RESUME DES INTERVENTIONS
Michel Armatte (Paris Dauphine et Centre A. Koyré) - Théorie et Ingénierie économiques : deux siècles de contribution des ingénieurs des Mines
Notre intervention, dans le cadre du bicentenaire du corps des Mines, vise à dresser une cartographie des apports des Ingénieurs des Mines à la science économique sur ces deux siècles. Nous nous référons d’abord aux chaires et enseignement de l’École relatifs à la législation et l’économie industrielle puis à l’économie générale. Nous découvrirons à cette occasion les professeurs qui ont marqué ces enseignements, de Frédéric Le Play (1806-1842) à Maurice Allais (1911- ) en passant par d’autres figures peut-être moins bien connues comme Emile Cheysson et Maurice Bellom, disciples du premier, ou encore Jules Regnault, François Divisia, et Robert Gibrat, précurseur de Allais dans l’histoire de la finance ou de l’économétrie, disciplines qui profitèrent des percées importantes opérées par les mathématiciens-probabilistes Joseph Bertrand, Henri Poincaré et Paul Lévy. Mais il ne faudrait pas oublier ceux qui eurent un rôle direct dans la gestion des affaires publiques et privées comme, par exemple, Arthur Fontaine au début du XXe siècle, à la tête de l’Office du Travail au du BIT, ou plus tard, François Morin négociateur du traité de Rome puis Directeur général de Paris Bas, ou encore Jean-Louis Beffa, dont la carrière à la tête de Saint Gobain s’est accompagnée d’une réflexion constante et originale sur les structures économiques et industrielles. Notre souci principal tout au long de cette évocation sera de montrer comment ces ingénieurs des Mines ont articulé une double contribution à la science économique : un souci constant de cohérence et d’innovation théorique s’appuyant sur leur culture mathématique, mais aussi une volonté farouche d’ appuyer cette science sur des observations fiables, et d’assumer jusqu’au bout ses applications, dans le cadre des missions du corps des Mines de régulation et d’organisation des marchés, au service de l’État et de la société civile.
Alain Beltran (CNRS) - Nucléaire civil et corps des mines : de la continuité en politique industrielle
C’est dans les années 1960 que le Corps des Mines est le plus représenté dans le domaine du nucléaire civil. Cette position forte reste néanmoins inférieure à d’autres « bastions » comme le pétrole. Ce mouvement d’entrée correspond à une diversification alors que certains secteurs traditionnels sont en déclin (charbon ou sidérurgie) mais aussi à une marque d’intérêt pour un domaine qui doit assurer à moyen terme l’indépendance nationale, qui demande de fortes capacités scientifiques mais aussi managériales et reste sous la tutelle étroite des pouvoirs publics. Ces caractéristiques correspondent à certains traits fondamentaux du Corps des Mines, autant qu’on puisse généraliser sur un petit échantillon avec de fortes personnalités. De plus, le nucléaire civil comme le pétrole sont de véritables politiques, inscrites dans le long terme et dans les structures propres à la France : le Corps peut s’y exprimer de façon satisfaisante et les carrières sont ouvertes. Les périodes suivantes montrent une stabilisation de l’engagement du Corps dans le secteur du nucléaire civil qui doit être mis en parallèle avec la propre évolution du secteur nucléaire qui entre dans une phase de grande exploitation avec une relance récente.
Daniel Boullet (IDHE-Nanterre, CDHTE-CNAM) - Etat, industrie et environnement : la réglementation et
l’action publique entre continuités et transformations des années
1960 aux années 1980
L’action publique dans le domaine de l’environnement industriel,
essentiellement celle de l’État, s’est d’abord développée sans avoir
été appelée par un grand mouvement d’opinion. C’est un faisceau de
circonstances variées, qui amenèrent l’État dès les années 1960 à se
saisir de questions telles la pollution atmosphérique, la politique
de l’eau, une réforme des services des établissements classés... Au
cas par cas s’élaborèrent ainsi des règles et des pratiques,
nouvelles par certains aspects mais qui s’inscrivaient aussi dans la
continuité de textes déjà anciens et une tradition d’attitudes
protectrices de l’activité industrielle. Héritage de ces temps «
pré-environnementaux » : l’évidence de l’appartenance de
l’environnement au champ de compétence de la puissance publique. Le
ministère de l’Environnement naquit ainsi en 1971, doté d’une
politique à appliquer et de méthodes d’action déjà largement fixées.
