SOUVENIRS

1878-1893

Charles de Freycinet

Volume 2, paru en 1913 chez Ch. Delagrave éd.

CHAPITRE IV
L'AMNISTIE PLÉNIÈRE. — L'ARTICLE SEPT. - LES DÉCRETS.

Le 16 janvier 1880, le cabinet lut sa déclaration aux Chambres. Je m'étais inspiré, dans la rédaction de ce document, de l'esprit qui m'avait animé pendant mes voyages aux ports maritimes. De nouveau, je recommandais l'union et la concorde. Nous nous proposions, mes collègues et moi, de rapprocher les diverses fractions du parti républicain et même, s'il se pouvait, de diminuer l'écart entre lui et ses adversaires : « Sans cesser d'être fermes nous serons conciliants, disions-nous, parce que nous voulons, non exclure, mais ramener, et fonder une République dans laquelle tous les Français puissent successivement faire leur entrée. » Nous énumérions les réformes, nombreuses, auxquelles nous allions nous consacrer, en première ligne celle du personnel, que nous entendions rappeler à la stricte obéissance et au respect des institutions.

Cet exposé fut bien accueilli. Mais il n'y a pas à s'illusionner sur ce genre de succès. Tout dépend des solutions effectives qui seront données aux questions, au fur et à mesure qu'elles surgiront. Notre rencontre véritable avec la Chambre se produisit le 12 février. Ce jour-là s'ouvrit la discussion sur l'amnistie plénière des condamnés de la Commune, qui réapparaissait sur la scène parlementaire, après avoir été si funeste aux cabinets Dufaure et Waddington. Je m'en étais entretenu souvent avec M. Gambetta. Tous deux nous considérions cette amnistie comme désirable, nécessaire même; nous ne la jugions pas encore possible. L'état des esprits, dans les Chambres et dans le pays, créait un obstacle insurmontable. Le Sénat surtout manifestait une opposition irréductible; son aversion à l'égard des chefs de l'insurrection n'avait pas faibli. Pour espérer le succès — et, en pareille matière, quand on tente il faut réussir — un certain délai semblait indispensable, au moins un an ou deux. Il fut donc entendu que je repousserais l'amnistie totale, comme mes devanciers, sans proscrire pourtant l'espérance. Nous réglâmes l'ordre et la marche de la discussion. Le rapporteur Casimir Périer répondrait à Louis Blanc; puis Proust parlerait dans le sens de Louis Blanc, sans aigreur, sans incriminer le ministère. Je répondrais courtoisement à Proust. « Ne vous étonnez pas, me dit M. Gambetta, si plusieurs de mes amis votent l'amnistie; ils sont engagés. Vous n'en aurez pas moins trois cents voix, si vous réservez l'avenir. » Il convient de remarquer que la mesure ne visait plus que huit cent cinq condamnés. Au 31 décembre 1878, il y avait quatre mille trois cent onze déportés : depuis, trois mille cinq cent six grâces étaient intervenues.

Quand mon tour de parler fut venu, j'expliquai dès les premiers mots notre attitude. J'exposai les inconvénients d'une résolution trop hâtive, qui compromettrait la cause en voulant devancer l'heure. Laissons le temps faire son œuvre, disais-je : « Peut-être un jour, au sein de cette France tranquille, apaisée, prospère, unie dans la République, un gouvernement fort de votre confiance, justifié par les gages de modération, de sagesse et de fermeté qu'il aura pu donner, ce gouvernement sera en droit de se lever et de dire : Les mesures hardies que vous nous aviez conseillées, et que nous avions toujours jugées dangereuses pour la République, le moment est venu de les réaliser. » Ce langage, qui paraît aujourd'hui plutôt timoré, fut salué comme une heureuse hardiesse et donna satisfaction à la Chambre. Malgré une réplique véhémente de M. Madier de Montjau, 316 voix contre 114 repoussèrent l'amnistie plénière. Ainsi que me l'avait annoncé M. Gambetta, ses amis Paul Bert, Proust, Allain Targé, Spuller, Rouvier, Thomson se trouvaient dans la minorité. Mais un bel article de la République française prouva que je n'étais pas désavoué par M. Gambetta.

Nous restions, en effet, en parfait accord. Sur la politique étrangère particulièrement nos vues étaient les mêmes. Nous résolûmes d'échanger nos idées au moins une fois par quinzaine. J'allais dîner à la présidence de la Chambre et nous passions la soirée tête à tête. Notre objectif commun était de resserrer nos liens avec l'Angleterre, de nous rapprocher de la Russie et, par la suite, d'amener une entente entre les trois puissances. Il m'a été donné, dix ans plus tard, de réaliser avec le concours de M. Ribot la partie principale du programme : l'accord avec la Russie. Quant à la triple entente, elle n'est devenue un facteur européen qu'en ces dernières années. J'ai pu apprécier, dans nos entretiens, la sûreté et la variété des informations de M. Gambetta. Le nombre des personnes qui s'appliquaient à le renseigner est surprenant ; il avait des correspondants de tous les côtés et dans toutes les classes. Un de ses amis notamment, dont il taisait le nom, occupait à San Remo une villa confortable, qu'entourait un jardin magnifique. Le prince héritier Frédéric, souffrant de sa maladie de larynx et habitant la maison contiguë, aimait à se promener sous ses ombrages. Des relations familières s'établirent entre le Français de marque et le futur empereur d'Allemagne. Il y eut des épanchements sur l'avenir des deux pays. Le correspondant de M. Gambetta ne désespérait pas qu'on pût un jour s'entendre sur l'angoissante question d'Alsace-Lorraine. Ses lettres, du plus haut intérêt, montraient sous un jour touchant l'état d'esprit de l'auguste malade. Il semblait deviner le souverain qui, dans sa courte apparition sur le trône, étonnerait le monde par son détachement des grandeurs : « Qui sait? me disait M. Gambetta. La justice immanente réserve de si grandes surprises! »

