Jules GARNIER (1839-1904)


Jules Garnier et des kanaks en 1864

Ingénieur civil des mines diplômé de l'Ecole des Mineurs de Saint-Etienne.

Fils de Jean-Baptiste GARNIER, boulanger et de Marie JAVELLE.
Marié à Jeanne SANLAVILLE.
Père de Alain GARNIER (avocat à Paris, mort en 1914), Pascal GARNIER (1872-1898, ingénieur diplômé de l'Ecole Centrale), et Eugène François Gilbert (E.F.G.) GARNIER (1874-1964, X 1892, officier d'artillerie devenu général de brigade).
Un arrière-petit-fils de E.F.G. GARNIER a fait polytechnique : Arnaud Luc Yann SAINT-SAUVEUR (né en 1974 ; X 1995).

Concernant Jules GARNIER et la découverte du nickel en Nouvelle Calédonie, voir aussi les sites web suivants :

A lire : L'Or vert, l'Epopée du Nickel en Nouvelle-Calédonie, par Luc Chevalier, Editions de La Martinière, 1996.


Jules GARNIER, l'homme du nickel

par René SAMUEL-LAJEUNESSE

Paru dans Grands Mineurs Français, DUNOD, 1948.

La France doit à Jules Garnier la découverte des gisements de nickel de Nouvelle-Calédonie, qui furent considérés longtemps comme les plus importants du monde.

Né à Saint-Etienne, y fait ses études d'abord à l'école paroissiale de la Grand'Eglise, puis au lycée. Il a le mérite, à notre point de vue d'auteur, de trancher sur les autres grands mineurs français dont nous avons relaté les performances scolaires : il fut un élève déplorable. Passionné pour les voyages et les aventures, l'élève Jules Garnier dédaigne franchement les manuels scolaires au profit des romans de Fenimore Cooper, alors au plus haut de leur vogue. Nous le savons par son condisciple Murgue, qui s'étonna plus tard de se voir distancer par lui au concours d'entrée à l'Ecole des mines stéphanoise. « Garnier avait compris, dit Murgue en un style discutable, que l'envolée d'une imagination ardente ne pouvait suffire à s'ouvrir un chemin dans la mêlée de la vie; il avait compris que l'effort était nécessaire, et comme la volonté ne lui faisait pas défaut, il s'était ressaisi. »

Sorti dans un bon rang de l'Ecole des mines, Garnier se propose pour partir en mission en Nouvelle-Calédonie. En 1863, il débarque à Sidney et commence par étudier la géologie du continent australien, qui, suppose-t-il à juste titre, lui donnera une idée de ce qui l'attend dans l'Ile océanienne. Puis il arrive à Nouméa et entreprend la première exploration scientifique du pays. Il réalise les rêves de son enfance. « Le col au vent, la carabine au point », tel le décrivent les journaux de voyages de l'époque, il parcourt l'île, palabre avec les Canaques, remue la terre.

Il a la bonne fortune de découvrir le minerai vert de nickel, qui sera, à juste titre, baptisé « garnierite ».

Il rentre de mission en 1867, est accueilli chaleureusement au ministère de la Marine et reçoit la Légion d'honneur, à peine âgé de vingt-huit ans.

Bientôt éclate la guerre. Le patriotisme et l'esprit d'aventure se conjuguent en Garnier, qui rêve de porter à l'ennemi des coups retentissants. Il veut utiliser contre lui cet explosif brisant, le coton nitré, encore peu répandu mais dont, comme mineur, il connaît les propriétés.

Il fait agréer ses idées par le gouvernement de Tours, obtient une commission pour lever un bataillon de génie auxiliaire où il enrôle comme officiers des camarades d'école, comme soldats des ouvriers mineurs. Il part lui-même pour l'Angleterre, d'où il ramène, après un voyage très mouvementé, le coton nitré dont il garnira ses « torpilles ». Hélas! il était trop tard. Garnier et ses volontaires participent à la défense de Dijon. Ils font sauter le pont de Huffon, entre Chatillon et Nuits-sous-Rivière, mais cet exploit - peut-être trop souvent réitéré en 1940 - n'est accompli qu'au lendemain de l'Armistice.

La paix revenue, Garnier s'occupe d'affaires industrielles très variées : entreprises minières, métallurgiques, de mécanique. Il a Paris pour port d'attache, mais ne cesse de parcourir le monde. Si le nickel reste son métal préféré, c'est peut-être parce que c'est celui qu'on exploite le plus loin de France. Il participe à l'exploration du gisement canadien de Sudbury, qui doit ultérieurement assurer la majeure partie de la production mondiale.

