COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 13 décembre 2006)
On savait depuis quelques années que Philippe Taquet s'intéressait à Cuvier et notamment à la correspondance que celui-ci avait échangée avec Christoph Heinrich Pfaff, l'un de ses condisciples de l'Académie Caroline de Stuttgart. En réalité le propos de l'auteur va bien au-delà, car c'est toute la vie de Cuvier, jusqu'à son arrivée à Paris en 1795, qui est évoquée dans ce livre dont l'auteur souligne dans l'avant-propos qu'il s'agit de la cinquième biographie consacrée au fondateur de l'anatomie comparée et que son objectif est à terme de " retracer en détail la vie et l'œuvre de Cuvier ".
On suit ainsi Cuvier depuis sa naissance à Montbéliard le 24 août 1769 jusqu'à l'âge de 25 ans. Et l'on remonte même parmi ses ancêtres jusqu'à un certain Claude Cuvier qui, à la fin du XVIe siècle, embrassa la Réforme. À l'école primaire de Montbéliard, puis au gymnase de sa ville natale, le jeune Cuvier se montra brillant. C'est l'époque où il commence à se passionner pour l'histoire naturelle et le dessin. En 1784, son père réussit à le faire admettre à l'Académie Caroline de Stuttgart, essentiellement destinée à former les futurs cadres du duché de Wurtemberg. Après y avoir rapidement appris l'allemand, Cuvier choisit d'entrer dans la section d'administration et de gestion où il lui était possible de recevoir également des cours d'histoire naturelle. Ainsi, dès 1786, utilisa-t-il ses loisirs à récolter plantes et animaux auxquels il consacre un journal. Il se lie alors d'amitié avec plusieurs de ses condisciples avec lesquels il correspondra ultérieurement, principalement Christoph Heinrich Pfaff, mais aussi Karl Friedrich von Kielmeyer, de quelques années son aîné. Il prend aussi la tête d'une petite société d'histoire naturelle dont, en avril 1788, il entraînera deux membres sur les chemins du Wurtemberg.
Mais il doit bientôt regagner sa ville natale car, à la rentrée suivante, il deviendra en Normandie le précepteur d'Achille, fils du comte d'Héricy. Ce préceptorat, qui lui laisse une certaine liberté, lui permet de s'adonner avec délices à l'histoire naturelle. C'est ainsi qu'il ne tarde pas à rédiger un mémoire sur les crustacés comestibles. L'auteur nous montre alors un Cuvier studieux qui partage ses loisirs entre la constitution d'un herbier, l'étude anatomique d'animaux et une correspondance relativement assidue qui porte principalement sur l'histoire naturelle mais dans laquelle Cuvier rend également compte à son ami Pfaff des évènements qui commencent alors à secouer notre pays. Cuvier passe l'hiver au château de Fiquainville, près de Fécamp où il s'adonne principalement à l'étude anatomique des oiseaux qu'il dessine et dissèque et dont il décrit certains caractères. Au printemps suivant (1789), il herborise et récolte des insectes et, pendant l'été et l'automne qu'il passe à Caen, il entreprend d'étudier des poissons achetés au marché, et d'herboriser au Jardin des plantes. Cuvier continuera pendant six ans à s'investir dans de nombreux travaux d'histoire naturelle qui lui permettront d'acquérir progressivement une connaissance approfondie de l'anatomie des animaux.
Ainsi, pendant l'été de 1790, compare-t-il la structure du larynx de divers oiseaux après avoir étudié l'anatomie de la moule, étude qui sera suivie par celles de l'huître et de la coque. Cela ne l'empêche pas de continuer à s'intéresser aux évènements politiques. Ainsi fait-il part dans une lettre adressée à son ami Pfaff de son adhésion aux idéaux nouveaux : " La liberté et l'égalité sont gravées dans le cœur de tout homme éclairé " et de son opinion au sujet de la noblesse : " Cette dernière n'est éclairée dans aucun lieu du monde, et encore moins ici qu'ailleurs ".
En 1791, Cuvier entreprend de se faire connaître du monde savant. Aussi adresse-t-il à Lacepède la description d'une espèce nouvelle de lézard. Il poursuit en outre ses travaux d'anatomie : description de la raie, d'une étoile de mer, recherches sur les insectes. En mai, la comtesse d'Héricy décide de s'établir durablement au château de Fiquainville où Cuvier passera avec son élève les années troublées qui suivirent. Cuvier essaie bien de suggérer à Lacepède, qui vient d'être élu député de Paris, de le faire nommer aide naturaliste au Muséum… sans succès ! À cette époque, Cuvier acquiert quelque connaissance de la composition géognostique de la Normandie dont il donne une brève description dans une lettre adressée à Pfaff, soulignant au passage la ressemblance entre les deux rivages de la Manche.
En février 1792, l'arrestation pour dettes du comte d'Héricy prélude à la séparation du couple, ce qui n'aura pas de conséquences sur la situation de Cuvier qui continue ses recherches : dissection d'une corneille, d'un chat et d'un lapin, et mise au propre de son mémoire sur la raie qu'il adresse à Lacepède. Celui-ci en fera état dans le premier volume de son Histoire naturelle des poissons. Toujours éclectique, Cuvier étudie ensuite le larynx d'un perroquet, puis rédige un mémoire sur les cloportes terrestres qui sera publié dans le Journal d'Histoire naturelle et se penche sur l'anatomie de la patelle dont il adresse la description à ce même journal. Il fera de même avec la moule de mer, mais ce manuscrit restera inédit car la publication du Journal d'Histoire naturelle s'interrompt à la fin de 1792.
En janvier 1793, l'exécution de Louis XVI inquiète Cuvier qui va mettre l'été à profit pour lire des ouvrages de minéralogie (Buffon, Romé de l'Isle et Haüy), ce qui ne l'empêche pas de dresser le catalogue de son herbier et de poursuivre ses travaux d'anatomie. En novembre, Cuvier ne peut refuser la charge de secrétaire greffier de la commune de Bec-aux-Cauchois sur laquelle est situé le château de Fiquainville. Pendant quinze mois, sa liberté sera entravée par cette charge imposée. Enfin, le 5 mars 1795, Cuvier se voit remettre un passeport qui lui permet de gagner Paris où il recevra neuf jours plus tard un permis de résider. En quelques mois sa situation s'éclaircit : il obtient successivement plusieurs postes officiels dont un de professeur suppléant au Muséum, avant d'être élu en décembre membre de l'Institut national ! Il n'a que 26 ans ! Son incroyable ascension ne fait que commencer !
Voilà donc l'essentiel de ce qu'on apprend en lisant ce livre extrêmement documenté qui constitue une véritable somme sur la jeunesse de Cuvier. Pour cela, l'auteur a pris la peine de consulter la totalité des archives disponibles. Et notamment la correspondance échangée entre Cuvier et plusieurs de ses condisciples de Stuttgart.
En conclusion, par son caractère exhaustif, ce premier volume, qui doit impérativement trouver place dans votre bibliothèque, rend immanquablement le lecteur impatient de découvrir bientôt la suite de cette biographie remarquablement documentée.