COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 19 juin 2002)
Mots-clés : géologie - minéralogie - enseignement - ingénieurs - XIXe siècle.
Key-words : geology - mineralogy - education - engineers - XIXth century.
Analyser l’histoire des sciences à partir des rapports scientifiques entre deux pays est une approche qui met obligatoirement en évidence les dynamiques locales, soit des scientifiques eux-mêmes, soit de la vie politique, sociale, culturelle et économique des pays concernés.
Si j’ai choisi de me limiter ici essentiellement au XIXe siècle, cela ne veut pas dire que des rapports n’aient pas existé auparavant[2], ni qu’ils n’aient pas continué pendant le XXe siècle, comme l’illustre la conférence faite en 1929 par Alberto Betim Paes Leme devant la Société géologique de France (Betim [Paes Leme], 1929). C’est d’abord parce que c’est la période que j’ai le plus étudiée, mais aussi parce qu’elle me permet de voir l’histoire des sciences géologiques sous un point de vue encore peu exploré : celui des écoles d’ingénieurs et de l’enseignement technique de ces disciplines qui étaient à la base des différentes modalités de formation de l’ingénieur. Car c’est là, précisément, que l’on va former les futurs professionnels qui partiront sur le terrain, quand une formation spécifique en géologie faisait défaut. Certes, dans le domaine des musées et des voyageurs ces rapports ont aussi été importants, comme l’a déjà montré Lopes (1993, 1997).
Le XIXe siècle débute avec une forte présence napoléonienne en Europe. Afin d’échapper à l’invasion française de son territoire – qui faisait partie de la stratégie de Napoléon de blocus de l’Angleterre –, le Portugal a transféré le noyau du pouvoir vers la plus grande et la plus importante de ses colonies : le Brésil. L’infrastructure disponible dans l’Amérique portugaise à cette époque était évidemment celle qui convenait à un domaine colonial, d’où la nombreuse série de dispositifs légaux créés pour la mise en place d’un appareil institutionnel minimum : Real Horto (Jardin des Plantes[3]), Impressão Régia (Imprimerie Royale), Escola Anatômica Cirúrgica e Médica (École de Chirurgie et de Médecine) à Bahia et à Rio de Janeiro, Biblioteca Nacional (Bibliothèque Nationale) (Schwartzman, 1979, p. 351-52).
Figure-clé depuis la fin du XVIIIe siècle, le ministre des Affaires étrangères et de la Guerre, D. Rodrigo de Sousa Coutinho (comte de Linhares), a essayé de concrétiser l’implantation de l’« Empire américain » dont avaient longtemps rêvé les Portugais. Ses actions ont porté principalement sur les points fondamentaux de la défense et de l’organisation/aménagement du pays (Cunha, 1985, p. 143). Parmi d’autres mesures importantes, D. Rodrigo a mis au point la réorganisation des forces militaires, y compris la fondation d’une école supérieure de formation : l’Academia Real Militar : A. R. M. (Académie royale militaire), créée le 4 décembre 1810 pour former les officiers d’artillerie, ingénieurs, ingénieurs géographes et topographes pour les travaux des mines, des routes, des canaux, des ponts et chaussées (cf. Motta, 1976, p. 12-13 ; et Coleção de Loeis e Decretos do Brasil de 1810, Imprensa Nacional, 1891).
Pour former ce corps technique au service de l’État, l’Académie royale militaire a pris comme modèle celui de l’École polytechnique française : notamment, le règlement mettait l’accent sur les mathématiques et l’enseignement pratique (cf. Barata, 1973, p. 45 ; Telles, 1984, p. 71). La loi de création, détaillée, prévoyait « un cours complet de sciences mathématiques, de sciences de l’observation – la chimie, la physique, la minéralogie, la métallurgie et l’histoire naturelle, qui comprendra les domaines végétal et animal – et de toutes les sciences militaires, soit la tactique, la fortification et l’artillerie ».