Garnier s'intéresse aussi à l'or, qui, comme le nickel, s'extrait en terres lointaines. Il explore les gisements aurifères du Colorado, du Transvaal, de la Nouvelle-Zélande, de l'Australie. Sur la fin de sa carrière, il est accompagné dans ses voyages par son fils, Pascal, ingénieur de Centrale, qu'il a initié avec amour aux joies de la prospection lointaine.

En 1890, il a laissé son fils approfondir la reconnaissance des gisements aurifères de Coolgardie, en Australie. Lui-même, fatigué, rentre en France. A son retour, il apprend une nouvelle qui attristera la fin de sa vie : Pascal, qu'il avait abandonné en pleine forme physique, a succombé là-bas à une fièvre pernicieuse.

Sa propre santé, dès lors, ne fait que décroître. Il continue à voyager, mais recherche des climats cléments. Lorsque, de Rome, où il avait fait un long séjour, il veut regagner la France, il ne peut dépasser Menton, où il meurt le 28 mai 1904.

Garnier a laissé des souvenirs de voyage passionnants, écrits dans un style alerte et plein d'humour. Il a aussi publié, soit seul, soit en collaboration avec son fils Pascal, d'intéressantes notes sur les gisements qu'il a prospectés. Il a exercé une influence profonde sur notre expansion coloniale.


Echantillon de garniérite, roche verte contenant du nickel


Tristan Gaston-Breton dépeint comme suit la création de la société Le Nickel (Les Echos, 4 août 2008) :

A sa sortie de l'Ecole [des Mineurs de Saint-Etienne], Jules Garnier travaille un an à la Compagnie des Forges et Aciéries de la Marine et des Chemins de Fer, qui sera absorbée bien plus tard par le groupe Creusot-Loire. En 1863, après avoir accompli une brève étude géologique en Sardaigne, il est nommé par le ministère de la Marine et des Colonies chef du service des mines de Nouvelle-Calédonie avec mission d'en recenser les ressources géologiques et minières. A l'origine, en 1853, la France avait annexé le Caillou afin d'y installer un bagne. Mais, depuis le milieu du XIXe siècle, la croissance industrielle très forte que connaît le pays pousse à la recherche de nouveaux gisements de minerais, notamment dans les colonies. A Paris, il se dit ainsi que la Nouvelle-Calédonie regorge de charbon. Au début de l'année 1863, de l'or y a même été trouvé. L'étude des gisements aurifères du Caillou constitue d'ailleurs l'un des objectifs majeurs de la mission de Jules Garnier.

... Parti de Marseille le 23 septembre 1863, il arrive à Nouméa deux mois plus tard. ... A peine débarqué, Jules Garnier reçoit pour mission d'explorer les gisements de houille qui se trouvent à proximité de la ville et auxquels la marine attache une importance toute particulière pour le ravitaillement de ses navires de guerre. L'exploitation de cette houille s'avérant finalement très difficile, l'ingénieur accompagné d'une petite escorte entreprend de sillonner toute l'île en quête de gisements aurifères.

C'est lors de ce périple que son regard est attiré par des amas de roches vertes dont il envoie quelques échantillons à un minéralogiste américain : les conclusions ne laissent aucun doute : les roches en question sont des hydrosilicates de nickel et de magnésie. Jules Garnier vient de découvrir les énormes gisements de nickel de Nouvelle-Calédonie. A ce moment, le nickel est très peu utilisé pour les applications industrielles. Connu depuis des millénaires, il n'a véritablement été étudié qu'à partir de 1751, date à laquelle le chimiste suédois Alex Cronstedt a réussi à l'isoler. Au milieu du XIXe siècle, le nickel n'est au final utilisé que pour la fabrication de certaines pièces de monnaies - ainsi le « nickel » américain de 3 cents, frappé en 1851 - et pour le plaquage du fer, du cuivre et du laiton. Mais, à l'heure de la révolution industrielle, sa résistance à la corrosion et à l'oxydation le désignent pour des applications nouvelles, notamment dans les secteurs de la chimie ou de l'industrie électrique naissante. ...

