Jean-Paul ROULLIER (1932-2011)

Ancien élève de l'Ecole des mines de Saint-Etienne (promotion 1953). Ingénieur civil des mines.


MINES Revue des Ingénieurs, mars/avril 2012 :

Jean-Paul est né en 1932, à Cherbourg. Comme tous les enfants de cette génération, qui ont vécu la montée du nazisme, la débâcle de 40, la résistance, la libération, le lent retour à l'ordre républicain et la reconstruction, le passage à l'âge adulte a été mouvementé. Encore plus pour lui, qui fit toute sa scolarité comme interne au Prytanée de la Flèche, délocalisé à Briançon jusqu'en 1945.

Il faut croire qu'il supporta ces épreuves avec succès puisqu'il fut admis, en 1953, c'est-à-dire à 21 ans, à l'École des Mines de Saint-Étienne. Il n'avait pas traîné en chemin. Après une première année généraliste, il choisit l'option «exploitation des mines» et en fin de seconde année, il demanda à bénéficier d'une disposition récemment inventée : différer, d'un an, sa sortie de l'école pour faire un apprentissage dans un charbonnage français.

Il fut donc embauché dans les Houillères de Lorraine, où il occupa divers postes pendant les 15 mois qu'il y passa. La fréquentation des mineurs de fond et de leurs agents de maîtrise le prépara concrètement aux activités managériales qu'on n'enseignait pas alors à l'école. On chante aujourd'hui beaucoup les vertus de l'enseignement en alternance, qui facilite l'accession à un emploi pérenne, tout en familiarisant l'élève-ingénieuravec la vie en entreprise. Cette idée ne date pas d'hier !

Après un court service militaire, il épousa Bernadette, une Toulousaine, fondant ainsi une famille dont la descendance ne cessa de croître et embellir.

En 1958, il fut embauché dans le siège minier où il avait fait ses premières armes. Et ce furent les longues années où il fallut reconstruire et moderniser l'industrie charbonnière qui, avant guerre, n'était guère productive. Il alla d'une fosse à une autre, au fil de ses promotions et fit même un passage dans une mine de fer du plateau lorrain, qui alimentait des hauts fourneaux belges et luxembourgeois, qu'il avait déjà servis en charbon. Mais les ressources minérales du Nord-est de la France donnaient des signes d'épuisement et, par ailleurs, Bernadette était de plus en plus attristée de vivre sous des cieux gris et poussiéreux. Il était temps, pour eux, de mettre cap au sud et de faire connaissance avec la bauxite. Ils arrivent donc en 1967 à Brignoles près des mines exploitées par la Compagnie Péchiney.

Pour Jean-Paul, ce fut un nouvel apprentissage. La nouveauté ne vint pas tant des techniques minières que du syndicalisme provençal, plus dur et plus imprévisible que le lorrain. Il y fit connaissance d'un prêtre-ouvrier qui trouvait matière à l'exercice de son sacerdoce dans Marx plutôt que dans les Évangiles.

L'épisode provençal n'eut qu'un temps, car les rares gisements de bauxite du sud de la France s'épuisaient. Leur compétitivité s'écroulait, face aux bauxites latéritiques, exploitées à ciel ouvert, dans des pays à bas coûts salariaux et qui, purifiées sur place, étaient facilement transportables par minéraliers. C'est ainsi que Jean-Paul devint enfin «mineur du monde», titre qu'il aimait revendiquer.

Ce monde, ce fut la Grèce et le Monténégro, puis le grand large : Gabon, Cuba, Mauritanie, Madagascar, Guinée, Australie, Utah, Amérique Latine, Inde, et dans des domaines qui ne furent pas que la bauxite. Il y connut les drames interethniques de ces pays devenus soudain indépendants dans des frontières parfaitement artificielles, et il y rencontra des personnages hauts en couleurs comme Sékou Touré et Amin Dada.

En 1989 Jean-Paul fit valoir ses droits à la retraite : il avait le nombre d'annuités requis et, de surcroît, il avait peut-être envie de quitter un employeur dont il ne comprenait plus la stratégie. Ce fut pour lui l'occasion de resserrer des liens familiaux nécessairement moins étroits quand on voyage beaucoup pour son travail ; et aussi des liens amicaux avec d'anciens condisciples dispersés dans d'autres industries : l'amicale Intermines, et tout spécialement sa branche PACA, sont très actives en la matière.

Enfin, s'il reste du temps libre, on peut voyager, se cultiver encore et toujours et s'engouffrer dans un hobby. Le dernier hobby de Jean Paul aura été une description méthodique du monument classé que constitue la cathédrale Saint Sauveur d'Aix-en-Provence. On peut mesurer l'ampleur de cette tâche, juste amorcée, en visitant le site http://www.cathedrale-aixenprovence-monument.fr Les nombreux amis qu'il avait mobilisés autour de ce projet auront sans doute à cœur de le porter un peu plus loin.

La Sainte Barbe, patronne des mineurs, est la fête qui réunit traditionnellement, en fin d'année, les anciens d'Intermines-PACA. Ce jour-là, le 4 décembre 2011, nous espérions y rencontrer comme d'habitude Jean-Paul et Bernadette, quand nous avons appris, le matin même, qu'il venait d'être hospitalisé d'urgence. Il ne vécut pas jusqu'à Noël.

La Revue des Ingénieurs publie cet article dans ce numéro pour exprimer à une famille endeuillée toute sa compassion et rappeler à tous ses membres le souvenir d'un compagnon humain et attachant.

Henri FAURE (E54),
au nom de ses camarades des promotions 53 et 54