TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.X (1996)

Françoise BOURROUILH-LE JAN
Dolomie, roches dolomitiques et dolomitisation : bilan de presque deux siècles de recherches françaises : 1791-1971

A l'époque de la publication, l'auteur travaillait au Laboratoire CIBAMAR (Cinématique des Bassins et Marges), Université Bordeaux 1, Avenue des Facultés, 33405 Talence Cedex

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 20 mars 1996)

Introduction

Le présent historique des travaux consacrés en France à l'étude de la dolomie, des roches dolomitiques et de la dolomitisation était initialement annexé au texte de la thèse d'Etat que j'ai soutenue à Paris en 1990 à l'Université Pierre-et-Marie-Curie. J'ai publié un premier article sur Déodat de Dolomieu en 1982 dans la collection américaine des Benchmark Papers.

I - Le dix-huitième siècle

En cent quatre-vingts ans de recherches, il est difficile de faire un état des travaux rédigés en français, par des Français, des Belges ou des Suisses, sur les roches dolomitiques, la dolomie et la dolomitisation, sans mentionner corrélativement les travaux des chercheurs anglais, allemands, italiens, américains et russes.

I.1 - Les précurseurs

C'est en 1779 que Retzius et Bergmann reconnaissent expérimentalement que la magnésie est une "terre" distincte de la chaux.

Simultanément, la même année 1779, Arduino, arpenteur attaché à la mine de Montieri dans la Maremme de Sienne, dit : "Je me figure que la magnésie n'est que de la chaux douée de propriétés particulières par suite d'une action ignée souterraine ...".

Les travaux d'Arduino ont été successivement cités par Pasini (1834), Frapolli (1847), Daubrée (1859) et enfin Klement (1895).

Arduino (1779) semble même avoir été un précurseur, non seulement quant à la théorie même, à savoir l'existence d'une dolomitisation, mais aussi quant à son possible mécanisme par voie ignée, précédant ainsi de Buch [Léopold von Buch, géologue prussien. Je garde ici l'orthographe française de son nom que l'auteur utilisait dans son courrier avec ses correspondants français] et son Plutonisme.

Mais dolomie, roches dolomitiques et dolomitisation doivent leur découverte et mise en lumière dans le monde scientifique, ainsi que leur étymologie, à Dolomieu.

I.2 - Travaux scientifiques de Dolomieu et de Théodore de Saussure

L'article fondamental de Dolomieu est paru en juillet 1791, dans le Journal de Physique, sous le titre : Lettre du Commandeur Déodat de Dolomieu, à M. Picot de la Peyrouse, sur un genre de pierres calcaires très peu effervescentes avec les acides, et phosphorescentes par la collision. Il a alors 41 ans.

Dolomieu qui se qualifie lui-même de "lithologiste" (Mémoire sur les pierres composées et sur les roches, 1791), constate l'existence d'un marbre connu des statuaires, comme "marmo graeco duro" pour le "distinguer des autres marbres grecs, plus tendres, mais avec la même contexture écailleuse, ou de gros grains d'une apparence saline". Il constate qu'il résiste à l'action des acides les plus actifs ; il obtient à la calcination de "la chaux avec à peu près la même facilité que la pierre calcaire ordinaire".

Il enquête dans le pays et apprend que "ces pierres étaient employées pour faire de la très bonne chaux". Puis il localise, après avoir quitté le Tyrol, des affleurements de "ces pierres calcaires peu effervescentes" entre Bolzano et Trente, en Italie, avec quelques empreintes de coquillages.

Il découvre à ces pierres calcaires peu effervescentes "une autre propriété plus singulière : leur phosphorescence par la collision" (roche du Tyrol)... Il note aussi que "de toutes les pierres, celles qui résistent le mieux aux injures de l'air et aux dégradations produites par les vicissitudes de l'atmosphère, sont les marbres, et parmi eux, ceux de ce nouveau genre".

L'article de Dolomieu en date de juillet 1791, provoque chez les naturalistes un regain d'attention et un réexamen des roches plus ou moins calcaires conservées dans leur cabinet. Ainsi, dès septembre 1791, est lu à la Société des Naturalistes de Paris, puis paraît en février 1792 dans le Journal de Physique, un article par Gillet-Laumont sur la présence de pierres calcaires peu effervescentes dans les montagnes secondaires et tertiaires.

Mais la création du mot dolomie est due à Théodore de Saussure (1792). Ainsi, moins d'un an après la communication de Dolomieu, Théodore de Saussure baptise du nom de dolomie certaines pierres calcaires dont l'effervescence avec les acides est lente et presque insensible. Il a alors 25 ans.

Il insiste pour lui donner un nom particulier, dérivant de celui de l'"illustre naturaliste" qui nous l'a fait connaître.

Mais de Saussure distingue très nettement la dolomie du spath perlé ou du spath manganeux, de certains minerais de fer spathiques, bien que tous soient à effervescence lente (les modernes rhodochrosite et sidérite), ce qui, pour le spath perlé est en contradiction avec Dolomieu (1791, p. 3).

Mais la véritable notoriété vient avec l'ouvrage, demeuré classique pour les naturalistes, de Horace-Bénédict de Saussure, Professeur émérite de l'Académie de Genève, père de Théodore de Saussure qui avait baptisé la dolomie en 1792.

L'ouvrage de Horace-Bénédict de Saussure paraît en 4 volumes, échelonnés de 1791 à 1796 et s'intitule Voyages dans les Alpes, précédé d'un Essai sur l'Histoire naturelle des environs de Genève. C'est dans le tome quatrième, paru en 1796, dans le chapitre Lithologie du Saint Gothard, chapitre XX, p. 109, § 1929, que le terme dolomie est reconsacré avec référence à l'analyse faite par le fils de l'auteur :

"... les pierres calcaires, salines ou grenues du Saint Gothard, sont presque toutes lentement effervescentes, ou de l'espèce de celle que mon fils a analysée...".

I.3 - La première analyse chimique exacte de la dolomie, Klaproth, 1804

Dans une lettre à Vauquelin intitulée Sur la dolomie, et sur une nouvelle Terre retirée du tungstène, Klaproth réfuta en 1804 la classification de Haüy parue trois années auparavant, où la dolomie figure dans la chaux carbonatée "aluminifère", puisque cet auteur s'était appuyé sur l'analyse chimique erronée de Théodore de Saussure.

