COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 26 novembre 1997)
La bibliothèque centrale du Muséum national d'histoire naturelle possède dans ses réserves sept volumes de dessins originaux d'Alcide d'Orbigny. Lors de mes premières recherches en 1976, M. Yves Laissus m'avait montré quelques dessins de l'un de ces volumes. Le professeur Karl Schwerin de l'Université d'Albuquerque au Nouveau-Mexique est venu à Paris en 1986 pour examiner les poteries pré-colombiennes déposées au Musée national de céramique de Sèvres et rapportées par d'Orbigny. Une lettre de la Commission franco-américaine d'échanges universitaires et culturels lui indiquait le legs fait au Muséum, en 1923, par Marie-Thérèse d'Orbigny de sept volumes de dessins. On peut penser qu'il s'agit des mêmes volumes. L'état actuel des archives du Muséum ne permet pas de connaître les conditions de la présence de ces sept volumes dans les réserves de la bibliothèque. Nous nommons ces volumes : legs Bedel-d'Orbigny avec une très grande probabilité mais une légère restriction.
Qui était Marie-Thérèse Bedel d'Orbigny ?
Alcide d'Orbigny, veuf de Pamela Martignon, avait épousé, en 1843, à l'âge de 41 ans, Marie Gaudry, fille d'un bâtonnier du barreau de Paris et sour du paléontologue Albert Gaudry. Ils eurent trois enfants dont un fils, Henri, né en 1845. Celui-ci, architecte mais aussi chercheur érudit en entomologie, épousa Marie-Thérèse Bedel, fille d'un conseiller à la Cour ; ils n'eurent pas de descendants. Heron-Allen de la Société anglaise de micropaléontologie rencontra Madame d'Orbigny qui lui donna quelques éléments enrichissant l'article paru en 1917 dans la revue de cette société. Le legs eut lieu en 1923.
Ce legs, appelons-le ainsi, comprend donc sept volumes, trois volumes in quarto et quatre in folio, soit un ensemble de presque mille planches de dessins. Nous allons en dresser un bref inventaire.
Dans ces trois volumes, d'un format à peine plus grand que des « in quarto », ont été rassemblées respectivement 121, 122 et 89 planches de dessins au crayon ou à la plume et de croquis souvent aquarellés concernant la faune invertébrée vivante et fossile de la France. Les planches sont regroupées par ordre : les annélides, les céphalopodes, les ammonites, les nautiles les foraminifères... feuilles de dessins sur lesquelles apparaissent souvent des numéros, pour nous aléatoires, et qui trahissent un travail de classement du naturaliste qui nous échappe. Bien qu'il y ait peu de dates, l'ordre de ces planches n'est pas chronologique mais des lieux ou les présentations peuvent servir de repères.
Ainsi, un dessin à l'encre sépia de l'église fortifiée d'Esnandes, en Charente-Maritime, est daté du 15 août 1819 et dédié à Madame d'Orbigny, mère du naturaliste. Je rappelle qu'Alcide d'Orbigny est né en 1802 à Couëron, au bord de la Loire. La famille s'installa à Noirmoutier de 1811 à 1815, puis dans l'ancien presbytère d'Esnandes jusqu'en 1820, avant de venir vivre à La Rochelle. On retrouve la même présentation cadrée et la même utilisation de l'encre sépia sur de nombreuses feuilles. Ainsi, ces différents croquis du crinoïde fossile Apiocrinus, une forme du Jurassique. Cette planche, comme d'autres de même présentation, date de sa jeunesse, de ses premières recherches, avec son père, le docteur Charles-Marie d'Orbigny, dans la région des Charentes, à l'île de Noirmoutier, à l'île d'Aix, à la pointe de Ché, à Marsilly comme c'est d'ailleurs indiqué. Lorsque d'Orbigny publiera, en 1852, sa Paléontologie française, il nommera la famille des Apiocrinidae, toujours reconnue aujourd'hui ; on peut y voir la marque de la continuité de la pensée et de la recherche au fil de quarante années.
Certaines de ces planches de croquis à l'encre sépia et encadrées ne sont pas sans maladresse mais le dessinateur s'affinera, nous le verrons.
