COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 29 Mars 1979)
M. GAUDANT vous ayant déjà exposé en partie les idées fixistes de L.Agassiz, il nous suffira de rappeler ce passage bien significatif de l'Espèce et la Classification en Zoologie : "A des intervalles réitérés, fréquents même, bien que séparés les uns des autres par des périodes immensément longues, le globe a été bouleversé et bouleversé encore jusqu'à ce qu'enfin il s'arrêtait à sa condition actuelle; de même, les animaux et les plantes tour à tour se sont éteints et ont été remplacés par des êtres nouveaux, jusqu'à ce que fussent enfin appelés à l'existence ceux qui vivent de nos jours, et l'Homme à leur tête" (1). Agassiz s'est toujours résolument affirmé créationniste, et on comprend qu'il ait pu apparaître à un anti-transformiste aussi passionné que Sedgwick comme un rempart assuré contre la subversion des idées nouvelles (2).
Ces idées nouvelles, L. Agassiz n'en était pas cependant exempt, et cet aspect de sa pensée mérite un plus grand développement, pour bien faire saisir combien sa position intellectuelle était devenue inconfortable dans la polémique qu'il n'a cessé de soutenir contre la doctrine évolutionniste. Nous verrons plus particulièrement comment il a favorisé la diffusion de deux idées qui sont historiquement et fondamentalement liées à l'établissement du Transformisme : le Progressionnisme et la Continuité. Dans l'édifice du Fixisme, qu'il soutient inébranlablement, il introduit ainsi des concepts inexorablement destructeurs,
Alcide d'Orbigny avait été l'un des premiers fixistes à ressentir combien la vision cuviérienne d'une montée progressive de la vie du passé vers le présent était dangereuse pour l'anti-transformisme, et il s'était évertué à nier le progressionnisme. L. Agassiz ne le suit pas dans cette voie. Il admet sans doute, surtout au début, que, en ce qui concerne les Invertébrés, il est impossible de soutenir l'idée de progrès, du moins au niveau des Embranchements, et même au niveau des Classes. Mais la considération du développement des Invertébrés n'est pas la plus importante. Plus significatif est le développement des Vertébrés, qui conduit à l'Homme, et ici la progression historique n'est pas niable. Après les Poissons, qui sont apparus les premiers, "les Reptiles, les Oiseaux et les Mammifères se succèdent dans la série des formations géologiques dans l'ordre de leur gradation organique." (3) Dans le cas des Vertébrés, par conséquent, il est impossible de nier la marche vers le progrès, car elle se fait vers le genre humain, qui est le "terme de leur développement"(ibid.). Ils n'ont été créés, en effet, que pour s'élever jusqu'à lui.
En faisant cotte distinction entre le comportement des Vertébrés et celui des Invertébrés, L. Agassiz souligne la différence de perspective - peu remarquée avant lui, et souvent négligée après - qui apparaît dans la vision du passé, selon que l'on est vertébriste ou invertébriste. "Il y a ... un contraste remarquable et important à signaler entre le développement progressif des Vertébrés et celui des Rayonnés, des Mollusques et des Articulés, dont toutes les classes sont contemporaines." (4) Il faudrait, selon lui, se représenter le règne animal "comme formé de deux séries distinctes, dont l'une, composée d'animaux construits d'après le même plan d'organisation que l'homme, nous offre un développement graduel et progressif dès les temps les plus anciens; tandis que l'autre comprend une grande diversité de types contemporains qui ne perpétuent dans les mêmes relations sous des formes toujours nouvelles, à travers toutes les formations géologiques." (5)
"Du poisson à l'homme" ; c'est une expression d'Agassiz que beaucoup de transformistes reprendront, dans un sens évolutionniste, pour retracer, comme lui, le cheminement paléontologique qui conduit des premiers Vertébrés à l'Homme actuel. Corme ils le feront plus tard, comme ils le font déjà, L. Agassiz considère aussi que des uns à l'autre il y a une "gradation successive" et que "dans la structure de l'homme, il existe une perfection prouvant que celui-ci est la forme la plus élevée possible de la série qui commence au poisson." (6) Aussi les poissons sont-ils "le point de départ d'une série graduée qui commence avec eux et par eux, pour aboutir à l'homme." (7) "En résume, précise-t-il, nous sommes en présence d'une série complète qui montre qu'entre l'homme et les singes, les singes et les quadrupèdes, les quadrupèdes et les oiseaux, les oiseaux et les reptiles, les reptiles et les poissons, il existe une gradation ininterrompue de structures plus ou moins compliquées." (8) C'est en termes dynamiques qu'il compare l'Homme à la série des Vertébrés qui s'étend au-dessous de lui, dans le tableau zoologique et dans la durée géologique. Même si la signification des mots est différente, symbolique dans le cas d'Agassiz, réaliste dans le cas des Transformistes, il y a une pente du sens telle que le vocabulaire à lui seul est une invitation à prendre les mots au pied de la lettre, surtout quand ils se trouvent utilisés dans un contexte scientifique qui est en train de devenir, puis qui est déjà devenu, évolutionniste.