II - Le dix-neuvième siècle

II.1 - La dolomie dans les manuels

Pendant le premier quart du dix-neuvième siècle, de nombreux ouvrages essayent de classer et d'ordonner minéraux et roches, dont la distinction est faite par Alexandre Brongniart en 1813, et tentent ainsi de rassembler et de clarifier les idées et les découvertes des "cabinets de Naturalistes" de la fin du dix-huitième siècle. Il en est ainsi de Daubenton, de Brongniart (1813), de Berzelius (1819) et surtout de Haüy, d'abord en 1801, puis dans la seconde édition de son Traité (1822).

En 1801, Haüy place la dolomie dans la famille de la chaux carbonatée aluminifère, suivant en cela l'analyse chimique (fausse) de Théodore de Saussure. De plus, il semble confondre le père et le fils Saussure, puisque c'est au père seul qu'il fait référence, avec les Voyages dans les Alpes, pour la création du mot.

Rendu prudent par la lettre de Klaproth à Vauquelin, Haüy ne fait plus apparaître le mot dolomie dans la seconde édition de son traité de Minéralogie (1822) en tête de chapitre comme synonyme de chaux carbonatée magnésifère. Le mot n'apparaît qu'au cours du texte à propos d'une variété granulaire. Il rappelle les gisements et les modes de gisements sans rappeler ni le découvreur (Dolomieu), ni ceux qui en firent les premières descriptions lyriques (Théodore de Saussure et H.-B. de Saussure). Les synonymies que donne Haüy sont "Common Dolomite" pour Kirwan, tome I, p. III et, en 1822, "Chaux carbonatée magnésifère", en allemand Bitterspath pour Werner.

La description de la dolomie par Haüy (1822) est partagée entre les deux tomes : d'une part dans le Traité de Cristallographie, tome II, p. 493 et d'autre part, dans le Traité de Minéralogie, 2ème édition, p. 427 et suivantes. Dans le second, il fait référence au premier. Il n'est aucunement fait allusion ni à Dolomieu, ni à Théodore ou Horace-Bénédict de Saussure.

En 1824, Beudant, professeur de minéralogie à la Sorbonne, publie un Traité élémentaire de minéralogie dans lequel il intitule un paragraphe Double Carbonate de Chaux et de magnésie ou Dolomie qu'il range en genre et en espèce, dans son tableau méthodique : Famille des anthracides, 6ème Genre : Carbonates et 3ème Espèce, après le Carbonate de chaux rhomboédrique ou Pierre calcaire et le carbonate de chaux prismatique ou Arragonite (sic), respectivement 1ère et 2ème espèce et précédant les autres carbonates (carbonate de magnésie ou giobertite, carbonate de fer, de zinc, etc.).

Demerson (1B29) intitule le chapitre sur la dolomie Leçon XIII chaux carbonatée magnésifère - Bitterspath des Allemands. Le terme dolomie est réservé à la variété granulaire (dolomie grise ou blanche). Il rappelle Dolomieu et la propriété de lente effervescence à l'acide.

En 1843, Barruel, Professeur de chimie et de minéralogie, dans son Cours élémentaire de géologie, minéralogie et géognosie, a tendance à altérer l'orthographe des mots déjà établis : cipolin devient cypolin, pisolithe d'Haüy (1801) devient pyzolite, le mot gisement perd son "t" final. Quant au mot dolomie, il apparaît dans le titre du paragraphe après chaux carbonatée magnésifère, suivi de Bitterkalk, Talkspath. Le manuel apparaît plutôt comme une mauvaise copie des traités précédents, en particulier de Beudant (1824), et semble plutôt marquer un recul dans les connaissances géologiques et dans son vocabulaire.

II. 2 - La dolomie et le levé des cartes géologiques

Parallèlement aux manuels d'enseignement, le domaine de la géologie appliquée intègre les découvertes de Dolomieu tout particulièrement au cours du dix-neuvième siècle. En effet, le levé des cartes géologiques commence de façon systématique. Suite aux travaux de Dolomieu et grâce à sa méthode simple de reconnaissance sur le terrain, les découvertes de dolomie se multiplient en dehors des montagnes du Tyrol ou des Dolomites italiennes où Dolomieu les avait pour la première fois décrites.

C'est ainsi qu'Elie de Beaumont (1832), d'Archiac (1842), Delbos (1847), Graves (1847), Bufeux (1849), de Mercey (1863), Passy (1874), mentionnent des assises dolomitiques dans différents départements autour de Paris, dans le Nord et le Sud-Ouest de la France.

Mais ce qui nous vaut encore à l'heure actuelle le maximum d'articles, d'hypothèses, de discussions et même d'expériences, ce sont sans contexte les théories de formation de la dolomie qui commencèrent 32 ans après l'invention du mot lui-même et 22 ans après la mort de son inventeur Dédodat de Dolomieu.

II. 3 - La dolomie et les théories de sa formation : Plutonisme et Neptunisme

En 1822 et 1823, Léopold de Buch attribue la formation des dolomies à des vapeurs d'origine profonde lors de la mise en place de roches éruptives. Cette théorie plutoniste provoqua, pendant plus d'une génération, de sérieuses controverses entre géologues et chimistes, mais amorça aussi un mouvement de recherche dont le phénomène du métamorphisme bénéficia amplement.

Les objections faites à L. de Buch sont tellement nombreuses qu'en 1829, Elie de Beaumont se voit obligé d'y répondre.

En 1831, Ami Boué, à l'opposé de de Buch, considère les dolomies comme neptuniennes par suite de la présence de fossiles ("leur nature coquillère").

En 1831, le terme dolomitisation n'est pas encore né, Boué dans son Compte rendu des progrès de la Géologie parle de dolomisation [sic] repris en 1835 par Virlet d'Aoust, suite à la théorie de la dolomisation de L. de Buch.

En 1832, à la suite de la découverte d'une couche de dolomie, située dans la partie supérieure de la craie, à Beynes près de Grignon, Elie de Beaumont interprète sa présence et le relèvement des couches du calcaire grossier sus-jacent comme coïncidant avec une période d'évaporation magnésienne qui a déterminé les grands systèmes de dolomies alpines.