Pour toutes les disciplines, la loi indiquait les manuels sur lesquels l’enseignement devrait s’appuyer. Les titres français prédominaient dans cette liste, mais la loi encourageait explicitement les maîtres à écrire leurs propres livres, ce qui est arrivé quelquefois (Motta, op. cit., p. 41-42). Si l’on considère la minéralogie de plus près, la loi déterminait que le maître « se servira de la méthode de [Abraham Gottlob] Werner en démontrant le cabinet de Pabst von Ohain … et ne perdra non plus de vue [René-Just] Haüy, Brochant [de Villiers] et d’autres minéralogistes célèbres ». Il faut d’abord remarquer une orientation générale neptuniste, due éventuellement à l’influence d’un des auteurs possibles de la loi : le capitaine Carlo Antonio Napione, d’origine piémontaise, formé à la Bergakademie Freiberg (Vaccari, 1991, p. 81) et au service de l’Armée portugaise depuis 1800 (Telles, op. cit., p. 70). Mais l’éclectisme déjà mentionné permettait, à mon avis, l’adoption, côte à côte, des auteurs français contemporains, comme l’abbé Haüy et Brochant de Villiers, qui professaient des orientations théoriques différentes. La référence explicite au cabinet de Pabst von Ohain révèle l’importance qu’on voulait attacher à l’enseignement pratique. Ce cabinet comptait 3 326 échantillons comprenant pratiquement toutes les espèces minérales connues à l’époque (cf. Andrade, 1988 ; Ennenbach, 1980 ; Leinz, 1955), et avait constitué la collection minéralogique de Karl Eugen Pabst von Ohain (1718-1784), conservateur de la Bergakademie Freiberg de 1770 à sa mort. Elle avait été organisée et décrite par Abraham Gottlob Werner selon sa méthode géognostique, d’où sa dénomination de « collection Werner », comme on l’appelle au Brésil. Achetée par le Comte da Barca (Antônio de Araújo e Azevedo) quand il était « ministre », c’est-à-dire ambassadeur du Portugal à Berlin (1798-1802), pour le Musée royal à Lisbonne (Museu d’Ajuda), cette collection a été transportée au Brésil à l’occasion de l’invasion napoléonienne (cf. Eschwege, 1818). Le premier professeur de minéralogie (et aussi d’histoire naturelle) de l’Académie, le prêtre José da Costa Azevedo (1763-1822)[4], l’utilisait pour son enseignement, lequel était également complété par un petit livre qu’il avait lui-même écrit, mais qui n’a jamais été publié (cf. Sacramento Blake, 1883, p. 394).
Après la mort du prêtre, la chaire de minéralogie a manqué de titulaire, ce qui a été résolu grâce au concours de différents professeurs suppléants[5]. Néanmoins, cette solution a eu pour effet de faire passer l’enseignement de minéralogie au second plan, d’où une inévitable désorganisation. Ces critiques apparurent vigoureusement en 1837, quand on critiqua non seulement les livres adoptés (considérés comme insuffisants et un peu dépassés), mais aussi à revoir l’allocation du temps et les classes pratiques[6].
L’un des résultats a été une acquisition significative de livres (la plupart français), dont 13 titres portant sur la minéralogie, la géologie, l’histoire naturelle et la géographie :
« BEUDANT : ‘Minéralogie’ ; BROGNIARD [sic] : ‘Minéralogie’, ‘Classification et caractères minéralogiques des roches’ et ‘Voyage de Saussure aux Alpes’ ; BROCHANT : ‘Minéralogie’ ; BARRUEL : ‘Traité de Minéralogie, Géologie et Géognosie’ ; ELIE DE BEAUMONT : ‘Extrait d’une série de recherches sur les révolutions de la surface du Globe’ ; HUMBOLDT : ‘Relation historique des voyages de Humboldt’, ‘Essai sur les gisements des roches dans les deux hémisphères’ et ‘Vue des cordelières et monuments des peuples indigènes de l’Amérique’ ; D’AMALIUS [sic] d’HALLOY : ‘Éléments de Géologie’ et ‘Dictionnaire d’Histoire naturelle’ ; MALTE BRUN : ‘Géographie’ »[7].
Quant à l’enseignement pratique, en 1818, quand le Muséum national fut fondé à Rio de Janeiro, le cabinet de minéralogie a fait partie du noyau matériel de sa constitution. Le prêtre Costa Azevedo en devint le premier directeur et donnait donc ses cours réguliers au Muséum. Le déplacement des élèves étant devenu gênant, quelques échantillons en double et plus ordinaires furent alors donnés en 1834 à l’Académie militaire, mais ce cabinet pratique se désorganisa également[8].
