Alfred-Marie LIENARD (1869-1958)

Fils de Charles Fréjus Désiré LIÉNARD (né en 1834 ; X 1854 ; ingénieur au corps des mines) et de Amélie Elisa Alexandrine HEYSCH. Petit-fils de Louis Charles Marie LIÉNARD et de Marie Catherine Florence CHALET.
Frère de Charles Hippolyte Antonin LIÉNARD (1865-1893 ; X 1895 ; Corps de l'Artillerie ; ingénieur aux chemins de fer de l'Ouest).

Décès le 29/4/1958.

Résumé de la carrière de Alfred-Marie LIÉNARD :

Né le 2 avril 1869, à Amiens (Somme).

1887-1889. Élève à l'École Polytechnique. Entré classé 5ème, sorti classé 3ème. 1889-1892. Élève-ingénieur à l'Ecole des Mines de Paris (sorti classé 1er sur 4 élèves). Corps des Mines.

1892-1895. Ingénieur des Mines à Valence, à Marseille, puis à Angers.

1895-1908. Professeur à l'École des Mines de Saint-Étienne. Cours professés : Analyse mathématique; Mécanique rationnelle: Résistance des Matériaux et Construction: Électricité Industrielle.

1908-1929. Professeur de la chaire d'Electricité industrielle à l'École des Mines de Paris.

Dans le même intervalle de temps :

1908-1911. Ingénieur en chef de l'arrondissement minéralogique de Versailles.

31/10/1912-1/6/1922. Outre la chaire d'Electricité industrielle, il est Titulaire de la chaire de Résistance des Matériaux et Construction à l'École des Mines de Paris.

1/12/1918-16/91929. Sous-Directeur de l'École des Mines. A cette époque, son salaire annuel évolue rapidement en raison de l'inflation : 54000 fr le 1/8/1926, 90000 fr le 1/7/1929, 100000 fr le 1/10/1930.

14/3/1913-1929. Répétiteur adjoint de Mécanique à l'École Polytechnique, répétiteur titulaire à partir de 1921.

16/1/1922. Inspecteur général des Mines de 2ème classe, mais la nomination est avancée rétroactivement au 16/1/1919 pour tenir compte de la guerre.

1/1/1929. Inspecteur général des Mines de 1ère classe.

16/9/1929-30/11/1936. Directeur de l'École des Mines de Paris. Il quitte l'Ecole fin 1936 pour partir en retraite.

De 1926 à 1929. Vice-Président de la Société française des Électriciens.

1933. Président de la Société mathématique de France.

Guerre 1914-1918 :

1er août 1914 au 1er mai 1916. Lieutenant-Colonel d'Artillerie au Parc d'Artillerie de place à Verdun. Il sera rayé des cadres de réserve en 1923.

Mai 1916 à juillet 1917. Sous-Inspecteur administratif des Forges de Lyon.

Juillet 1917. Mis hors cadres à la disposition de la Direction des Mines au Ministère de l'Armement.

Distinctions :

1911. Prix Vaillant à l'Académie des Sciences.

1929. Prix Poncelet.

18/10/1933. Commandeur de la Légion d'honneur.


Liénard, élève de l'Ecole des Mines de Paris
(C) Photo collections ENSMP

NOTICE SUR LES TRAVAUX SCIENTIFIQUES DE M. A. LIÉNARD,

rédigée par Alfred-Marie Liénard (1934) et accompagnée d'un résumé des principaux papiers scientifiques qu'il a publiés.

Le lecteur trouvera ci-après l'analyse des divers écrits scientifiques que j'ai publiés.

Mes recherches se rapportent à la théorie de l'électricité et au magnétisme ainsi qu'à la mécanique (élasticité et résistance des matériaux; hydrodynamique). Les quelques travaux qui se rattachent aux mathématiques pures ont été entrepris en vue de questions de mécanique (signe de la partie réelle des racines d'une équation algébrique; étude de l'équation des oscillations auto-entretenues).

M'étant occupé d'électricité et d'élasticité, j'ai en particulier étudié ce que deviennent les lois classiques de l'élasticité dans le cas des substances aimantées ou polarisées et je suis ainsi arrivé à résoudre entièrement les problèmes de l'électrostriction et de la magnétostriction, grâce à l'emploi dans ces problèmes des méthodes thermodynamiques de P. Duhem. Je tiens à dire à cette occasion tout ce que je dois à Duhem, même lorsque je ne suis pas entièrement de son avis et j'en dirai autant du grand Maxwell qui a été mon maître en Électricité et Magnétisme.