Une des premières visites que je reçus au quai d'Orsay fut celle du prince Orloff, ambassadeur de Russie. Nous n'étions pas étrangers l'un à l'autre, ayant eu de fréquentes rencontres dans les salons ministériels. A un moment de l'entrevue, il me dit : « Maintenant que je me suis acquitté de mes communications officielles, voulez-vous que nous causions à titre privé? Et, pour le mieux marquer, quittons, s'il vous plaît, cette place (j'étais à mon bureau) et allons nous asseoir près de la cheminée. Il est convenu — n'est-ce pas? — que nos gouvernements ne nous entendent pas et que ces propos ne laisseront aucune trace. » — « Volontiers, répondis-je un peu intrigué, je vous écoute. » — « Eh bien! reprit-il, une chose m'a toujours étonné, c'est que vous soyez allés au congrès de Berlin, pour vous associer à ceux qui nous ont dépouillés. N'était-ce point votre intérêt de vous rapprocher de nous, au lieu de favoriser les intrigues du prince de Bismarck? Il ne vous aime pas plus que nous et par conséquent il nous dicte, aux uns et aux autres, notre conduite. » Je lui exposai les raisons multiples qui nous avaient amenés à Berlin et je protestai de nos bons sentiments pour la Russie. « Soit, dit le prince, qui ne parut pas convaincu. Mais laissons cela, c'est le passé. Pour l'avenir, qu'est-ce que vous comptez faire? » — « Cultiver avec soin, répondis-je, toutes les occasions qui peuvent développer les sympathies entre les deux gouvernements. Ne le crions pas sur les toits, car il faut marcher prudemment; nous sommes entourés de mauvaises volontés qui pourraient amener l'échec de nos tentatives. » — « Je constate avec plaisir, appuya-t-il, que vous êtes personnellement dans un état d'esprit qui permettra, à un moment donné, d'en reparler d'une manière plus précise... Notre causerie est terminée, ajouta-t-il après quelques banalités, je redeviens ambassadeur et je prends congé du ministre. »

Je rapprochai cette conversation de quelques mots que m'avait dits M. Waddington en me remettant le service : « La Russie est disposée, je crois, à un rapprochement, mais nous sommes épiés par le prince de Bismarck. La menace d'un traité entre la Russie et la France pourrait le décider à ouvrir les hostilités. Lisez les dépêches de Saint-Vallier. Elles sont fort instructives. » Une lettre, en effet, du 14 novembre 1879 donnait des détails circonstanciés sur une longue conversation que notre ambassadeur avait eue avec le chancelier, à Varzin. Celui-ci paraissait fort désireux de prévenir toute fausse interprétation sur l'objet de l'alliance étroite qu'il venait de conclure avec l'empereur François-Joseph : « Nous avons été, dit-il, menacés de la guerre par la Russie. Voilà le motif de l'accord de Vienne. » — « J'ai compris, continuait-il, que la chose devenait grave et qu'il fallait aviser, car je voyais les coquetteries de Gortschakoff et de la presse russe pour flatter vos rancunes contre nous et vous entraîner à une alliance. » Le mot était lâché; l'alliance de la Russie et de la France, c'était bien le cauchemar de M. de Bismarck. Pour la prévenir, il eût été capable de déclarer la guerre, car, disait-il plus tard avec insistance, « je ne veux pas être attaqué à la fois à l'est et à l'ouest. » Il nous importait donc de procéder avec circonspection ; d'autant plus que l'ancienne amitié entre la Russie et l'Allemagne pouvait après tout renaître. Cependant, dès aujourd'hui, nous devions créer l'atmosphère propice à d'étroits rapports dans l'avenir. Cette politique eut l'approbation du conseil. M. Gambetta m'engagea vivement à la poursuivre et, en même temps, à diminuer, autant qu'il dépendrait de nous, les trop nombreux frottements qui, du côté des Indes, se produisaient entre l'Angleterre et la Russie.

Je mis donc une cordialité particulière dans mes relations avec le prince Orloff. Je voulais qu'il eût l'impression de se trouver auprès d'amis de son pays. Il se montra très sensible à mes prévenances. On jugera du ton de nos rapports par ce billet tracé de sa main, qui me remerciait des condoléances émues que je lui avais adressées, a l'occasion de l'attentat du Palais d'été, le 18 février 1880 : « Monsieur le Ministre, vos lignes si pleines de cœur seront placées sous les yeux de l'Empereur. Sa Majesté y reconnaîtra le vrai sentiment de la France et Elle appréciera vos sentiments si nobles et si élevés. Pour ma part, je ne puis que les admirer et vous remercier d'avoir bien voulu me les exprimer. - Veuillez. Monsieur le Ministre, recevoir l'expression de mes sentiments les plus dévoués. Prince Orloff. »

Malheureusement cette intimité naissante subit bientôt un temps d'arrêt, par suite de circonstances aussi lâcheuses qu'imprévues. Un Russe d'Arkhangel, du nom de Nicolaieff Hartmann, qui se dissimulait sous le pseudonyme de Nicolas Soukouroukof, avait, le 10 novembre 1879, fait sauter un train de chemin de fer dans l'espoir d'atteindre la famille impériale. Son crime accompli, il s'était, croyait-on, réfugié en France. Le 25 février 1880, l'ambassade me remit une demande d'extradition, accompagnée du signalement et de la photographie du personnage. Celui-ci ou son sosie fut immédiatement arrêté, mais le juge d'instruction signala l'insuffisance des pièces qui « ne permettaient pas plus de prouver l'identité du prisonnier que sa participation à l'attentat qu'on lui imputait ». J'en rendis compte au prince Orloff, dans une entrevue du 20 février, en insistant sur la nécessité de fournir des pièces plus probantes. Au cours de la conversation, le prince fît allusion aux polémiques de presse provoquées par l'incident et exprima l'espoir que le refus d'extradition, s'il lui était opposé, ne serait pas motivé par des raisons politiques, telles que la méconnaissance du caractère de l'acte; le gouvernement russe le considérait comme un crime de droit commun au premier chef et n'admettait pas qu'une discussion put s'élever sur ce point. Le conseiller d'ambassade, comte Kapnist, avait tenu le même langage au garde des sceaux Cazot.

M. Nicolas Mourawief, avocat général à la cour et professeur de droit à l'université de Pétersbourg, fut mis, par l'ambassade, en contact avec M. Cazot le 4 mars. Il ne produisit pas de pièces justificatives et se contenta d'expliquer le mécanisme des lois russes, en s'attachant à bien marquer le caractère du crime. Dans l'intervalle, notre procureur général Dauphin avait lui-même interrogé le prisonnier et confirmé les conclusions du juge d'instruction. Le conseil des ministres, réuni le 6 mars, sous la présidence de M. Grévy, se rangea à l'opinion du procureur général et dès lors estima que l'extradition ne pouvait être accordée, faute de preuves. Comme, d'autre part, il était impossible de prolonger une détention qui devenait arbitraire et soulevait, à ce titre, des protestations, le prisonnier fut dirigé sur l'Angleterre.

