COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 10 décembre 1960)
Protestant genevois, plus tard établi à la cour de Windsor, Jean-André de Luc (ou Deluc) eut de son vivant une réputation notoire de physicien et naturaliste de talent. L'un des premiers à se dire Géologue (1), sa "Géologie", dans ses multiples écrits, est résolument mêlée d'apologétique bibliciste. De bonne foi, il s'est acharné à retrouver dans les monuments du passé du globe les étapes de la Création selon la Genèse, en élargissant les six "jours" à des périodes de durée indéterminée, certainement longues. Son principal effort a été pour démontrer l'âge très récent de l'émersion de nos continents actuels, émersion pour lui subite et correspondant au Déluge biblique. Les "chronomètres" naturels qui à ses yeux attestent cet âge récent (faible comblement des lacs alpins, etc.) se trouvent effectivement fournir une estimation assez correcte de la durée écoulée depuis le retrait des glaces alpines, alors ignorées (2).
Encore souvent cité élogieusement par la génération suivante (Adolphe Brongniart, Desnoyers, Constant Prevost), De Luc tombera ensuite dans l'oubli, et même dans le discrédit, du fait notamment qu'il fut l'un des grands adversaires de Hutton (jugements sévères de d'Archiac et Geikie). Quelques auteurs récents (ainsi Roy Porter (3) et Bernard Balan (4)) concèdent à De Luc des apports positifs, mais ils pénètrent peu dans l'oeuvre fort copieuse du naturaliste genevois. La vérité est qu'on l'a très peu lu. C'est d'abord vrai pour l'un de ses écrits les plus intéressants (qui sera surtout considéré ici), à savoir ses 30 Lettres de M. de Luc à M. Delamétherie, parues de 1790 à 1793 dans les Observations sur la Physique... (t. XXXVI à XLII). Dix-neuf d'entre elles traitent de géologie, totalisant plus de 300 pages serrées. Il s'agit donc là d'un véritable traité sur la formation de la Terre. L'apologétique y est plus discrète qu'ailleurs, et le discours scientifique y gagne en densité. Beaucoup d'observations intéressantes y sont rapportées, rarement bien localisées. - Les Lettres... à M. le Professeur Blumenbach résument le tout, en faisant mieux ressortir la théorie mais élaguant les faits. L'édition française (1798) comporte un intéressant chapitre additionnel auquel il sera fait référence.
Sa géologie entend être aussi une géogénie. A l'origine, la Terre n'est qu'un amas d'on ne sait quelles poussières primordiales (les pulvicules). C'est le chaos initial. Un mystérieux événement (évidemment le "fiat lux") introduit un principe de liquidité (lumière et chaleur) qui, pour ainsi dire, solubilise, de l'extérieur vers l'intérieur, la masse des pulvicules. Ainsi naît un liquide primordial, qui par précipitations chimiques successives, va engendrer d'abord le granite, puis les autres terrains primordiaux. Le "liquide" maintenant épuré permet l'apparition des premiers êtres organisés. Comme DE LUC semble vouloir se passer de tout apport de substances issues de l'érosion des premières terres émergées, son "liquide" ne pourra plus désormais précipiter de nouvelles couches sédimentaires que dans la mesure où il reçoit périodiquement des apports endogènes, sous forme de "fluides expansibles" issus de l'intérieur du globe. Le "liquide" est ainsi périodiquement modifié dans sa composition, et à chaque modification dépose de nouveaux sédiments.
DE LUC est particulièrement conscient des bouleversements qu'ont subi les couches de la surface du globe, depuis les plus anciennes jusque, parfois, les plus récentes. A ce titre, il est l'un des initiateurs influents de la notion de tectonique répétitive. Il récuse le soulèvement. Tout se fait chez lui par affaissements (ce vieux concept, issu de Descartes (5) et Stenon (6), aura encore la vie longue au XIXe siècle : ainsi chez Constant Prevost (7) et Charles Lory (8), et jusqu'à Eduard Suess et Neumayr (9) ). Du liquide continue à pénétrer en profondeur : d'où un tassement des pulvicules, créant des "cavernes" sous la croûte épaisse de précipitation primordiale. Entre ces cavités, il y a des "ramifications endurcies". La croûte s'affaisse en se brisant. La portion qui trouve appui sur les ramifications endurcies reste saillante et forme la partie axiale des montagnes. Après le dépôt des premiers calcaires fossilifères à grain fin, l'affaissement peut reprendre : d'où une nouvelle révolution, sur place, ou "successivement". On voit alors se former une chaîne de montagnes composites, telles que Pallas et Horace-Benedict de Saussure en décrivent, où sur un rang central de granite, schistes, etc. prennent appui des rangs de couches calcaires rompues, souvent "culbutées", et qui peuvent par l'effet de la pesanteur, glisser les unes sur les autres, "par classes", en ouvrant des vallées d'écartement. On note donc que pour De Luc, il a fallu au moins deux révolutions ou catastrophes pour faire les Alpes. - D'autres affaissements, plus locaux, bouleversent à leur tour les couches ultérieurement formées de calcaires riches en fossiles, marnes, sables mêmes.