Si je n'ai rien publié sur la Thermodynamique en dehors de l'application que je viens de signaler à l'électrostriction et à la magnétostriction, je me suis souvent occupé de cette science que j'ai en particulier enseignée par suppléance en 1917 à l'École des Mines.

Le cours de Résistance des Matériaux et Construction et le cours d'Électricité industrielle que j'ai professés, l'un pendant 18 ans, l'autre pendant 30, avec leurs travaux pratiques, projets et visites d'usine, ont été pour moi l'occasion d'un contact avec l'Industrie. J'ai souvent pris part aux discussions ouvertes à la Société française des Électriciens.


LA VIE ET L'OEUVRE SCIENTIFIQUE DE ALFRED-MARIE LIÉNARD

par M. Marc Jouguet, Professeur à l'École nationale des Ponts et Chaussées et à l'École nationale supérieure des Télécommunications.

Exposé fait en séance mensuelle de la Société française des Electriciens, le 4 décembre 1958.

M. LE PRÉSIDENT,
MESDAMES,
MESSIEURS,
MES CHERS COLLÈGUES,

LIÉNARD est né le 2 avril 1869 à Amiens. Il était encore un tout jeune adolescent lorsqu'il perdit son père, ingénieur des Mines, qui devait mourir à 50 ans, directeur des Mines de Carmaux. Entré en 1887 à l'École polytechnique où l'avait précédé de deux ans son frère Charles, ingénieur aux Chemins de fer de l'Ouest, disparu prématurément à l'âge de 29 ans, il en sort troisième en 1889 dans le Corps des Mines. Après quelques années de service comme ingénieur à Valence, à Marseille, puis à Angers, il est nommé en 1895 professeur à l'École des Mines de Saint-Étienne. Alors commence une longue et brillante carrière, exclusivement consacrée à l'enseignement et à la recherche. Il professe successivement dans cette école les cours d'Analyse, de Mécanique rationnelle, de Résistance des Matériaux et d'Électricité industrielle, puis est nommé, en 1908, à l'École des Mines de Paris dont il deviendra sous-directeur en 1918, et directeur en 1929, après y avoir occupé pendant plus de 20 ans la chaire d'Électricité industrielle et, pendant une dizaine d'années, de 1913 à 1922, celle de Résistance des Matériaux et de Construction, ce qui ne l'avait pas empêché, entre temps, d'exercer de 1913 à 1929 les fonctions de Répétiteur de Mécanique à l'École polytechnique.

La clarté d'esprit, la précision dans le raisonnement, la profondeur de pénétration et le sens critique dont il était doué auraient sans doute suffi à faire de lui le meilleur des professeurs. Mais à ces éminentes qualités, s'ajoutaient celles d'un chercheur chez qui une grande habileté mathématique allait de pair avec un sens physique très sûr. Contribuant à faire avancer les diverses disciplines qu'il avait la charge d'enseigner, il les connaissait par une expérience directe et profonde. Aussi, mieux qu'un excellent professeur, LIÉNARD a-t-il été un véritable maître.

Comme son enseignement, ses recherches, poursuivies sans interruption pendant plus de 60 ans, ont porté sur l'électricité et le magnétisme, l'élasticité, la résistance des matériaux, l'hydrodynamique et la thermodynamique. L'étude de certains problèmes de mécanique a, en outre, été pour lui l'occasion de faire oeuvre de pur mathématicien et de résoudre de difficiles problèmes d'algèbre et d'analyse. C'est donc une oeuvre scientifique riche et diverse que je vais essayer d'évoquer devant vous.

Il convient d'abord de mentionner, sans y insister, des travaux, très anciens pour la plupart, qui, concernant des théories abandonnées depuis l'avènement des idées relativistes, n'ont plus guère qu'un intérêt historique. C'est le cas de quelques Notes ou Mémoires sur les théories de Lorentz et de Larmor ou sur l'application des équations de Lagrange, dans le cas des contacts glissants, aux lois de l'électrodynamique. Il n'est cependant pas inutile de rappeler que c'est LIÉNARD qui a montré le premier, dans une Note de 1910, discutée à la Société française des Électriciens et publiée dans son bulletin, que la conception des lignes d'induction ayant une certaine individualité et causant, par leur déplacement, les forces électro-motrices d'induction, n'était pas acceptable, au moins dans le cas où ces forces électromotrices résultent d'une variation du champ magnétique. C'est là un point que la conception relativiste du champ électromagnétique nous dispenserait aujourd'hui de discuter, mais qui n'était nullement évident à l'époque.