L’État ne s’écarta guère ensuite d’une méthode relevant de
l’entraînement partenarial, cherchant à associer les industriels à
la définition de la politique du pays en la matière.
Les faits aboutirent cependant à élargir la latitude d’action de la
puissance publique, parfois malgré elle. Les raisons en sont variées
: autonomie des différents ordres de tribunaux, incidence
d’évolutions générales du droit, effets sur l’opinion de la
médiatisation de certains sujets, proximité affichée par une partie
de l’establishment avec les thèmes écologiques, influences
extérieures notamment européennes (l’État tendant à prendre un rôle
d’interface entre négociations et adaptation de règles dépassant le
cadre national), souhait des entreprises elles-mêmes de voir fixer
des règles claires, sans que leur préférence pour qu’elles restent
souples et légères ait toujours été satisfaite, paramètres d’ordre
politique (personnalité des ministres, étroitesse de majorités ayant
permis aux écologistes d’étendre leur influence). Tous facteurs
propres à accentuer la pression publique sur l’industrie, mais dont
les effets doivent se mesurer à l’aune des attitudes et possibilités
réelles d’action des services en charge d’application de la
règlementation.
Au total, une image contrastée de l’action publique s’impose, à la
fois volontaire et velléitaire : clarté et parfois même audace dans
les principes ; prudence et refus de contraindre dans l’application
jusqu’à encourir le reproche de laxisme ; souci pourtant d’entraîner
et d’avancer concrètement, mais en demeurant dans des limites très
contraintes en terme d’engagements budgétaires. Une image
partiellement corrigée, mais partiellement seulement, par différents
types de pressions que l’État eut lui-même à subir.
Alan Bryden - Les
métriques du développement industriel : métrologie et normalisation
En matière scientifique comme en affaires, on ne connaît bien que ce
que l’on sait mesurer. Les deux disciplines qui sous-tendent la
mesure sont la métrologie (et ses prolongements essais et analyses)
et la normalisation.
La métrologie peut-être décrite comme le « hardware », car elle met
en œuvre des moyens et des compétences physiques ou chimiques. Elle
organise une hiérarchie de références et de raccordement qui permet
d’ajuster le niveau d’incertitudes aux besoins. Discipline
millénaire, dont l’essor était à l’origine lié au commerce, à la
construction et à l’armement, elle est devenue la mère des autres
disciplines scientifiques. Son champ s’est considérablement étendu
pour couvrir les développements de la science de l’infiniment grand
à l’infiniment petit. Aujourd’hui elle est présente également dans
la maîtrise de l’environnement, les technologies de l’information et
la protection de la santé, et se développe même pour les services
dans ce qu’on peut qualifier de « métrologie de l’immatériel ».
La normalisation est quant à elle le « software » de la mesure. Les
normes sont des documents basés sur divers degrés de consensus qui
codifient de multiples sujets utiles pour les relations entre
partenaires et interlocuteurs scientifiques ou économiques :
terminologie, traitement et échanges de données, codification,
interopérabilité, méthodes de mesure et d’essais, critères de
performance, de sécurité ou d’impacts sur l’environnement et la
santé, règles d’organisation, de bonnes pratiques et de management,
évaluation de la conformité. La pratique de la référence aux normes
dans les règlementations et les politiques publiques s’est
développée comme un outil de « bonne gouvernance ».
Avec la globalisation et la libéralisation des échanges, et de bien
d’autres sujets, tels que la réponse au changement climatique, la
santé ou le déploiement de nouvelles technologies à l’échelle de la
planète, métrologie et normalisation donnent lieu à une
harmonisation et à une coopération internationales intenses. La
France en est une actrice respectée. Ses organismes de première
ligne, l’AFNOR (Association française de normalisation), le COFRAC
(Comité Français d’Accréditation) et le LNE (Laboratoire National de
Métrologie et d’essais, tous actuellement dirigés par des ingénieurs
des mines, sont à la pointe de l’innovation et des bonnes pratiques
dans leurs métiers.