Sur ces feuilles anciennes, on lit aussi des noms de collectionneurs, ainsi "collection Emy" ; ce dernier était un directeur du Génie, mais on sait que l'engouement pour l'étude des sciences naturelles était très répandu au début du dix-neuvième siècle. On lit "collection d'Orbigny", le père du naturaliste, lui-même passionné par l'observation de la nature, était membre de nombreuses sociétés savantes et correspondant du Muséum national. En 1848, il léguera ses collections à la ville de La Rochelle. On lit encore "collection Fleuriau de Bellevue", du nom de ce généreux amateur ayant constitué un "cabinet de curiosités" et qui fut un des fondateurs de la Société des sciences naturelles de la Charente Inférieure, comme l'on disait alors. Dans le premier tome de cette série, on peut voir, remarquable pour la netteté, la précision et la qualité du dessin, une planche montrant la nacelle de l'argonaute. Ce dessin d'une grande finesse a été exécuté entre 1823 et 1825 pour la monographie du baron de Férussac, autre personnalité scientifique de ces pays de Loire. Capitaine blessé en 1811, il s'était alors partagé avec autant d'enthousiasme entre les affaires publiques (il fut préfet d'Oléron) et les études scientifiques. Il avait fondé en 1823 un Bulletin des Annonces et Nouvelles scientifiques dont il assumait l'édition, souhaitant "établir une communauté de liens, de sentiments, d'intérêts entre les hommes de tous les pays". L'évocation de ces hommes dit le milieu imprégné d'humanisme dans lequel évoluait le jeune d'Orbigny. L'étude commune de Férussac et du jeune dessinateur sur ces mystérieuses et légères coquilles d'argonautes aboutit d'ailleurs à les considérer comme les nacelles des oeufs de ce céphalopode.
Pour la beauté, la magnificence de l'aquarelle où jouent les rouges, les noirs, les violets, on remarque la planche d'un céphalopode vivant : Histioteuthis bonnelli. Cette planche est plus tardive que les précédentes. Rien à voir avec les croquis sépia parfois un peu empruntés. Histioteuthis est caractérisé par des yeux cernés de photophores et encore par la possession d'organes lumineux sur le manteau.
Alcide d'Orbigny a créé, en 1841, la famille des Histioteuthidae. Nourriture préférée des albatros mais aussi des cachalots de toutes les mers du globe comme le prouvent les mâchoires retrouvées dans l'estomac de ces derniers. L'article du professeur L. Joubin dans l'ouvrage consacré par le Muséum en 1933 à la Commémoration du Voyage, soulignait le caractère fondamental du travail fait par d'Orbigny sur ces céphalopodes et leurs chromatophores.
Le tome II de cette série compte 122 planches de dessins des différentes classes de mollusques, croquis de la plus grande précision à la mine de plomb ou à l'encre noire, ce sont les modèles des illustrations des volumes de la Paléontologie française.
Plusieurs planches du tome III de cette première série nous conduisent au premier travail original d'Alcide Dessalines d'Orbigny : le Tableau méthodique de la classe des Céphalopodes polythalames, (selon la classification de Lamarck), présenté à l'Académie des sciences, le 7 novembre 1825 avec une introduction de Monsieur de Férussac, résultat de plus de six ans d'observations de ces coquilles microscopiques rapportées au naturaliste et à son père et provenant des sables de toutes les mers du globe. Les bibliothèques de Paris et de La Rochelle possèdent des lettres qui indiquent les envois des capitaines, les échanges avec d'autres naturalistes. Une correspondance émouvante et parallèle existait d'une part entre Charles-Marie d'Orbigny, modeste médecin, et Alexandre Brongniart, éminent professeur au Muséum et directeur de la Manufacture de Sèvres - tous deux étaient nés en 1770 - et, d'autre part, entre Alcide et Adolphe Brongniart, contemporains, l'un passionné par ces sables receleurs de trésors, l'autre féru de botanique et plus tard fondateur de la paléobotanique. Les situations sociales des deux familles étaient fort différentes mais l'intérêt scientifique l'emportait, créant une autre fraternité et, au cours du temps, une chaleureuse amitié. Les planches consacrées aux foraminifères, nom retenu par d'Orbigny pour ces mystérieuses coquilles, montrent des dessins mais aussi de soigneux découpages de ces dessins dans un alignement qui indique la recherche d'une classification. Férussac savait déjà que les fossiles et en particulier ceux-ci, microscopiques, seraient des clés essentielles pour comprendre la géologie de la planète. Nous savons quels repères chronologiques ils constituent et, de plus - ce que ne pouvait deviner notre jeune naturaliste - qu'ils allaient devenir des indicateurs précieux pour guider les forages de recherche pétrolière.