Parmi d'ailleurs les tout premiers travaux de LIÉNARD, il en est qui ont conservé toute leur valeur et qui contiennent des résultats de la plus grande importance. J'en citerai deux.

Le premier est un Mémoire, paru on 1898 dans la revue Éclairage, électrique, où est calculé, pour la première fois, de façon correcte, le champ électromagnétique produit par une charge ponctuelle, animée d'un mouvement absolument quelconque. LIÉNARD établit que ce champ dérive de potentiels dont il obtient les expressions, à partir de l'expression générale des potentiels retardés, par un calcul direct qui fait intervenir un délicat passage à la limite et dont l'exécution correcte témoigne d'une grande sûreté de raisonnement mathématique. Ces expressions qui ont été établies de façon indépendante, mais deux ans plus tard, par WIECHERT et qui peuvent être aujourd'hui obtenues beaucoup plus facilement par une application du principe de relativité, impossible à l'époque, sont devenues classiques sous le nom de potentiels de Liénard ou de Liénard et Wiechert. De ses formules LIÉNARD déduit, 7 ans avant LANGEVIN, divers résultats, non moins classiques aujourd'hui, sur l'énergie rayonnée par une charge en mouvement accéléré et sur l'inertie électromagnétique d'un petit corps chargé.

Le second travail dont je veux parler est un article encore plus ancien puisqu'il a paru en 1894. dans le journal La lumière électrique. Il était alors généralement admis, de manière plus ou moins explicite, dans les traités d'électricité, que, pour calculer les forces exercées par un champ magnétique sur un aimant, il était indifférent de faire intervenir le champ d'origine extérieure ou le champ total, résultant de la composition, avec le premier, du champ produit par l'aimant lui-même. Cette hypothèse est inexacte et conduit à des résultats contradictoires. Si, par exemple, on calcule le couple exercé par un champ uniforme sur un ellipsoïde de fer doux, on trouve une valeur non nulle en ne faisant intervenir que le champ d'origine extérieure ou magnétisant, tandis qu'avec le champ total, le couple serait nul. C'est, on le sait, le premier résultat qui est exact. LIÉNARD montre qu'en introduisant le champ total, on commet une erreur et que, pour la corriger, il faut introduire des forces normales s'exerçant sur la surface de l'aimant et proportionnelles au carré de la composante normale de l'aimantation. La nécessité de ces termes correctifs avait échappé tant à MAXWELL qu'à DUHEM. Des conclusions analogues sont valables pour les diélectriques polarisés. LIÉNARD en tire d'ailleurs, dès cette époque, d'importantes conséquences sur lesquelles il aura souvent l'occasion de revenir. Il montre d'abord que l'état de déformation d'un milieu, suggéré par MAXWELL pour expliquer les forces électriques et magnétiques, est absolument inacceptable. Il montre ensuite l'inutilité de l'hypothèse selon laquelle la constante de la loi de Coulomb varierait en raison inverse du pouvoir inducteur du milieu, hypothèse d'ailleurs insuffisante à expliquer les phénomènes en milieu non homogène. Il dénonce à cette occasion la confusion, encore fréquente aujourd'hui, entre le coefficient de la formule de Coulomb et le pouvoir inducteur spécifique.

La nécessité d'introduire les tensions superficielles de Liénard met en évidence le caractère conventionnel de la définition du champ dans un milieu aimanté ou polarisé et elle est en relation avec le fait, encore trop ignoré, que, pour employer les termes mêmes de LIÉNARD, « le champ à l'intérieur d'un aimant (ou d'un diélectrique polarisé) ne possède pas une valeur unique, dérivant d'un potentiel scalaire », mais « présente une infinité de déterminations ». C'est un point qu'il devait développer brillamment dans une Communication faite en 1922 à Montpellier, au congrès de l'Association pour l'Avancement des sciences. Il montrait, en outre, que « le nom de champ conviendrait mieux au vecteur appelé ordinairement induction » et il était ainsi l'un des premiers à affirmer une primauté aujourd'hui universellement reconnue à ce vecteur.

