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Jules Henri Poincaré (1854-1912)

Biographie publiée dans le LIVRE DU CENTENAIRE (Ecole Polytechnique), 1897, Gauthier-Villars et fils, TOME I, pages 418 et suiv., c'est-à-dire du vivant de Henri Poincaré :

Un fauteuil de l'Académie des Sciences, celui de Lagrange, n'a été occupé, après la mort du premier titulaire, que par des Polytechniciens : Poinsot, Serret, Laguerre et M. Poincaré. A la suite de la mort si prématurée de Laguerre (1886), ce fut M. Henri Poincaré qui profita de la vacance[il fut élu membre de la section géométrie de l'Académie des sciences le 31 janvier 1887].

Le nouvel élu, né en 1854, avait fait partie de la promotion de 1873 de Polytechnique, où il suivit les leçons de M. Hermite. Ingénieur des Mines et professeur à la Sorbonne, il a embrassé dans ses travaux l'étude des équations différentielles, la théorie générale des fonctions, l'Algèbre et l'Arithmétique, la Physique mathématique, enfin la Mécanique céleste.

Par une très remarquable généralisation de la doctrine des fonctions modulaires, l'un des éléments de la théorie des fonctions elliptiques, M. Poincaré a été conduit à la conception d'un nouvel ordre de transcendantes dépendant, comme les fonctions elliptiques, d'une seule variable, et qu'il a nommées Fonctions fuchsiennes. Cette découverte a eu d'importantes conséquences. Tandis que les transcendantes abéliennes se sont montrées, dans la pratique, inférieures aux espérances que leur apparition avait fait naître, l'utilité des fonctions d'une seule variable n'a cessé de s'affirmer. A ce titre, les transcendantes fuchsiennes venaient combler une lacune vivement sentie. Le premier résultat de leur introduction a été de permettre à M. Poincaré d'intégrer les Equations différentielles linéaires à coefficients algébriques. En même temps, un champ illimité était ouvert à l'activité des mathématiciens. C'est ainsi que M. Poincaré a révélé des rapports inattendus entre ces fonctions nouvelles et la Théorie des nombres, grâce au nombre que la doctrine des groupes formés par des substitutions linéaires joue à la fois dans les équations linéaires et dans l'étude des Formes arithmétiques. A l'égard de ces formes, il a généralisé la notion du genre, formulée pour la première fois par Gauss dans la théorie des formes quadratiques binaires. En même temps, il introduisait la conception des Invariants arithmétiques.

Parmi les travaux que M. Poincaré a consacrés aux équations différentielles, une mention spéciale est due à ceux où l'auteur s'est placé exclusivement au point de vue de la recherche des Solutions réelles. En revenant à cet ordre de considérations, trop facilement abandonné depuis l'introduction, faite par Cauchy, des variables imaginaires, M. Poincaré préparait la voie à ses études de Mécanique céleste, dont nous aurons dans un instant à signaler le retentissement.

Les travaux de Physique mathématique du même auteur constituent moins un exposé systématique de doctrines, qu'une série d'études où les théories de l'élasticité, de l'optique, de l'électricité, de la thermodynamique, ont dû subir le contrôle d'une pénétrante analyse; et les conclusions, formulées avec une absolue franchise, ont été plus d'une fois de nature à déconcerter les physiciens de profession. M. Poincaré a montré quelle réserve il convient d'apporter à la foi qu'on accorde d'ordinaire aux théories mathématiques des phénomènes, par exemple sur le terrain de l'optique, où il n'y aurait jusqu'ici, paraît-il, aucun fait qu'il ne fût possible d'expliquer rigoureusement, soit par la doctrine qui se réclame de Fresnel, soit par celle à laquelle sont attachés les noms de Neumann et de Mac Cullagh.

Dans le domaine de la Mécanique céleste, M. Poincaré a étudié les conditions d'Equilibre d'une masse fluide en rotation. Aux formes ellipsoïdales connues, il en a ajouté une infinité d'autres, dont une correspond à un équilibre stable. Il a fait l'application de ces principes à la constitution des Anneaux de Saturne. On lui doit aussi une démonstration établissant que les satellites de Mars ne peuvent pas être de petites planètes capturées.

Mais, dans cet ordre de recherches, l'oeuvre la plus connue de l'auteur est son Mémoire sur le Problème des trois corps, qui lui a valu en 1889 le prix au concours institué par S. M. le Roi de Suède. Pour la première fois, l'étude de ce problème était abordée par une méthode entièrement rigoureuse, au lieu des approximations successives dont il avait fallu se contenter jusqu'alors.

En appliquant à la question les méthodes si originales qui lui avaient servi à étudier les courbes définies par des équations différentielles, M. Poincaré a démontré l'existence de deux genres de solutions particulières. En outre, il a fait voir que le problème ne comporte, en dehors des intégrales connues, aucune intégrale analytique et uniforme; de telle sorte que la solution, hérissée de difficultés, plutôt soupçonnées que définies avant cette étude, exigera des instruments d'analyse absolument différents de ceux qu'on possède aujourd'hui.

D'autre part, M. Poincaré est parvenu à ce résultat considérable, que s'il est parfaitement légitime de représenter les coordonnées des astres, en fonction du temps, par des séries trigonométriques, en revanche, et contrairement à ce qu'on avait toujours admis, au moins jusqu'aux premiers doutes énoncés par M. Weierstrass, la plupart de ces séries ne sont convergentes que pour une valeur limitée du temps, et deviennent divergentes au delà de ce point. En conséquence, le célèbre principe de la stabilité indéfinie du système solaire, basé sur la convergence des séries, cesse d'être démontré .

En 1808, Poisson, au dire de Laplace, avait mérité « la reconnaissance des géomètres » pour sa démonstration de l'invariabilité des grands axes des orbites planétaires. Si l'auteur de la Mécanique céleste avait pu prévoir le résultat énoncé par M. Poincaré, il n'eût parlé que de la reconnaissance des astronomes, assurés que leurs tables pourraient suffire aux besoins d'un nombre considérable de générations. Quant à la gratitude des géomètres, elle ira trouver sans doute celui dont l'analyse, aussi profonde que rigoureuse, a porté la lumière dans une question si difficilement abordable.


Henri Poincaré, élève de Polytechnique
(C) Photo Collections Ecole polytechnique


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