Au sortir du conseil, j'avisai le prince Orloff du résultat par un billet personnel, en lui annonçant une prochaine notification officielle et me mettant, ainsi que M. Cazot, à sa disposition pour des explications verbales. Nous nous rendîmes dans l'après-midi à l'ambassade; la conversation fut assez animée et je vis avec peine que le prince s'était mépris sur l'intention amicale de ma communication. Dans les mots « à l'unanimité », que j'avais insérés pour montrer combien la cause nous avait paru évidente, l'ambassadeur avait cru voir une façon désobligeante d'accentuer le refus. Détail plus grave, dans sa hâte d'informer son gouvernement, il avait expédié mon billet personnel à Pétersbourg, où il devait produire une fâcheuse impression par son tour laconique et familier.

Ces explications échangées, j'adressai au prince, sous la date du 8 mars, la notification officielle annoncée, dont la correction, je crois, ne laissait rien à désirer :

« Monsieur l'Ambassadeur,

« Ainsi que je me suis empressé d'en informer Votre Excellence samedi matin, le Conseil des ministres, dans sa séance du même jour, 6 mars, a pris connaissance d'un rapport adressé la veille par M. le Garde des sceaux au Président de la République, au sujet de la demande d'extradition formée par votre gouvernement contre un individu inculpé de détérioration de la voie du chemin de fer de Moscou-Koursk. Ce rapport, s'appuyant sur deux autres rapports, l'un émané du procureur de la République, l'autre du procureur général près la cour d'appel de Paris, conclut que les preuves manquent pour établir l'identité de l'inculpé et sa participation aux actes incriminés.

« Le Conseil, après avoir examiné attentivement ces documents et en avoir délibéré, s'est rangé à l'avis de M. le Garde des sceaux et a décidé qu'il n'y avait pas lieu d'accorder l'extradition. J'ajoute que le Conseil s'est maintenu strictement sur le terrain défini par la demande d'extradition et ne s'est préoccupé d'aucune question plus ou moins connexe. La délibération a porté uniquement sur le point de fait que j'ai indiqué plus haut, et a eu, dès lors, comme l'instruction elle-même de l'affaire, le caractère purement juridique. Je joins ici les copies, certifiées conformes, des trois rapports sus-mentionnés, ainsi que la copie de la lettre d'envoi de M. le Garde des sceaux.

« Agréez, etc. »

Tel est le résumé de « l'affaire Hartmann » qui fît alors grand bruit et eut pour résultat de refroidir pendant un temps nos rapports avec la Russie. Heureusement la force des choses devait l'emporter sur des incidents en somme secondaires.

Un autre épisode m'a laissé un souvenir plus agréable : c'est celui de la « rectification des frontières grecques ». Le congrès de Berlin avait prévu un arrangement entre la Turquie et la Grèce, aux termes duquel celle-ci devait rentrer en possession d'une partie de l'Epire et de la Thessalie. Les choses en étaient là, depuis près de deux ans, le gouvernement turc ayant opposé les procédés dilatoires qui lui sont familiers. Le roi Georges vint à Paris au mois d'avril 1880.
C'est le souverain si malheureusement assassiné à Salonique, le 18 mars 1913. Jamais chef d'État, par la simplicité et l'aménité de ses manières, par sa bienveillance naturelle et par les services rendus à son peuple, ne parut devoir être mieux à l'abri d'un sort aussi tragique.
Il nous invita à déjeuner, M. Gambetta et moi, à l'hôtel Bristol, place Vendôme : « Il veut sans doute vous parler des frontières grecques, me dit M. Gambetta. Je crois que, sans vous compromettre, vous pourriez vous engager à étudier cette affaire, qui traîne depuis trop longtemps. Ces pauvres gens sont victimes de l'indolence de la diplomatie. » Le roi Georges, que je n'avais pas eu l'honneur d'approcher, mais qui connaissait M. Gambetta, nous reçut avec une grande affabilité. Nous étions cinq à table, dont M. Delyanni, ministre de Grèce à Paris, et le premier aide de camp du Roi. Après le dessert, ces deux derniers s'éclipsèrent et nous restâmes seuls avec Sa Majesté. Le Roi, qui me parut posséder le dossier à merveille, lit un exposé complot de la situation. Il rappela tous les détails de la discussion au sein du congrès et montra la solidité du titre dont la Grèce était munie. Il ne s'agissait que de le mettre en valeur. Si la France voulait prendre une initiative, il était persuadé, d'après ses démarches personnelles, que l'Angleterre s'y associerait, et que l'Allemagne et la Russie l'accueilleraient avec faveur : « Je ne vous demande rien, Monsieur le Ministre, ajouta-t-il; je sais que vous ne pouvez présentement rien me dire, je vous prie seulement d'examiner la question. Vos chefs de service pourront vous confirmer la complète exactitude de ce que je viens de vous raconter. Vous reconnaîtrez l'urgence de prendre un parti. La seule solution que la Grèce ne puisse pas accepter, c'est le statu quo. L'indécision, l'inquiétude la minent; la population souffre, les exaltés lui donnent de mauvais conseils : des troubles ou un conflit seraient à redouter. » Je répondis que mes sympathies étaient acquises à la cause hellénique. Je ne pouvais, comme Sa Majesté l'avait pensé, dire un mot de plus sur le moment; j'en entretiendrais mes collègues et le président de la République. Dans la limite qui nous serait permise, nous agirions au mieux des intérêts de la Grèce. Le Roi me remercia de mon bon vouloir et m'assura qu'il n'en demandait pas davantage. La justice de sa cause ferait le reste.

En sortant de l'hôtel Bristol, nous nous communiquâmes nos impressions. L'accueil franc et cordial de Sa Majesté m'avait favorablement disposé. La clarté de ses explications dissipait les doutes que pouvait laisser la simple lecture des protocoles du congrès. M. Gambetta, dont l'attention était depuis longtemps éveillée, me confirma dans mon sentiment. Il me conseilla, si le gouvernement se déterminait à agir, de me concerter préalablement avec le cabinet de Londres. D'après des avis sûrs, que lui avait transmis Sir Charles Dilke, je trouverais de ce côté un complet appui, comme le Roi me l'avait donné à entendre. C'était une occasion de marquer notre accord avec l'Angleterre, ainsi que nous le marquions déjà dans les affaires d'Egypte.