Quelques années plus tard, en 1928, il présentait, dans les Annales de Physique, des considérations, devenues depuis, elles aussi, familières à tous les physiciens, « sur les relations qui existent entre la symétrie des phénomènes physiques et leur représentation au moyen de vecteurs on de tenseurs » : il montre que l'introduction du tenseur conjugué d'ordre n - p à un tenseur symétrique gauche d'ordre p dans un espace à n dimensions peut permettre des simplifications de calcul; c'est ce qui fait l'intérêt des vecteurs utilisés pour représenter des grandeurs telles que le champ ou l'induction magnétique, lesquelles sont en fait beaucoup mieux représentées par les tenseurs du second ordre dont ces vecteurs ne sont que les tenseurs conjugués; « de ce chef », fait-il observer, « les analogies souvent signalées entre les champs électrique et magnétique ont un caractère mathématique, sans qu'il y ait réellement analogie physique ».

Le travail de 1894, dont j'ai parlé tout à l'heure, sur les forces d'origine magnétique appliquées aux aimants préludait à tout un ensemble de recherches qui devaient aboutir, en 1920, à la publication d'un très important et très remarquable Mémoire paru dans les Annales de Physique sous le titre : « Équilibre et déformation des systèmes de conducteurs traversés par des courants et des corps magnétiques sans hystérésis ». Comme je l'ai déjà indiqué, LIÉNARD s'intéressait à la fois à la théorie de l'Électricité et à celle de l'Élasticité qu'il avait l'une et l'autre à enseigner. D'autre part, il avait suivi de très près le grand courant d'idées qui avait conduit, dès la fin du siècle dernier, sous l'impulsion de GIBBS, de HELMHOLTZ et de DUHEM, à introduire systématiquement les considérations thermodynamiques dans la mécanique des milieux continus et avait abouti à une imposante synthèse dans laquelle la Thermodynamique, grâce à la notion de potentiel interne et à une extension du principe des travaux virtuels, se présente comme une généralisation de la mécanique qu'elle comprend comme cas particulier. On conçoit aisément que LIÉNARD ait été tenté d'appliquer une conception qui s'était montrée puissante et féconde, aux systèmes dans lesquels s'exercent des forces d'origine électromagnétique. Déjà d'ailleurs, d'importantes recherches avaient été faites dans cette direction par HELMHOLTZ, puis par DUHEM et, dans ses Leçons sur l'Électricité et le Magnétisme, l'illustre physicien français avait fait intervenir systématiquement la notion de potentiel thermodynamique interne dans l'étude des systèmes de corps électrisés ou aimantés. Mais, cherchant à étendre ses résultats aux cas de systèmes renfermant des courants électriques, il était arrivé à cette conclusion que « les notions d'entropie, de travail non compensé et de potentiel thermodynamique n'ont pas de sens pour de semblables systèmes ». C'est qu'il avait implicitement admis que la relation entre l'énergie et le potentiel thermodynamique devait conserver, dans le cas où il y a des courants, la forme bien connue qu'elle a en thermodynamique ordinaire.

LIÉNARD s'aperçut que cette hypothèse ne s'imposait nullement. Il fut conduit à remplacer la relation en question par une relation plus générale, ce qui fit tomber d'un seul coup toutes les difficultés qui avaient arrêté DUHEM. Il suffit d'ailleurs, comme il devait le faire remarquer plus tard dans un Mémoire complémentaire, à propos d'un travail de Th. LEHMANN sur le même sujet, de prendre comme variables les flux à la place des courants, pour retomber sur la relation classique.

Après avoir établi l'expression du potentiel thermodynamique interne d'un système comprenant des courants et des substances magnétiques, isotropes ou anisotropes, mais sans hystérésis, il en déduit celles de l'entropie et de l'énergie interne. Mais l'application la plus remarquable du potentiel thermodynamique est celle qu'il en fait au calcul du travail développé lors d'une déformation quelconque du système, calcul délicat où se manifestent avec éclat son extraordinaire ingéniosité mathématique et la dextérité avec laquelle il savait manier les tenseurs. De l'expression de ce travail, il déduit, par application du principe des travaux virtuels, les conditions d'équilibre des systèmes étudiés : « ce sont les mêmes qu'on aurait si chaque corps aimanté ou traversé par un courant possédait les mêmes propriétés élastiques qu'en l'absence de courants et d'aimantation et si ces corps étaient de plus soumis à certaines forces volumiques et superficielles » dont il donne l'expression.

