COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 7 décembre 1978)
Les objets des Sciences naturelles étant répartis entre les "Règnes" animal, végétal et minéral, ces derniers, comportant tout ce qui est "fossile" ou extrait du sol, sont moins faciles à étudier que les êtres vivants, dont la genèse et le développement sont plus aisés à observer. La Minéralogie doit en effet s'occuper des pierres communes ou roches, des "pétrifications", restes d'êtres vivants fossiles, et de ce que nous appelons maintenant minéraux, matières le plus souvent solides, homogènes, soit amorphes, soit en cristaux que leur éclat, leur couleur, leur dureté ont rendus rares et recherchés pour l'ornement ou la parure ; certains enfin, mines ou minerais, donnent après traitement ou façonnage, des matières utiles (colorants, médicaments), ou divers objets : céramiques, armes, outils, ornements, le plus souvent métalliques.
Les constituants ultimes de ces matières sont restés longtemps inconnus, à cause de leur extrême petitesse. La Cristallographie géométrique, créée à la fin du XVIIIè siècle par René-Just HAÜY, a pensé y être parvenue. HAÜY lui-même a reconnu, en particulier dans un ouvrage que nous étudierons, que l'analyse chimique devait souvent intervenir, ce qui justifie notre titre.
Jusque là, on n'a pu utiliser, pour décrire et classer les minéraux, que des caractères divers : densité, dureté, saveur et odeur, couleur, etc., certains prêtant à confusion, le mieux consistant à appliquer à un échantillon le traitement relatif à l'utilisation attendue.
Ainsi a-t-il été fait depuis AGRICOLA (1494-1555) (1), médecin humaniste, qui avait dépouillé les auteurs anciens, PLINE, GALIEN, DIOSCORIDE, et ajouté de bonnes observations, jusqu'à DAUBENTON (1716-1809) (2). Tous ont décrit plus de roches que de minéraux.
Avant de pouvoir être utilisée à l'étude des minéraux, la Chimie a dû être une véritable Science, ce qu'elle n'est devenue qu'à la fin du XVIIIè siècle. D'après l'ouvrage de MACQUER (3), les chimistes de 1750 avaient une bonne expérience pratique, ils savaient reconnaître et purifier des "espèces", mais n'avaient encore aucune idée de notre notion de "corps simple". Les 4 éléments d'EMPEDOCLE : Feu, rajeuni en "Phlogistique" par STAHL, Air, Eau et Terres ou Chaux dont ils admettaient plusieurs variétés, restaient la base de tous les corps.
Les métaux usuels, plus les semi-métaux, à l'éclat métallique, étaient pour eux des régules, composés de chaux spécifiques et de phlogistique, celui-ci dissimulé dans les combustibles : charbon, huiles, ambre, soufre, phosphore (déjà isolé). Le chauffage déphlogistiquait les régules, redonnnant les chaux. Des autres éléments, l'Eau intervenait dans les réactions entre les corps qu'elle dissout ou dilue (sels, acides, alcalis). Quant aux Airs (variétés de l'air commun) on ne s'en occupait guère, et dans les opérations chimiques on les laissait s'échapper.
Pour situer l'état de ce qu'on savait alors, nous avons marqué, sur un 1er tableau de MENDELEEV les éléments distingués. Encore les alcalins, les alcalino-terreux, l'alumine, l'acide borique et la silice ne sont connus qu'à l'état d'oxydes (pris pour des éléments). Les Airs dont le rôle était inconnu n'y figurent pas.
De 1750 à 1775 environ, on entreprit sérieusement d'étudier les gaz, en utilisant un appareillage nouveau : cloches renversées sur une cuve à eau ou à mercure. PRIESTLEY (1733-1804) (4) en fut le principal artisan , avec SCHEELE, CAVENDISH et d'autres. Ils identifièrent, outre le gaz carbonique, l'oxygène, l'hydrogène, l'azote, le protoxyde d'azote; l'hydrogène sulfuré, bien entendu sous d'autres noms, inspirés par les idées sur le phlogistique comme "l'acide marin phlogistiqué", qui ne reçut le nom de chlore qu'en 1806.