Les catastrophes tectoniques d'affaissement sont aussi les moments privilégiés où les fluides expansibles viennent modifier le liquide. La dernière en date des catastrophes est à nouveau générale. Elle effondre les anciens continents, submergés par la mer, tandis qu'émerge le fond de l'ancienne mer, pour former nos continents actuels. C'est alors seulement que débute l'action des "causes actuelles" (terme de DE LUC). Leur projection dans le passé ne saurait rendre compte des événements qui s'y sont produits. Seuls les monuments du passé expliquent le passé, par voie inductive.
Bien d'autres aspects de la théorie de la Terre de DE LUC mériteraient d'être mentionnés : il s'agit de beaucoup plus que d'un roman théologique. Système rationnel hautement élaboré et étayé par un considérable capital d'observations de terrain, elle pouvait sans doute, pour un contemporain, sembler tout aussi crédible que celle de Hutton, elle aussi basée sur une autre apologétique, celle d'un déisme finaliste.
Ce sera notre principal propos. En 1790-1792, William Smith, âgé de 21-23 ans, en est encore à faire des levés de géomètre dans la région du petit bassin houiller de Somerset (10), et sa géologie cherche à retrouver (et mieux comprendre) la fameuse coupe donnée par John Strachey en 1719 (11). Il n'est pas encore question pour le jeune ingénieur-maison ni de dénombrer les formations ("strata") mésozoïques, ni de reconnaître la spécificité de leurs associations de fossiles. L'idée est d'ailleurs "dans l'air" (Arduino , Walch, Louis de Launay, Giraud Soulavie, etc.). Cela ne diminue pas le mérite futur de William Smith, qui aura eu l'énergie d'exploiter à fond et avec méthode l'idée.
Mais il est curieux qu'on ait méconnu jusqu'ici le rôle joué par DE LUC dans cette prise de conscience collective du changement des faunes avec les couches. Bien mieux : il est, à sa manière, l'un des premiers "transformistes", et paraît avoir fortement influencé Cuvier.
Notons tout d'abord chez De Luc un fort souci historique. C'est bien l'histoire de la Création, l'histoire des couches, l'histoire des organismes, qu'il veut édifier (peut-être est-ce dans son esprit, notamment une réponse aux Epoques des la Nature de Buffon (1779) qui devaient choquer sa foi en la lettre de l'Ecriture ?). C'est le point de vue de Balan (1979) : "Ce changement (le fait que chez De Luc les révolutions deviennent itératives) marque le passage d'une géogénie à une histoire de la surface de la terre, évident chez Deluc..." (12).
Comme on l'a souvent souligné, notamment à la suite de Cournot (13), il ne peut y avoir d'histoire s'il n'y a des accidents (14). Le monde aristotélicien aux cycles de rénovation récurrente indéfiniment répétés de Hutton est par définition anhistorique. A un moindre degré, peut-on vraiment parler d'histoire lorque tout se résume en un déroulement unidirectionnel dont les divers stades sont les conséquences successives prévisibles comme automatiques d'un état dynamique initial (ainsi le schéma de Descartes, mais aussi sans doute celui de Werner). D'autres théories de la Terre ne sont que l'histoire du Déluge et ne prévoient rien d'autre, sinon l'embrasement final.
Peut-être parce qu'il est soucieux, dans sa piété chrétienne sincère et profonde, de laisser toute une part de mystère dans le grand drame de la Création dont il ose déchiffrer un second récit dans la nature, DE LUC ne cherche pas à tout prix à le reconstituer sous la forme d'une chaîne d'événements qui se déduisent logiquement et nécessairement de ce qui précède. Tout en formant un système à ses yeux rationnel et logique, il s'y produit bien des événements non expliqués, et sans doute pour lui échappant à la raison humaine. Beaucoup d'autres péripéties relèvent sans doute du hasard.