Rentré à Paris en 1866, décoré de la Légion d'honneur, Jules Garnier attendra dix ans avant de s'intéresser à nouveau à la Nouvelle-Calédonie, poursuivant dans l'Hexagone une carrière d'ingénieur des Mines. ... Rendu à la vie civile en 1871, il a également mené toute une série de réflexions sur les transports urbains dans la capitale, proposant même la création d'un métro aérien. ... En 1873, Charles-Emile Heurteau a été envoyé sur le Caillou pour mettre un peu d'ordre parmi les centaines de prospecteurs - venus surtout d'Australie -, attirés par les gisements aurifères de l'île. C'est lui qui a doté l'île d'un régime minier spécifique, permettant le développement rapide du nombre de concessions. En 1875, il existe déjà 85 concessions de nickel, qui occupent une superficie totale de 4.662 hectares. Cette même année, les premiers lots de minerai - 327 tonnes - ont été exportés vers l'Australie, les Etats-Unis et l'Europe. Découvreur du nickel de Nouvelle-Calédonie, Jules Garnier a déjà pris un temps de retard pour son exploitation.

1876 : Sur ses concurrents prospecteurs, l'ingénieur-géologue a cependant un atout. En 1876, il a déposé un brevet pour « le traitement par voie sèche des minerais nickélifères calédoniens », décrivant les principes et les apports du ferronickel. Le premier, il a découvert que, pour être utilisé avantageusement, le nickel devait être allié au fer, rendu ainsi inoxydable et parfaitement résistant. Surtout, Jules Garnier a réussi à intéresser à ses travaux un industriel français, Henri Marbeau. Ensemble, les deux hommes créent en 1877, à Septèmes, dans les Bouches-du-Rhône, une fonderie de nickel. Mais les deux industriels ne sont pas les seuls à vouloir exploiter le filon calédonien. Au même moment en effet, une deuxième fonderie est ouverte, cette fois à Pointe-Chaleix, non loin de Nouméa, par John Higginson. Cet aventurier et spéculateur d'origine australienne, qui a réussi à décrocher une concession sur le Caillou avant de convaincre l'administration pénitentiaire de mettre à sa disposition, selon le contrat dit « de la balade », 200 condamnés au bagne, est parvenu à lever des capitaux dans une grande partie de l'Europe et à créer une très importante usine, dotée de deux hauts-fourneaux ! Entre la fonderie de Pointe-Chaleix, qui s'impose d'emblée comme la principale société minière de Nouvelle-Calédonie et qui, de 1880 à 1885, produira un peu plus de 3.500 tonnes de fonte de nickel, et l'usine de Septèmes, la concurrence est à couteaux tirés.

Jusqu'à ce jour de 1880 où, las de se faire la guerre et confrontés à une situation financière précaire, Jules Garnier, John Higginson et Henri Marbeau décident de regrouper leurs moyens de production sur un seul site situé en Nouvelle-Calédonie. Ainsi naît la société Le Nickel, qui construit une usine à Thio. Cet établissement, Jules Garnier en a entièrement supervisé l'édification depuis la France, expédiant matériels et pièces détachées par le port de Bordeaux. Décidément bien inspiré, John Higginson a de son côté réussi à intéresser la famille Rothschild à l'affaire. Celle-ci en prendra le contrôle total en 1883 avant d'en faire la société mère de l'ensemble de ses filiales minières. Le Nickel restera propriété des Rothschild jusque dans les années 1970, avant de passer sous le giron d'une nouvelle société : Eramet.

La création de la société Le Nickel marque ainsi les véritables débuts de l'exploitation industrielle du nickel de Nouvelle-Calédonie. Premier producteur mondial de ferronickel dès sa création, la société exporte très tôt l'essentiel de sa production, notamment vers l'Europe et le Japon. ... Pour Jules Garnier, l'homme qui a rendu possible le « miracle » du nickel calédonien, c'est en revanche une nouvelle vie qui commence. A partir de 1883, il mène une carrière d'ingénieur-conseil pour le compte de grandes entreprises minières internationales. Dans les années 1890, il est ainsi au Canada, où il participe à la création d'usines complètes. Il se rend également en Afrique du Sud, où il effectue diverses missions d'étude en vue de l'exploitation des gisements aurifères. Brisé par la mort de son fils, dont il a fait son associé, en 1898, il renonce peu à peu aux expéditions, se consacrant aux études géologiques et minières. Il meurt en mars 1904, à Menton, de retour d'un voyage d'agrément en Italie.