Le conseil des ministres, mis au courant des suggestions du roi Georges, conclut, après une délibération approfondie, qu'il convenait de sonder le gouvernement britannique, en vue de la réunion éventuelle d'une conférence à Berlin, laquelle statuerait sur la suite à donner aux stipulations du congrès. On sait le reste. Le cabinet de Londres, d'accord avec nous, établit un tracé des frontières grecques, en harmonie avec les intentions du congrès et qui tenait un compte sincère de la géographie et des affinités des populations. La conférence se réunit, le 19 juin 1880, sous la présidence de M. de Bismarck, désireux de compléter son œuvre de 1878. Le tracé adopté par elle donnait une large satisfaction aux revendications helléniques. Il y eut un temps d'arrêt par suite de mon départ du ministère en septembre 1880 et, dix-huit mois après, la solution intervint, à la vérité dans de moins bonnes conditions pour la Grèce. Le roi Georges cependant m'en garda de la reconnaissance. Il était rare qu'il séjournât à Paris sans m'honorer d'une visite et chaque fois il rappelait avec une grâce charmante le service que les circonstances m'avaient permis de rendre à son pays.

Le fameux article sept, voté par la Chambre, se trouvait devant le Sénat qui ne paraissait pas pressé de l'adopter. Le centre gauche, qui en avait gémi sous le ministère Waddington, ne dissimulait pas son hostilité depuis que M. Waddington et M. Léon Say n'étaient plus au gouvernement pour le soutenir. La commission était défavorable, le rapport presque violent. Symptôme inquiétant, les membres les plus éminents de la majorité républicaine, réputés pour leur libéralisme, MM. Dufaure, Jules Simon, de Laboulaye annonçaient l'intention de le combattre à la tribune. La partie était donc fort compromise. M. Jules Ferry, malgré sa vaillance, éprouva le besoin d'être assisté. Il vint me trouver, accompagné de son collaborateur M. Buisson, et me remit un petit volume de Dupin aîné, qui résumait, dit-il, toute la question au point de vue politique et juridique : « Lisez-le et vous en saurez autant que moi. Si vous avez besoin d'éclaircissements, M. Buisson vous les donnera. Je vous en conjure, intervenez dans la discussion publique. Qu'on voie le gouvernement tout entier uni sur cette question ! »

Le débat s'ouvrit le 23 février 1880, débat mémorable par le talent des orateurs qui y prirent part et surtout par les conséquences qu'il entraîna. M. Jules Ferry prononça, les 5 et 6 mars, un discours admirable de savoir historique, de logique, de réminiscences parlementaires, de science juridique. Il n'y manquait qu'une chose : la connaissance de l'auditoire. Il ignorait le Sénat, obstiné dans sa modération, fier, ombrageux, susceptible, ne recherchant pas les conflits, mais prêt à se cabrer contre les hardiesses de la Chambre; le Sénat qu'on n'entraînait pas par des périodes enflammées et qui d'autant plus se raidissait qu'on paraissait faire bon marché de ses convictions. A force de prouver que l'article sept ne violait aucun principe de liberté, qu'il respectait les consciences, qu'il était juste et conforme aux nécessités d'un régime qui se fonde, M. Ferry avait provoqué un esprit de contradiction chez les républicains du centre, chez ceux-là mêmes qu'il fallait ménager et dont dépendait le sort de la loi. L'allure victorieuse qui lui seyait si bien à la Chambre avait indisposé, irrité un grand nombre de sénateurs. A ses affirmations de tolérance, de bonne entente, le rapporteur M. Jules Simon opposa cette réponse saisissante : « Vous vous appelez un gouvernement d'apaisement, un gouvernement de liberté! Jugez de ce que vous faites en France par l'état où vous mettez le Sénat. » Il semblait en effet que les deux parties de l'Assemblée, oublieuses de leur gravité habituelle, allaient se précipiter l'une sur l'autre.

C'est dans ces conditions éminemment difficiles que j'abordai la tribune, le 9 mars. Je m'efforçai tout d'abord de calmer la majorité par ces concessions de forme auxquelles son amour-propre attachait du prix. Je me gardai de soutenir que l'article sept fût la meilleure disposition législative qu'on pût inventer. C'est surtout au Sénat que se vérifie l'adage : « Qui veut trop prouver ne prouve rien. » Je concédai que cet article n'était pas irréprochable, mais il était le produit des circonstances. On le devait au cabinet précédent, qui représentait les aspirations du centre gauche, « cabinet dans lequel figuraient les hommes les plus modérés du parti républicain, et qui avait à sa tête le propre collaborateur de l'honorable M. Dufaure dans la loi de 1876 (sur la collation des grades). » Je ne contestais pas les froissements, les embarras que son exécution entraînerait. Je promettais d'apporter de grands ménagements et d'éviter tout procédé vexatoire. Enfin je rappelais qu'il constituait une transaction entre les exigences de la Chambre et les scrupules du Sénat : à ce titre il méritait d'être accepté. C'était un acte politique, dispensant de recourir à des mesures plus graves.

Si l'on eût voté à ce moment, une petite majorité m'a-t-on dit, se serait prononcée en notre faveur. M. Dufaure prit la parole. La présence à la tribune de ce vieillard illustre et respecté, intervenant aux limites de sa vie pour défendre ce qu'il croyait être le juste et le droit, produisit sur l'Assemblée un effet immense. Jamais il ne fut plus éloquent ni plus maître de sa pensée. Il garda vis-à-vis de moi des ménagements de forme qui m'attendrirent. Réfuter celui qui naguère était mon chef et qui me conservait encore son affection eût été au-dessus de mes forces. D'ailleurs, le Sénat eût supporté difficilement un nouveau discours. Il avait hâte d'en finir et le témoignait d'une façon non équivoque. On procéda au scrutin. Une majorité de dix-neuf voix nous condamna. Ainsi s'ouvrit dans son acuité la question religieuse, qui ne s'est jamais entièrement calmée et qui, après diverses péripéties, devait aboutir à la séparation des Eglises et de l'Etat. Conclusion logique et, je l'espère, bienfaisante d'un tel différend, mais dont l'éventualité inspirait, à cette époque, de sérieuses inquiétudes aux esprits les mieux trempés. A la deuxième délibération, le 15 mars, le rejet de l'article fut confirmé à dix-sept voix de majorité.