Le legs "Bedel-d'Orbigny" comprend quatre tomes in folio consacrés aux dessins originaux du voyage en Amérique méridionale. Ces presque huit années passées en Amérique du Sud sont les moins connues de la communauté scientifique tant est importante l'oeuvre postérieure, en particulier en géologie et en paléontologie (les éditions Masson rééditent actuellement les volumes de la Paléontologie française, annotée certes). La communication du jeune naturaliste sur les foraminifères, avait été si estimée par Georges Cuvier que celui-ci envisagea de lui confier une mission dans les territoires nouvellement indépendants de l'ancienne Amérique espagnole. Il fallait enrichir les collections du Muséum, connaître la faune et la flore de ces pays réservés jusque là aux naturalistes espagnols. Il faut toutefois citer les exceptions mémorables que furent l'expédition de la mesure du méridien terrestre à l'équateur avec Bouguer, La Condamine et Joseph de Jussieu, le voyage du baron de Humboldt et d'Aimé Bonpland, autre Rochelais, au Venezuela et celui du pauvre Dombey.
Il fallait aussi recenser les richesses végétales et minérales dans ces contrées qui constituaient de nouveaux marchés pour l'Europe.
Les quatre tomes comprennent respectivement 109, 124, 138 et 138 planches.
Le tome premier a pour titre "Vases, costumes, antiquités, vues". Après quelques mois passés à l'école récente des "naturalistes-voyageurs" où l'on apprenait à préparer les plantes pour les herbiers, à conserver les insectes, à naturaliser les animaux qu'il fallait dépecer, tout un travail d'artisanat qui voisine avec l'art, Alcide d'Orbigny bénéficia des leçons et des conseils d'Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, Brongniart, Lesson, Valenciennes... et reçut de Humboldt baromètres et recommandation.
Le départ pour l'Amérique méridionale est décidé et le jeune aide-naturaliste arrive à Brest dans les derniers jours de juin 1826. En fait, le bateau, la corvette La Meuse n'est pas encore prêt, il s'en faut de presqu'un mois. Malgré son impatience, le jeune Alcide ne perd pas son temps, il observe, recueille, dessine coquilles, algues, etc. L'escale aux Canaries sera aussi l'occasion d'autres dessins, une activité qui ne cessera jamais. En examinant toutes ces planches du Voyage, mon souci a été de comparer les dessins originaux avec les lithographies qui illustrent les tomes publiés entre 1835 et 1847 !
L'atlas historique du Voyage comprend 25 vues gravées dont 18 indiquent, dans l'angle gauche : "d'après d'Orbigny" ou "d'Orbigny pinxit", elles sont le plus souvent lithographiées par Emile Lassale, l'artiste qui fit, en 1839, un des portraits les plus connus du voyageur. Les planches ne montrent que sept dessins originaux correspondant, au crayon ou à la plume, précis mais sans talent. Les originaux absents étaient-ils plus flatteurs ; ont-ils disparu, offerts aux amis, aux familiers ?
Les feuilles les plus séduisantes présentent les costumes et sont presque toutes vivement aquarellées ; elles concernent surtout les tribus indiennes de Bolivie ou les riches créoles de Santa-Cruz, Chuquisaca (ancienne capitale nommée aujourd'hui Sucre). Les lithographes ont souvent utilisé deux ou trois feuilles de dessins originaux pour constituer une planche dans une très sobre mise en scène sans qu'il soit aucunement besoin de retoucher, d'enjoliver les relevés élégants du naturaliste. On a vu qu'il n'en était pas de même pour les paysages qui sont repris, fouillés et vraiment améliorés par l'artiste lithographe. Le muletier de Saymapata, les Indiens Moxos ou les Guarayos sont aussi magnifiques sur les dessins originaux que sur les planches imprimées. Je n'ai, hélas, pas trouvé le moindre croquis préludant à la planche la plus connue, la plus alerte : les Femmes de Cochabamba.