Pierre Chancerel (IDHE) - Paul Weiss, un savoir-faire technique et
administratif au service de l’Etat
Né en 1867, Paul Weiss commence sa carrière comme ingénieur des
Mines à Arras, en 1892. En 1906, il est appelé pour porter secours
aux mineurs ensevelis lors de la catastrophe de Courrières. Le
courage et l’efficacité dont il fait preuve alors lui permettent
d’être nommé adjoint du directeur des Routes, au ministère des
Travaux publics, en 1907. En 1911, il devient directeur des Mines.
A ce titre, il est chargé de la mise en œuvre de la politique
charbonnière de la France. Le régime minier, défini par la loi de
1810, accorde des concessions à perpétuité et peu de revenus à
l’Etat. Le travail de Paul Weiss consiste à réformer les conditions
de concession et d’exploitation des mines pour en améliorer leur
rendement pour l’Etat. Le projet sera remanié pendant une décennie
et aboutira au vote de loi réformant le régime minier, en 1919.
Au début de la Première Guerre mondiale, il seconde le ministre des
Travaux publics, Marcel Sembat, dans son action destinée à fournir
du charbon à la France. La tâche du ministère s’amplifie et il est
amené à réorganiser le marché national du charbon en le plaçant sous
son contrôle. Premier directeur du Bureau national des Charbons,
Paul Weiss organise la distribution et le contrôle des prix du
charbon, aussi bien pour l’industrie que pour la consommation
domestique.
C’est suite à l’éviction du gouvernement de Sembat, en 1916, que
Paul Weiss est remplacé à la direction des Mines. Cette disgrâce
s’explique par ses liens avec le ministre et la volonté de son
successeur, Edouard Herriot, d’imprimer une politique nouvelle à
l’approvisionnement de la France en charbon. Il reste chargé de
plusieurs missions et membre de commissions importantes jusqu’à la
fin de la guerre, avant de travailler pour une société charbonnière
privée, en 1918
Jean-Louis Escudier (CNRS) - Les ingénieurs des mines et la protection sociale des ouvriers des mines, XIXe-XXe siècles
En raison des risques qu’elle présente, l’industrie minière a précocement généré des formes de protection sociale. Les ingénieurs du corps des Mines, en charge du contrôle de cette industrie tout à la fois stratégique et potentiellement dangereuse, furent souvent sollicités pour donner des éléments d’appréciation aux membres de l’exécutif et à la représentation parlementaire.
Plusieurs ingénieurs des Mines prirent une part active aux débats doctrinaux sur la nature la plus souhaitable d’un système de protection sociale pour les ouvriers mineurs. Par leur ouverture internationale, les ingénieurs des Mines furent à même de livrer de précieux éléments de comparaison entre système de protection sociale des différents pays européens. Nous focaliserons notre communication sur l‘action de quelques ingénieurs des Mines particulièrement sensibilisés par la question sociale : Frédéric Le Play, Octave Keller, Maurice Bellom, Jules Ichon, Arthur Fontaine.
D’un point de vue plus analytique, nous mettrons en évidence la mutation doctrinale opérée par le Corps des Mines dans les années 1880-1900. Nous montrerons comment la doctrine leplaysienne fondée sur le patronage s’efface alors au profit d’une doctrine d’inspiration bismarckienne privilégiant l’assurance professionnelle obligatoire entérinée par la loi du 29 juin 1894 relative aux caisses de secours et de retraite des ouvriers mineurs. Enfin, nous apprécierons les conséquences d’une telle évolution.
Cyrille Foasso (CNAM) - Du service à l’autorité : les ingénieurs des mines
et la sûreté nucléaire
En mars 1973, après près de trente ans de développement du nucléaire
civil en France, un petit service administratif est officiellement
chargé du contrôle de la sûreté des installations nucléaires au sein
du Ministère de l’industrie. Il est confié aux ingénieurs du Corps
des mines. Nous relatons les motivations de cette création, le jeu
entre les différents acteurs (les différents exploitants,
constructeurs, agences gouvernementales en charge du nucléaire,
ministères et grands corps), la mise en place de l’expertise.
Nous montrons l’évolution de cet échelon administratif, en rupture
mais également en continuité avec la tradition française en matière
de contrôle et de réglementation des installations à risque, dans un
processus original toujours contraint ou stimulé par l’environnement
international.