L'argument du Progressionnismc n'est pas le seul argument transposable que L. Agassiz fournit aux évolutionnistes. Il souligne, en effet, la continuité qui unit les organismes du passé à ceux du présent. Non seulement, comme nous venons de le voir, chez les Vertébrés, mais dans "tous les groupes primaires du règne animal", il a existé "des types synthétiques et prophétiques" (9); ils sont "précurseurs" de tous les autres, "participant, à ce titre à la fois des caractères propres de l'ordre auquel ils appartiennent", et rappelant, "par les particularités mêmes qui les distinguent de leurs représentants actuels", les modifications survenues dans l'organisation primitive. (10)
De cette relation qu'il a été le premier, assure-t-il, à découvrir entre les êtres du passé et ceux du présent, Agassiz passe au rapprochement entre le développement historique et le développement embryologique. Chez les Poissons, mais aussi dans toute la série des Vertébrés,"les créations successives ont parcouru des phases de développement analogues à celles que parcourt l'embryon pendant son accroissement". (11) Malgré les implications progressionnistes de ce parallélisme - et les utilisations évolutionnistes que l'on en fait - L. Agassiz continue à le soutenir de plus en plus explicitement. "C'est un fait que je puis maintenant proclamer dans la plus grande généralité, écrit-il à Elie de Beaumont en 1855, que les embryons et les jeunes de tous les animaux vivants, à quelque classe qu'ils appartiennent, sont la vivante image en miniature des représentants fossiles des mêmes familles, ou, en d'autres termes, que les fossiles des époques antérieures sont les prototypes des différents modes de développement des êtres vivants dans leurs phases embryologiques." (12) " l'histoire de l'individu, continue-t-il à affirmer, est, en quelque sorte, l'histoire du type auquel il appartient." (13)
L. Agassiz établit ainsi une triple correspondance entre la Paléontologie, l'Embryologie, et la Classification hiérarchique des êtres. La séquence paléontologique, ou même, comme il l'exprime, le "développement génétique du règne animal" (14), reproduit la séquence embryologique, et les deux correspondent à la série systématique établie par une distribution basée sur l'étude de l'organisation. L'unité des Vivants et la Continuité de la Vie sont ainsi manifestes :"l'économie zoologique qui règne maintenant, sans se rattacher par voie de filiation à celle des époques précédentes, n'est cependant pas nouvelle à la surface du globe, et ... elle n'a été définitivement fixe qu'après avoir été annoncée et en quelque sorte préparée par d'autres créations de plus en plus semblables." (15)
La Paléontologie que L. Agassiz a édifiée est donc, en fin de compte, différente de celle de Cuvier et de celle d'Alcide d'Orbigny. L'Homme, en particulier, est inscrit d'une manière plus étroite dans le mouvement ascendant qui porte le monde animal vers le degré le plus élevé de la perfection. Bien qu'il maintienne les créations multiples, et le catastrophisme, qui était le corollaire obligé des créations renouvelées, Agassiz fait souvent, cependant, la même lecture de l'Histoire de la Vie que les Transformistes. Pour lui, comme pour eux, il y a, en ce qui concerne les Vertébrés, un développement progressif des Poissons aux Mammifères, jusqu'à l'Homme, qui est "le terme de leur développement". Chez les Invertébrés, il n'y a pas eu véritablement de progrès; mais il y a une continuité dans leur histoire. Les fossiles des formations les plus anciennes peuvent être considérés "comme les premiers parents de tous les êtres qui ont vécu plus tard" (16) ; entre eux et les êtres actuels, il existe "une continuité si parfaite, que le caractère de la succession peut en être établi avec certitude." (17) Les Transformistes ne s'exprimaient pas autrement. L. Agassiz semble ainsi avoir vécu constamment dans une sorte de déséquilibre entre sa doctrine principale et ses hypothèses secondaires. C'est ce qui fait la difficulté particulière de l'étude de sa pensée, qui ne nous paraît pas unifiée. Elle semble, en effet, se dérouler constamment sur deux plans : celui de l'idéologie, et celui des faits.