En 1832-1833, les problèmes, et donc les discussions, relatifs à la chimie sont intenses : y a-t-il apogée ou non de la chimie, les métaux sont-ils des corps simples ou non, y a-t-il des "fluides électroniques, des gaz sublimés provenant de l'intérieur du globe, et responsables des gisements métalliques ?".

En cette année là (1833), la théorie de la dolomisation continue à trouver des défenseurs et des adversaires. On minimise en particulier la théorie plutonienne de de Buch et, donc, on combat Elie de Beaumont, ardent défenseur de de Buch, en arguant que, sous la température élevée, non seulement le carbonate de magnésie se sublimerait, mais aussi le calcaire (Zeuschner, in Boué, 1833).

A cela s'ajoute le fait que Pentland, à Edimbourg, signale en 1833, une dolomitisation incomplète d'oolithes dans les calcaires de la vallée de Wellington, dans la Nouvelle Hollande (Nouvelle Zélande).

En 1834, Provana de Collegno, pour expliquer la substitution, suggère que le carbonate de chaux a été transformé simultanément en gypse et en dolomie par l'action d'eaux minérales dont il recherche les traces dans le Val Canaria, idée reprise beaucoup plus tard par Haidinger et de Morlot pour faire la synthèse artificielle de la dolomie.

Toutefois, l'aspect stratifié des dolomies du Trias suggère une réserve à Elie de Beaumont : s'il y a eu substitution, elle a du s'opérer au moment même du dépôt.

En 1835, Provana de Collegno fait état des travaux de Lardy et de ses propres séjours en 1831, 1832 et 1834 dans le massif du Saint Gothard. Il "semble" constater des passages latéraux de faciès entre calcaires et dolomies, les deux étant métamorphiques. Tandis que Lardy attribue "l'action dolomisante (sic) au redressement des couches", Provana de Collegno recherche les sources magnésiennes qui ont "transformé les calcaires en dolomie et en gypse", sources distinctes et éparpillées, car la répartition ponctuelle des dolomies est alignée, pour lui, selon des crevasses.

En 1835, la terme dolomitisation n'est toujours pas né, Théodore Virlet parle de dolomisation ; le mot revient quatre fois (p. 269 et 270) ce qui permet d'écarter une faute de typographie.

L'article de Virlet est très important, il distingue les dolomies qu'il appelle "primitives", quel que soit leur âge géologique, c'est-à-dire qui se sont "formées par suite du dépôt simultané des carbonates de chaux et de magnésie"... qu'il oppose à des "dolomies de transmutation"... sans stratification ... en masses irrégulières "bien séparées des parties du terrain qui n'avaient pas été modifiées et qui n'étaient pas non plus magnésiennes".

Ce serait à Des Genevez que l'on devrait la première (en fait la seconde) observation du passage latéral entre calcaire et dolomie. Seule sa citation par Virlet (1835) nous permet de connaître ses travaux sur la "dolomisation" ; sa mort prématurée n'a pu lui permettre de publier les résultats sur "ses recherches chimiques sur la dolomisation". D'après Virlet, il semble qu'il ait "démontré qu'il existait un passage insensible et horizontal des couches de carbonate de chaux non altéré, à la dolomie ou double carbonate de chaux et de magnésie".

En 1837, Elie de Beaumont introduit le terme d'"épigénie" pour le passage du calcaire à dolomie, ce qui, pour l'époque, signifiait "métamorphisme à la surface du globe". De plus, il est le premier à essayer de mesurer et de quantifier ce passage.

En 1841 apparaît le mot "dolomitisation". Henri Coquand, toujours fortement influencé par le Plutonisme de de Buch, admet toutefois pour les dolomies deux théories de formation, reprenant en cela les idées de Boué (1831) sans les citer mais rappelant les travaux de Virlet. Il distingue deux phénomènes : 1° "une précipitation opérée au fond des mers d'une manière analogue aux couches calcaires". Il donne plusieurs exemples fort remarquables de la formation neptunienne de la dolomie. 2° une épigénie c'est-à-dire, en langage moderne, un métamorphisme de contact à la surface du globe. Coquand essaie enfin d'apaiser les âpres discussions entre tenants du Plutonisme et tenants du Neptunisme.

La controverse introduite par de Buch s'étend jusqu'aux Etats-Unis où elle suscite de nombreuses expéditions et discussions. Après l'"Expédition explorante" qui fait le tour du monde, Dana (1843 a, b, c, 1849, 1852, 1853), géologue de la croisière, répond à de Buch sur de nombreux sujets (schistosité des gneiss et des micaschistes, leur origine sédimentaire, etc.), et plus particulièrement sur les dolomies (métamorphiques) et les calcaires magnésiens (dolomies sédimentaires).

A la suite des expériences de Antoine-César Becquerel (1834, 1838) sur les courants électriques et les roches qu'il traverse, l'idée du déplacement des molécules postérieurement au dépôt des roches agite beaucoup d'auteurs, non seulement Virlet (1835), mais aussi Sedgwick (1835) et de La Bêche (1838). Cette idée est reprise par Charles Lyell en 1839 dans ses Eléments de Géologie, mais après s'être fait traiter de "géologue électromane", Virlet d'Aoust (1845, p. 220) "aime encore mieux s'en tenir à l'hypothèse électrochimique".

En 1845, Fournet, Professeur à la Faculté des Sciences de Lyon, rappelle la notion de "métamorphisme épigénigue", introduite par Des Genevez et non publiée, caractérisant les passages latéraux entre masses dolomitiques et véritables calcaires.

En 1845, les discussions sur l'existence de dolomies neptuniennes (d'origine sédimentaire) n'intéressent plus personne car Leymerie "regarde comme superflue la partie du mémoire de M. Fournet qui est relative aux dolomies régulièrement stratifiées, car tout le monde admet que ces dernières sont, dans la plupart des cas, le résultat d'un dépôt immédiat de double carbonate de chaux et de magnésie".

Durocher (1844, 1846) introduit le mot de "magnésification ou transformation des calcaires en dolomies" qui "s'est produite à des époques différentes et au contact de roches pyrogènes très variées, granitiques, amphiboliques, pyroxéniques, serpentineuses".