Les albums recèlent aussi, un peu comme un fourre-tout, des dessins qui ne sont pas dus à d'Orbigny, ainsi des dessins de Narcisse Parchappe (né en 1812 ; X 1795), polytechnicien que d'Orbigny rencontra peu après son arrivée en Argentine et qui l'accompagna un temps dans la province de Corrientes (mars 1827 - avril 1828). Parchappe fit une expédition au Sud de Buenos-Aires, dans la région de Bahia-Blanca. Son récit est inclus dans le journal de Voyage de d'Orbigny, il y occupe trois chapitres dûment mentionnés. La planche 2 du voyage, très belle scène de la Pampa, est signée Parchappe. D'autres dessins de costumes non signés peuvent être attribués à de Sainsot ; ils ont servi à illustrer les Voyages autour du monde, série qui eut alors tant de succès, dans laquelle un voyageur fictif revivait les aventures de Colomb, Magellan, Dumont d'Urville... Alcide d'Orbigny fut responsable de deux éditions de ce type, l'une dès 1836, l'autre en 1856.
Ce premier tome regroupe aussi les dessins très exacts des ruines de Tihuanaco, des tombeaux aymaras reproduits fidèlement dans l'expédition du Voyage et rappelant le regard d'ethnologue du naturaliste.
Le second in folio annonce : "Mammifères, reptiles, oiseaux, poissons". A le traverser, la déception est grande, on ne trouve ni les dauphins, ni les félins, ni les singes à longue queue qui illustrent le tome IV du Voyage, bien que toutes les lithographies indiquent "d'après d'Orbigny". Où sont ces originaux ? Encadrés depuis longtemps dans quelque grenier ? Définitivement perdus ? Les poissons sont très bien aquarellés, ils sont les doublets des manuscrits 1962 et 317 du legs Cuvier conservés à la bibliothèque du Muséum. Lorsque le naturaliste faisait un envoi de plantes ou d'animaux, il accompagnait ceux-ci de descriptions de la plus grande précision et de dessins. Sa correspondance nous apprend qu'il faisait les dessins en double, les gardant par devers lui, en cas de perte. Les pertes furent, de toute façon, assez nombreuses.
C'est Edouard Traviès, alors maître de son art, qui illustra l'atlas des oiseaux. Les dessins de d'Orbigny ne représentent que la tête et quelques indications de couleur. Traviès a travaillé sur les animaux naturalisés ; outre les envois, le naturaliste avait rapporté nombre de ces oiseaux colorés qu'il proposait parfois en échange de fossiles, lit-on dans sa correspondance.
Un des premiers dessins de ce tome est la mâchoire inférieure d'un mastodonte (Fig. 1). Le Muséum était très intéressé par les fossiles des grands mammifères. Cuvier avait étudié le squelette d'un Megatherium de Lujan, envoyé au roi d'Espagne par le vice-roi de Buenos-Aires et que Madrid avait prêté au père de l'anatomie comparée. En 1802, Humboldt avait recueilli sur les plateaux de Quito des dents d'éléphants et de mastodontes que Cuvier avait aussi examinées. Cette recherche était donc un des nombreux impératifs de la mission d'Alcide d'Orbigny. Lorsqu'il avait descendu le Rio Grande, alors en crue, il avait aperçu dans les falaises des indices inaccessibles. Lorsqu'il arriva à Santa Cruz, en 1832, on lui apporta cette mâchoire qui, d'ailleurs accréditait encore l'existence de géants. La classification des mastodontes, typiques du Pléistocène, reste difficile. Cuvier avait défini un Mastodonte andinii ou Cuvieronius andinii et un Mastodonte humboldtii. En 1936, Osborn retiendra les Cuvieroninae, animaux des montagnes et hauts plateaux de l'Amérique du Sud. L'une des planches du troisième volume in folio titrée "Mollusques" représente un Bilobite nommé Cruziana, par d'Orbigny, en hommage au général de Santa-Cruz qui l'avait prié de venir en Bolivie après son périple de cinq ans en Argentine. Ce bilobite a été trouvé à 4 000 m d'altitude près de Cochabamba. D'Orbigny distingue un Bilobites furcifer et un Bilobites rugosus. Ces traces énigmatiques appartiennent aux terrains siluriens et comme pour d'autres fossiles, d'Orbigny établira les similitudes entre les fossiles d'une même époque en Amérique et en Europe. Ce sont ces similitudes qui stimuleront ses recherches paléontologiques jusqu'à la fin de sa vie.
Le reste de la feuille montre des trilobites très incomplets : Calymene verneuilli trouvé dans une collection à Chuquisaca, l'écusson caudal de Calymene macrophtalme défini par Alexandre Brongniart en 1822 et qu'il trouve dans les coteaux du Rio Grande. Toujours des terrains siluriens, l'écusson caudal ou pygidium d'un autre trilobite qu'il nomma Asaphus boliviensis.