Un glissement aurai pu, en effet, se faire à partir des concepts que L. Agassiz injectait dans sa Paléontologie - et d'autres faisaient le saut aux conceptions évolutives à partir de ces mêmes idées. Mais L. Agassiz remontait pour ainsi dire constamment la pente qu'il avait lui-même édifiée, et qui l'entraînait vers des courants de pensée dans lesquels il ne voulait pas se perdre; il luttait contre eux en affirmant et en réaffirmant que le Transformisme était une erreur, et que la seule explication du passé, même lu comme il le faisait, ne pouvait être que l'acte créateur de Dieu, renouvelé à chaque époque, et pour ne chaque espèce. Il ne pouvait en tirer des contradictions qui apparaissaient dans ses affirmations sur la continuité et la discontinuité de l'histoire des êtres vivants, qu'en recourant à Dieu pour rétablir la cohérence de sa pensée. Tout pouvait être lu comme ordre, développement, et succession régulière, et pourtant rien n'avait été ainsi, en fait, parce que Dieu, s'il avait, par sa pensée, tout conçu dans la continuité, avait ensuite, par sa volonté, tout découpé en rondelles.
La justification de la position de L. Agassiz se trouve ainsi dans l'idée qu'il se fait de Dieu, et, par conséquent, dans l'idée qu'il se fait de l'Homme. Se laisser séduire par la doctrine du Transformisme, c'est, en effet, au bout du compte, se laisser entraîner à admettre que l'homme est né comme les animaux, et que par conséquent, il n'est qu'un animal comme les autres. Agassiz en fait tout simplement l'aveu : c'est parce qu'il a pris conscience de ce danger, parce qu'il a vu "arriver le moment où la question de l'origine de l'homme et celle de l'origine des animaux se confondraient, et où l'on en viendrait à affirmer une communauté d'origine pour les uns et les autres" (18), qu'il est devenu résolument anti-transformiste. La question essentielle, en effet, "est de savoir si nous sommes les descendants directs de singes ou si nous sommes les enfants d'un esprit créateur; si nous sommes le résultat d'une révolution naturelle, ou si nous sommes l'expression d'un acte de création spécifique." (19) A l'époque, en effet - et peut être encore aujourd'hui, du reste - tout le débat tourne autour de ce problème, explicitement pour lui, et implicitement pour bien d'autres. En tous cas, désormais Agassiz le proclame clairement: il s'agit d'éviter la conclusion que les hommes et les singes ont la même origine; il s'agit de défendre la doctrine de la "création spéciale" de l'homme, de prouver "que nous ne sommes pas les descendants directs de singes, mais que nous sommes les enfants de Dieu. Nous somme les productions choisies d'une intelligence, nous sommes faits à sa ressemblance." (20) Pour être sûr de ne pas aboutir à la conclusion indésirable, Agassiz en vient même à introduire une différence d'origine entre les différentes races d'hommes :"Tous manifestent les caractères de l'humanité", accorde-t-il cependant, évitant un racisme trop choquant, mais il n'en reste pas moins vrai que les races humaines présentent des caractères distinctifs aussi nets que ceux qui distinguent les différentes sortes de singes." (21) Le motif de cette séparation est toujours le même; il est idéologique : "S'il est jamais prouvé que tous les hommes ont une commune origine, on aura établi en même temps, d'abord que tous les singes ont eux aussi une commune origine, et ensuite que les hommes et les singes ne peuvent avoir une origine différente." On voit donc que, pour Agassiz, tout se ramène à cette idée fondamentale : maintenir à tout prix la différence d'origine de l'homme et des singes :"Dieu ne peut être si pauvre en ressources, que pour créer un être humain doué de raison, il soit obligé de changer un singe en homme." (22)