Ces problèmes découlaient du contexte politique plus général qui conditionnait à l’époque la vie de l’Académie royale militaire : l’indépendance face à la métropole portugaise en 1822 et les conséquences financières et économiques, l’abdication du premier empereur Pedro I en 1831, la période turbulente des « Regências » qui suivit l’abdication (due à la minorité du successeur, le futur empereur Pedro II), pendant laquelle eurent lieu plusieurs révoltes régionales, soit populaires, soit des propriétaires terriens. Evidemment, une institution militaire ne pouvait pas ne pas être mêlée aux aléas de la vie politique, et plusieurs professeurs et élèves la quittèrent pour intégrer l’armée (Motta, op. cit., p. 36-37).
En 1839 une profonde réforme de l’Académie royale militaire, de caractère militarisant a radicalement modifié la structure du curriculum ainsi que sa dénomination – dorénavant Ecole militaire. Le décret réformateur préconisait que les règlements devraient se baser sur ceux « de l’Ecole Polytechnique et de l’Ecole [d’artillerie] de Metz, en France » (cf. Motta, op. cit., p. 73 et 75). La chaire de minéralogie fut supprimée, puis réintroduite lors d’une nouvelle réforme en 1842.
Au moins trois réformes se sont succédé avant que le gouvernement décide, en 1858[9], de séparer l’enseignement militaire et civil, donnant naissance à l’Ecole militaire et à l’Ecole centrale : celles de 1842, 1845 et 1858. Comme déjà mentionné, la première réforme a réintroduit la chaire de minéralogie. La deuxième a augmenté le nombre des disciplines géologiques à travers la création des chaires de géologie, montanistique (c’est-à-dire, exploitation minière) et métallurgie. Et la troisième a rendu obligatoire ces thèmes aux cours de génie civil et normal (formation en sciences et mathématiques) de l’Ecole centrale. Les programmes d’enseignement, similaires à ceux qu’on trouvait dans d’autres écoles à cette époque, comprenaient en1862[10] :
« minéralogie : cristallographie ; identification des minéraux à travers leurs caractères pyrognostiques ; essais chimiques ; classification ; analyse des principales espèces par rapport à la pétrographie et composition des veines métallifères.
Géognosie : études pétrographiques ; étude des principales espèces paléontologiques ; position des couches ; perturbations de l’équilibre de la croûte terrestre ; actions ignées et aqueuses, actions des coraux ; tremblements de terre, volcans, fleuves et lacs, caractères des formations principales.
géologie : histoire de la consolidation de la surface terrestre ; histoire des diverses formations ; périodes géologiques ; mode de croissance des continents ; origine de quelques formations importantes comme le charbon, l’or, etc. ».
La croissance considérable du champ des sciences géologiques au sein de l’Ecole militaire a marqué tant le corps de professeurs que les équipements. En 1842, les responsables de l’enseignement de minéralogie étaient le capitaine José Florindo de Figueiredo Rocha et le lieutenant Frederico Leopoldo Cezar Burlamaqui[11], mais en 1860 on rencontre en outre Guilherme Schüch de Capanema et Miguel Antônio da Silva Jr. (tous les deux pour les chaires de minéralogie et de géologie), João Martins da Silva Coutinho (pour les sciences naturelles)[12] et Francisco Carlos da Luz (qui remplaça ce dernier, parti travailler dans la province du Pará, en Amazonie)[13].
Au moment où Burlamaqui a effectivement pris en charge la chaire de géologie en 1847, les acquisitions de livres et d’échantillons ont été fort stimulées. Cette année-là, il a demandé l’achat de 14 titres de Nérée Boubée[14], y compris les livres à vocation générale tels que le Manuel élémentaire de géologie et le Tableau général de la classification des roches, fossiles et minéraux pour servir au classement des collections, mais aussi des livres plus spécifiques comme l’Agenda du géologue en voyage et La géologie dans ses rapports avec l’architecture et les travaux des carrières, des ponts et chaussées, des canaux, des routes – avec la recherche, l’exploitation des mines et les opérations métallurgiques.
On y aperçoit d’emblée une préoccupation pour les applications pratiques des sciences géologiques par les ingénieurs, à côté de l’enseignement théorique général. Il faut souligner en outre que la préférence aux auteurs français persistait, surtout Boubée – un point sur lequel je reviendrai.