Anne-Françoise Garçon (Paris 1) - Existe-t-il un 'Esprit Mines' ?
C'est en 1752 que débuta en France la formation des élèves-ingénieurs des Mines. Cette formation était proposée à des élèves de la toute jeune école des Ponts et Chaussées désireux de se 'destiner aux Mines' selon une idée qui aura pu être inspirée à Trudaine par Jean Hellot, chimiste et savant, spécialistes, entre autres, des questions minéro-métallurgiques. En 1783, l'École royale des Mines de Paris fut créée après des débats houleux et contradictoires. En 1791, le Corps des Mines affirmait son existence, en réaction à la nouvelle législation minière et voyait son existence reconnue, quoique le moment fut celui du libéralisme triomphant.
Ce bref rappel d'une origine est là pour fixer le cadre de notre interrogation. A-t-il existé, existe-t-il un mode de pensée, une manière d'être, un habitus, voire un profil psychologique particulier à l'ingénieur des Mines tel que, s'étant progressivement défini à partir des années 1750, il existerait jusqu'à aujourd'hui ? Bref, existe-t-il un 'Esprit Mines' ?
Pour apporter quelques éléments de réponse, nous explorerons le sujet de deux manières.
D'abord, nous interrogerons ce qui, de leur formation ou de leur travail, a pu contribuer à donner aux ingénieurs des mines une pensée homogène et spécifique, telle qu'elle ait pu traverser les siècles. Bref, à la question, y eut-il un esprit Mines, nous répondrons par l'affirmative : l'ingénieur des Mines, du XVIIIe au XXe siècle, se reconnait à des traits de pensée, que l'on retrouve bien sûr chez d'autres catégories d'ingénieurs, mais à des degrés divers et qui, dans ce cas précis, ont fait alliage. Comme la plupart des polytechniciens du XIXe siècle, l'ingénieur des Mines est empreint de St-Simonisme, acteur engagé du 'système industriel'. Mais lui est un enquêteur, un homme de terrain qu'il aime à parcourir. Il manifeste un goût prononcé pour l'innovation industrielle. Il est en rapport étroit avec l'économie de l'entreprise, sous les deux angles du contrôle administratif et de la pratique directe. Enfin, depuis toujours, il est un gestionnaire du souterrain : gestionnaires des travaux miniers et minéralogiques, gestionnaire des statistiques industrielles, gestionnaire de la pratique industrielle quoique ce fût un enfant indigne, un élève de l'École des Mines de Saint-Etienne, Henri Fayol, qui le premier posa les principes de la rationalisation du management industriel et administratif.
En parallèle, la notion de 'Corps' sera obligatoirement interrogée. Elle est connue pour consacrer le lien avec l'État. A-t-elle joué aussi dans le sens d'une homogénéisation de comportement, en rassemblant les origines sociales et culturelles et en permettant de les transcender ?
Hervé Joly (CNRS) - Les
ingénieurs du corps des Mines dans l’industrie au XXe siècle
La communication étudiera les carrières des ingénieurs du corps des
Mines dans la longue durée, de 1914 à nos jours. Le pantouflage sera
appréhendé à la fois du point de vue de l’administration et des
entreprises. D’une part, quelle est l’importance statistique du
phénomène dans ses différentes formes, secteur public par la voie du
détachement ou secteur privé par celle du congé ou de la démission,
pantouflage précoce ou tardif, provisoire ou définitif ? Est-ce un
problème pour l’administration dont elle chercherait à limiter
l’ampleur, ou au contraire un avantage qu’elle valorise ?
Existe-t-il des conjonctures politiques ou économiques plus
favorables que d’autres ? Quels liens peut-on établir entre les
activités administratives exercées et les débouchés trouvés en
entreprises ? Quel est le rôle joué par le Conseil général des mines
ou par certaines personnalités influentes du corps ? D’autre part,
comment se répartissent les ingénieurs du corps des Mines entre les
entreprises ? Leurs débouchés reposent-ils sur des logiques de
branches, ou peut-on faire à l’intérieur d’une même branche des
différences selon les entreprises ? Comment sont-ils recrutés ?
Quelles sont les perspectives de carrière qui leur sont offertes ?