Ce théorème fondamental permet de traiter n'importe quel problème de magnétostriction pour les corps sans hystérésis. LIÉNARD en donne diverses applications; il montre, en particulier, que dans le cas de corps plongés dans un fluide magnétique homogène, isotrope et incompressible, il suffit, pour tenir compte de l'influence du fluide, de supposer qu'il exerce sur la surface des corps immergés des pressions normales dont les effets sont tout à fait analogues à la poussée d'Archimède. On peut ainsi calculer les forces qui s'exercent entre circuits conducteurs parcourus par des courants et aimants permanents ou temporaires plongés dans un fluide magnétique incompressible. Les résultats auxquels on parvient prouvent l'inexactitude d'une vieille règle de MAXWELL suivant laquelle ces forces seraient en raison inverse de la perméabilité du milieu, comme d'ailleurs d'une autre règle due à HELMHOLTZ et d'après laquelle elles seraient, au contraire, proportionnelles à cette perméabilité.

Un point important, mis en lumière par LIÉNARD concerne les forces supportées par les divers éléments matériels. Ces forces ne sont pas déterminées : elles dépendent des relations, en partie arbitraires, qu'on suppose exister, dans un milieu aimanté, entre les tensions élastiques et les déformations. Leur expression se modifie en même temps que ces relations de façon que le travail produit par toute déformation, travail qui, lui, est parfaitement déterminé, conserve la même valeur. Cette indétermination des forces magnétiques n'est d'ailleurs pas sans relation avec le caractère conventionnel et mathématique de la définition du champ ou de l'induction à l'intérieur des corps aimantés, caractère sur lequel LIÉNARD avait déjà attiré l'attention, comme je l'ai rappelé, il y a un moment.

Les problèmes d'électrostriction sur lesquels bien des résultats inexacts avaient alors été publiés, peuvent être traités par des méthodes analogues. LIÉNARD en fait diverses applications et obtient des résultats généraux permettant de retrouver des formules établies par SACERDOTE dans des cas particuliers. Il montre aussi que la théorie des pressions développées dans les diélectriques liquides polarisés explique pourquoi les attractions entre conducteurs électrisés, plongés dans un tel diélectrique, varient en raison inverse de son pouvoir inducteur spécifique, ce qui d'ailleurs pouvait être déjà déduit du théorème énoncé en 1894, ainsi que GOUY l'avait établi dès 1895.

Le grand Mémoire de 1923 ne traitait que de systèmes en équilibre, ne comportant, par conséquent, que des champs permanents. En 1941, LIÉNARD devait étendre la théorie des potentiels thermodynamiques à l'électromagnétisme. Malheureusement, comme aucune théorie relativiste de l'élasticité n'avait pu encore être édifiée à cette époque, il avait été obligé de s'en tenir aux théories électrodynamiques prérelativistes de HERTZ et de LORENTZ pour les corps en mouvement, ce qui limite un peu l'intérêt de l'étude remarquable qu'il a consacrée à ce très difficile sujet. Elle n'en contient pas moins des considérations très instructives et il convient de mentionner tout particulièrement un chapitre sur les phénomènes thermoélectriques où est discutée l'application du principe de Carnot-Clausius à un élément du conducteur traversé par un courant, question essentielle pour la théorie thermodynamique des effets Peltier et Thomson.

Ce n'est d'ailleurs pas aux seules applications à l'électricité et au magnétisme que LIÉNARD devait limiter ses travaux de thermodynamique. Dans un Mémoire paru en 1947 dans les Annales de la Faculté des Sciences de Toulouse, il étudie de façon très générale le déplacement de l'équilibre thermodynamique et il met en évidence, en examinant du nombreux cas particuliers, une différence de comportement des diverses grandeurs, selon qu'elles appartiennent, d'après la distinction introduite par GIBBS, au type des « intensités » ou des « extensités ». Il parvient à formuler des règles qui paraissent assez générales et qui, bien que ne présentant pas un caractère absolu, ont vraisemblablement une certaine portée théorique, comme c'est souvent le cas en physique pour des lois plus ou moins empiriques telles que la loi de Berthollet ou le principe du travail maximum.