A propos des manuels d’enseignement, on avait adopté depuis 1845[15] comme texte de base un autre livre de Boubée, Géologie élémentaire appliquée à l’agriculture et à l’industrie, avec un dictionnaire de termes géologiques ou manuel de géologie, publié à Paris en 1833. Il remplaçait le Traité élémentaire de géognosie (1833) de Rozet. Le texte effectivement adopté n’était cependant pas l’original en français, mais une traduction faite à partir de la 4e édition de 1842 et publiée par la Typographia Nacional en 1846, à laquelle ont avait ajouté en appendice des textes sur la constitution géologique du Brésil dus à des auteurs brésiliens et étrangers, tels que José Bonifácio de Andrada e Silva, Martim Francisco Ribeiro de Andrada, Wilhelm Ludwig von Eschwege, Charles van Lede et George Gardner (apud Gonsalves, 1928, p. 23). Cela relève du souci de fournir aux élèves un ensemble minimum de connaissances sur le pays. En même temps, les professeurs ont fait des efforts pour élaborer eux-mêmes des manuels, ce qui fut le cas de Burlamaqui, qui écrivit un traité de métallurgie et d’exploitation minière (cf. Moreira, 1866) et de Capanema, qui a rédigé un guide de minéralogie – les Apostillas de Mineralogia do Dr Capanema[16].
Il faut revenir aux raisons possibles de la forte présence de Nérée Boubée comme auteur important au sein des Ecoles militaire et centrale. Boubée est né à Toulouse en 1806[17] et est mort en 1862[18], probablement à Paris. Comme il l’annonçait sur le frontispice de ses œuvres, il était « professeur de géologie à Paris, membre de la Société Géologique de France, de la Société d’Economie Industrielle, membre correspondant de l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse, de la Société Linnéenne de Bordeaux, de celles de Normandie, etc. ». Il a également dirigé plusieurs journaux, tels que L’Écho du monde savant (1834-1838) et la Réforme agricole, scientifique et industrielle[19]. Dans quelle institution enseignait Boubée ? D’après ce qu’il est possible de conclure à partir de ses livres et ses textes, il donnait des cours privés et libres – voire ouverts à toute personne intéressée[20], avec l’appui de la Société géologique de France[21]. Il commercialisait aussi des collections de roches, minéraux et fossiles[22], et le magasin portant son nom existe toujours (aujourd´hui au 87, rue Monge, Paris 5e), mais depuis 27 ans il n’appartient plus à la famille Boubée. Selon son nouveau propriétaire (auprès de qui je me suis personnellement renseignée), il semble que le commerce d’échantillons avec le Brésil ait été important et ait duré longtemps, car il y avait encore, dans les années 1970, des boîtes non ouvertes de fossiles et minéraux provenant du Brésil. Malheureusement, il n’a rien pu me dire de plus. Cela pourrait cependant constituer une piste à suivre, susceptible de nous conduire à la découverte des liaisons plus régulières et fortes entre Nérée Boubée et les scientifiques brésiliens du XIXe siècle.
De toute façon, je crois que le contenu même des œuvres de
Boubée peut éclairer les raisons de la prédilection qu’il a suscitée. Car il
mettait toujours l’accent sur les applications de la géologie, même dans la
signature de ses livres. C’est le cas, par exemple, du Cours de géologie
agricole théorique et pratique, où on lit « par M. Nérée Boubée,
Ingénieur géologue, Professeur de géologie agricole et industrielle à Paris,
Directeur de la Réforme Agricole, etc. »[23].
Et parmi les nombreuses applications de la géologie qu’il signalait,
l’agriculture occupait de loin la première place.
Or, vers les années 1840, le Brésil s’est réintégré dans les grandes lignes du commerce international à travers la caféiculture, qui a déclenché un cycle d’essor économique – et de modernisation à tous les niveaux – très significatif (Mattos, 1990, p. 36). Ce processus a particulièrement influé sur la formation des ingénieurs car, en intensifiant la demande de professionnels pour les œuvres civiles liées à l’économie du café (voies de communication, ports, etc.), il a renforcé l’urgence de la séparation entre l’ingénierie militaire et le génie civil (Simonsen, 1945, apud Barata, op. cit., p. 59).
