TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.XI (1997)

Pierre ROUTHIER
Présentation d'ouvrage
Du fer gaulois à l'acier sans frontières. Fer, fonte, acier: 3500 ans d'histoire.

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 5 mars 1997)

Editions Godefroy de Bouillon, Paris, 1996 : 189 p., 31 fig., 4 planches couleurs.
130 F franco de port

L'auteur conte d'abord brièvement les vicissitudes que peuvent rencontrer des ouvrages de ce genre, c'est-à-dire de vraie popularisation dans l'esprit de grands devanciers comme Louis Figuier et Louis Simonin. Un genre aujourd'hui quasiment éteint, faute d'éditeurs compétents (dans ce genre), et connaissant assez bien l'important public potentiel des associations d'amateurs. A l'origine, P. Routhier avait écrit une Conquête du Métal composée de huit nouvelles échelonnées sur sept mille ans (jusqu'à nos jours), avec de courts chapitres intercalaires complétant certaines données techniques, économiques et historiques. Il n'a jamais pu trouver un éditeur pour cet ensemble achevé depuis plus de dix ans.

Lorsqu'en juin 1995 survint la privatisation d'Usinor-Saciloret l'appel aux bourses des particuliers pour "forger l'acier du troisième millénaire", il pensa que le moment était opportun pour extraire du manuscrit originel ce qui concernait le fer et l'actualiser du point de vue économique, en portant une attention critique sur l'extinction de la sidérurgie lorraine. Echaudé par les "grands" éditeurs il en trouva un petit qui ne craint ni la vulgarisation vivante, ni la critique des idées reçues : on verra plus loin lesquelles.

Le livre comporte cinq chapitres.

1. Sur des richesses aujourd'hui méconnues : quelques généralités sur les métaux.

2. Un récit intitulé "Forge moi une bonne épée" où l'on assiste, vers 650 avant J.-C. au travail d'un forgeron gaulois sur du fer obtenu par la méthode "directe" (réduction).

3. Un très grand apprentissage : à partir de -1500 la migration de la sidérurgie d'est en ouest depuis l'Anatolie, l'augmentation des besoins et donc du volume des fourneaux de mieux en mieux ventilés, desquels à partir du milieu du 15e siècle s'écoule la fonte, alliage fer-carbone - la méthode "indirecte" de fabrication du fer à partir de la fonte - le moulage de la fonte, industrie encore très active - et, bien entendu, les figures commentées de l'appareillage : bocard, martinet, etc.

4. Les aciers, une histoire longtemps très lente, depuis la cémentation du fer en Iran et en Grèce à partir de -800 jusqu'à l'explosion des aciers spéciaux à la fin du 19e siècle ; les aciers au nickel offrant l'occasion de conter l'histoire des gisements néocalédoniens de ce métal, grâce auxquels la France figure dans le peloton de tête pour l'inox.

5. La crise de la sidérurgie. L'analyse de cette crise mondiale conduit d'abord à la contestation radicale du principal credo mondialiste : le libre échange sans frein n'assure nullement la prospérité générale des nations. Vient ensuite une étude critique des conditions de l'abandon du minerai lorrain, étude appuyée sur une comparaison chiffrée avec les minerais riches importés. Pour une automobile valant 50 000 F, l'économie réalisée en partant des seconds ne dépasse pas 200 F ! L'ingénieur des mines Jean-Louis Masson (devenu député de la Moselle) avait donc raison d'affirmer en 1977 qu'on était en train de "tuer la poule aux œufs d'or", mais son mémoire technique très approfondi fut complètement méconnu ou étouffé.

En vérité des retards et des erreurs dans la modernisation de l'équipement sidérurgique, l'incapacité collective des industriels à valoriser complètement les sous-produits de la sidérurgie, ont conduit à n'organiser une résistance efficace à la concurrence que sur le plan minier. En "écrémant" les meilleures teneurs, donc en abrégeant la durée de vie du bassin.

Attirés par des investissements plus tentateurs, les financiers ne déployèrent guère d'effort pour la prolonger et, par leur silence, des hauts fonctionnaires consentirent à cet abandon, tandis qu'au long d'une vingtaine d'années les contribuables étaient ponctionnés d'une centaine de milliards. On peut finalement dire que le fer lorrain fut "euthanasie" au moins un quart de siècle, soit une génération, avant l'heure.

Cette conclusion n'est certes pas conforme à tout ce qui a pu être écrit dans la presse économique et répété par de hauts responsables, mais la qualifier de "polémique" c'est dire que toute contradiction avec ce qui est imprimé dans une presse au service des groupes financiers doit être tenue pour telle !

Or, postérieurement à la présentation orale de l'ouvrage devant notre Comité, dans deux recensions écrites par des géologues, on déplore plus ou moins franchement le "ton polémique" du cinquième chapitre. Ces recenseurs, qui auraient au moins pu se donner la peine de porter un jugement sur "les comptes" de l'auteur, semblent confondre le nécessaire esprit critique du scientifique avec la polémique pour ... la polémique. Heureusement des journalistes indépendants ont porté une appréciation bien différente.

Enfin, dans l'Epilogue : le tableau mondial et français actuel, on voit qu'après trois mille cinq cents ans d'histoire le fer a encore un long avenir devant lui et que la sidérurgie, ainsi que maintes entreprises métallurgiques françaises, brillent par leur niveau scientifique et leur savoir-faire.