Si les travaux dont j'ai parlé jusqu'ici témoignent de connaissances mathématiques étendues et d'une grande habileté a les utiliser, ils ne donnent qu'une idée incomplète des dons de mathématicien de LIÉNARD. A l'occasion, en effet, de ses recherches de mécanique pure, il a su faire preuve de précieuses facultés d'invention, apportant à la théorie des équations algébriques et à celle des équations différentielles d'importantes contributions.

On sait que lorsque la solution d'un problème de mécanique est donnée par une équation différentielle linéaire à coefficients constants, l'étude de la stabilité du mouvement se ramène à celle du signe de la partie réelle des racines de l'équation caractéristique. Des circonstances analogues se présentent d'ailleurs dans de nombreux problèmes de physique et notamment en radioélectricité. Utilisant à l'exemple d'HERMITE, qui avait déjà étudié le problème, les propriétés des formes quadratiques et généralisant des résultats indiqués par E. JOUGUET, LIÉNARD, en collaboration avec H. CHIPART, établit un critérium qui, pour une équation de degré quelconque, facilite grandement l'évaluation du nombre des racines à parties réelles positives ou négatives et qui est d'une application plus commode pour la discussion d'équations algébriques dépendant de divers paramètres que la méthode classique de Routh, adaptée surtout au cas d'équations à coefficients numériques.

Abordant en 1922 le problème du flambage, il est conduit à étendre les résultats de l'étude faite par plusieurs auteurs, dont É. PICARD, sur l'équation différentielle à la discussion de laquelle se ramène le problème. Il précise alors, pour une pièce de section variable, les conditions dans lesquelles le flambage est impossible, celles où la moindre augmentation de charge le provoque et celles enfin où il est inévitable. Il détermine le profil du solide de volume minimum susceptible de résister à un effort de flambage donné et montre que c'est en même temps le solide d'égale résistance.

Il est enfin à peine besoin de rappeler ici la brillante étude qu'à la suite de VAN DER POL et d'Élie et Henri CARTAN, il a faite en 1928 de l'équation générale qui régit les systèmes autoentretenus. Il a établi l'existence, dans un cas très général, d'une solution périodique unique. Il a étudié différents cas où, au contraire, il y a une infinité de semblables solutions et il a obtenu d'importants résultats concernant notamment la durée d'oscillation et le tracé géométrique des courbes intégrales.

Mais, si LIÉNARD était avant tout un physico-mathématicien, il avait reçu une formation d'ingénieur et c'est un cours d'Électricité industrielle qu'il professait à l'École des Mines. Aussi ne pouvait-il manquer de s'intéresser à des problèmes de pure électrotechnique et plus particulièrement à ceux dont la solution exigeait de hautes connaissances mathématiques. C'est ainsi qu à propos de la théorie de la commutation, une application du théorème de Fuchs sur les Intégrales des équations différentielles dont les coefficients n'admettent comme points critiques que des pôles, lui a permis d'étendre la condition de commutation sans étincelle, due à GIRAULT et plus connue sous le nom de condition d'Arnold, au cas où la largeur des balais surpasse celle des lames du collecteur et d'expliquer pourquoi il y a intérêt à augmenter cette largeur. De même, utilisant la méthode symbolique imaginée par notre éminent collègue DARRIEUS pour l'étude des régimes transitoires dans les machines polyphasées, il l'applique au problème de l'autoamorcage d'un moteur asynchrone. Il discute par la méthode d'Hermite l'équation caractéristique du problème et retrouve ainsi les conditions d'autoamorçage de Genkin. Mais, en outre, il établit qu'un seul des deux régimes possibles est stable et que la saturation favorise la stabilité.