DE LUC écrit ses Lettres à Delamétherie à une époque où le seul rudiment de stratigraphie bien débrouillée est celle de Saxe et Thuringe, limitée à l'intervalle Houiller-Trias (15). Les principes mêmes de la stratigraphie (continuité et superposition) ont d'ailleurs été posés un siècle plus tôt par l'admirable Sténon (16), auquel DE LUC emprunte aussi son thème des effondrements. Il poursuit, en parallèle avec Gottlob Werner (DE LUC ne lit pas l'allemand), le même effort que l'école allemande pour classer les couches successives d'après leur âge. A la lithostratigraphie, il essaie d'ajouter l'apport de la paléontologie (toujours dans la voie de Sténon qui, le premier, distinguait terrains azoïques et couches fossilifères). Seulement, à l'époque de DE LUC, peu de fossiles invertébrés et aucune faune complète n'ont encore été décrits et nommés avec précision, (malgré les nombreuses planches déjà publiées). De ce fait, ses quelques exemples de stratigraphies locales restent flous. Ils suffisent toutefois à lui montrer que les corps marins varient d'une couche ou d'un groupe de couches à l'autre. Ainsi, observant en compagnie de son neveu les formations qui se succèdent en superposition inclinée sur la côte sud anglaise (Dorset), il voit que sur "l'argille", à "huîtres plates" et "cornes d'ammon", repose une "pierre calcaire" à "cornes d'ammon", et enfin sur celle-ci, la craie, sans "cornes d'ammon" (17). Des observations ultérieures, en un autre point de la côte, près d'Eastbourne (Sussex, lui permettent de décrire avec précision une suite de quatre "couches" (Turonien-Sénonien) offrant des "transitions nuancées" entre une "pierre calcaire" sans silex, riche en cornes d'ammon, et la craie à silex, sans cornes d'ammon, à "coquillages", "échinites", bélemnites. (18). Cette faune fossile de la craie, où il signale de plus ailleurs des "entroches", "anomies striées", etc., diffère complètement de celle actuelle de la Manche, dit-il (19).
DE LUC a de même étudié (16 ans avant Georges Cuvier et Alexandre Brongniart) les couches (notre Lutétien) des environs de Paris. (20). Même situées à des niveaux différents, on peut reconnaître leur identité respective, à la fois d'après les "différentes espèces de corps marins" qu'elles contiennent, et d'après "la nature de la pierre".
Il s'est intéressé à l'argile des environs de Londres (la London clay) : leurs couches contiennent "une grande variété de corps organisés ; & quoiqu'ils changent en divers lieux, on reccnnoît qu'ils sont de la même période, en ce que les mêmes corps caractéristiques de cette période s'y trouvent en nombre d'endroits". Ces mots datent de 1791 (21). Autrement dit, DE LUC entrevoit la notion de fossiles caractéristiques non seulement de couches données, mais d'une période donnée : il est à ce titre en avance sur William Smith et annonce Brongniart.
On peut restituer grosso modo comme suit l'idée que DE LUC se fait de l'histoire des êtres organisés. Après la formation des couches primordiales (= 3è jour de la Genèse), dénuées de fossiles, il se forme (= au 5è jour) les grandes masses de pierre calcaire grisâtre souvent feuilletées des Alpes : on y trouve les premiers vestiges des animaux marins. Après une révolution, il se forme une deuxième classe de couches calcaires, où les espèces (coquillages, madrépores, etc.) se multiplient. Elles sont accompagnées de couches d'autres genres. Les organismes varient de couche en couche. Lorsque la craie se dépose, un grand nombre de formes s'éteignent. De même, après le dépôt de la craie, une nouvelle révolution se traduit par la précipitation de couches sableuses, souvent restées meubles : et à nouveau leur dépôt s'accompagne de la disparition d'un grand nombre de formes. Les espèces conservées "éprouvèrent elles-mêmes de grands changements, & se rapprochèrent ainsi par degrés de celles que nous trouvons dans la mer actuelle". (22).