Frapolli (1847) a le mérite de faire le point sur les théories du métamorphisme servant à expliquer "les dépôts anormaux" mais surtout il est le seul à faire référence en note infrapaginale, à l'analyse chimique de la dolomie de Klaproth, qu'il attribue d'ailleurs à tort à Vauquelin. Enfin, il cite un auteur italien, Arduino, qui dès 1779, avait été frappé par les conditions de gisement des dolomies qu'il croyait alors être de la magnésie et qui, d'après lui, n'étaient dues qu'à une altération du calcaire. Il faut attendre Daubrée (1859) et Klement (1895), pour retrouver cette référence complète.

De Morlot (1848), invente alors le terme de dédolomitisation qui n'a lieu qu'à froid et sous une basse pression.

Une remarque de Achille Delesse montre qu'en 1849, la Science officielle était, quant à son enseignement magistral, fortement imprégnée de Plutonisme pour expliquer la dolomitisation et cela malgré la présence de fossiles mentionnés dès le début par Dolomieu lui-même et ensuite par de nombreux autres auteurs, le premier étant Boué (1831), puis Virlet (1835) et enfin Coquand (1841).

En 1854, Delanoüe attaque violemment "M. de Buch et les métamorphistes" dans une note à l'Académie des Sciences. Mais Elie de Beaumont essaie de la bloquer et lui répond dans une autre note publiée en 1854 dans les Comptes rendus de l'Académie des Sciences.

La pensée de Louis-Antoine Cordier, à propos de la formation des dolomies est connue grâce à un pli cacheté déposé à l'Académie des Sciences le 28 octobre 1844. Le pli ne sera ouvert et la pensée de Cordier connue de la communauté géologique, qu'en l'année 1862, à la demande de sa veuve.

L'ouverture du pli cacheté de Cordier, dix-huit ans après son dépôt, et à la mort de son auteur, soulève un débat de procédure et une reconnaissance des droits à la propriété de la théorie par l'Académie des Sciences. En effet, Leymerie, Professeur à la Faculté des Sciences de Toulouse, revendique dès 1840, la paternité de la thèse de la formation du calcaire et de la dolomie par double décomposition, thèse qu'il ne publie qu'en 1861 dans ses Eléments de Minéralogie et de Géologie.

Cordier conclut sur deux nouvelles notions : 1° "les zoophytes et les mollusques testacés marins [...] soutirent le carbonate de chaux comme les plantes soutirent l'acide carbonique de l'air et de l'eau ordinaire", et 2° "la composition des eaux de l'Océan n'est plus la même qu'à l'origine des choses", changement qu'il met en rapport "avec les singuliers changements opérés dans le système des végétaux et des animaux marins". Pour conclure, il en appelle à la chimie dont les travaux sanctionneraient les vues qu'il a exposées.

La coïncidence et les droits à la propriété de la théorie sont reconnus par l'Académie des Sciences de Paris. Leymerie "suppose que les sels qui constituaient la salure des anciennes mers n'étaient pas en mêmes proportions relatives qu'à notre époque".

II.4 - La dolomie et les Chimistes

A la fin du dix-neuvième siècle, la querelle entre neptunistes (partisans d'une origine sédimentaire) et plutonistes (ou tenants de la dolomitisation par ascension des vapeurs magnésiennes venant de la mise en place de roches volcaniques) a cessé ; l'origine sédimentaire de certaines dolomies est bien reconnue, mais l'on se bataille pour la théorie des sources déjà évoquée en 1835 par Provana de Collegno pour les roches métamorphiques et dont Forchammer (1850, 1865), en Allemagne semble reprendre l'idée : précipitation de dolomie par des sources calcaires, mais agissant sur les sels magnésiens de l'eau de mer.

Dès 1841, puis en 1849, Coquand suppose, pour expliquer la dolomitisation des calcaires, un apport de magnésium supplémentaire dans les mers grâce à des sources "chargées de magnésie" ; de même Jean-Baptiste Dumas (1846) pour des calcaires à entroques dolomitiques au Vigan (Gard, France) grâce à "l'état pâteux du calcaire" et "des vapeurs magnésiennes [...] élevées du sein du globe à travers les fissures".

Daubrée en 1887 est le premier à évoquer le rôle des eaux souterraines, chargées de carbonate de soude, dans la précipitation de la dolomite, à leur débouché dans l'océan.

Cette théorie des sources d'eau enrichie en magnésium et débouchant sur le plancher océanique est à l'origine des notions de "per ascensum" et "per descensum" que l'on retrouve pendant toute la fin du dix-neuvième siècle et le début du vingtième siècle, les auteurs s'achamant à trouver des cheminées ayant amené les fluides dolomitisant à partir du fond en montant vers le sédiment en cours de dépôt : de Mercey (1863), Barrois (1878), de Grossouvre (1892).

II.5 - La dolomie et ses synthèses

Haidinger (1828) et de Morlot (1848) inaugurent les expériences de synthèse de minéraux avec l'emploi de l'eau sous pression.

A partir de 1850, les expériences désormais connues en France de Haidinger, relancent le problème de la dolomie et les expériences se succèdent avec Galissard de Marignac (1849) puis Durocher (1851), Charles Sainte-Claire Deville (1858), Sterry Hunt (18S6), Hope-Seiler(1875).

En 1851, Henri Sainte-Claire Deville publie un très important mémoire sur des carbonates hydratés de magnésium dont il semble avoir fait le premier la découverte et la synthèse.

Cette étude et ces découvertes passent inaperçues de la communauté géologique française toujours imprégnée de plutonisme sous l'influence d'Elie de Beaumont, et qui en est à refaire des expériences sous forte pression et à forte température (Durocher, 1851), mais elle est perçue par les Anglo-saxons en particulier le Canadien Sterry Hunt qui semble avoir fait un séjour à Paris (1856) et avoir eu des discussions avec H. et Ch. Sainte-Claire Deville. Sterry Hunt reprend les études chimiques des sels de calcium, magnésium et sodium et diffuse les travaux de H. Sainte-Claire Deville, non seulement en Angleterre (1857, 1859 a, b) mais aussi aux Etats-Unis (1858, 1866).