Ainsi, c'est pour une raison totalement étrangère à la Science que L.Agassiz rejetait le Transformisme. C'est au nom d'une doctrine qu'il le refusait : celle de la Création de l'Homme, et aussi de toutes les espèces animales, par un Esprit tout-puissant."La doctrine que je défends, proclamait-il est la suivante : à l'origine un pouvoir créateur n'a pas seulement créé le petit nombre ..., mais encore le grand nombre ..., la création n'est pas limitée à un seul moment, elle a procédé à travers tous les âges et c'est sous les influences directes du pouvoir créateur qu'ont été amenées la plupart des différences qui existent." (23) S'il y a des ressemblances indéniables entre les types "d'ailleurs fort éloignés", la raison n'en est pas, par conséquent, la descendance, "le lien génétique dans le sens d'une procréation sexuelle successive", ni les conditions dans lesquelles ils vivent, mais uniquement, en définitive, le bon plaisir du Créateur, qui les a enchaînés les uns aux autres "par des liens d'une nature plus relevée" (24), liens qui ne peuvent être recherchés "que dans l'intelligence créatrice" de l'auteur de toutes choses. (25) Le Dieu Créateur intervient dans la production des détails, comme il intervient dans la marche générale du monde. En soulignant la distinction qui existe entre l'homme et le singe, Agassiz veut affirmer que les différences qui les séparent sont dues à l'action directe de Dieu, et c'est là le point fondamental de sa doctrine :"je ne prétends pas accuser les partisans de l'idée d'une transformation de vouloir nier l'intervention d'un pouvoir créateur dans les actes du monde, et le rôle de Dieu dans la nature, mais je les accuse de nier son intervention directe, immédiate, dans la production de ces différences." (26)
A partir de ce pouvoir créateur de l'esprit, tout s'explique, en effet, sans difficulté : cet esprit peut tout, et il a effectivement tout fait. Ce ne sont pas les conditions physiques, progressivement changeantes, qui ont amené les changements corrélatifs des êtres; mais, au contraire, ce sont les conditions d'existence qui ont été changées intentionnellement, pour qu'il fût possible d'appeler à la vie des êtres nouveaux et différents. Un "pouvoir intellectuel" a, à chaque instant, gouverné la terre, "de manière à rendre les conditions physiques telles que les êtres vivants pussent trouver une demeure appropriée à leur développement." Ainsi, "les reptiles ont été appelés n l'existence juste au moment où la terre, s'élevant au-dessus de la mer, est devenue assez vaste pour offrir une demeure convenable aux larges masses de reptiles des périodes primitives"; ainsi aussi, les oiseaux apparaissent "au moment où .notre atmosphère avait été privée de son accumulation d'acide carbonique", dans lequel ils n'auraient pas pu respirer. Et, de la même manière encore, la terre a été préparée pour l'homme de façon qu'il pût y développer ses facultés de la manière la plus convenable." (27) Tous les problèmes d'origine, de développement et d'adaptation, se résolvent ainsi par "l'intervention de l'esprit", responsable de la production d'êtres vivants à travers les temps "sur un plan disposé et suivi depuis l'origine, en vue d'une fin qui est l'homme." (ibid.) On y revient toujours, dans cette perspective : tout s'explique par l'action directe de Dieu, et l'essence de chaque être, et tous ses carcatères. Tout autre explication est fausse et sa recherche vaine et inutile.
