Jacqueline SARCIA (1924-2009)


Au Cameroun en 1950


Jacqueline SARCIA
par Claude Beaumont

Publié dans ABC-Mines, Août 2011, Bulletin N° 33.

Après de brillantes études secondaires (elle collectionne les prix d'excellence), Jacqueline Roche, doublement bachelière, opte pour les sciences et rencontre, à la Faculté des Sciences de Paris, Pierre Termier, Hubert Curien, Jacques Geffroy, Pierre Routhier, Abel-Jean Sarcia.

Une courte expérience dans l'enseignement ne la convainc pas : elle souhaite une vie plus active. Elle intègre donc, au Commissariat à l'Énergie Atomique, le laboratoire dirigé à Fontenay-aux-Roses par Jean Chervet. Elle y rencontre Claude Guillemin qui, Pharmacien de Marine, vient d'y être détaché par son Corps. Ses domaines de prédilection sont déjà la pétrographie et la métallogénie (elle a publié dès 1945, sous la direction de Jacques Geffroy, aux connaissances métallogéniques exceptionnelles, une note sur le gisement d'étain et de wolfram de Montbelleux, llle-et-Vilaine).

Mutée à la division minière du Morvan, responsable du laboratoire, elle travaille, sous l'autorité de Marcel Roubault, avec J. Geffroy et Jean Sarcia. M. Roubault, de sa voix rocailleuse, exhorte ce dernier : « Sarcia, il faut que vous épousiez Mademoiselle Roche ! ». Message compris et mariage le 29 juillet 1949. Jean et Jacqueline vont désormais mener de conserve au sein du CEA, durant une quinzaine d'années, deux vies professionnelles actives et fécondes.

Pendant deux ans (de décembre 1949 à décembre 1951), J. et J. Sarcia sont chargés, au Cameroun, dans des conditions difficiles, d'une reconnaissance générale des possibilités d'existence de gisements d'uranium. Jacqueline y acquiert le goût du terrain. Ils en rapporteront le souvenir d'aventures cocasses partagées avec leur fameux chien « Toyo ».

Les recherches du CEA se tournent vers le Limousin. Jacqueline et Jean s'installent donc à Ambazac (Haute-Vienne). Jean dirige le Service des Recherches et y crée l'École de Prospection, pépinière de techniciens appréciés tant au sein du CEA que dans les sociétés minières du monde entier.

Jacqueline le seconde par ses études pétrographiques et minéralogiques. Les monts d'Ambazac deviennent l'une des provinces uranifères les plus riches d'Europe. Jacqueline y définit l'épisyénite, roche jusqu'alors inconnue, hôte privilégié de beaucoup des minéralisations en uranium des gisements français. Elle participe à l'ouvrage collectif Les Minerais uranifères français et leurs gisements, dirigé par Marcel Roubault.

Elle rédige ou co-rédige avec J. Geffroy une longue série de publications. L'un de leurs amis se souvient que l'opiniâtreté de Jacqueline joue un rôle primordial dans le travail de rédaction: « C'est elle qui poussait son ami Gef(froy) à écrire chaque jour quelques lignes ». Certaines de ces publications sont plus exclusivement minéralogiques (la « Contribution à l'étude des pechblendes françaises » n'a jamais eu d'équivalent).

D'autres concernent notamment les filons épithermaux uranifères, plus géologiques

Toutes font autorité en la matière et sont restées de grands classiques, tel l'«Essai de classification des gîtes uranifères filoniens ».

J. et J. Sarcia participeront également à la rédaction du « Guide Géologique de la Haute-Vienne ».


À l'occasion de la naissance de Catherine, leur fille unique (1959), Jacqueline devient le premier agent doté d'un carnet de maternité administré par la Caisse régionale de gestion du Statut du mineur.