Qui était donc Burlamaqui, le professeur de minéralogie et géologie à l’Ecole militaire qui a demandé l’achat des livres de Nérée Boubée en 1847, et a certainement décidé d’adopter comme manuel d’enseignement son livre Géologie élémentaire appliquée à l’agriculture et à l’industrie ? Frederico Leopoldo Cezar Burlamaqui (1803-1866)[24] était un fils de militaire qui, comme son père, a embrassé la même carrière. En 1820 il a reçu le diplôme de lieutenant de l’Académie royale militaire et celui d’ingénieur militaire en 1829. A partir de 1828 il a été le directeur des Œuvres militaires et des Fortifications du port de Rio de Janeiro, fonction qu’il a quittée en 1835 lorsqu’il est devenu professeur de l’Académie militaire. En même temps, il était responsable de la Section de minéralogie, géologie et sciences physiques du Muséum national, ainsi que le directeur de cette institution de 1847 jusqu’à sa mort en 1866. Il a très activement participé à la Société d’Encouragement de l’Industrie nationale, où il a exercé les rôles de membre du Conseil de direction, de Secrétaire perpétuel et de responsable du journal, toujours en soutenant et stimulant tout ce qui touchait à l’agriculture. Il a même écrit, entre autres, un Catéchisme de l’Agriculture, un Dictionnaire de Technologie et l’Art de fabriquer le vin. Malgré le fait que Burlamaqui n’ait toujours pas fait l’objet d’une biographie, savante ou pas, je pense que cette esquisse suffit à démontrer son engagement en faveur de l’agriculture et sa possible compromission avec les grands propriétaires fonciers, et expliquer ainsi pourquoi Nérée Boubée, ses œuvres et son discours ont été au cœur des choix du scientifique brésilien.
A partir des années 1870 la multiplication des institutions scientifiques au Brésil s’est insérée dans un processus plus large de valorisation de la science sous l’influence des idées évolutionnistes (surtout celles de Spencer) et du Positivisme d’Auguste Comte (cf. Barros,1986 ; Dantes, 1988). En ce qui concerne les écoles professionnelles d’ingénieurs, à la fois indices de la modernisation du pays et de la spécialisation professionnelle, la croissance est évidente : l’ancienne Ecole centrale, encore une fois réformée, est devenue l’Ecole polytechnique de Rio de Janeiro ; une Ecole des mines a été fondée à Ouro Preto (Minas Gerais), environ 70 ans après qu’on l’ait suggéré pour la première fois ; et à São Paulo, une autre Ecole polytechnique a vu le jour, basée sur le modèle institutionnel de l’Ecole polytechnique de Zurich.
Comme d’habitude, l’Ecole a connu les problèmes de manque de professeurs. Une solution de longue durée n’a été adoptée qu’à partir de 1880 quand, après un concours public, Oscar Nerval de Gouvêa (1856-19??), ancien élève de cette Ecole et également docteur en médecine (cf. Blake, 1900, p. 342), a été nommé[27]. Sa thèse de concours a porté sur le sujet Les roches plutoniques du Brésil, suivant une approche plutôt chimique et pétrologique (Gouvêa, 1880), et il s’est appuyé surtout sur Capanema (son ancien professeur), Auguste Daubrée et Elie de Beaumont. Dès le début de son activité à l’Ecole polytechnique il a reformulé le programme et insisté sur les cours pratiques, en introduisant aussi la pétrographie microscopique pour la description et l’identification des minéraux et des roches[28].
En 1876, le cabinet de minéralogie et géologie disposait de 750 échantillons de minéraux – soit 82 de Minas Gerais et 79 de Rio Grande do Sul recueillis et offerts par Henri Gorceix, dont je parlerai ensuite, et le reste provenait de l’étranger –, 2 939 échantillons de roches (presque toutes de la collection Kramer), 300 fossiles et 668 modèles cristallographiques en bois. Ce cabinet n’était pas pauvre mais, malheureusement, il était encore une fois désorganisé. A part la nouvelle organisation, l’Ecole a dépensé une grosse somme en 1881 pour de nouvelles acquisitions de roches et de minéraux et aussi pour équiper les laboratoires[29]. Pour la bibliothèque, le catalogue[30] indique également de nouvelles acquisitions, dont : 41 de minéralogie, parmi lesquelles une édition plus récente (1875) du System of Mineralogy de Dana, et des Systèmes cristallins de Naumann (1872) ; 48 de géologie, parmi lesquels les œuvres de Burmeister (1870), Credner (1879), Lyell (éditions de 1857 et 1875) ; et, sous la classification d’Ontogénie, une traduction en français de l’œuvre de Darwin La descendance de l’homme.