Quelle est leur réussite effective ? Sont-ils plutôt des techniciens
spécialistes de leur secteur ou des managers généralistes ? Comment
le corps s’est-il adapté aux évolutions du tissu industriel ?
L’étude reposera à la fois sur une analyse prosopographique de
l’ensemble des trajectoires et sur des éclairages plus qualitatifs
tirés des archives ou de quelques entretiens.
Isabelle Laboulais (Strasbourg) - Les productions cartographiques des ingénieurs des
Mines au cours du premier XIXe siècle »
Au début du XIXe siècle, l’acte cartographique fait partie des
pratiques courantes des ingénieurs des Mines : la délimitation des
concessions et l’organisation de l’exploitation supposent notamment
l’exécution de plans et de nivellements. L’atlas de la Sarre dressé
par Beaunier et Calmelet en 1809 et 1810 en offre probablement
l’exemple le plus extraordinaire, mais on pourrait aussi citer le
travail d’Héron de Villefosse publié en 1819, ou, bien sûr, les
papiers des ingénieurs chargés de donner leur avis sur les demandes
de concession, papiers qui offrent cette fois une illustration plus
commune du recours à la carte. Cependant, les productions
cartographiques des ingénieurs des Mines ne s’attachent pas
seulement à l’échelle locale des exploitations, l’acte
cartographique leur permet aussi de disposer d’outils destinés à la
fois à l’inventorier des ressources et à la connaissance des
terrains. Nous verrons dans cette contribution en quoi les
productions cartographiques des ingénieurs des Mines constituent des
traces du mouvement de territorialisation des savoirs
caractéristique de cette période.
Lionel Latty
« Henri Fournel, Ingénieur du corps des Mines, saint-simonien » :
Henri Fournel, né le 25 janvier 1799 à Paris, occupe une place à
part parmi les saint-simoniens, empreinte d’idéalisme plus que
d’utopie. Son article du Globe « Au Roi » résume les propositions de
politique économique du saint-simonisme militant. Il conduit des
chantiers sociaux dans le milieu populaire de Paris, mais leur
courte durée en limite la portée. Sa femme Cécile et lui perdent
leur fortune en donnant 150.000 F à la Famille. Trésorier de
celle-ci lors de la faillite financière de l’été 1832, il évite à
Enfantin d’être condamné aux procès d’août et d’octobre. Il établit
en 1833 une bibliographie saint-simonienne, source des publications
ultérieures sur les œuvres de Saint-Simon. Son rôle est décisif dans
la préparation du projet de communication de Suez à la Méditerranée
et dans sa présentation à Méhémet Ali en janvier 1834. L’échec
provoque sa rupture avec Enfantin. Sa fidélité se manifeste par son
action pour la société de Secours Mutuel, et par sa désignation
comme l’un des exécuteurs testamentaires d’Enfantin. Il exerce une
carrière professionnelle originale dès sa sortie de l’Ecole des
Mines de Paris en 1823, tantôt privée, tantôt publique. Il propose
en 1828 un projet précurseur de liaison ferroviaire entre Gray et
Saint-Dizier, puis dirige Le Creusot en 1830. Après huit années
d’expertises houillères d’ingénieur conseil, il est en 1843 au
service de l’Etat pour explorer les richesses minérales de
l’Algérie. Revenant en France en 1847 à l’industrie privée, il
dirige au chemin de fer du Nord la traction et les ateliers de La
Chapelle. La Révolution de 1848 bouleverse les orientations
logistiques du Nord qu’il doit quitter. En 1850 il revient
définitivement dans son Corps, à la Commission Centrale des Machines
à Vapeur, puis au Conseil Général des Mines. Il participe à la
déréglementation des appareils à vapeur de 1865. Il publie enfin un
travail d’érudition sur la culture berbère.
Isabelle Lespinet-Moret (Paris 10) - Arthur Fontaine, de l’Ecole des Mines à la présidence
du Bureau international du Travail, à la recherche d’une
réglementation du travail et de la paix sociale, 1880-1932 ».