A la fin du dix-neuvième siècle, au Collège de France, plusieurs voies chimiques sont explorées en vue de la synthèse de la dolomie, dont, en 1886 et 1892, l'action de l'urée, de l'eau et de sels métalliques à 130°C en tube scellé par Bourgeois et Traube ; le résultat est d'abord négatif : il se forme de l'aragonite, de la calcite et de la nesquéhonite, puis, en remplaçant l'urée par du cyanate de potassium, de la dolomite et de la magnésite.

II.6 - La dolomie et les récifs et organismes récifaux

Au début du dix-neuvième siècle, on ne peut admettre, malgré les récits des voyageurs et des lieutenants de vaisseaux, que les coraux puissent "élever des profondeurs de l'Océan de nombreux archipels ou des écueils dangereux" et "que ces récifs soient entièrement formés de coraux" (Quoy et Gaymard, 1825).

Pendant ce temps en 1843, Dana aux Etats Unis, suite à l'"Expédition Explorante", note la distribution des coraux vivants en fonction de la température et des courants océaniques. Il discute la notion de subsidence et de formation des atolls introduite en 1842 par Darwin.

En 1849, Dana signale, pour la première fois, de la dolomie dans les îles hautes carbonatées improprement appelées "atolls soulevés". Il s'agissait de Makatéa en Polynésie française (analyse chimique en 1855 par Sterry Hunt).

Orientés par Dana (1843 à 1853), les chercheurs analysent les organismes sous l'angle de leur teneur en magnésie : Silliman (1846), Forchhammer (1850), et Damour (1851) donnent les compositions en carbonate de magnésie de Lithophyllum, Melobesia et Amphiroa (entre 12,76 et 19,29 %) d'une part, et Halimeda et Galaxaura (0,64 et 1,11%) d'autre part. Thoulet (1888) fait de même pour des Lamellibranches et des coraux.

Lafû (Lifou, Loyauté, Nouvelle Calédonie) est déjà considérée en 1846 comme une île corallienne soulevée par Clarke et cette image facile est reprise par Balansa en 1873, puis corrigé par Chambeyron en 1875 : "plus de lagon intérieur mais un plateau à 3 étages".

Les travaux fondamentaux de Darwin (1842, traduction française publiée en 1878 - soit un décalage de 36 ans, l'équivalent d'une génération - 1889), puis de Dana (1849, 1852, 1853), les explorations en mer Rouge de Ehrenberg et de Murray (Wyville Thomson & Murray, 1884) du Challenger sur les récifs coralliens permettent à Dupont (1881 à 1883), directeur du Musée royal d'Histoire naturelle à Bruxelles et créateur des "Stromatactis", d'interpréter les récifs dévoniens de Belgique à la lumière des récentes découvertes sur les coraux (bathymétrie et subsidence). Les dolomies, ainsi que les exploitations minières (Fe, Cu, Pb) sont simplement citées par l'auteur, la relation avec le récif n'est pas faite.

Enfin, c'est en 1895 que pour la première fois on parle de l'aragonite dans la dolomitisation : le belge Klement tente d'expliquer la dolomitisation par action de l'eau de mer surchauffée et concentrée sur le carbonate de calcium formé par les organismes, donc l'aragonite. Bien que la démonstration ne soit pas complète, elle s'ajoutera aux résultats nouvellement connus de Funafuti et persistera longtemps dans les esprits.

Suess (1900, traduction française du chapitre VI par W. Kilian) est un inconditionnel avec Grümbel de la précipitation directe de la dolomie au fond de la mer (p. 435) et il réserve la transformation du calcaire en dolomie, qu'il appelle diagenèse, exclusivement aux récifs coralliens.

II.7 - Dolomie et microscope

A la fin du dix-neuvième siècle, l'utilisation du microscope polarisant conduit, en 1879, Renard, conservateur au Musée d'Histoire naturelle de Belgique, à énumérer les caractères distinctifs de la dolomite après avoir constaté les difficultés dues à la petitesse des grains et à la technique d'observation, il semble aussi que cet auteur soit le premier à avoir travaillé sur des surfaces polies (au nombre de 200).

La fin du siècle s'approche et l'on constate que Barrois, en 1882, a oublié la définition même de la dolomie par Dolomieu. Il s'étonne, en effet, de la non effervescence de la dolomie par les acides faibles qui attaquent les calcaires (p. 53).

La fin du dix-neuvième siècle voit les campagnes océanographiques et géologiques se multiplier. Précédée par la croisière du Beagle de Darwin, c'est la croisière du H.M.S. Challenger en 1843 ; en 1896, les forages de Funafuti par la Société Royale de Londres ; les rapports géologiques par Jukes-Browne & Harrison (1891) sur la Barbade et en 1898, l'expédition de la Valdivia (Sir John Murray et E. Philippi), etc.

III - Le vingtième siècle

III. 1 - La dolomie et la théorie des sources

Si le milieu du dix-neuvième siècle avait vu les Neptunistes et les Plutonistes s'affronter au sujet de la dolomitisation, cette théorie semble remplacée au début du vingtième siècle par celle de la précipitation directe de la dolomie au sein de la mer ; c'est en particulier la théorie de Suess (1900) (La face de la Terre, t. II, p. 435) qui reprend en cela les idées de l'Allemand Grümbel.

C'est à Alfred Lacroix (1901-1909) que l'on doit la différenciation entre dolomie, la roche, et dolomite, le minéral, distinction qu'il justifie par les emplois concomitants de calcaire et de calcite. Il signale des cristaux en forme de selle et des groupements crêtés.

III. 2 - La dolomie, les atolls et les bactéries

Mais le début du vingtième siècle est surtout marqué d'abord par les grandes expéditions de naturalistes comme Alexander Agassiz (1894 à 1906) dans l'archipel de Bahama, aux Fidji, aux Tuamotu etc., puis par le sondage fait à Funafuti par la Société Royale de Londres, dans le dessein de vérifier la théorie de Darwin. Faites en 1897, les études sont publiées en 1904 et donnent déjà la répartition verticale de la dolomie dans un sondage d'atoll (Judd, 1904 ; Cullis, 1904), dolomie qui n'apparaît pas dans les forages suivants de l'atoll de Bikini effectués après la Seconde Guerre mondiale (Emery et al., 1954), mais réapparaît dans ceux de l'atoll de Mururoa (Repellin, 1977), bien qu'elle n'ait pas été détectée par Deneufbourg (1969) au cours des forages.