J'ai toujours regretté, pour ma part, que le Sénat se soit tenu à cette décision. Engagée comme elle l'était, la Chambre ne pouvait pas s'arrêter et l'on courait dès lors à des extrémités qu'il eût été sage d'éviter. Le lendemain, en effet, 16 mars, le gouvernement fut interpellé par M. Devès, un des chefs de la gauche modérée. Au milieu d'un silence impressionnant et en quelques phrases sobres, il nous demanda quel parti nous comptions prendre : « Ainsi que le gouvernement l'a déclaré au Sénat, répondis-je, nous appliquerons les lois, nous les appliquerons sous notre responsabilité, et en nous inspirant des grands intérêts qui nous sont confiés... Dans cette tâche délicate, où il faut à la fois de la prudence et de la fermeté, nous vous demandons de nous fortifier par l'expression de votre confiance. » Elle nous fut sur-le-champ accordée par 324 voix contre 135. Le vague volontaire de ma brève réponse nous permettait de régler notre action selon les circonstances et d'apporter dans l'exécution les tempéraments que l'intérêt de l'Etat paraîtrait commander.

J'allai voir aussitôt M. Gambetta et je le consultai sur la situation créée par ce vote. Elle était assez obscure. Si l'on s'en référait au discours de M. Madier de Montjau, qui avait parlé au nom des radicaux avancés, nous devrions immédiatement dissoudre toutes les congrégations non autorisées. Si l'on en croyait, au contraire. M. Renault-Morlière, qui s'était exprimé au nom des modérés, nous aurions à choisir parmi celles qui rempliraient les formalités prescrites. Une seule était, par avance, condamnée sans rémission : celle des Jésuites. Tout le monde, dans le parti républicain, s'accordait contre elle : « Nous poursuivons les Jésuites, avait dit M. Jules Ferry sans soulever de protestations, parce que les Jésuites et leurs adhérents sont l'âme de cette milice contre laquelle nous luttons depuis sept ans. » Il venait de répéter au Sénat : « La question qui est posée devant vous se rattache par des liens intimes à la lutte entamée par le parti clérical, par le parti de la théocratie, sous l'inspiration des doctrines de la compagnie de Jésus. » La République, on prononçant sa dispersion, se conformait à la tradition historique ; les monarchies les plus tempérées ont eu maintes fois à sévir contre elle. L'opinion ne mettait pas les autres congrégations sur le même pied. Les Dominicains, les Bénédictins, les Franciscains pouvaient fournir matière à examen.

M. Gambetta me répondit : « A votre place, je ferais deux décrets : l'un, concernant les Jésuites, qui leur assignerait une date ferme pour se dissoudre; l'autre, relatif aux diverses congrégations, qui les mettrait en demeure d'obtempérer à la loi dans un délai raisonnable, sous peine d'être dispersées à leur tour. Vous auriez ainsi du temps devant vous, pour aviser. Personne ne s'étonnera que vous n'invitiez pas les Jésuites à solliciter une autorisation qu'on est décidé à leur refuser. » Cette suggestion était conforme à ma propre pensée. Au premier mot de décret que je prononçai au conseil des ministres, M. Grévy se redressa : « Pourquoi des décrets ? Vous voulez appliquer les lois ; procédez dans la forme ordinaire. Envoyez des instructions aux procureurs généraux et, s'il y a lieu, aux préfets. Les décrets n'ajouteront rien à votre droit; ils sembleront plutôt l'affaiblir, en laissant croire que vous en doutez et qu'à vos yeux les lois ne suffisent pas. » — « C'est une raison politique qui nous détermine, répondis-je. Si nous nous bornons à de simples circulaires, la Chambre aura l'impression que nous restons dans la banalité et que nous n'avons en vue rien de sérieux. Après tout le bruit mené sur cette affaire, il faut frapper les esprits par un acte plus solennel. » Tous mes collègues m'ayant approuvé, M. Grévy n'insista pas. Je me réservai de rédiger moi-même ces documents, afin d'éviter qu'ils continssent quelque expression qui fût de nature à blesser inutilement la Cour pontificale.

Je veillai à ce que le second décret nous laissât toute liberté d'action. L'article 9 fut ainsi libellé : « Toute congrégation ou communauté qui, dans le délai ci-dessus imparti (trois mois), n'aura pas fait la demande d'autorisation avec les justifications prescrites à l'appui, encourra l'application des lois en vigueur. » Le mot « encourra » nous abandonnait le choix de l'heure. Après le délai expiré, nous pouvions frapper la congrégation, mais nous n'étions pas obligés de la frapper immédiatement; nous consulterions l'intérêt public. M'étant mis d'accord sur les textes avec mes collègues de la Justice et de l'Intérieur, je les communiquai à M. Gambetta et, ensuite, à M. Grévy, qui en écouta la lecture attentivement : « Je les signerai, me dit-il, au prochain conseil. Je persiste à penser que votre procédure n'est pas la meilleure. L'opinion s'attachera à ces décrets, dans lesquels vous serez désormais emprisonnés. Vous n'aurez plus votre liberté. Enfin, cela vous regarde. » La vue de M. Grévy était juste. Aujourd'hui encore on dit : « Les décrets », tandis que les instructions aux procureurs généraux seraient depuis longtemps oubliées. Mais nous étions dominés par les circonstances. Donc, le 30 mars 1880, parurent au Journal officiel, contresignés de MM. Cazot et Lepère, les deux actes destinés à tenir une si grande place dans l'histoire parlementaire de cette époque. Le public en attribua l'honneur et la responsabilité à M. Jules Ferry, représentant attitré des revendications laïques.