La compétence qu'il montrait ainsi dans des branches si diverses de la Science et de la Technique électriques devait faire de lui un des membres les plus marquants de notre Société à laquelle il appartenait depuis 50 ans. Très assidu aux réunions de nos sections, il prenait une part active aux discussions. Si son esprit critique dont l'âge n'avait altéré ni la vigueur ni la lucidité rendait ses interventions redoutables, ses remarques pertinentes, mais toujours bienveillantes en dépit du ton un peu bourru sur lequel il lui arrivait de les présenter, n'en étaient pas moins très appréciées : outre qu'elles manquaient rarement d'apporter dans des débats parfois confus une salutaire clarté, elles étaient souvent précieuses pour des auteurs, quelquefois illustres, de Communications insuffisamment mûries, à qui elles évitaient de poursuivre de vaines recherches dans des voies sans issue ou de publier des résultats douteux sinon erronés. La nature de son activité et sa grande expérience de l'enseignement le désignaient tout naturellement pour diriger les travaux de notre 6e Section dont il fut président de 1927 à 1930. L'estime et le respect qu'il avait su inspirer à ses collègues l'avaient, dès 1926 porté à la vice-présidence de la Société et, en 1937, quand il en devint le président, son prédécesseur BETHENOD, après avoir rendu au savant un hommage bien mérité, ne manqua pas de le présenter comme "un homme de grand coeur dont la conscience et la droiture exceptionnelles étaient proverbiales". Il était d'ailleurs d'autant mieux préparé à exercer ces hautes et délicates fonctions qu'il avait été, en 1933, président de la Société mathématique de France.

Les mérites scientifiques de LIÉNARD devaient, à deux reprises, attirer l'attention de l'Académie des Sciences. En 1911, sur le rapport très élogieux de BOUSSINESQ, elle lui attribuait le prix Vaillant pour un Mémoire sur le mouvement d'un ellipsoïde dans un liquide visqueux et, en 1929, elle lui décernait le prix Poncelet. Sans mésestimer la valeur de si hautes distinctions, on peut cependant regretter que la carrière si féconde d'un savant qui, s'il était trop souvent méconnu de ses compatriotes, n'en contribuait pas moins largement au bon renom de la Science française à l'étranger, n'ait pas reçu une plus complète consécration.

Mais LIÉNARD ne recherchait pas les honneurs car l'humilité et la modestie n'étaient pas les moindres vertus de ce chrétien, au sens le plus complet du mot, qui, menant une vie quasi monacale, consacrait à des oeuvres de charité tous les loisirs que lui laissait son inlassable activité. Rien ne pouvait d'ailleurs plus déplaire à un homme d'une telle qualité que l'élément publicitaire qui apparaît aujourd'hui trop souvent comme une condition nécessaire, voire suffisante, de la notoriété scientifique. Au reste, comme dans les mines de notre vieux continent où l'exploitation est d'autant plus difficile qu'elle est plus avancée, dans les vieilles disciplines où la subtilité et la sagacité de LIÉNARD savaient trouver matière à s'exercer, les progrès sont lents et les résultats, rarement spectaculaires, ne sont guère de nature à attirer les regards constamment sollicités par les découvertes plus voyantes, faites, souvent à moindres frais, dans des voies plus récemment ouvertes. Aussi n'est-il pas très surprenant qu'un savant si éminent n'ait pas occupé dans le monde scientifique la place officielle que lui assignait son indiscutable talent.

C'est à l'âge de 89 ans que la mort qu'il attendait avec la sérénité d'un croyant, frappait, à Paris, le 29 avril 1958, cet infatigable chercheur, alors qu'il venait de subir une opération à laquelle il s'était prêté avec joie, car elle devait lui rendre, avec la vue qu'il avait partiellement perdue, la possibilité de reprendre les travaux qu'il avait dû momentanément interrompre, mais pour lesquels son ardeur était restée intacte. Tous ceux qui l'ont approché garderont le souvenir d'une noble figure qui fait honneur à la Science française et, si son passage en ce monde aura été particulièrement discret, le sillage que, comme tout homme bien né, il devait avoir à coeur de laisser derrière lui, ne s'éteindra pas de si tôt.



Alfred Liénard élève de Polytechnique
(C) Collections Ecole polytechnique



Liénard vu par l'un de ses élèves de l'Ecole des Mines
(C) Photo collections ENSMP


Liénard caricaturé par un autre élève des Mines de Paris (Petite Revue des élèves, 1911, page 37)
(C) Photo collections ENSMP


Liénard "Dieu Electricité" caricaturé par un autre élève des Mines de Paris (Petite Revue des élèves, 1927)
(C) Photo collections ENSMP


Liénard caricaturé par un autre élève des Mines de Paris (Petite Revue des élèves, 1936)
(C) Photo collections ENSMP