L’influence la plus marquante de l’esprit de l’époque, fort imprégné de l’évolutionisme biologique et social, ne se trouve pas nettement dans les livres, mais dans les programmes d’enseignement. Comme Roy Porter l’a signalé, le principe de la transformation organique évolutive finit par être accepté, également dans les sciences de la Terre, après la publication de l’œuvre majeure de Darwin (Porter, 1983, p. 296). En outre, depuis le Système d’histoire naturelle pour la classification des minéraux développé par Friedrich Mohs (1773-1839) et adopté par James Dana (1813-1895) en 1837 dans son System of Mineralogy (cf. Staples, 1981, p. 248), le débat entre ses partisans et ceux d’une classification reposant sur une base chimique, comme celle proposée par Jöns Jakob Berzelius (1779-1848), s’est toujours poursuivi. Dans la chaire de minéralogie de l’Ecole polytechnique, à partir de 1881 et jusqu’en 1894, la prépondérance des conceptions marquées par l’histoire naturelle et le paradigme biologique est évidente, probablement en raison des choix et intérêts intellectuels du maître, Oscar Nerval de Gouvêa :
« objet de la minéralogie : étude comparative entre les individus minéraux et ceux organisés ; [...] formation, croissance et décomposition des minéraux ; analogies et differences qui distinguent ces trois phases de celles qui sont observées pendant la vie d’un être organisé ; rapports entre les lois d’héritage et d’adaptation et celles qui gouvernent les phénomènes de genèse et de métamorphose minérale »[31].
Par contre, dans la chaire de géologie, l’influence de la vision biologique n’est pas discernable. Le programme de 1881, par exemple, plutôt en concordance avec les manuels largement adoptés, comme celui d’Albert de Lapparent, comprenait : pétrographie, géologie dynamique (volcans, tremblements de terre, actions des intempéries et de la dénudation des terrains), géologie pétrogénétique (pétrologie), géologie architectonique (stratigraphie et paléontologie) et géologie historique, présentés selon une approche descriptive.
Pour conclure brièvement sur l’histoire de l’Ecole polytechnique de Rio de Janeiro au XIXe siècle, il faut mentionner que le problème le plus sérieux auquel l’Ecole fut confrontée a été celui de la distribution inégale des élèves entre les cours. Malgré l’éventail des différentes formations professionnelles offertes, le génie civil a été la modalité la plus demandée : « pendant ses premières 50 années d’existence [1874-1924] l’Ecole Polytechnique a délivré 1.565 diplômes d’ingénieur civil, 1.267 d’ingénieur géographe, 41 d’ingénieur industriel, 21 d’ingénieur mécaniciens-électriciens, 8 d’ingénieur des mines et 3 d’ingénieur agronomique » (Telles, op. cit., p. 388-89). Cela peut expliquer la fermeture en 1911 des cours des mines et d’agronomie. Cette demande déséquilibrée fut aussi le problème de l’Ecole des mines d’Ouro Preto.
1) La recherche préalable à la préparation de cet article a partiellement profité d’un financement de la Coordenação de Aperfeiçoamento do Pessoal do Ensino Superior – CAPES/Brésil (proc. nº 2128/01-2), que je remercie.
2) J’ai analysé les très riches rapports entre l’Allemagne et le Brésil dans un autre article (cf. Figueirôa, S. F. de M.,1990. Relations between Brazil and Germany in the field of geological sciences during 19th century. Earth Sciences History, New York, vol 9, nº 2, p.132-137).
3) Sauf lorsque indiqué différemment, toutes les traductions du portugais au français sont de ma responsabilité.
4) Né à Rio de Janeiro le 16 septembre 1763, il a étudié au Colégio dos Nobres à Lisbonne et à Coimbra, où il s’est consacré à la philosophie et aux sciences naturelles. Après son retour au Brésil, il a enseigné au Seminário de Olinda, et ensuite à l’Académie royale militaire.
5) Ofício da Junta Diretora da Academia Real Militar a S. M. Imperial. Rio de Janeiro, 23/03/1824. Arquivo Nacional, IG3 - 4.
6) « Relação dos compêndios adotados na Academia Militar, por João Saturnino da Costa Pereira em conjunto com o Diretor. 19/01/1837 ». Arquivo Nacional, IG3 - 5.
7) « Relação das encomendas a serem adquiridas por Berthot Libraire du Roi et de la Cour à Bruxelles ». Academia Militar, 02/08/1837. ass. Luis José da Fonseca Ramos, Secretário. Arquivo Nacional, IG3 - 5.
8) Ofício do Brigadeiro Comandante Raimundo José da Cunha Mattos, Diretor da Academia Imperial Militar, tratando dos objetos mineralógicos da instituição. Academia Militar, 10/01/1834. Arquivo Nacional, IG3 - 5.