La formation d’ingénieur des Mines, puis l’exercice de sa profession
d’ingénieur ont sans nul doute sensibilisé Arthur Fontaine
(1860-1932) aux notions de risque du travail industriel et de santé
au travail. Ce haut fonctionnaire qui a dirigé l’Office du Travail
et la Direction du travail au sein du ministère du Commerce puis du
Travail, des années 1890 à la fin de la Première guerre mondiale est
un défenseur de la réglementation du travail sur un plan national et
international. Arthur Fontaine contribue largement à cette époque à
l’élaboration d’un savoir scientifique sur ces questions liées au
travail, à partir duquel il propose une réforme sociale. Son action
se porte à la fois sur l’administration du travail, sur la
préparation de la législation, de la réglementation et sur la
négociation dans les situations conflictuelles. Le rôle d’Arthur
Fontaine prend une ampleur internationale, lorsque dans la
construction d’une Organisation internationale du travail, sa
candidature au poste de Président du Conseil d’administration du
Bureau international du Travail l’emporte à l’unanimité. En tant que
Président du B.I.T., Arthur Fontaine s’efforce d’organiser la
conception tripartite des relations sociales et milite en faveur
d’une réglementation internationale du travail qui représente selon
lui, la garantie d’une concurrence loyale entre les nations,
préalable à la paix universelle ou du moins européenne.
Michel Letté (CNAM) - La rationalisation chez les ingénieurs au cours de la seconde
industrialisation
Avant qu’il ne désigne un mode d’organisation de la production
industrielle, du travail et de l’entreprise au sortir de la Première
guerre mondiale, le terme de rationalisation est une catégorie de
pensée et d’action dont se sont largement emparés quelques
ingénieurs durant la seconde industrialisation. On retracera
brièvement l’histoire de la formation, de la diffusion des savoirs
et des cultures aux origines d’un mouvement en faveur de la
planification des méthodes de gouvernement et d’une affirmation de
la puissance publique dans le domaine de la production scientifique
et de la pratique industrielle. Dans la continuité du scientisme
triomphant, de la consolidation de l’État et du rôle des compétences
technico-administratives au cours de la IIIe République, Henry Le
Chatelier, ingénieur des mines et chimiste occupant les plus hautes
fonctions académiques, incarne l’une de ces évolutions de la
rationalisation vers la recherches des moyens de sa réalisation.
Défenseur d’une science industrielle à ses débuts comme principe de
rationalisation des rapports entre la science et l’industrie, il
devient à la fin de sa carrière l’une des figures emblématiques de
l’organisation scientifique du travail et le propagandiste zélé du
taylorisme en France.
Alexandre Moatti, ingénieur en chef des mines (CGIET, EHESS) -
Hommes de science au Corps des mines, 1810-1960
La conférence examinera la place du Corps des mines dans la science entre 1810 et 1960, avec divers portraits de "savants" membres du Corps, remis en contexte dans l'évolution de la science et de ses institutions en France et en Europe. L'"âge d'or" de la science française (jusqu'à 1850) laisse leur place, à côté de nombreux ingénieurs du Corps des ponts, à des savants, voire "ingénieurs-savants", comme Gabriel Lamé ou Emile Clapeyron. À partir de 1850, les ingénieurs des mines du saint-simonisme triomphant, aux origines fortement ancrées dans la science (ce qu'on a appelé le "newtonisme social"), accompagnent avec succès la seconde révolution industrielle. Parallèlement, l'ancrage dans la science reste fort au moins jusqu'au début du XIX°s, que ce soit la science fondamentale, avec un apport de taille à la très vigoureuse école mathématique française (Camille Jordan, Henri Poincaré, Paul Lévy,...), ou la science expérimentale avec bien sûr la géologie au premier plan (Dufrénoy, Elie de Beaumont,...). Après une relative éclipse de la science au Corps entre 1900 et 1940, comme à l'Ecole polytechnique qui sur cette période s'oriente plus vers la formation militaire, le renouveau de la science au Corps des mines prend place à partir de 1945, notamment avec le CEA naissant et l'école de physique nucléaire française (Claude Bloch, Albert Messiah,...).
Jean-Philippe Passaqui (Paris 1) - l’administration des Mines et le développement de la
filière des carburants nationaux-carburants de remplacement, en
France, de 1918 à la fin de la Seconde Guerre mondiale
Les deux dernières années de la Première Guerre mondiale sont
marquées par des tensions récurrentes sur les approvisionnements
pétroliers des belligérants européens. Si la France est moins
touchée que les puissances de l’Axe, elle découvre sa relative
dépendance, dès lors que les moyens mécaniques impliquent un recours
croissant aux carburants. C’est pourquoi, dès la paix retrouvée,
plusieurs initiatives sont prises en faveur de la création d’une
filière nationale d’approvisionnements. Elles passent par la
prospection des sous-sols de la métropole et de l’Empire.