On constata l'effet des combustions et de la respiration des animaux.
LAVOISIER interpréta correctement les combustions comme des oxydations de même que la transformation des régules en chaux, avec augmentation de poids. Ce fait, remarqué par BOYLE, avait été attribué par lui à ce que le phlogistique, quoique pesant, était assez subtil pour traverser les récipients les plus étanches, conception peu conciliable avec la déphlogistication des régules.
LAVOISIER, chauffant en ballons scellés des oxydes d'étain et de mercure, démontra par la constance du poids : 1° - La conservation de la matière. 2° - Que la chaux avait gagné ou perdu juste le poids de l'oxygène disparu ou libéré. Ces expériences, répétées devant l'Académie des Sciences, obtinrent l'accord de tous, sauf un temps, celui des chimistes attachés à leur routine.
Après avoir défini l'Elément comme : le dernier terme de l'analyse, il créa une nomenclature rationnelle encore en usage, surtout binominale, oxyde de..., sulfate de..., à base de noms usuels. Il résuma sa doctrine (5) dans un ouvrage dont la 2ème édition, parue ne varietur en 1793, est un véritable testament scientifique. Dans le "Discours préliminaire", il dit, citant CONDILLAC, que "l'art de raisonner se réduit à une langue bien faite", ce à quoi répond sa nomenclature. On peut comparer sa méthode à celle de PASTEUR contre les partisans de la génération spontanée.
Des lois pondérales sur des nombres proportionnels, selon lesquels les éléments se combinent (poids atomiques attachés aux symboles de BERZELIUS : majuscules initiales des noms des éléments), donnèrent les formules des composés, et les équations de leurs réactions.
Ces notations permirent de donner les analyses correctes de nombre de minéraux nouvellement découverts, contenant des éléments nouveaux. La pile de VOLTA permit à Sir Humpfry DAVY d'électrolyser les alcalis fondus, les nouveaux métaux permettant de réduire nombre d'autres oxydes. Le même reconnut que les halogènes d'abord crus contenir de l'oxygène, étaient des éléments qu'il nomma Chlorine et Iodine d'après leur couleur.
Sur cette phase décisive, Monsieur J. WYART (6) a donné d'importantes précisions.
L'insuffisance de l'analyse chimique seule pour distinguer les espèces minérales résulte d'une tentative de l'éminent chimiste suédois BERGMAN (7), dont M. WYART souligne avec regret que par ce moyen, il réduit le nombre des espèces à une cinquantaine au lieu des centaines reconnues depuis.
DAUBENTON, médecin de Montbard, seigneurie de BUFFON, l'aidait pour son Histoire naturelle. Il était aussi botaniste et enseignait la Minéralogie au Muséum depuis le milieu du siècle. S'étant lié d'amitié avec HAÜY, professeur de Lettres dans un collège, il l'entraîna dans des promenades d'herborisation et le convertit à la minéralogie, où il manifesta son exceptionnelle vocation.
On sait comment HAÜY, partant de la loi de constance des angles des faces des minéraux, abondamment vérifiée par ROME DE L'ISLE, créa la cristallographie géométrique à partir de la division indéfinie de la Calcite en rhomboèdres par clivage, et généralisa la notion de "molécule intégrante" dont la juxtaposition constitue l'espace cristallin tridimentionnel, bien que la petitesse de cette molécule ne permette pas de l'apercevoir.
De ces parallélépipèdes on déduit, suivant les valeurs de leurs côtés et de leurs angles, l'existence des sept systèmes cristallins et de leurs symétries.
Enfin, la loi des indices rationnels rend compte, par l'existence de "gradins", de l'extrême variété des troncatures, plus ou moins répétées par symétrie, affectant les sommets et les arêtes de la "Forme primitive".
