COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 30 novembre 1988)
Le 13 juillet dernier était le trentième anniversaire de l'inauguration, à Cortina d'Ampezzo, dans les Alpes italiennes, d'un monument à la mémoire d'un géologue et minéralogiste français, Déodat Dolomieu qui, dès le 18ème siècle, a parcouru et étudié les montagnes désignées sous le nom de chaîne des Dolomites.
Il m'a semblé intéressant de rappeler le souvenir de cette cérémonie d'amitié franco-italienne, qui, je crois, n'a donné lieu, jusqu'à présent, en France, à aucun compte-rendu dans des périodiques scientifiques.
Tout d'abord, il est nécessaire de retracer brièvement les événements principaux qui ont marqué les étapes nombreuses et plutôt hors du commun de la vie de ce savant.
Dieudonné Sylvain Guy Tancrède dit Déodat Gratet de Dolomieu est né le 23 janvier 1750 à Dolomieu, près de la Tour du Pin, en Dauphiné (Isère). Il était le fils de François de Gratet, marquis de Dolomieu, et de Marie Françoise de Bérenger. Très tôt son père le fit admettre dans l'Ordre de Malte.
Au cours de son engagement militaire sur un navire de l'Ordre, il connut bien des vicissitudes qui lui valurent d'être exclu puis réintégré.
En 1771, on le retrouve en garnison à Metz où il s'adonne à des études scientifiques. C'est là qu'il fait connaissance du duc Alexandre de la Rochefoucault, Membre de l'Académie des Sciences, qui le dirige vers la minéralogie.
Dans le salon de la duchesse de la Rochefoucault il rencontre en particulier Horace Bénédict de Saussure.
En 1775 il publie son premier travail. A partir de 1779, devenu géologue et minéralogiste, il est nommé Correspondant de l'Académie des Sciences et, à l'initiative de Condorcet, rattaché à L. Daubenton.
Il se passionne pour les collections de roches et de minéraux dont il recueille d'énormes quantités. Il en a fait don par héritage à sa soeur Alexandrine, marquise de Drée.
Le Muséum ne possède que quelques marbres polis lui ayant appartenu. L'essentiel de sa collection se trouve à l'Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris.
De retour à Malte il obtient la création d'un Observatoire qui fut détruit par la foudre peu après, en 1789. Puis il quitte Malte définitivement pour revenir en France, alors en pleine Révolution.
En 1792, sous la Terreur, il se trouve à Gisors où il assiste au massacre de son protecteur et ami, le duc Alexandre de la Rochefoucault. Le 4 janvier 1798, il est enrôlé par Bonaparte pour participer à l'expédition d'Egypte et doit, à la demande de ce dernier, négocier la capitulation de Malte.
A peine débarqué à Alexandrie, Dolomieu entreprend l'exploration géographique et géologique du delta du Nil.
Au début de 1799, malade, il quitte l'Egypte ; le navire sur lequel il s'embarque fait naufrage et doit se réfugier dans le port de Tarente. Les passagers, dont Dolomieu, sont jetés en prison. Après deux mois d'une dure captivité, il est transféré à Messine, considéré comme criminel d'Etat et enfermé dans un cachot à peine aéré pendant 21 mois : c'est là qu'il rédige, sur les marges d'une bible, sa Philosophie Minéralogique.
L'Institut de France fait une demande pour obtenir sa libération ; la Société Royale de Londres, par l'intermédiaire de son Président, appuie cette démarche, et, finalement, après la victoire de Marengo, Bonaparte exige sa libération du Roi des deux Siciles.
Le retour de Dolomieu en France est triomphal. Un bref séjour à Paris lui permet d'inaugurer, au Muséum National d'Histoire Naturelle, le cours de Minéralogie dont il avait été chargé en janvier 1800, après la mort de L. Daubenton.
Il voulut revoir les Alpes, la Suisse, et retourner en Charolais chez sa soeur Alexandrine : c'est là qu'il mourut, après quelques jours de maladie, le 16 novembre 1801.
A l'inauguration du monument élevé à sa mémoire, la délégation française comprenait le Colonel Louis Castex, pionnier de l'aviation française, ami et compagnon de Saint-Exupéry, explorateur intrépide qui était à l'origine de cette célébration. Le Professeur Charles Jacob, Membre de l'Académie des Sciences et de l'Université de Paris, était présent. Moi-même, j'avais été chargée de représenter le Muséum d'Histoire Naturelle et, plus particulièrement, le Laboratoire de Minéralogie dont Dolomieu avait été Directeur, ainsi que nous l'avons vu. Une descendante de la Famille Dolomieu avait tenu à être là.