Suite aux travaux de Mme P. Lemoine (1911) sur les Mélobésiées, Jourdy (1913, 1914) voit dans les algues calcaires, l'agent transformateur du sulfate de magnésium de l'eau de mer en carbonate, capable de provoquer ainsi la production de dolomite. Il essaye donc "de saisir sur le fait la production de la dolomite par les Mélobésiés [sic] elles-mêmes".

Jourdy ajoute un nouveau paramètre, le temps, et corrélativement la circulation des eaux souterraines, provoquant redissolutions et recristallisations de la calcite, le plus soluble des carbonates.

Enfin, Jourdy fait connaître en France les travaux de Draw (1910 a et b, 1914) qui étudie le rôle des bactéries dénitrifiantes prélevées dans des zones à sédimentation carbonatée intense, comme l'île de Tortuga dans les Keys de Floride, et Andros dans l'archipel de Bahama (Jourdy, 1914, p. 300) : présence de calcite mais aussi d'aragonite, mise en évidence par son chimiste Wright, après la mort de Drew.

Le rôle des bactéries est aussi évoqué par Debyser (1954) qui, suite à une étude des variations du pH dans l'épaisseur d'une vase marine, montre l'existence de variation de pH et de Eh et donc une stratification physico-chimique déterminant des horizons "biochimiques" résultant de l'activité des micro-organismes.

Il semble qu'il n'existe pas de dolomie vraie dans le précipité obtenu par Lalou (1957 a et b), d'après les diagrammes de diffraction X réalisés au Bureau de Recherches géologiques et minières, in Ricour, 1980 a et b. Toutefois, ce dernier auteur insiste sur l'importance du rôle des bactéries dans les processus de dolomitisation.

III. 3 - Dolomie, variations globales et cycles sédimentaires

Au début de vingtième siècle, l'étude des roches magnésiennes et de la dolomitisation entraîne les auteurs tant américains que français à des considérations globales sur les variations de la teneur en sels dans l'eau de mer au cours du temps depuis le Précambien.

En fait, Daly (1910) et Steidimann (1911) s'appuient surtout sur des auteurs suédois et allemands : Forchhammer (1865), Grümbel, Hogbom (1894). C'est ce dernier auteur qui semble être à l'origine des expériences de lessivage de roches et donc de la théorie des salinités variables de l'Océan depuis le Précambien, mais évoquée en France dès 1844 par Louis Cordier (1844-1862).

Dès 1914, Longchambon situe les dolomies dans une formation sédimentaire en associant les dolomies pyrénéennes sédimentaires avec les érosions postorogéniques (calédoniennes et hercyniennes) qui fourniraient la magnésie, il dégage ainsi la notion de cycle sédimentaire allant jusqu'à la séquence. Il voit ainsi un enrichissement général en magnésie.

III. 4 - La dolomie dans l'oeuvre de Lucien CAYEUX

Sous l'impulsion de Lucien Cayeux et par suite de l'amélioration des techniques (plaques minces, microscopes et photographies), les observations microscopiques se font de plus en plus nombreuses, faisant suite, ainsi, à la période de chimie exploratoire et expérimentale du milieu du siècle précédent.

En 1925, L. Cayeux dissocie très nettement les phénomènes de silicification et de dolomitisation en considérant que le premier est presque toujours antérieur au second et que la silicification se fait en général aux dépens du calcaire ou de la craie et non de la dolomie et qu'elle peut se faire avant ou pendant la dolomitisation (Cayeux, 1925 a et b, Cayeux, 1935, p. 392). Après différentes publications en 1916, 1925 et 1929, paraît en 1935 l'ouvrage magistral dans lequel Lucien Cayeux fait non seulement le point sur l'ensemble des études connues : anglaises, américaines, belges et allemandes (à l'exclusion des travaux de Dolomieu et de Saussure), mais propose en particulier une classification des dolomies basée à l'époque, non seulement sur les proportions de carbonate de magnésie, mais aussi sur les observations microscopiques.

Il invoque pour la dolomie, non une genèse directe par sédimentation, mais une transformation appelée "épigénie". Il met aussi en évidence l'existence de plusieurs phases dans la dolomitisation en ayant recours à "un phénomène d'enrichissement en dolomite" après un premier stade de formation.

Cayeux a le mérite de très bien cerner le problème de la dolomitisation "complexe par la diversité des milieux générateurs et par le moment de la dolomitisation, moment qui peut être, soit contemporain, soit plus ou moins postérieur" (Cayeux, 1935, p. 409).

Enfin, il s'attaque à la théorie des sources dolomitisantes per ascensum qui avait vu le jour au milieu du dix-neuvième siècle. Son observation, tant sur le terrain qu'au microscope, lui indique au contraire pour les craies dolomitisées par exemple "une métamorphose de la craie, opérée per descensum, à partir d'une surface libre, émergée ou non, en raison de son arrêt brusque vers le haut".

Pour ces dolomies épigéniques, il introduit alors la notion de milieu générateur, à dissocier du milieu de sédimentation, et la notion de datation du phénomène d'épigénie. Il semble bien que Cayeux fasse de la dolomitisation un phénomène extrêmement précoce : "le cas général est celui des dolomies dont la formation suit de près la sédimentation, ou qui, pour le moins, est antérieure à l'émersion". Il suit en cela des précurseurs comme l'Abbé Delépine (1911), de Dorlodot (1910) et de Kaisin (1922) en Belgique.

III.5 - La dolomite et la sédimentologie

En 1947, Canal entreprend une étude systématique des dolomies du Bassin d'Aquitaine à l'aide de la technique des colorations non sur plaques minces (trop petites), mais sur de grandes surfaces polies. Il peut ainsi différencier différents types de cargneules, ainsi que la chronologie des filonnets, dolomitiques ou non.

A propos des récifs dévoniens de l'Ardenne belge, Lecompte (1958), montre que la "dolomitisation se localise dans la zone des biostromes, à l'arrière des biohermes dans les niveaux construits, dans la zone de turbulence durant les phases de ralentissement de la subsidence et seuls les calcaires à stomatopores sont affectés, ce qui situe le phénomène en coupes profondes,., en association à un milieu réducteur."