Cette révolution correspond au début de la Sixième période (= 6è jour de la Genèse), celle où l'on commence à découvrir des ossements d'animaux terrestres mêlés aux couches meubles. Par contre la dernière en date, qui échange continents et océans (= le Déluge) ne s'accompagne pas de changements marquants dans les faunes et flores.
L'histoire de la vie, pour DE LUC, est tout d'abord celle des classes qui apparaissent successivement dans la série des couches, sans qu'il nous dise comment (cela relève probablement pour lui du mystère). Cette apparition échelonnée, l'Homme venant en dernier, est conforme à la Genèse. Cette histoire est aussi celle "des progrès de changement", tant dans les couches que, pour les êtres organisés, sous la forme "des changements successifs dans leurs apparences" (7è Lettre à Blumenbach) p. 383. Dans ce texte de 1798 (23), DE LUC argumente contre un partisan de la génération spontanée d'espèces fixes. Pour sauver le principe de la Création, oeuvre divine, contre la thèse matérialiste de son interlocuteur - et puisqu'il est désormais avéré que les espèces changent avec les couches - force est d'admettre qu'elles se transforment : "nous n'avons aucune raison d'affirmer, que dans des temps tels que ceux qui, à l'égard de notre globe, ont précédé son état présent..., les nouveaux êtres qui naissaient par reproduction, ne pouvoient changer d'apparence extérieure, au point de nous paroitre de nouvelles espèces". (24).
Or, on se souvient que pour DE LUC, puisque chaque couche est un précipité chimique dans le "liquide" (dont notre mer actuelle est le résidu), ce liquide subissait, jusqu'à une époque récente, de grandes variations de composition. Celle de l'atmosphère changeait aussi corrélativement. Et ces changements "avoient aussi de l'influence sur la manière d'exister des êtres organisés marins" d'une part, des Végétaux terrestres de l'autre. (Ibid.).
Dès 1792, il insiste sur cette relation entre le changement du liquide et celui des races des animaux marins : "par où l'histoire des êtres organisés, tracée dans nos couches, se lie aux autres monuments géologiques". (25). Mais jamais il ne va jusqu'à dire que le changement du liquide a été la cause (matérielle et suffisante) de celui des espèces. Comme s'il entendait laisser, pour des raisons philosophiques, une part d'autonomie au Vivant. Nulle part il ne nous dit quelle a pu être l'ampleur de la modification totale subie par ces lignées d'animaux marins dont les espèces "changeoient successivement".
Il importe de bien souligner que le catastrophisme de DE LUC est beaucoup moins dramatique et radical que celui de Cuvier et de ses disciples. Certes, son paysage est partout marqué par les signes évidents des affaissements brusques. Pratiquement, tout le relief actuel en est issu ; toute falaise en provient. De même le passage de la craie au sable a vu une subite extinction des espèces "là où cette modification (dans l'ancienne mer) s'opéra immédiatement" (26). Mais ailleurs, il parle du temps considérable qu'il a fallu pour former la pile des couches, changer le liquide et voir changer des espèces des organismes. Les grandes faces escarpées des collines et montagnes "présentent les sections de grandes suites de couches, où nous voyons ces changements dans les animaux marins, qui annoncent un tems très-long, tant pour leur production, que pour la multiplication des mêmes espèces, & ainsi pour la fabrication des couches qui les contiennent". (27)
Dans ce même passage datant de 1792, DE LUC dit que dans ces coupes, "on peut lire cette histoire commune des substances minérales & des corps organisés". Ailleurs (1799), il dit que l'on peut déduire des "monumerts" "deux histoires collatérales, celles de nos couches et des êtres organisés" (p. 363).
L'idée des deux histoires collatérales fait le lien entre le XVIII°et le XIX° siècle. La lithostratigraphie ne prenait en compte que la nature des couches. La paléontologie stratigraphique avec Alexandre Brongniart (26) et ses successeurs (son fils Adolphe, Deshayes, etc) montrera que les faunes sont un "chronomètre" (suivant la métaphore de DE LUC) plus fiable. Entre les deux notre épistolier met an parallèle les deux méthodes.
Or, DE LUC, n'est pas l'un de ces précurseurs dont on découvre après coup qu'il aurait pu influer sur le progrès de la Science. Universellement connu de ses contemporains, il nous parait évident qu'il a dû exercer une grande influence. Elle est en tout cas évidente sur Cuvier : et donc alors aussi sur Brongniart.