Louis Agassiz fut un grand Paléontologiste, car il a découvert et déterminé un grand nombre de fossiles; aussi les faits qu'il a révélés à la Science demeurent, comme des données définitivement acquises. Mais il a eu moins de succès dans le domaine des idées. Il se situe, il est vrai, à une période bien difficile pour un penseur naturaliste, à une période de basculement de la pensée scientifique. Sous la poussée des Sciences de la Nature - de la Paléontologie, justement, en particulier - de nouvelles perspectives se dessinent, et même bientôt s'imposent, pour l'explication de la Nature. De la poussée en ce sens, Agassiz est lui-même un des principaux artisans. Et cependant, au moment où il contribue à tout faire basculer, sa propre pensée se bloque, et il s'accroche à une vision du passé de plus en plus dépassée.
Son approche de la Nature nous est aujourd'hui étrangère, et elle est, à notre jugement anti-scientifique. Elle l'était déjà à son époque. Mais si, sous ce rapport, L. Agassiz n'était déjà plus de son temps, il était cependant, ne l'oublions pas, de son siècle, d'un siècle qui avait vu, à ses débuts, Napoléon et Laplace discuter de l'intérêt de l'hypothèse Dieu dans la Science.
Depuis Newton, on n'avait plus un besoin immédiat de Dieu dans l'univers physique : il suffisait de faire appel à ses lois pour expliquer la marche du Monde. Mais, malgré l'appel de Cuvier à un Newton de l'univers des vivants, Agassiz continue à croire et à proclamer que les phénomènes de la Vie sont bien bien trop compliqués et imprévisibles pour qu'il puisse être fait appel à des lois. Il faut donc, pour lui, de toute évidence, dans ce domaine entièrement différent de celui exploré par Newton, remonter immédiatement à Dieu.
Cette manière de raisonner sur les faits, malgré l'étonnement qu'elle peut provoquer, n'a pas cependant que des inconvénients. Paradoxalement, elle maintient, en effet, une grande liberté dans la recherche scientifique. En effet, tant que toutes idées rejoignent Dieu pour y trouver leur justification première, et, par là, leur unification dernière, le champ leur est largement ouvert, même à celles qui ne s'harmonisent pas avec des idées antérieurement émises, et simultanément défendues. Nous avons sous les yeux l'exemple de la pensée de L. Agassiz ; ainsi les "caractères prophétiques" des types primitifs, et même l'ordre chronologique d'apparition progressive des êtres ne manifestent aucune affinité avec des idées fixistes; ils s'harmonisent même mieux avec des idées transformistes. Mais on peut dire aussi, comme Agassiz, - et ce point de vue est irréfutable - que tout cela est, parce que Dieu l'a voulu ainsi. Aurait-il voulu construire un système fermé d'explication, Agassiz n'aurait pu développer les idées neuves que nous l'avons vu soutenir : le refuge en Dieu apparaît dans ce cas, non seulement comme une planche de salut pour les âmes inquiètes, mais aussi comme une position de repli pour les esprits inconséquents. Le recours à un acteur transcendant permet ainsi de maintenir des système ouverts, étapes nécessaires pour le progrès des Sciences.
Il ne faut pas oublier non plus, d'autre part, à sa décharge que, comme le reconnaît Simpson, "l'explication métaphysique peut, en fait, être vraie."... Mais nous n'avons aucun moyen de le savoir. Aussi, quand il s'agit de science, la métaphysique est hors circuit. En effet, ajoute Simpson, "aucune hypothèse pour laquelle ne peut exister de test rigoureusement objectif ne devrait être acceptée comme conclusion ou comme principe de travail dans la recherche... L'histoire scientifique démontre à l'évidence que le progrès de la connaissance requiert rigoureusement que jamais aucun postulat non-physique ne soit admis en connexion avec l'étude des phénomènes physiques." (28) Le rapport immédiat à Dieu, tel que le pratiquait Agassiz, est ainsi antagoniste de la démarche scientifique, en ce qu'il dispense de raisonner sur les phénomènes. Si Dieu est, en effet, une réponse à tout, il n'y a plus rien à chercher en rien. Cette méthodologie, qui n'est plus scientifique, stérilise ainsi la Science par le haut, en lui refusant le domaine de l'hypothèse qui la fait progresser vers des synthétisâtions de plus en plus vastes. Le seul champ qui lui reste ouvert - il est vrai qu'il est étendu - est celui de la recherche et de la description des phénomènes, mais il réduit la Science à n'être que de l'érudition.