Un immense travail de mesures au goniomètre d'application de CARANGEOT, et de calculs trigonométriques effectués sur un nombre considérable de spécimens envoyés de partout lui permit de publier en 1801 la 1ère édition de son grand Traité en 4 volumes et un atlas, dont une autre édition très enrichie parut en 1822.
Cependant HAÜY lui-même reconnut que les caractères cristallographiques seuls ne suffisent pas dans beaucoup de cas pour définir un échantillon.
Les mêmes formes, à de très petites différences près, peuvent être présentées par des minéraux de composition chimique différente, et leurs mélanges en toutes proportions : par exemple les séries des plagioclases ou des péridots.
Dans l'ouvrage de 1809 HAÜY (8), entre autres, se préoccupe de la série des carbonates rhomboédriques du type calcite : dolomie, sidérose, etc.. Il attendait à cette date des précisions et des échantillons de smithsonite. D'autre part, il avait constaté le polymorphisme du carbonate de calcium, sous la forme orthorhombique, l'aragonite, type d'une autre série de carbonates. C'est pourquoi son livre, dans son titre même, souligne la nécessité de l'utilisation conjointe de la forme cristalline et de la composition chimique.
Les descriptions des formes cristallines, données dans une première partie systématique, renvoient, non seulement aux figurations des planches, mais aussi à de nombreuses notes donnant des résultats d'analyses. Pour les spécimens les plus purs, celles de KLAPROTH en Allemagne, et celles de VAUQUELIN au Muséum sont d'une précision et d'une concordance remarquables.
HAÜY avait succédé à DOLOMIEU en 1802 dans sa chaire du Muséum. NAPOLEON ayant créé les Facultés des sciences en 1808 offrit la chaire de Paris à HAÜY qui n'accepta qu'à condition d'être suppléé par Alexandre BRONGNIART.
Le titre de l'ouvrage de celui-ci (9) peut surprendre : on ne voit guère ces deux gros volumes dans les mains de lycéens actuels. C'est que les lycées de ce temps étaient des sortes d'Instituts tecnniques : on y trouve, outre la cristallographie et nombre de descriptions de minéraux, celles de minerais et de nombreuses roches utilisables. Des chapitres renvoyant aux planches traitent des procédés de la céramique, des industries chimiques et minières (houille et métaux), et de la métallurgie.
Désormais, la Pétrographie est assez développée pour contribuer efficacement à la recherche géologique et ce, bien avant les traités de COQUAND et de CORDIER.
(2) DAUBENTON L.J.M. - Tableau méthodique des minéraux... 4ème éd. Au Muséum, l'An deuxième, 42 p.
(3) MACQUER - Eléments de Chymie pratique, Paris, 1751, T.I, XVI-514 p.
(4) PRIESTLEY J. - Expériences et observations sur différentes espèces d'air. Traduit de l'Anglois, Berlin & Paris, 1775, XXXVI-434 p., 2 dépl.
(5) LAVOISIER L. A. - Traité élémentaire de Chimie, 2ème éd. Paris, 1793, T. I, XL-322 p., tabl.,- T. II, 327 p., XIII pl.
(6) WYART J. - La Minéralogie à la Sorbonne. Bull. Miner., vol. 101, n° 2 p. 96-101, 1978.
(7) BERGMAN Torbern. - Manuel de Minéralogie, traduit par MONGEZ, Paris, 1784, 88-343 p.
(8) HAÜY René-Just. - Tableau comparatif des résultats de la cristallographie et de l'analyse chimique relativement à la classification des minéraux. Paris, 1809, XLVIII-312 p., 4 dépl.
(9) BRONGNIART Alexandre. - Traité élémentaire de minéralogie, avec des applications aux arts. Ouvrage destiné à l'enseignement dans les lycées nationaux. Paris, 1807, T. I, XII-564 p. T. II, 445 p., XVI pl.