Nous sommes surpris que l'on se soit si peu préoccupé des sources du célèbre Discours... de CUVIER, pourtant l'un des textes les plus connus de toute la littérature scientifique du XlXè siècle. Il est cependant clair que tout ce qui constitue dans ce texte une "théorie de la terre" relevait d'un champ de préoccupations périphériques par rapport au domaine propre de recherches du fondateur de l'anatomie comparée : et se basait donc largement sur des emprunts et réminiscences. L'expérience montre qu'il ne faut guère compter sur les auteurs eux-mêmes pour nous révéler leurs sources. Or, relire le Discours... avec sous les yeux les écrits de DE LUC, notamment les Lettres à Delamétherie (dont le jeune CUVIER commentait la teneur des 18 premières à son ami Pfaff dans une lettre datée de mars 1792 (29) et celles à Blumenbach, - c'est découvrir à l'évidence à quel point, à divers égards, CUVIER s'est inspiré de DE LUC. On se contentera ici de quelques exemples de parallélismes. -Il faut cependant souligner que CUVIER, malgré les curieuses phrases sur les changements occasionnés aux animaux aquatiques par ceux de la nature du liquide, directement reprises de DE LUC, est nettement plus fixiste que ce dernier. Son recours aux terribles catastrophes par submersion proviendrait plutôt des marées gigantesques de Dolomieu que des révolutions assez bénignes de DE LUC. Est-ce affaire de tempérament, DE LUC ayant de l'avis de tous été un naturaliste ardent dans la défense de ses idâes mais d'une particulière bienveillance dans ses rapports humains ? Ce qui, dit-on, n'était pas le cas de CUVIER !
La conclusion de cette affaire, c'est de montrer une fois de plus, que dans l'histoire de la Géologie, il n'y a pas de "bon" et de "mauvais" auteurs. Tous, replacés dans leurs temps, sont significatifs. Les catastrophistes, diluvianistes, biblicistes, etc., ont souvent autant contribué au progrès de la science que les uniformitaristes, agnostiques, lyelliens, etc. (30). Notre but serait atteint si l'oeuvre et la personne de Jean-André de Luc étaient enfin prises en considération, en toute sérénité ; elles appellent en effet encore beaucoup de recherches.
De Luc | Cuvier (Discours, 6è éd., 1630) |
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... les causes actuelles ne peuvent plus changer ... (8è Lettre à D.)
...pour entendre nos monumens géologiques, il faut remonter plus haut que les causes actuelles... (Lettres à Bl., p. 61) ...leurs causes ont cessé, car il ne s'opère rien de semblable dans la mer actuelle..., il ne s'y opère plus de précipitation chymique, et elle ne produit absolument rien qui ait le mondre rapport à nos couches pierreuses (ibid., p.60-61) ...ce même état de repos, auquel sent arrivés les grands agens des opérations sur notre globe (ibid., p. 231) ...notre globe porte l'empreinte de très-grands effets produits avant la naissance de nos continens, et qui ont cessé dès lors (ibid.,p.362) |
... l'on a cru long-temps pouvoir expliquer par ces causes actuelles, les révolutions antérieures...Mais...le fil des opérations est rompu, la marche de la nature est changée, et aucun des agents qu'elle emploie aujourd'hui ne lui aurait suffi pour produire ses anciens ouvrages (p.28)
Certainement les choses se passaient dans ces mers bien autrement qu'elles ne se passent dans nos mers actuelles : dans celles-ci il ne se forme plus de couches (Cuvier et Brongniart, 1808, p. 441) ...c'est en vain que l'on cherche, dans les forces qui agissent maintenant à la surface de la terre, des causes suffisantes pour produire les révolutions et les catastrophes dont son enveloppe nous montre les traces (Discours,p.42) |
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...il est au contraire démontré, par les phénomènes les plus directs ... que la chronologie physique de nos continens à partir de leur naissance, se joint dans un tems peu reculé à la chronologie historique des nations qui l'habitent" (ibid.,pp.354-355)
...Voici un moyen direct de reconnoitre, à quelle distance de tems, nous devons le commencement de ces opérations; (.... )nous allons mesurer, tant la quantité de matériaux que notre rivière a enlevés à l'amas des montagnes dont elle procède, que le tems qu'elle a employé à les charier (pp.23,25) ...chronomètre (p.26) |