En fin de compte encore - mais ici nous sortons du domaine de la Science, mais non pas des préoccupations du savant - par la confusion qu'elle entretient entre physique et méta-physique, cette "philosophie", (mais cette observation que nous allons faire aurait peut-être désespéré Agassiz !), porte autant de tort à son Dieu qu'à sa Science. Si Dieu est réduit, en effet, au rôle d'hypothèse de Science, au fur et à mesure que la Science progresse, comme elle n'avance qu'en digérant ses hypothèses, l'hypothèse Dieu recule.
L'attitude intellectuelle de L. Agassiz - mais il ne fut pas le seul au 19e siècle - nous étonne aujourd'hui par l'idée qu'il se faisait encore des rapports de la Science et de la Philosophie. Son excuse est qu'il vivait à une époque où les uns faisaient de l'apologétique dans un sens, tandis que les autres en faisaient dans un autre, les deux camps protagonistes ne se retrouvant complices que pour abuser de la Science, et surtout de la plus fragile d'entre elles, la Biologie. Ils nous ont, au moins, les uns et les autres, enseigné, par leur échec, que la recherche de ce que chacun considère comme étant la "vérité" ne devrait pas passer par le mépris de l'épistémologie, ni, dans la mesure où la confusion mentale est le sous-produit de la mauvaise foi, par le mépris de la morale.
(2) Elisabeth C. Agassiz : Louis Agassiz, sa Vie et sa Correspondance, 1887, p. 304-307.
(3) Notice sur la succession dans la série des formations géologiques, Ann.Sc. Nat. Zool., 3, t. 2, 1844, p, 253.
(4) Supplément aux Recherches sur les Poissons fossiles, 1344-45, p. 14,
(5) Notice sur la succession ..., op. cit. , p. 253
(6) Hommes et Singes, La Revue Scientifique, t. 6, 1874, p. 817-818.
(7) De la succession et du développement des êtres organisés, 1841, p. 14
(8) Hommes et Singes, op. cit., p. 818.
(9) Les types spécifiques; leur évolution et leur permanence, La Revue Scientifique, t. 6, 1874, p. 922.
(10) Catalogue raisonné des familles, des genres et des espèces de la classe des Schinodermes, Ann. Sc. Nat. Zool. , 3, t. 6, 1846, p. 313.
(11) Suppléments aux Recherches... p. 27
(12) Extrait d'une lettre à M. Elie de Beaumont, C.R.Acad.Sc., 1855, t.40,p.635,
(13) Methods of Study in Natural History, 1863, p. 91
(14) Recherches sur les Poissons fossiles, t. 3, 1833-43, (les Ganoïdes), p, 75
(15) Ibid., t. 5, p. XII.
(16)Supplément aux Recherches,.., p. 14.
(17) Les types spécifiques..., op. cit., p. 922.
(18) Hommes et Singes, La Revue Scientifique, t. 6, 1074, p.816.
(19) Ibid., p. 817.
(20) Ibid., p. 819.
(21) Ibid., p. 816.
(22) Methods of Study..., p. IV.
(23) Hommes et Singes, op. cit., p. 818.
(24) De la succession..., p. 9.
(25) Recherches sur les Poissons fossiles, t. I, p. 170
(26) Hommes et Singes, op. cit., p. 817.
(27) Ibid., p. 820.
(28) G.G. Simpson, Rythme et Modalité de l'Evolution, traduct. Saint-Seine, 1950, p. 127 et 128, texte, et note.