Lorsqu'en 1962, Jean est appelé à Paris, Jacqueline, sur proposition de Claude Guillemin, est recrutée par le BRGM, au sein du département qui en regroupe les laboratoires. Elle seconde C. Guillemin, qui deviendra peu après conservateur du Musée de l'École des Mines, lorsqu'il organise au sein du BRGM le Service de Conservation des Espèces minérales, dont les expéditions de collecte (vivianite d'Ainloa (Cameroun), gundafite de Monteponi (Sardaigne)) fourniront au Musée une monnaie d'échange appréciée et lui permettront de se procurer des échantillons de nouveaux sites ou d'espèces nouvelles. Elle le seconde encore lorsqu'il se préoccupe d'inventorier les collections de minéralogie du monde entier établissant ainsi l'« Inventaire des grandes Collections de Minéralogie de France et du Monde ».

C. Guillemin crée l'Association des Amis de la Bibliothèque et des Collections de l'École (ABC Mines) ; Jacqueline en devient l'un des tout premiers membres (adhérent 58) et lui restera fidèle. Elle poursuit en même temps des travaux pétrographiques et minéralogiques pour le compte des services de recherche minière du Bureau, et collabore aux études d'orientation de l'exploration : la « Synthèse Afrique » est ainsi réalisée avec André Blanchot et Gilbert Troly.


Elle aborde des sujets nouveaux qui lui paraissent prometteurs : les éléments rares (certains, jusque là considérés comme des curiosités, commencent à attirer l'intérêt de l'industrie), sur un plan très général, la répartition spatio-temporelle des gisements (communication remarquée au Congrès Géologique International), et l'utilisation des nouvelles technologies, géochronologie ou, avec des informaticiens, le traitement de l'information en métallogénie.

Elle déploie un dynamisme peu ordinaire dans les discussions avec ses collègues et nombreux amis. Bien qu'elle ne fût pas spécialiste de tous les domaines, ses remarques sont prises en compte, en raison de ses connaissances de naturaliste et de son bon sens.

Lorsque les laboratoires du BRGM sont transférés à Orléans, elle devient alors, en 1965, assistante. J'apprécie, dans ce rôle difficile auprès d'un président directeur général, son dévouement, la sagesse de ses réactions, et le doigté humain avec lequel elle apporte sa contribution à la solution des problèmes délicats. J'ai l'habitude de demander son avis sur la formulation des textes que je rédige, et elle s'y applique avec une scrupuleuse exigence.

Quand je quitte le BRGM (octobre 1975) pour prendre la responsabilité de Minatome, elle assure pendant trois années la rédaction et la mise en forme de la « Chronique des Mines et de la Recherche minière », publication appréciée de tous les géologues miniers.

En 1978, je lui propose de me rejoindre à Minatome. « Ce serait chouette de revenir à l'uranium » me dit-elle.... Elle n'a jamais cessé s'intéresser à l'uranium, et met à jour avec ardeur ses connaissances : depuis qu'elle a quitté le CEA, de nouveaux types de gîtes ont été découverts de par le monde, dont elle tient à connaître et comprendre les conditions de gisement.


Elle retrouve avec bonheur « le terrain » qui lui avait un peu manqué dans son activité au BRGM.

Ses conseils sont précieux dans le choix des opérations: elle sait - qualité rare - ce qu'un éclairage scientifique peut apporter à un jugement sur les potentialités économiques d'un gisement, et sa place dans la comparaison avec les gisements du monde.


Elle participe aux activités du Centre de Recherches sur la Géologie de l'Uranium, au sein duquel collaborent des représentants de sociétés le plus souvent concurrentes. Elle étudie le rôle de l'albite dans la formation des gîtes uranifères.

Elle laissera à son départ une pile de notes internes percutantes sur les recherches des équipes de Minatome, prodiguant des conseils appréciés ou exprimant, dans le domaine des minerais sédimentaires qu'elle connaît moins, ses réactions de naturaliste et de chimiste. Elle aura en outre assumé parallèlement, ici encore, ses fonctions d'assistante du directeur général, jouant un rôle fondamental dans la cohésion des équipes de géologues et mineurs, aidant à fédérer des hommes de terrain venus d'horizons fort différents.