L’administration des Mines occupe une place importante dans ce
processus, car c’est par ses propres moyens de prospection que sont
entreprises les premières campagnes de sondages dans les zones
géologiquement susceptibles d’aboutir à des découvertes de pétrole.
Les ingénieurs des Mines déterminent les lieux où sont implantés les
équipements de forage. Mais l’accumulation des échecs conduit les
pouvoirs publics à orienter leurs efforts vers d’autres solutions,
comme l’importation de produits bruts raffinés en France ou la
participation à la mise en valeur de gisements découverts en dehors
du territoire national. La production et la promotion de carburants
dits nationaux ne sont pas négligées. Ceux-ci peuvent être obtenus à
partir de matières végétales ou fossiles, comme le lignite, la
houille ou les schistes bitumineux. Puisqu’il s’agit de substances
exploitées dans le cadre de concessions minières, les ingénieurs des
Mines exercent un suivi régulier des exploitations qui va
grandissant pour culminer pendant l’Occupation. Au cours de cette
période, la filière des carburants de remplacement fait l’objet
d’une attention particulière, sanctionnée par la multiplication de
programmes d’investissements, difficiles à mener à bonnes fins, dans
un contexte d’extrême pénurie en matériaux en tout genre.
Jean Rochat (Genéve) -
Une fonction par opportunité : la contribution de l’administration
des mines à la jurisprudence des sociétés anonymes dans le premier
XIXe siècle
Cette présentation sera l’occasion de présenter une fonction peu
connue des ingénieurs des mines, à savoir leur participation dans la
procédure d’autorisation des sociétés anonymes dans le premier XIXe
siècle. Entre 1807 et 1867, toute création de société anonyme (SA)
nécessite l’autorisation préalable du gouvernement. Cette
autorisation donne lieu à une longue procédure, au cours de laquelle
le gouvernement prend les avis susceptibles de l’éclairer sur des
aspects particuliers ou généraux des demandes qu’il a à traiter. Les
ingénieurs des mines s’imposent rapidement comme des interlocuteurs
privilégiés, ce qui leur permet de prendre une place centrale dans
la procédure d’autorisation et de peser lourdement sur la
jurisprudence en construction en matière de droit des sociétés.
Notre présentation vise 1° à présenter les raisons et le cheminement
qui ont mené l’administration des mines à prendre une telle
importance dans une procédure qui a priori n’entre pas dans ses
prérogatives, et 2° à identifier les effets de l’action des
ingénieurs sur la jurisprudence des sociétés anonymes.
Stéphanie Samson - Fernand
Blondel : réforme administrative et recherche géologique en Afrique
subsaharienne française dans les années 1930
Fernand Blondel est un ingénieur X-Mines qui a consacré sa carrière
aux mines d’outre-mer. Secrétaire général du tout nouveau Comité
d’études minières de la France d’outre-mer, une organisation
patronale, il est persuadé du potentiel minéral de l’Afrique
subsaharienne française et de la nécessité de mettre sur pied une
véritable politique minière coloniale. Il entreprend donc, en
compagnie d’un autre ingénieur X-Mines, Jean Malavoy, de piloter la
réorganisation du service des mines de l’Afrique occidentale
française. Tous deux mettent l’accent sur l’organisation et sur la
professionnalisation de la recherche géologique. Cette réforme, aux
conséquences majeures sur le long terme, témoigne de l’influence
rationalisatrice des ingénieurs des Mines dans l’administration
coloniale.
Christian Stoffaës (CGIET, Institut d'Histoire de l'Industrie) - Le rôle du corps des Mines dans la politique industrielle
Le XXème siècle voit la montée de l’intervention de l’Etat dans
l’économie. Le corps des ingénieurs des mines devient l’instrument
de la politique industrielle, étendant son rôle largement au-delà de
l’administration minière, des houillères et des chemins de fer.
