Adrien OBÉ de BRACQUEMONT (1815-1885)

Ingénieur civil des mines diplômé de l'Ecole des Mineurs de Saint-Etienne.

Fils de Joseph AUBE-BRACQUEMONT (né en 1782 ; X 1805 ; officier) et de Charlotte Marie Gaëtan de RECICOUR. Frère de Charles Félix Théodore AUBÉ de BRACQUEMONT (né en 1818 ; X 1938 ; officier d'artillerie).


Adrien OBÉ de BRACQUEMONT, fondateur des mines de Noeux

par René SAMUEL-LAJEUNESSE

Paru dans Grands Mineurs Français, 1948.

J.-L.-A. Obé de Bracquemont naquit à Reims, d'où sa famille était originaire et où son père, officier d'artillerie, tenait garnison. Il fit ses études au collège de cette ville, puis entra à l'Ecole des mines de Saint-Etienne.

Il en sortait en 1837 et fut attaché à l'exploitation des mines de Decazeville. Dès 1839, il était appelé par un groupe capitaliste français à diriger le charbonnage de L'Escouffiaux, près de Mons.

Mais il épousait bientôt la fille d'un compagnon d'armes de son père et sa femme exerça sur lui une tendre pression pour l'amener à rentrer en France.

Il accepta alors la direction des mines de Bruille, peu de temps après réunies à celles de Vicoigne au sein de la même compagnie. Ces mines, sans grande importance, ne produisaient guère annuellement que 50.000 à 60.000 tonnes de charbon maigre, qui ne s'écoulait que difficilement et à bas prix.

Cependant, grâce à la bonne direction de Bracquemont, aux améliorations techniques apportées par lui, les mines de Vicoigne réalisèrent des bénéfices assez considérables qui, sagement réservés, devaient permettre la constitution de l'exploitation de Noeux.

La recherche du prolongement occidental du bassin houiller du Nord hantait l'esprit audacieux du jeune Bracquemont.

Tous les travaux effectués dans le prolongement de l'axe Liège, Namur, Charleroi, Mons, Valenciennes, Douai s'étaient avérés infructueux.

En 1841, un sondage pour puits artésien exécuté sur le parc de Mme de Clercq, à Oignies, à l'ouest de Douai, avait rencontré la houille à la profondeur de 151 mètres, mais cette découverte était restée secrète. Elle ne devait être révélée au Service des mines qu'en 1847.

Cependant, Bracquemont était convaincu de l'existence de la houille à l'ouest de Douai.

En 1845, il proposa à son conseil d'administration l'exécution de sondages dans cette région, afin de découvrir un gîte plus favorable que celui de Vicoigne.

Il avait eu l'intuition, qu'il ne manqua pas de justifier par des arguments géologiques, qu'il fallait chercher la houille plus au nord qu'on ne l'avait fait auparavant. Il se trouvait d'ailleurs d'accord avec du Souich, ingénieur des mines à Arras, qui avait suivi de très près toutes les recherches antérieures.

Son programme de sondages s'étendait entre Douai et Lens. A son grand regret, il ne fut pas suivi par son conseil.

Mais il communiqua alors ses idées à d'autres explorateurs, qui se mirent à l'oeuvre, assistés par du Souich.

De 1846 à 1850, conformément au plan de Bracquemont, tout le terrain compris entre Douai et Lens fut méthodiquement sondé. Le succès fut total. Trois concessions furent accordées aux compagnies de la Scarpe, de Douchy et de Mulot. Par ailleurs, la Société Bigo entreprenait une exploration près de Courrières et la Compagnie Casteleyn, future Compagnie de Lens, avait elle aussi découvert la houille.

Dès lors, Bracquemont, de plus en plus inquiet sur l'avenir des mines de Vicoigne, revint à la charge auprès de son conseil, avec une autorité singulièrement accrue par la vérification de ses intuitions.

Il fallait désormais se reporter à l'ouest de Lens pour découvrir de nouvelles richesses.

Bracquemont étudia l'ensemble des couches reconnues jusqu'à Lens. Il constata que le charbon maigre se rencontrait au sud du bassin, le charbon gras au nord.

Préoccupé de trouver de préférence ce dernier, de façon à assurer à sa compagnie, productrice de charbon maigre, une gamme complète de produits, il traça un programme de sondages entre Lens et Béthune, sur le prolongement probable du bord nord du bassin.

Il fut enfin suivi par son conseil.

Dès le 5 juillet 1850, la Compagnie de Vicoigne entreprenait un sondage à Loos, à l'ouest de Lens. Dès septembre 1850, ce sondage rencontre une couche de houille grasse à 32 % de matières volatiles.

Six autres sondages, exécutés en moins d'un an le long de la route d'Arras à Béthune, en des points choisis méthodiquement par Bracquemont, rencontraient tous la houille et démontraient la continuité de la formation houillère sur dix kilomètres de largeur.