...en examinant bien ce qui s'est passé à la surface du globe, depuis qu'elle a été mise à sec pour la dernière fois... l'on voit clairement que cette dernière révolution, et par conséquent l'établissement de nos sociétés actuelles ne peuvent pas être très-anciens... En mesurant les effets produits dans un temps donné par les causes toujours agissantes, et en les comparant avec ce qu'elles ont produit depuis qu'elles ont commencé d'agir, l'on parvient à déterminer à peu près l'instant où leur action a commencé, lequel est nécessairement le même que celui où nos continents ont pris leur forme actuelle (pp.144-145)
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...ce sont les corps organisés renfermés dans nos couches minérales, qui ont donné naissance à la Géologie (ibid., p. 53)
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...c'est aux fossiles seuls qu'est due la naissance de la théorie de la terre (p.59)
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...ces couches...se sont formées, comme toutes les autres couches, par des dépôts au fond d'un liquide tranquille (ibid.,p.19)
Dans chacune de ces catastrophes, les fluides expansibles...imprégnoient le liquide de nouveaux ingrédients, qui y faisoient changer la nature des précipitations (ibid.,pp.163-134) Ainsi les changemens qu'éprouvoit le liquide, et d'où procédoient des changemens successifs dans la nature des couches, avoient aussi de l'influence sur la manière d'exister des êtres organisés (ibid,pp.183-184) ...durant ces tems d'opérations chimiques dans le liquide primordial, les races des animaux marins éprouvoient aussi des changemens (24è Lettre à D .,p.48) ...dans cette succession de différentes couches, on trouve aussi des changemens successifs dans les espèces des corps organisés qu'elles renferment ; ce qui montre que les êtres organisés étoient affectés par les changemens qui arrivoient au globe lui-même ; c'est là sans doute un grand objet de la Géologie (Lettres à Bl.,p.351) |
...les fossiles...nous ont appris que les couches qui les recèlent ont été déposées paisiblement clans un liquide (p.60)
Ainsi les déplacements des couches étaient accompagnés et suivis de changements dans la nature du liquide et des matières qu'il tenait en dissolution (p.13) Dans de pareils changemens du liquide général, il étoit bien difficile cjue les mêmes animaux continuassent a vivre. Aussi ne le firent-ils point. Leurs espèces, leurs genres mêmes, changent avec les couches (Discours, 1812,p.9) Il y a donc eu dans la nature animale une succession de variations qui ont été occasionnées par celles du liquide dans lequel les animaux vivaient ou qui du moins leur ont correspondu ; et ces variations ont conduit par degrés les classes des animaux à leur état actuel (1830,p.15) |
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Les corps organisés...sont de dates très-différentes,...les modernes se trouvent dans des couches superficielles composées de sables et autres substances désunies. Les espèces de ces derniers corps sont en majeure partie semblables à ceux qui vivent dans la mer actuelle (ibid., p. 54),
,..les restes...trouvés dans les dernières couches produites par la mer avant sa retraite...sont presque absolument semblables aux espèces qui vivent aujourd'hui (ibid.,p.220) | ...il est vrai de dire, en général, que les coquilles des couches anciennes ont des formes qui leur sont propres ; qu'elles disparaissent graduellement, pour ne plus se montrer dans les couches récentes... ; que les coquilles des couches récentes au contraire ressemblent, pour le genre, à celles qui vivent dans nos mers, et que dans les dernières et les plus meubles de ces couches... il y a quelques espèces que l'oeil le plus exercé ne pourrait distinguer (des formes actuelles) (pp.14-15). |
(1) DE LUC, Lettres physiques et morales sur les montagnes et sur l'histoire de l'homme : adressées à la reine de la Grande-Bretagne, la Haye 1773, p. VIII.
(2) Voir Travaux du COFRHIGEO, n° 23, F. ELLENBERGER : Postulat sur la Durée ou sur la Force ? (séance du 12 Mars 1980), pp.3-4.
(3) Roy PORTER, The Making of Geology, 1977, pp. 166, 200-202. - Voir aussi G.L. DAVIES, The Earth in Decay, 1963, pp. 133-133.
(4) B. BALAN, L'ordre et le temps..., Paris, 1979, pp, 143-144, 347, 351, 364, etc.
(5) DESCARTES, Principes de la philosophie, 3e et 4° partie, notamment IV, par. 42-44.