Quelques années plus tard, la « fièvre de l'uranium » retombe, avec Three Miles Island, Tchernobyl et les mouvements antinucléaires. Les qualités humaines et la serviabilité de Jacqueline Sarcia sont alors appréciées, lorsque les effectifs de la société, devenue Total Compagnie Minière, doivent être réduits et qu'il faut trouver des points de chute pour beaucoup d'ingénieurs et techniciens.

Elle prend sa retraite en septembre 1989. « J'ai fait le plus beau métier du monde », dira-t-elle le jour de son pot d'adieu à ses collègues devenus pour la plupart ses amis, auprès desquels elle aura trouvé une complicité intellectuelle et une fraternité auxquelles elle a infiniment tenu.

Elle tourne la page de l'uranium et de la géologie, pour se consacrer à ses passions de toujours : l'histoire, la littérature, la musique, les beaux arts, et fréquenter assidûment expositions et conférences au musée du Louvre.

Affectée plus qu'elle ne le laissait paraître par la disparition de son époux en novembre 2004, elle s'éteint le 6 juin 2009, à l'issue d'une vie bien remplie, autant d'un point de vue professionnel que du point de vue humain.


Dotée d'une personnalité hors du commun, curieuse de tout, elle aimait également sa famille et ses amis, les roses de son jardin et ses bois de sa propriété du Limousin, les sciences et l'art sous toutes ses formes, le rire et la beauté du monde. D'une intelligence percutante, d'une érudition exceptionnelle, à la fois cartésienne et intuitive, pétillante et pleine d'humour, passionnée et passionnante, elle a su gagner l'estime de tous, aussi bien celle des techniciens (elle recherchait l'efficacité plus que le pouvoir hiérarchique, qui ne la tentait guère) que celle des non techniciens.

Nos pensées vont à sa fille, Catherine Sarcia-Roche, avocat au Barreau de Paris, à son petit fils, « Jean II », dont le culot et l'esprit la charmaient, et à toute sa famille.


A Cayeux sur Mer en 2006

Et pour compléter cette évocation de Jacqueline Sarcia...

A la mémoire de deux anciens, toujours restés fidèles...
par Claude Beaumont

Michel Angel (décédé en 2000), mineur et poète à ses heures, avait rédigé le poème ci-après, que nous reprenons dans « La mine et les mineurs de l'uranium français » par A.Paucard, tome IV, auquel nous empruntons aussi quelques uns de nos commentaires.

Le titre fait évidemment référence à Jacqueline Sarcia qui, après s'être intéressée à une roche présente dans les gîtes d'uranium de Saint Symphorien de Marmagne (Morvan), l'avait retrouvée à La Crouzille (Limousin). Ses études pétrographiques lui ont alors permis, la première, d'identifier cette roche jusqu'alors inconnue. Eugène Raguin lui proposa de l'appeler episyénite. L'épisyénite est un granite désilicifié dont les pores peuvent être occupés par des minéraux secondaires. Elle devient ainsi (mais l'emploi ici du mot épigénie - remplacement, dans un minéral, d'une molécule par une autre - tient de la licence poétique) un hôte privilégié, particulièrement fréquent en France, de l'uranium, que Michel Angel fut heureux de retrouver lorsque, ayant quitté le BRGM, il dirigea des recherches et exploitations de ce métal.

L'albite, le feldspath plagioclase fréquent dans certains granites, fut également l'objet d'études très poussées de la part de Jacqueline Sarcia. Plusieurs géologues miniers du BRGM avaient suivi les cours d'Eugène Raguin (1900-2001), professeur de géologie appliquée à l'École des Mines de Paris, qui y avait organisé une formation originale de géologie minière, et un enseignement aussi soucieux d'une stricte observation des faits que de l'intérêt économique des gîtes étudiés.