Nous avions désiré produire de l'effet sur l'opinion. Nous réussîmes à souhait. Il s'engagea immédiatement dans la presse une polémique comme j'en ai vu rarement. Le Sénat, un instant muet d'indignation, m'interpella après les vacances de Pâques. Les 24 et 25 juin 1880, les meilleurs orateurs de la droite réclamèrent le renvoi au gouvernement de pétitions concernant les congrégations non reconnues, pétitions qui stigmatisaient les décrets du 29 mars. M. de Broglie, en termes sarcastiques, le duc d'Audiffret-Pasquier, sur un ton d'affectueux regret, demandaient comment je pouvais m'associer à de telles iniquités et pourquoi j'avais déserté mon programme conciliant de 1878, à Nantes. Je remerciai M. d'Audiffret de croire qu'au fond mes sentiments n'avaient pas changé. J'étais toujours désireux de rapprocher les Français, mais je ne l'étais pas moins de sauvegarder les droits de l'État. J'en avais la charge, il ne m'appartenait pas de les abandonner. Je démontrai sans peine que ces décrets tant attaqués étaient parfaitement réguliers, que les lois dont ils s'inspiraient avaient conservé toute leur valeur et que, si parfois elles avaient été mollement appliquées, elles n'en constituaient pas moins aux mains du gouvernement une arme dont il pouvait se servir pour vaincre les résistances : « Lorsque l'article sept s'est discuté devant le Sénat, que suis-je venu vous dire? Je vous ai dit : La grande majorité du parti républicain et par conséquent, à mes yeux, la grande majorité du pays réclame des garanties contre l'action des congrégations. Ces garanties, les lois actuelles nous les fournissent, mais elles sont dures à appliquer. On a cru obtenir des satisfactions suffisantes par un article qui, quelques défauts que vous puissiez lui trouver à certains égards, possède le mérite de constituer une transaction. Cet article repoussé, il s'est alors produit ce que je vous avais annoncé. L'immense majorité de la Chambre des députés, organe de l'immense majorité du parti républicain dans le pays, a mis le gouvernement en demeure d'appliquer les lois existantes. » Et comme M. Buffet interrompait :

« Elles n'existent pas! » — « Si elles n'existent pas, répliquai-je, les tribunaux le diront et alors vos inquiétudes doivent être calmées. » Je suppliai les sénateurs qui avaient repoussé l'article sept, surtout ceux-là, de ne pas compliquer, par le renvoi des pétitions, une situation déjà si confuse et de ne pas rendre vain tout espoir d'apaisement. Cet apaisement, les congrégations possédaient le moyen de le réaliser : elles n'avaient qu'à présenter leurs demandes d'autorisation. Le gouvernement les examinerait. La majorité se déplaça et, par 140 voix contre 124, le Sénat repoussa le renvoi. M. Gambetta fut tellement content de ce résultat qu'il me félicita, le 26 juin, par un billet que je ne puis reproduire en entier, tant il est élogieux : « Allez ainsi, terminait-il, vous pourrez défier tous vos adversaires et réaliser le programme de politique ferme et modérée que vous avez annoncé au pays. »

Du côté de Rome l'agitation ne fut pas moindre. Dès la publication des décrets, le nonce apostolique vint m'exprimer ses alarmes. Ceux qui ont connu Mgr Czacki ne sauraient l'oublier. Polonais d'origine, élevé à Paris, aristocrate jusqu'au bout des ongles, élégant, spirituel, diplomate, rompu à toutes les finesses de la langue française, il avait une conversation pleine de charme, qui faisait quelquefois le désespoir des ambassadeurs inscrits après lui pour parler au ministre, car il la prolongeait volontiers au delà des limites ordinaires. Le ministre seul ne s'en plaignait pas, il y trouvait une abondante moisson de remarques piquantes et de renseignements utiles. Mgr Czacki était au courant de tout ce que disaient et pensaient ses collègues. Il n'en répétait cependant que ce qu'il avait intérêt à divulguer, le rattachant avec un art consommé aux intérêts du Vatican. Nul n'a mieux su que lui faire du trône de Saint-Pierre le centre du monde et donner l'impression que ses moindres ébranlements pouvaient entraîner une commotion universelle. Il procédait par nuances, d'un air naturel et simple, sans dessein apparent, et n'en avait qu'une plus grande force de persuasion. Il excellait à montrer que ses avis étaient dictés non par l'intérêt du Saint-Siège, mais par l'intérêt même du gouvernement auquel il s'adressait. Sa voix avait des accents de sincérité auxquels les plus habiles n'étaient pas insensibles. Ceux qui ne l'ont vu qu'en passant se méfiaient de son extrême finesse. De là une certaine réputation de duplicité qu'il a laissée auprès de quelques-uns. Quant à moi, je dois dire que, la part faite aux mobiles qui nécessairement le guidaient, je l'ai trouvé loyal et droit et qu'il ne m'a jamais donné lieu de regretter la confiance que je lui témoignais.

Bien que prévenu par moi depuis quelques jours, il parut, à la lecture de l'Officiel, recevoir un coup de massue : « Comment le Saint-Père prendra-t-il cette agression soudaine? Ne se croira-t-il pas obligé de protester publiquement? Et alors, c'est l'Eglise tout entière de France qui va se solidariser avec les ordres religieux ! » Il n'avait pas très bien saisi l'esprit du second décret. Il semblait croire que tous les ordres étaient irrévocablement condamnés. Je lui expliquai comment plusieurs pourraient sauvegarder leur situation s'ils se mettaient en règle avec la loi. Les distinctions que nous établirions plus tard démontreraient surabondamment au Saint-Père notre bonne foi et nos sentiments de conciliation. « Bref, lui dis-je, que les congrégations commencent par présenter leurs demandes d'autorisation et qu'elles attendent dans le silence la décision des pouvoirs publics. Toute agitation ne pourrait que nuire à leur cause. Le Saint-Père a l'esprit trop élevé pour ne pas s'en rendre compte et il est trop clairvoyant pour nous faire grief de l'expulsion des Jésuites. Une protestation publique du Vatican n'aurait qu'un résultat : celui d'exciter les passions dans les deux camps et de rendre inévitable l'expulsion de tous les ordres. »

Je refusai d'ailleurs de prendre aucun engagement pour l'avenir : « L'État français, insistai-je, est maître chez lui; il statue sur la présence des congrégations souverainement. S'il lui plaît, à un moment quelconque, de les éloigner, personne n'a qualité pour lui adresser des remontrances. En résumé, expulsion inévitable, si les congrégations ne se soumettent pas; espoir plus ou moins fondé pour certaines, si elles se soumettent. Le pape semble donc avoir intérêt, au point de vue même de l'Église, à éviter un éclat et à profiter de son influence sur les ordres religieux pour les déterminer à suivre les indications contenues dans le décret. » Le nonce ne le contesta pas. Laissant de côté la question doctrinale, il s'efforça d'obtenir deux avantages pratiques : tout d'abord, la prolongation des délais, qu'il jugeait insuffisants; ensuite la promesse qu'une fois mises en règle, c'est-à-dire ayant présenté leurs demandes et les pièces à l'appui, les congrégations seraient sinon autorisées, du moins tolérées comme par le passé. Je ne pouvais lui donner satisfaction, le parlement conservant le dernier mot. Mgr Czacki, qui ne s'attardait pas dans la théorie, renonça à me faire revenir sur un refus qu'il avait sans doute prévu. Il préféra prendre les choses au point où elles se trouvaient et, dans l'intérêt de l'Eglise, prévenir toute aggravation de la crise. Un accommodement entre Rome et la République était encore, à son estime, la meilleure des solutions. Il y travailla jusqu'au jour où les événements déjouèrent sa bonne volonté.