10) « Programma para as lições de Geologia no anno de 1862 ». Arquivo Nacional, Programas da Escola Central (1858-64), IE2 78.
11) « Relação nominal dos Lentes e substitutos da Escola Militar, suas patentes, anos de serviços literários que hão prestado e Comissões em que consta terem sido empregados ». assinado Salvador Joze Maciel, 19/04/1842. Arquivo Nacional, Ofícios da Escola Militar (1841-46), IG3 18.
12) « Relação dos Lentes, Repetidores e demais empregados da Escola Central ». assinada Antônio José Fausto Garriga, Secretário, 12/05/1860. Arquivo Nacional, Ofícios da Escola Central, IG3 19.
13) « Quadro de distribuição do corpo letivo desta Escola pelas Cadeiras do Curso normal e de Engenharia Civil feita para o ano corrente de 1862 ». Arquivo Nacional, Ofícios da Escola Central, (1862-63), IG3 14.
14) Ofício de Firmino Herculano M. Ancora, Diretor interino da Escola Militar, a João Paulo dos Santos Barreto, Ministro da Guerra (?), encaminhando solicitação de livros de Frederico L. C. Burlamaqui. Ass., Escola Militar, 16/04/1847. Arquivo Nacional, Ofícios da Escola Militar (1847-50), IG3 17.
15) Ofício de Salvador Joze Maciel, Diretor da Escola Militar, a Antônio Francisco de Paula Holanda Cavalcanti d’Albuquerque. ass., Escola Militar, 22/11/1845. Arquivo Nacional, Ofícios da Escola Militar (1841-46), IG3 18.
17) Donnés biographiques extraits de : Prévost, M. ; D’Amat, R. (eds.) 1954. Dictionnaire de Biographie française. Paris, Librairie Letouzey et Amé, vol. VI.
18) Cf. Bull. Soc. géol. Fr., 2e série, vol. 20, 1862-63 : « M. Le Président [Achille Delesse] annonce à la Société la mort si regrettable de MM. De Sénarmont, Boubée et Marcel de Serres » (séance du 03-11-1862).
20) Sur une publicité des années 1830, on peut lire : « ... M. Boubée croit faire une chose utile pour l’étude de la géognosie, de consacrer la troisième partie de son cours élémentaire à l’étude spéciale des terrains parisiens. […] Chaque terrain sera d’abord étudié dans les leçons ordinaires, sous le rapport général et théorique qui résulte des faits observés dans les diverses contrées ; [...] M. Boubée donne aussi des leçons particulières, et offre d’étiqueter et de classer les collections de roches, de minéraux et de coquilles. Première leçon, mardi 28 juin, à sept heures et demie du matin chez M. Boubée, dans son jardin, rue de la Harpe, nº 62 ». (souligné sur l’original).
21) Sur le même texte mentionné dans la note précédente, on lit : « S’adresser franco, rue de la Harpe, nº 62, ou par la suite, au secrétariat de la Société Géologique de France, rue Jacob, nº 5, et pendant les voyages à M. Boubée [peut-être son père?], ancien magistrat, place Daurade, nº 18, à Toulouse ».
22) Dans le Guide du Géologue-voyageur (1836), d’Ami Boué, on lit : « Appendice C – Catalogue des principales collections géologiques, minéralogiques et paléontologiques – Boubée, R[oches] et F[ossiles] (Coll. à vendre et à échanger)) ». (vol. 2, p.389).
23) Boubée, N. 1852. Cours de géologie agricole théorique et pratique. Paris, au Bureau de la Réforme agricole, chez Eloffe, naturaliste.
24) Cf. Moreira, N. J. 1866. Elogio historico pronunciado perante S. M. I. em sessão da Assembléia Geral da Sociedade Auxiliadora da Industria Nacional por occasião do acto solemne da inauguração do busto do Conselheiro Frederico Leopoldo Cezar Burlamaqui (Dr. em Mathematicas, Prof. Jubilado da Escola Central, Brigadeiro reformado, Director do Muzeu Nacional, Secretario Honorario Perpetuo e Presidente da Secção de Agricultura da mesma Sociedade, etc, etc, etc). Rio de Janeiro, Typ. Nac. de Cotrim & Campos, 24 p.
26) Escola politechnica do Rio de Janeiro. Programmas de ensino referentes aos annos de 1881 e 1882. Rio de Janeiro, Typ. Nacional. 1881.