Monsieur Georges Guiraud, sculpteur, Premier Grand Prix de Rome, participait à la cérémonie : il avait en effet exécuté un médaillon de bronze à l'effigie de Dolomieu qui, inclus dans un bloc rocheux détaché des montagnes voisines, constitue un très beau monument érigé sur la Grand Place de Cortina d'Ampezzo, en face du bureau de poste.
Aux autorités locales s'était jointe une grande partie de la population, tandis que la musique municipale avait apporté son concours à cette fête.
Après les paroles de bienvenue de Monsieur le Maire, Amedeo Angeli, qui avait présenté la délégation française, le Professeur Charles Jacob avait évoqué les travaux de Dolomieu dans le domaine de la Géologie, tandis que j'avais moi-même rappelé l'essentiel de son oeuvre minéralogique.
Ses travaux concernent l'ensemble des disciplines ayant pour objet l'étude du monde minéral : lithologie, géologie, tectonique, physique du globe et minéralogie.
Il a fait de nombreuses excursions géologiques. En 1775, en Anjou et en Bretagne ; l'année suivante il voyage dans les Alpes et au Portugal ainsi qu'au Tyrol, en Sicile et à l'Ile d'Elbe.
Il étudie tout spécialement les volcans Italiens : Vésuve, Etna, ceux des Iles Eoliennes, Stromboli et Lipari, ainsi que leurs produits de projection. Il essaie de déterminer non seulement leur nature mais aussi, d'après leur position, leurs âges relatifs.
A la suite d'un voyage d'étude des volcans éteints d'Auvergne, Dolomieu affirme que c'est à de grandes profondeurs, dans ou au-dessous de l'écorce consolidée du globe, que les laves prennent naissance.
C'est là une idée nouvelle qui s'avérera exacte et à laquelle il a été conduit par l'étude des produits fabriqués dans l'industrie des émaux et des verres.
Pour classer les laves, il fait intervenir non seulement la nature de leur pâte mais aussi celle de leurs phénocristaux.
Dans sa Philosophie Minéralogique, publiée en 1801, il précise la notion d'espèce en minéralogie. Il indique que celle-ci doit être basée sur la forme géométrique et la composition chimique des cristaux. Il estime que couleur, éclat et inclusions sont des caractères secondaires.
Il décrit des espèces nouvelles sans leur donner de noms, laissant à Haüy le soin de le faire.
Par exemple, aux Iles Cyclopes, il observe l'analcime, près de Mâcon il découvre la romanéchite. Par ailleurs, dans les charbons, il établit une distinction entre l'anthracite et la houille.
Enfin, en 1791, il met en évidence le fait que certains carbonates doubles de Ca et de Mg ne font, à froid, qu'une légère effervescence avec les acides. Des massifs rocheux, constitués par ces carbonates, ont été rencontrés par lui dans les montagnes du Tyrol et du Trentin. C'est Théodore de Saussure qui, en 1796, a nommé le minéral dolomie et ces montagnes les Dolomites.
Après avoir évoqué la vie et l'oeuvre de Dolomieu, il nous parait intéressant de rappeler les traits les plus marquants de son caractère. C'était un causeur brillant au léger accent méridional. D'humeur égale et enjouée, d'une grande distinction jointe à une réelle simplicité, ayant des idées généreuses, désintéressées et chevaleresques ; l'ensemble de ces qualités rend sa personnalité très attachante.
Le choix de Cortina d'Ampezzo, "la perle des Dolomites", s'imposait pour rappeler la mémoire de cet illustre savant qui, dès le 18ème siècle, avait exploré les magnifiques montagnes qui dominent la Cité et servent, en quelques sorte d'écrin à ce monument.
Je tiens à exprimer mes vifs remerciements à Monsieur G. Demenego, Maire actuel de Cortina d'Ampezzo, qui a bien voulu m'adresser les belles photographies du monument tel qu'il se présente aujourd'hui.
D. Dolomieu - Sur la Philosophie Hinéralogique et sur l'espèce minéralogique, Paris, 1801, Imp. Bossange, 128p.
R. d. U. - Galileo 62, Enciclopedia delle Sclenze e delle Tecniche, 21 gennaio 1965, Deodat de Dolomieu 1750-1801, Geologo, 1p.