De telles préoccupations, ces pourparlers paraissent aujourd'hui bien archaïques. Nous vivons sons le régime de la séparation des Églises et de l'État, on ne cause plus avec Rome. Mais à cette époque nous étions en plein Concordat et la grande majorité du parti républicain n'en envisageait pas sans effroi la rupture. Nous entretenions un ambassadeur auprès du Vatican, le Vatican entretenait un nonce à Paris, les échanges de vues étaient continuels. Les esprits les plus libres, les Gambetta, les Ferry, les Challemel Lacour, les Paul Bert s'appliquaient à prolonger cet état de choses, considéré par eux comme le plus favorable au bon ordre et à la paix publique. Ceux-là mêmes qui doutaient de la possibilité de s'entendre sur de tels sujets avec Rome ne blâmaient pas qu'on essayât. C'était du moins se donner le beau rôle.

L'échéance fixée pour l'expulsion des Jésuites, le 30 juin, arriva. M. Constans, qui avait succédé à M. Lepère, établit dès ce jour sa réputation d'énergie et d'habileté. Grâce à ses instructions, aucun trouble sérieux ne se produisit. Le ministre avait déclaré à ses subordonnés qu'il les couvrirait; aussi les vit-on marcher d'un pas confiant et assuré. A Paris, le député, préfet de police, M. Andrieux, présida lui-même aux opérations, ayant aux mains ces légendaires gants gris perle, dont il a été tant parlé. Ce geste insouciant donnait à la population l'impression que, malgré de menaçantes prophéties, l'ordre public ne courait aucun risque et que les citoyens pouvaient vaquer tranquillement à leurs affaires. J'ai des raisons de croire que la dispersion des Jésuites aurait passé inaperçue, si le zèle de certains laïques ne s'était déployé pour la dramatiser. Grâce à eux, quelques portes furent enfoncées, quelques serrures brisées, quelques religieux transportés hors de leur cellule. L'émotion dans la rue fut à peu près nulle et les passants s'arrêtèrent plutôt par curiosité. Quant au profond politique qu'était le pape Léon XIII, il parut ignorer l'événement.

J'avais, on se le rappelle, obtenu de la Chambre qu'elle ajournât l'amnistie plénière. La date restait indéterminée et devait, dans ma pensée, écheoir au cours de l'année 1881. Un soir du commencement de juin 1880, je dînais seul avec M. Gambetta, au Palais-Bourbon : « Mon cher ami, me dit-il tout à coup, il faut faire l'amnistie. » — « Et quand? » répondis-je étonné. — « Tout de suite; le moment est venu, les Parisiens la réclament. » — « Mais vous savez bien que nous avons reconnu nous-mêmes l'impossibilité d'en obtenir le vote avant un an ou deux. Après ce que j'ai exposé à la Chambre, au mois de février dernier, comment s'expliquerait-on de ma part une pareille précipitation? » — « Ce sont là des raisonnements, reprit-il : le fait domine tout. Les événements ont marché, la question a mûri. Ce n'est pas votre faute, ni la mienne, si elle a mûri plus vite que nous ne le supposions. Peu importe ce qui a été dit; il s'agit de réaliser aujourd'hui ce qui est possible et nécessaire. » Entrant alors dans quelques développements, il me raconta qu'au cours des vacances de Pâques, il s'était renseigné, il avait vu de près la population parisienne; les plus révolutionnaires s'étaient assagis. « Bref, conclut-il, l'amnistie sera reçue aujourd'hui avec reconnaissance, elle préparera les voies à la réconciliation. L'occasion est unique, il faut la saisir. » — « Vous dressez, répondis-je en souriant, un admirable exposé des motifs. Mais cela ne change pas les conditions parlementaires. Il est possible que la Chambre, influencée par vous, nous suivrait. Le Sénat ne nous suivrait pas. Nous aurions contre nous une majorité au moins aussi forte que sur l'article sept. Or, je vous le demande à vous-même, quelle serait la situation, avec une loi d'amnistie en l'air, entre les deux Chambres? Quant à moi, je ne me charge pas d'expliquer cette volte-face du gouvernement. Je n'ai pas votre conviction sur le sujet, ni votre éloquence; je n'arriverais pas à persuader.- » Il parut éprouver un vif chagrin. Il fit appel à mon amitié, à la confiance que je lui avais toujours témoignée et dont je n'avais pas eu lieu de me repentir.

C'était la première fois que je résistais à M. Gambetta. Je me sentais aussi triste qu'embarrassé. Pour en finir, je lui dis : « Nous gracierons tous les condamnés, sans aucune exception. Les chefs de la Commune eux-mêmes pourront rentrer en France. Ils n'auront plus qu'à attendre qu'on leur rende leurs droits. Au mois de janvier prochain, je proposerai l'amnistie et je jouerai le sort du cabinet. Les Chambres alors, je l'espère, ratifieront cette initiative. Du moins ma conduite pourra se justifier. » Comme il me pressait encore, je repris : « Accordez-moi jusqu'au mois de novembre. Que je puisse mettre à profit les grandes vacances pour m'éclairer, pour préparer le pays à cet acte qu'il n'attend pas ! » Avec ce don de séduction qui lui appartenait, auquel personne ne résistait, il me suggéra de réunir dans les salons du quai d'Orsay les sénateurs de nos amis que je jugeais les plus réfractaires. Il ne doutait pas qu'en présence de ses explications la plupart abandonneraient leurs craintes.