27) Ofício da Congregação da Escola Politécnica ao Conselheiro Barão Homem de Mello, Ministro do Império, encaminhando o nome do Bacharel Oscar Nerval de Gouvêa, aprovado no concurso às vagas da 1ª seção do Curso de Ciências Físicas e Naturais. Rio de Janeiro, 13/04/1880. ass. Lentes da Congregação. Arquivo Nacional, IE3 82.
28) Carta de Oscar Nerval de Gouvêa a Ignácio da Cunha Galvão, Diretor da Escola Politécnica, informando acerca da conveniência de adquirir-se uma coleção geológica. Rio de Janeiro, 03/11/1881. ass. Arquivo Nacional, IE3 83.
29) Ofício de Ignácio da Cunha Galvão, Diretor da Escola Politécnica, ao Cons. Barão Homem de Mello, Ministro do Império, informando que nas despesas realizadas em 1881 inclui-se a aquisição de 2 coleções mineralógicas (catálogo anexo da coleção Miguel Antônio da Silva). Rio de Janeiro, 17/08/1881. ass. Arquivo Nacional, IE3 83 ; Ofício de Ignácio da Cunha Galvão, Diretor da Escola Politécnica, ao Cons. Francisco Antunes Maciel, Ministro do Império, remetendo conta de aquisições para o Gabinete de Mineralogia. Rio de Janeiro, 14/06/1883. ass. Arquivo Nacional, IE3 85.
30) Escola polotecnica. Catálogo da biblioteca da Escola Politechnica. Rio de Janeiro, Typ. Nacional, 1882.
31) Escola politechnica do Rio de Janeiro. Programmas dos cursos para os annos de 1892-94. Rio de Janeiro, Typ. Nacional, 1892.
32) Société linnéenne de Normandie, 1876. Inauguration de la statue de Elie de Beaumont à Caen le dimanche 6 août 1876. Caen, Impr. De F. Le Blanc-Hardel, 104 p.
33) Voir : Nota sobre os meios de conseguir um conhecimento mais profundo sobre o solo brasileiro e de desenvolver a exploração de suas riquezas minerais, envoyé par Daubrée à l’empereur en 01/02/1872, et la Nota referente ao ensino da mineralogia e da geologia no Rio de Janeiro, de 18/05/1872, tous les deux documents aux Archives du Musée Imperial (AMI 164-7583) (apud Lima, 1977 : 27).
34) Carta do Cons. João Alfredo Corrêa de Oliveira, Ministro dos Negócios do Império, a Auguste Daubrée, convidando-o a vir ao Brasil. Rio de Janeiro, 06/07/1872. ass. Arquivo Nacional, IE3 261.
35) Carta de Auguste Daubrée ao Cons. João Alfredo Corrêa de Oliveira, Ministro dos Negócios do Império, declinando do convite para vir ao Brasil. Paris, 07/08/1872. ass. Arquivo Nacional, IE3 261.
36) Cartas do Cons. João Alfredo Corrêa de Oliveira, Ministro dos Negócios do Império, a João Pedro Carvalho de Moraes e João José de Oliveira Junqueira, solicitando facilidades para a viagem de Claude-Henri Gorceix ao RS. Rio de Janeiro, 27/07/1874. ass. Arquivo Nacional, IE3 261.
37) Carta de Claude-Henri Gorceix ao Ministro do Império, relatando suas atividades. Rio de Janeiro, 28/11/1874. ass. IE3 177.
38) Carta de Claude-Henri Gorceix ao Ministro do Império, encaminhando seu plano para a Escola de Minas. Ouro Preto, 08/02/1875. ass. Arquivo Nacional, IE3 177.
39) Ofício de Ignácio da Cunha Galvão, Diretor da Escola Politécnica, ao Cons. José Bento da Cunha Figueiredo, Ministro do Império, remetendo parecer da Congregação sobre a proposta de uma Escola de Mineiros em Ouro Preto. Rio de Janeiro, 30/08/1875. ass. Arquivo Nacional, IE3 261 ; Tratamento e vantagens requeridas para os professores da Escola de Mineiros, por Henri Gorceix. s. d. Arquivo Nacional, IE3 177 ; Parecer ao projeto de criaçóo de uma Escola de Mineiros, por Francisco Pereira Passos. ass. Rio de Janeiro, 09/08/1876. Arquivo Nacional, IE3 177.