1- Guerres et crises: le dirigisme
La Première guerre mondiale déstabilise l’ordre ancien. L’Etat étend
son contrôle bien au-delà des seules industries d’armement. Le
capitalisme libéral et malthusien a cédé la place à l’économie
dirigée : il faut liquider les séquelles de la guerre, gérer les
réparations et les confiscations faites à l’ennemi : la chimie
d’Etat, le pétrole d’Etat.
La crise de 1929 débouche sur le chômage de masse, oblige le
gouvernement à secourir les secteurs en faillite, à nationaliser. La
technocratie naissante- ainsi le mouvement X-Crise- prône le
transfert de la direction des affaires de la bourgeoisie aux «
managers » et aux ingénieurs.
Les idées du planisme, doctrine alternative au libéralisme et au
communisme se répandent, à droite comme au sein de la
social-démocratie. Elles seront mises en œuvre d’une part par les
gouvernements du Front populaire, puis par le régime de Vichy : les
« grands travaux » ; les comités d’organisation pour répartir les
rationnements. L’organisation corporatiste de l’économie suscite la
création des fédérations professionnelles, des centres techniques
sectoriels, du ministère de la Production industrielle autour du
corps des mines (Jean Bichelonne).
2- La reconstruction et le plan
Après la Libération il faut reconstruire l’économie et rattraper le
retard d’industrialisation. La nationalisation des monopoles, des
services publics industriels et commerciaux- l’électricité, le gaz,
les charbonnages, des banques et assurances- a besoin de
gestionnaires publics.
Les commissions du Plan débattent des priorités d’investissements
dans les industries lourdes- domaine du corps des mines : l’énergie-
mines de charbon, barrages hydroélectriques d’EDF ; les transports-
avec l’électrification de la SNCF (Louis Armand) ; la sidérurgie. Le
Traité charbon- acier et Euratom ouvrent la voie au Marché commun.
3- Les grands projets industriels
La Vème République a établi un Etat fort. La France s’industrialise
à un rythme soutenu. Les entreprises se concentrent. Ce sont des
ingénieurs des mines qui sont appelés aux postes de direction des
principaux grands groupes industriels.
Animé de l’ambition d’indépendance nationale, De Gaulle lance les
grands projets d’indépendance industrielle et technologique dont
l’objectif est l’autonomie en matière de technologies d’armement
aéronautique et espace ; électronique professionnelle ;
informatique.
Dans le secteur pétrolier l’application de la loi de 1928 dote le
pays de deux grands groupes de niveau international Total et Elf
(Pierre Guillaumat). Dans le nucléaire, la force de frappe permet de
bâtir une compétence atomique qui permettra l’engagement, à la suite
des chocs pétroliers, du programme électro- nucléaire d’EDF.
Jakob Vogel (Université de Cologne) - Les experts des mines : transferts et circulations entre les pays germaniques et la France (1750-1850)
L’importance de l’exemple saxon pour la création du corps des Mines en France à la veille de la Révolution, bien étudiée par la recherche historique, est connue. En effet, depuis la création de l’Académie des Mines de Freiberg en 1765, la Saxe était devenu une source d’inspiration de première importance pour les spécialistes du métier en France. Néanmoins, elle ne fut pas le seul pays de langue allemande qui servit d'exemple aux experts français de l’époque. Ces derniers connaissaient en effet très bien les différents pôles de l’innovation minière dans le monde du Saint Empire germanique, notamment les mines de Bohème de l’Empire habsbourgeois ou celles du Harz qui, grâce aux activités des fondateurs de la Societät für Bergbaukunde (Société de la Science Minière), devinrent aussi des centres de la sciences de mines à l’époque des Lumières.
Mais bien moins connues sont les circulations des savoirs, lois et pratiques minières de l’époque napoléonienne où le Service des Mines français devint, lui, une référence de première importance pour les spécialistes de langue allemande. Cela n'empêcha pas l'émergence de l’idée d’un « esprit minier allemand », élaboré par un certain nationalisme allemand de l’époque romantique. Le développement du savoir des experts des mines français et allemands au cours des XVIIIe et XIXe siècles s'est donc nourri de ce croisement et de ces relations très étroites entre les histoires des deux pays. Ces transferts et circulations réciproques seront au cœur de l’intervention.
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