(6) STENONIS, De solido intra solidum naturaliter contento dissertatienis prodromus, Florentiae, 1669, pp. 32-34.
(7) Constant PREVOST, Bull.Soc.géol.France, (1), t. XI, 1840, p. 186, p. 201.
(8) Ch. LORY, notamment : Bull.Soc.géol.France, (3), t.IX, p. 676, p. 680.
(9) A. de LAPPARENT, ibid., (3), t. XV, 1887-1888, pp, 215 sqq.
(10) John PHILLIPS, Memoirs of William Smith..., London, 1844, pp. 6-7.
(11) John STRACHEY, Phil. Trans, v.30, 1719, pp. 966-973 • - S.I.TOMKEIEFF, Proc. geol.Assoc., v.73, 4, pp. 389-392.
(12) B. BALAN, loc.cit., p. 351.
(13) "La description d'un phénomène dont toutes les phases se succèdent et s'enchaînent nécessairement selon des lois qui font connaître le raisonnement ou l'expérience, est du domaine de la science et non de l'histoire". Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critique philosophique, 1851, par.313.
(14) Travaux du COFRHIGEO, n° 19, GOHAU, Du système du monde à l'histoire de la terre (séance du 13 juin 1979).
Egalement, D.R. OLDROYD, "The rise of Historical Geology", Hist, of Science, v. 17, 1979 (part. 3, pp. 191-213, et 4, pp. 227-257), pp. 191-193.
(15) : en fait, une lithostratigraphie fondée sur la pratique minière. Voir la coupe de LEHMANN (1756), reproduite par E. HAARMANN, Geol. Rundschau, Bd XXXIII, 2/3, pp. 98-39. Les coupes de FUSCHSEL (1761) ainsi que sa carte, sont déjà très modernes, mais n'ont sans doute pas été connues hors d'Allemagne.
(16) Sur Werner, voir A.H. Ospovat, "The place of the Kueze (sic) Klassification in the work of A.G. Werner", Isis, v. 58, 1967, pp. 90-95.
(17) 10e Lettre à Delamétherie, Obs. sur la Phys., t. XXXIX, 1791, pp. 458 sqq.
(18) Lettres à Blumenbach, 1799, note pp. 203-207.
(19) 24è Lettre à Delamétherie, Obs. sur la Phys., t. XLI, 1792, pp. 45-46.
(20) 21è Lettre à D., Obs. sur la Phys., t. XL, 1792, pp. 281-282.
(21) 16è Lettre à D., p. 450.
(22) 12è Lettre à D., Obs. sur la Phys., t. XXXVIII, 1791, pp. 100-101.
(23) La Septième Lettre à Blumenbach ne figure que dans l'édition française publiée en 1799 a Paris. Elle est datée de Windsor, décembre 1795.
(24) Septième lettre à Blumenbach, p. 391.
(25) 21è Lettre à D., Dos. sur la Phys., t. XLI, 1792, pp. 48-49.
(26) Cf. (18).
(27) Cf. (21).
(28) A. BRCNGNIART, Sur les caractères zoologiques des formations. Avec application de ces caractères à la détermination de quelques terrains de la craie, Ann. Mines, t. VI, 1621, pp. 537-572.
Voir également A. d'ARCHIAC, Cours de paléontologie stratigraphlque, 1ère partie, pp. 471-474, et M. RUDWICK, The Meaning of Fossils, 2è éd., 1976, pp. 139-140.
(29) B. BALAN, loc. cit., p. 559 : - W. BENN, édit., George Cuvier's Briefe an C.H. Pfaff..., Kiel, 1845, pp. 257-250.
(30) Voir notamment R. HOOYKAAS, Catastrophism in Geology, Its scientific character in relation to Actualism and Uniformitarianism. Kon. Nederl. Akad. van Wetensch., Aft. Lett. Med. (n.r.), t. 33, (7), pp. 271-316, 1970 (réimprimé dans C. A.BRITTON, ed., Philosophy of Geohistory, Benchmark Pap. in Geol. v. 13 ; -- et F. ELLENBERGER, Le dilemme des montagnes au XVIIIè siècle : vers une réhabilitation des diluvianistes ?, Travaux du COFRHIGEO, 14 juin 1977, et Revue d'Histoire des Sciences, t. XXXI/1,1970, pp. 43-52.