier factuel. La caricature peut aboutir à plusieurs extrêmes. Le recours aux paravents classiques de l'ignorance que sont les vocables imprécis, obscurs ou ésotériques en est l'un d'entre eux. Que l'on veuille bien réfléchir un instant à la signification du mot "lagunaire" qui peut en parfaite bonne foi, s'appliquer à tout bassin isolé à salinité variant de plusieurs ordres de grandeur. Une autre façon de théoriser se manifeste dans la conception de schémas dont le bien-fondé s'évaluerait à l'aune de la complexité. C'est un peu ce que les allemands savent si bien exprimer avec leur fameux "Warum einfach wenn es kompliziert kann sein" (Pourquoi simple si cela peut être compliqué) dont la fade transcription en notre langue ne manque pourtant point d'adeptes. Que penser en effet de la théorie des bassins suffisamment isolés pour cloisonner des masses d'eau complètement différentes par l'origine et l'évolution,mais suffisamment communicantes pour que les poissons d'eau douce parviennent à l'eau marine sans pour autant que cette dernière contienne de poissons marins?

Mais le besoin de théoriser peut aller beaucoup plus loin ; jusqu'à "l'effet Gullis" dans lequel le fait est entièrement manufacturé pour les besoins de le théorie. Que dire de ceux qui ont vu les coulées geysériennes dans le gypse ludien?

R.J. Gullis, jeune et brillant biologiste, publia plusieurs papiers retentissants en particulier dans la revue "Nature" en 1975-76. Mis en demeure de reproduire publiquement ses expériences, il s'en révéla incapable et fut convaincu de faux en production de documents scientificues ce dont il s'expliqua ainsi dans la même revue "During my research career I published my hypotheses rather than experimentally determined results. The reason was that I was so convinced of my ideas that I simply put them down on papers" (Gullis, 1977).

Le "bon sens" et ses différents dérivés comme les "évidences" qu'elles fussent "de terrain" ou "paléontologiques" ont joué également un très grand rôle dans la cyclicite des idées sur le gypse ludien. Le recours au "bon sens" dont Bachelard a si bien mis en lumière les aspects pernicieux dans le raisonnement scientifique,se retrouve à nombre de carrefours importants dans l'évolution des théories. Le caractère "marin" des faunes des marnes à Pholadomyes et à Lucines a surgi périodiquement pendant près de deux siècles sans qu'à notre connaissance, personne ne se soit, jusqu'à une date très récente, sérieusement préoccupé de la signification réelle, en termes de faciès, de ces associations si particulières. Une autre forme de la pression du "bon sens" sur la liberté de jugement des scientifiques s'exprime de façon éclatante par la relation "sel=mer" et ses dérivés plus savants. On retrouve cet abus dans Constant Prévost et Munier-Chalmas lorsqu'ils découvrent les empreintes de trémies et font appel à la mer pour en rendre compte. L'articulation du raisonnement est la même chez Deicha qui déduit la présence de la mer de celle du sel, inducteur des formes cristallines ou chez Sabouraud-Rosset qui critique la théorie de l'apport continental parce qu'elle trouve des saumures chlorurées très riches en brome dans les inclusions des cristaux de gypse.

Le rôle des ouvrages de revue et de vulgarisation est d'une importance capitale pour pérenniser les idées acquises. On a vu l'importance du traité de Cuvier et Brongniart, puis de celui de Haug et de leurs sous-produits de toutes sortes pour sanctifier la théorie du gypse d'origine mixte d'abord, puis du gypse marin lagunaire de Munier-Chalmas.

Enfin et puisqu'il faut évidemment le reconnaître à l'issue de cette revue, convenons qu'un autre facteur a lourdement pesé sur le caractère peu évolutif des idées sur la genèse du gypse parisien. Ce poids c'est celui des hommes en charge des plus hautes responsabilités scientifiques. Leur influence est particulièrement nette au long de tout le XIXè siècle. Ils ont nom Georges Cuvier, Alexandre Brongniart, Edmond Hébert et Charles-Philippe-Ernest Munier-Chalmas, et chacun d'eux exercera son influence déterminante, contraignante dans certains cas, pendant plus d'une génération.

RECONNAISSANCE

Il n'est plus coercitive influence que celle que met en jeu l'estime respectueuse, ni plus efficace mise en demeure que celle qui se manifeste par le biais de l'amitié.

Il fallut toutes les influences conjuguées de celle-là que je porte à mon collègue F. Ellenberger et de toute celle-ci dont abusa J. Gaudant, pour m'amener dans la pleine acception du terme, ab minacia, à prendre enfin la plume, et le temps, pour rassembler ces quelques impressions pour leur captivante entreprise du COFRHIGEO.

BIBLIOGRAPHIE

L'essentiel des références appelées dans le texte pourra être trouvé dans :

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