L'étude de la dolomitisation dans les Causses est reprise par Fondeur et al. (1954), et ces auteurs contrairement à Gèze (1949), ne voient aucune relation entre tectonique et dolomitisation. La dolomie secondaire se produit en lentilles de taille très variable, dans les calcaires du sommet de la séquence, c'est-à-dire dans les calcaires oolithiques. Elle semble, pour ces auteurs, être un phénomène de diagenèse suivant de peu le dépôt de calcaire et se produisant quand il y a tendance à la formation d'évaporites.

III. 6 - La dolomite et l'expérimentation

Enfin, le début du vingtième siècle semble avoir été influencé par les travaux du chimiste allemand Linck (1909) qui a obtenu des globules à demi cristallisés et juxtaposés de calcite et de magnésite par mélange de carbonate d'ammonium avec du chlorure de calcium et du chlorure de magnésium. Les recherches sur la dolomitisation expérimentale continuent outre-Rhin, avec Pfaff (1894, 1907), Linck (1909), Tucan (1909), Sprangenberg (1913) (16 atmosphères de pression et une température de 90°).

Après 1900, les expériences se succèdent. Sorby (1904), épigénise la surface externe d'un spath d'Islande par action d'une solution de chlorure de magnésium à une température très supérieure à 100°C et sous pression atmosphérique. Il obtient sans doute de la giobertite. Puis les chercheurs allemands, Pfaff (1907) et Linck (1911) obtiennent des carbonates de Ca et Mg (non identifiés exactement).

Rivière (1939, 1940), étudie l'action du carbonate de calcium sur l'eau de mer action s'accompagnent d'une baisse du pH et de la réserve alcaline. Après expérience, il pense que le phénomène est complexe et que le Mg joue un rôle : il serait lui aussi fixé dans le carbonate de Ca donc dans les sédiments. Une méthode de dosage de ce Mg est proposé par Moret (1949).

Lucas (1947, 1948 a, b, c) tente de réaliser la précipitation de carbonates magnésiens à partir de l'eau de mer par addition du carbonate de sodium, d'ammonium ou des bicarbonates correspondants.

Parallèlement aux expériences de synthèse de Chilingar (1956) et de Kazakov & Tikhomirova (1957), à partir de 1960, les travaux sur la synthèse de la dolomie reprennent avec Baron qui publie des photos de dolomies de synthèse. Il fait suite aux travaux de Graff et Goldsmith en 1955 sur la synthèse hydrothermale de dolomites et de protodolomites.

Baron rappelle d'abord l'usage français qui distingue des dolomies primaires et secondaires. Mais il précise exactement le terme de primaire : une dolomie primaire est une dolomie de précipitation, pour écarter de ce terme les dolomies détritiques, c'est-à-dire formées par l'accumulation de petits grains détritiques de dolomite. Or, en l'état actuel des connaissances, on ne pourrait réserver ce terme de "dolomie primaire" qu'au nodule dolomitique trouvé à l'autopsie dans les canaux biliaires d'un chien (Mansfield, 1980), et encore sous toutes réserves.

Pour Baron, les dolomies secondaires comprennent donc (et nous rejoignons sa classification) : a) celles qui sont "contemporaines" ou "pénécontemporaines" de la sédimentation ; b) celles qui se sont formées beaucoup plus tard et que nous appellerons les "dolomies tardives".

Puis, il rappelle les trois cheminements physico-chimiques par lesquels peut se produire le remplacement du carbonate de Ca par le carbonate de Ca et Mg : 1° la diffusion en phase solide, 2° la synthèse hydrothermale, c'est-à-dire la "synthèse en phase liquide à des températures supérieures à 100°C sans impliquer aucune hypothèse métamorphique" (Baron, 1960, p. 19), 3° la précipitation directe à partir de solutions. C'est à cette dernière voie que va s'intéresser Baron.

Ses travaux comportent deux volets : 1° il a effectué la synthèse d'une dolomite de précipitation directe, ou dolomite primaire, et 2° il a effectué la synthèse d'une "dolomite secondaire" en procédant à la dolomitisation expérimentale de la calcite

L'ensemble de ces expériences était effectué dans un autoclave de 500 cm3 et la nature des produits de synthèse, pas à pas obtenus, fut contrôlée par des analyses diffractométriques aux rayons X. Ces expériences furent reprises quelques années plus tard par Sureau (1974) avec contrôle par microsonde et visualisation d'un front de dolomitisation mais toujours en autoclave.

Un pas vers la synthèse de dolomite à basses températures et pressions est franchi en Allemagne par Lippmann (1967), qui réalise pour la première fois la synthèse de la norséthite, carbonate double de Pb et de Mg.

III. 7 - Découverte de dolomite dans les environnements sédimentaires actuels

Les années 1950 à 1970 ont vu la découverte, dans le monde, de régions géographiquement bien définies, où se produisent des dolomitisations actuelles dans les conditions de températures et de pressions de la surface du globe : Coorong (Australie) (Skinner, 1963 ; Skinner et al., 1963), Floride (Shinn, 1964), Golfe Persique (Illing et al., 1965), Bahama (Shinn et al., 1965), Sait Flats (Texas) (Friedmann, 1966), Tuz Golü (Turquie) (Irion & Müller, 1968), Laguna Madre (Texas) (Behrens & Land, 1972).

La dolomitisation est alors presque toujours en position supratidale dans des environnements que l'on disait, dans ces années là, tous sursalés, par analogie avec le Golfe Persique, alors qu'en fait dans l'archipel de Bahama, la dolomite voisine avec des lacs d'eau presque douce et hyperalcalins (Bourrouilh-Le Jan, 1972, 1973 a et b), de même pour certains lacs éphémères du Coorong (Australie),

Suite à ces découvertes, les mécanismes chimiques et l'hydrodynamisme due à l'évaporation sont à nouveau abordés par Hsü (1963) et Hsü & Siegenthaller (1969) et des extrapolations hasardeuses sont étendues aux atolls de Pacifique par Schlanger (1965).