Sans attendre l'octroi d'une concession qui ne pouvait faire doute, la compagnie ouvrit le 1er avril 1851 la première fosse de Noeux.

Elle entra très rapidement en exploitation. Ce fut, après la fosse de Courrières, la première du Pas-de-Calais à produire un tonnage important de houille grasse.

A la suite de ce succès, la compagnie ouvrit successivement cinq autres fosses. La production s'accrut d'année en année, pour atteindre en 1884, à la veille de la mort de Bracquemont, le chiffre considérable pour l'époque de 775.000 tonnes.

Il nous faut encore signaler un éclatant succès posthume de Bracquemont.

En 1872, il signalait à son conseil qu'un sondage effectué en 1868 avait rencontré une magnifique couche de houille d'un mètre d'épaisseur. Il la considérait comme partie d'un faisceau inférieur à celui de Vicoigne et proposait des recherches plus sérieuses.

Celles-ci, poursuivies sans enthousiasme après son départ de la compagnie, n'aboutirent pas. Les prévisions de Bracquemont furent tenues pour chimériques. Le gisement connu s'épuisa peu à peu. La production brute, qui était de 140.000 tonnes en 1872-1873, fléchit jusqu'à 112.000 tonnes en 1905-1906, 104.000 tonnes en 1913. Huré, ingénieur des mines chargé de l'étude des dommages de guerre de Vicoigne, parlait en 1923 de « l'épuisement prochain de leur gisement ».

Cependant, en 1929, le directeur de la concession eut l'idée de reprendre les recherches dans le sens indiqué par Bracquemont cinquante-sept ans auparavant. Une galerie d'une longueur de 725 mètres atteignit, le 28 août 1931, la veine signalée par lui.

Celle-ci procure aux mines de Vicoigne, sur le point d'être fermées par épuisement, quelque 20 millions de tonnes de ressources nouvelles, qui correspondent à un siècle d'activité.

Les prévisions de Bracquemont ont ainsi reçu une éclatante confirmation, après soixante ans d'incrédulité.

Bracquemont ne s'était pas contenté de découvrir le gisement. Il voulut encore créer l'exploitation la plus moderne. Il donna aux puits de Noeux, dès l'origine, un diamètre de 4 mètres, alors que les plus grands puits du Nord n'avaient que 3 mètres.

Il installa, tant pour le fonçage que pour l'extraction et l'épuisement, des machines considérablement plus puissantes que toutes celles qui étaient en usage.

Il substitua aux cuffats, espèces de tonneaux encore utilisés aujourd'hui en période de fonçage, mais qui servaient alors à l'extraction courante, des cages à quatre berlines, guidées dans le puits par des longuerines en bois.

Il remplaça les foyers d'aérage, si dangereux et de maniement si délicat, par des ventilateurs.

L'oeuvre de Bracquemont ne s'applique pas qu'à l'exploitation minière proprement dite.

A l'origine, Noeux n'était qu'un petit village agricole sans ressources pour loger le personnel. Il créa de nombreuses maisons ouvrières, des écoles, une église.

Il construisit des embranchements ferrés et un tronçon de canal pour raccorder la mine aux voies de chemin de fer et de navigation existantes. Il installa de vastes ateliers et magasins.

En tous domaines, les réalisations de Bracquemont furent admirées et servirent de modèle aux autres houillères du nouveau bassin du Pas-de-Calais, qui se classa ainsi, du premier coup, à la tête de tous les bassïns français pour le modernisme et l'efficience de ses installations. Bracquemont fut sollicité par toutes les compagnies de leur apporter sa collaboration. Il fut ainsi chargé de la conduite des travaux des premières fosses de Bourges, de Lens et de Ferfay. Il fut appelé successivement en consultation à Meurchin, à Marles, à Hardinghem, à Aulchy-au-Bois, à Bully-Grenay, etc.

Les importants services rendus par Bracquemont au pays, à qui il avait apporté les richesses du nouveau bassin du Pas-de-Calais, appelèrent l'attention du gouvernement impérial. En 1864, il fut décoré de la Légion d'honneur, distinction alors fort rare pour qui n'était ni militaire ni fonctionnaire.

Bracquemont n'était pas seulement un exploitant remarquable, un organisateur et un administrateur de grande classe. C'était aussi un chef aimé. de ses subordonnés. Dévoué aux intérêts de ses ouvriers, il les fit bénéficier avant tout d'une bonne organisation et d'une juste rémunération de leur travail, mais aussi d'oeuvres sociales en avance sur l'époque.

Pendant les quarante ans qu'il dirigea les mines de Vicoigne et de Noeux, aucune grève n'y éclata. « C'est le plus bel éloge qu'on puisse faire de son habile direction », devait dire Emile Vuillemin, son collègue d'Aniche.

Bracquemont fut en vérité un grand mineur français par ses qualités de technicien, d'organisateur et de chef.