Le quatrième in folio regroupe "Animaux rayonnés et botanique". On y admire quarante planches de dessins superbes de palmiers. L'élégance, la beauté de ces arbres fascina le voyageur dès la province de Corrientes. Il les retrouve nombreux aussi dans les régions tropicales de Bolivie, en particulier au nord-est de la cordillière orientale de Cochabamba.
Dans sa passion pour les palmiers, Alcide d'Orbigny retrouvait un autre savant, Charles Frédéric Philippe von Martius. Protégé du roi de Bavière, il avait dirigé une mission scientifique au Brésil de 1817 à 1820 et consacré 28 ans à élaborer une Histoire naturelle des Palmiers en utilisant aussi les matériaux d'autres voyageurs dont ceux de d'Orbigny. Le tome VII du Voyage de d'Orbigny paraît en 1847 avec en partie majeure un Palmetum orbignanum dans la classification de von Martius. Toutes les aquarelles de d'Orbigny sont magnifiques. Comme ce fut fait pour les costumes, les lithograveurs ont regroupé dans la même planche deux ou trois palmiers.
Le Muséum possède dans le manuscrit 329 les aquarelles que Delarue fit en 1842 pour l'édition du Palmetum. L'artiste a mis en scène avec montagnes et indiens les dessins originaux de d'Orbigny mais la beauté et l'exactitude des arbres sont semblables chez le naturaliste et le peintre.
Cet in folio renferme encore une quarantaine de dessins aquarellés, certains superbes comme le "tumbo des aymaras" ou dans les nuances mauves cette "Flor de Campana" mais les fleurs rapportées ou dessinées par le voyageur ne seront pas exploitées. Le laboratoire de Phanérogamie conserve 1923 herbiers qui attendent quelques passionnés ! Le tome VIII du Voyage, consacré à la botanique, s'il rend compte d'un très grand nombre de cryptogames, ne comporte que cinq planches de phanérogames (Bougainvillea patagonica, Philibertia canescens, Picrosia australis, ...) et elles ne sont ni coloriées ni décrites. La mort prématurée d'Alcide d'Orbigny, à l'âge de 55 ans, et l'ampleur de ses recherches géologiques et paléontologiques, comme la richesse des éléments rapportés, l'ont empêché de mener à bien une partie de ses projets.
Par ce survol du "legs Bedel-d'Orbigny", je crois en avoir fait deviner l'importance. J'ai signalé les autres manuscrits que possède la bibliothèque du Muséum concernant les poissons, les oiseaux et aussi dans le MS 1962 du legs Cuvier à Valenciennes neuf planches d'annélides, crustacés et arachnides. Si j'exclus les remarquables dessins de foraminifères conservés au département de micropaléontologie et qui mériteraient publication, c'est au travers des planches de ce legs que l'on peut voir le talent du naturaliste tout au long de sa carrière multiple. Sans les planches du legs, malgré la mention "d'Orbigny" sur plusieurs lithographies, nous pouvions douter de son art et attribuer une participation majeure aux peintres et lithograveurs.
Des premiers croquis malhabiles faits à la sépia par le fils du docteur Charles-Marie d'Orbigny, à Esnandes, à l'aquarelle subtile d'un palmier, d'une fleur ou d'un costume aymara, nous constatons la progression du talent : observations précises et minutieuses, coloris exacts, nuancés ... qualités précieuses avant l'utilisation de la photographie dont le brevet d'invention ne fut déposé qu'en 1839.
Les planches du legs ne sont que les reliques d'un naufrage, nous soupçonnons tous les dessins perdus mais ce legs reste un témoignage essentiel et permet de retracer l'oeuvre du naturaliste. Les planches de fleurs et de palmiers sont peut-être parmi les plus réussies, elles traduisent une exaltation, un émerveillement devant la nature qui est la marque du vrai savant. Alcide d'Orbigny vivait probablement les plus belles années de sa vie, celles de sa jeunesse, dans des paysages luxuriants ou désolés de la Patagonie, à travers mille périls mais où il était le maître, reconnu, estimé, fêté, en particulier en Bolivie. Les années parisiennes ne furent plus aussi colorées, ni toujours aussi réjouissantes.
N.B. Cette recherche a été entreprise pour le symposium Alcide d'Orbigny qui s'est déroulé à l'université de Quito en Equateur le 7 juillet 1997 lors du 49è congrès des Américanistes. Cette communication en est une version un peu différente.