III.8 - Dolomie et isotopes

L'évolution des techniques permet maintenant de mesurer les isotopes stables du carbone et de l'oxygène dans les dolomies, ce que font Javoy et Fayard en 1966 sur des fronts de dolomitisation révélant des désordres cristallographiques, puis Fritz (1967), Fontes et al. (1969) sur les carbonates des forages de l'atoll de Mururoa, Fontes et al. (1970) sur les carbonates du Bassin de Paris et Bourrouilh-Le Jan sur les sondages de l'île haute carbonatée de Lifou (1975).

III.9 - La dolomitisation, la lentille de Dupuit-Ghyben-Herzberg et la diagenèse subaérienne

Nous avons vu précédemment que Lucien Cayeux est le premier à noter la relation entre dolomitisation, arrêt de sédimentation et surface d'émersion. De plus, la découverte d'environnements à dolomitisation actuelle à subactuelle et caractérisés par tout un ensemble de figures sédimentaires d'origine supratidale ainsi que par une paragenèse minérale souvent évaporitique, ne rendait pas compte des masses dolomitiques, souvent très épaisses, dépourvues d'évaporites et n'intéressant par ailleurs que les séries carbonatées de faciès récifal et oolithique. Une autre voie de dolomitisation s'avérait donc toujours nécessaire à trouver.

Une première étape est franchie avec la remise en cause de la notion d'atoll soulevé, notion née avec Darwin et Dana dès les années 1842 et 1843 et qui concerne certaines îles carbonatées du Pacifique, appelées maintenant "Ile Haute carbonatée" par analogie avec les Iles Hautes volcaniques (Hawaï, Tahiti). Le premier à voir dans ces îles le rôle de la karstification est Mac Neil (1954). Puis, les problèmes engendrés par les gisements pétroliers liés aux récifs fossiles intensément karstifiés poussent Purdy (1973) à en apporter une preuve expérimentale et Bourrouilh-Le Jan (1975-1977) une preuve de terrain.

Suite aux travaux de Stringfield et de Le Grand sur l'aquifère de Floride, en 1968, l'hypothèse d'une dolomitisation par les eaux souterraines est présentée par Hanshaw et al. (1971). Cette hypothèse et ce modèle sont appliqués dès 1972 à l'île de Lifou (Bourrouilh-Le Jan, 1972), puis aux Dolomites par Lagny (1974) et Cros (1977).

Mais le modèle de Hanshaw et al., de 1971 est pillé par Badozlamani au cours d'un colloque et est publié en 1973, sous le nom "Dorag Dolomitization" (du persan Dorag signifiant "presque" en langue farsi). Ce modèle restreint le phénomène de la dolomitisation à la base de la lentille phréatique au niveau de la zone de mélange ente eaux douces et eaux salées. Le recours au modèle Dorag a pris la suite, en France, du modèle "Seepage refluxion" (Adams & Rhodes, 1960) malgré la démonstration de son inexactitude (van Der Meer Mohr, 1972) quant au modèle invoqué (lagune de Bonaire : Deffeyes et al., 1964). L'emploi immodéré du modèle Dorag dans les thèses sur les carbonates montre donc une obstination moutonnière de nos étudiants et surtout une absence totale de lecture critique de la bibliographie, bien que cette étude et réflexion critique aient été faites Outre-Atlantique par nos collègues américains. La critique américaine s'est traduite, lors du Congrès géologique International de Washington en 1989, par un défilé continu de sédimentologistes présentant leurs "regrets" auprès de son Secrétaire Général pour avoir subi la perte d'une théorie scientifique, Secrétaire général qui n'était autre que Hanshaw (comm. pers. de Hanshaw), l'un des auteurs réels de l'hypothèse très constructrice de la dolomitisation au niveau de la nappe phréatique.

Après ce rapide exposé historique, et justice étant faite du modèle "Dorag", la dolomitisation en lentilles épaisses (200, 300 mètres), dépourvue de figures sédimentaires d'émersion et de cortège évaporitique, ces 2 caractères relevant des modèles soit de "sabkha", type Golfe Persique, soit du modèle bahamien, type Andros, est à mettre en relation avec la lentille phréatique ou lentille de Dupuit-Ghyben-Herzberg dont la profondeur rend compte des épaisseurs dolomitisées (H = 40 h, avec H profondeur de la lentille et h altitude du niveau phréatique par rapport au niveau de la mer).

Cette lentille d'eau douce (ou lentille DGH) est présente dans les îles tropicales carbonatées et en particulier dans les dépôts pléistocènes à actuels d'origine récifale, récemment exondés par les variations eustatiques quaternaires. Dès 1970, Land a mis ainsi en évidence l'existence d'une diagenèse (calcitique) dite subaérienne en zone vadose et phréatique. Sous l'effet de la variation du chimisme des fluides environnants, le sédiment calcaire (aragonitique, car issu de la biocoenose tropicale peu profonde) passe d'un milieu marin à un milieu d'eau douce provoquant un réajustement physico-chimique avec calcitisation ou dolomitisation des carbonates précédemment formés (aragonite, calcite magnésienne) qui donnent une calcite peu magnésienne et/ou dolomite (Bourrouilh-Le Jan, 1972, 1975). Cette lentille DGH subit les aléas du niveau marin en l'accompagnant dans ses variations eustatiques (ou tectoniques, plus lentes) et balait ainsi toute la pile sédimentaire carbonatée précédemment formée au cours d'épisodes transgressifs.

III.10 - Dolomie, synthèses bibliographiques et manuels

En français, des synthèses bibliographiques sont publiées par Michard (1969), Bourrouilh-Le Jan (1973). On réédite des articles dispersés dans des ouvrages uniques et les manuels à l'usage des étudiants débutent par la description des environnements actuels : Bathurst, 1972, Milliman, 1974.

Conclusion

En conclusion, on peut dire que le sujet dolomie et dolomitisation est loin d'être clos. Il reste à souhaiter que des réponses satisfaisantes puissent être apportées à l'avenir aux principales interrogations restées à ce jour sans réponse : dolomitisation profonde, dolomitisation et sulfato-réduction, synthèse à basses températures et pression, etc. Enfin, que ceux dont je n'ai pu citer les travaux, veuillent bien m'en excuser.

BIBLIOGRAPHIE

Note : contrairement aux études bibliographiques américaines, l'orthographe et la casse des noms propres ou communs est conforme, dans la mesure du possible, à l'orthographe imprimée dans l'article, il en est de même pour le nom du journal, le numéro des tomes, etc.