Une soirée fut donc organisée dans ce but au ministère. Plusieurs membres du cabinet s'y rendirent pour appuyer la propagande de M. Gambetta. A un certain moment les sénateurs firent cercle et lui, dans une allocution familière et persuasive, développa les motifs qui militaient en faveur d'une amnistie immédiate. M. Adrien Hébrard, admis depuis peu au Sénat et qui déjà y avait pris de l'influence, le seconda avec beaucoup de chaleur. Cependant M. Gambetta put constater l'inutilité de ses efforts. « Plus tard, pas tout de suite! » Telle fut, en résumé, la réponse de la grande majorité de l'auditoire. Cette épreuve nous confirma, mes collègues et moi, dans l'intention de nous borner pour le moment aux grâces plénières.

Nous tenions conseil, le 15 juin, au quai d'Orsay, pour préparer le décret, lorsqu'au milieu de notre délibération un secrétaire me remit en hâte le billet suivant :

« Mon cher ami,

« Je vous en conjure, ne vous laissez pas aller à cette fausse mesure. Réfléchissez, il en est temps encore. Je vous demande de suspendre la publication de votre fatal décret de grâces.

« Je vous demande un dernier entretien demain, ce soir, quand vous voudrez, mais je considère cette publication intempestive, illogique, comme la préface d'une crise mortelle, et je réclame un ajournement; vous avez encore besoin de m'entendre.

« Cordialement et sincèrement

« L. Gambetta. »

Paris, ce 15 juin 1880.

Mes collègues, auxquels je lus immédiatement ces lignes, furent d'avis qu'il convenait de surseoir jusqu'après un nouvel entretien avec le président de la Chambre. Je le vis le soir même. Il m'apprit qu'une nouvelle proposition d'amnistie plénière allait être déposée avec demande de discussion immédiate et que nous risquions dès lors d'être renversés dans les pires conditions. Ce qui me toucha davantage, ce fut un dernier appel adressé à mon amitié dans des termes vraiment émouvants. Je compris que M. Gambetta s'était engagé à quelque degré. Je me dis qu'après tout il était permis de faire violence à sa propre opinion quand il s'agissait d'accomplir un acte de clémence. Et, fermant les yeux sur les déboires personnels qui m'attendaient, je résolus de proposer à mes collègues de suivre l'impulsion de M. Gambetta. Dans le conseil du lendemain, la détermination fut prise et M. Grévy, peu convaincu, nous autorisa à déposer un projet d'amnistie totale.

J'en donnai lecture à la Chambre le 19 juin. Voici les passages saillants par lesquels nous cherchions à pallier les variations de notre attitude :

« Depuis les paroles que le gouvernement a prononcées devant la Chambre des députés, le 12 février dernier, un mouvement considérable s'est fait dans les esprits en faveur de l'amnistie. Ce mouvement, plus rapide que nous-mêmes ne l'avions prévu, a été accéléré par un certain nombre d'incidents récents.

« Le calme inébranlable de la population parisienne, en présence d'excitations séditieuses, l'élection de Lyon, qui a été le triomphe de la légalité, enfin les approches de la fête nationale du 14 juillet ont déterminé dans les coeurs un vif sentiment de confiance et un besoin général d'apaisement... L'amnistie peut être prononcée sans qu'il en résulte aucun péril pour la société. Les hommes qu'il s'agit de laisser rentrer sur le sol natal seront moins dangereux au dedans qu'au dehors, et plus on les verra de près, moins on leur attribuera d'importance... Il n'est pas à craindre qu'on se méprenne sur la signification d'une pareille mesure. Nos sentiments sont connus. Jamais nous ne pactiserons avec le désordre. Jamais nous ne réhabiliterons des crimes qui ont soulevé toutes les consciences et dont l'énormité ne peut s'expliquer que par les effroyables circonstances qui les ont vu naître. Ce n'est pas à votre justice que nous nous adressons, mais à votre clémence... »

Le projet de loi, fort simple, tenait en deux lignes : « Article unique. —Amnistie est accordée à tous les condamnés pour crimes et délits se rattachant aux insurrections de 1870 et 1871, ainsi qu'à tous les condamnés pour crimes et délits politiques ou pour crimes et délits de presse commis jusqu'à la date du 19 juin 1880. » C'était la formule la plus large qu'on eût jamais proposée.

Gêné par mes déclarations du 12 février, je n'eus pas sur la Chambre l'ascendant des anciens jours. M. Gambetta, qu'aucun précédent ne liait, descendit du fauteuil présidentiel et prononça un magnifique discours qui enleva le vote. Mon calvaire commença au Sénat. La commission nous était hostile : six voix sur neuf concluaient au rejet pur et simple, les trois autres voix réclamaient de sérieuses modifications. La discussion s'ouvrit le 3 juillet. Victor Hugo débuta par une de ces déclarations olympiennes dont il avait le secret et qui n'influençaient pas le scrutin. M. Jules Simon, M. de Laboulaye persiflèrent le président du conseil; ils n'eurent pas de peine à le montrer hésitant, mobile, s'inclinant au gré d'une volonté supérieure. Je n'eus d'autre ressource que d'invoquer la raison politique, puisée dans l'état du parlement lui-même. On ne pouvait en effet nier que depuis quelques années le parti républicain s'était divisé précisément à l'occasion de l'amnistie. Il n'existait pour ainsi dire plus de majorité stable et les gouvernements se trouvaient à la merci de toute initiative sur ce sujet. L'intérêt direct de la République était de faire disparaître cet obstacle au fonctionnement des institutions. Les comices électoraux ne présentaient pas un spectacle moins affligeant. Or la Chambre devait être renouvelée l'année prochaine. « Voudrait-on aller au scrutin dans le trouble et le désarroi ? » Cet argument impressionna les républicains du Sénat. Mais ceux qui m'applaudissaient ne formaient qu'une minorité. Le ministre du Commerce Tirard, en sa qualité de député de Paris, prononça une allocution émue. Pour nous sauver d'un désastre certain, M. Labiche proposa un amendement qui accordait l'amnistie aux condamnés bénéficiant d'un décret de grâce. M. Adrien Hébrard l'appuya par des arguments péremptoires. Il ne réunit que 132 voix contre 145. Alors M. Bozérian, toujours pour nous venir en aide, présenta un texte restrictif, qui refusait l'amnistie aux condamnés pour crimes d'incendie et d'assassinat. Il obtint péniblement 142 voix contre 138.

La Chambre, saisie de cette rédaction, y substitua l'amendement Labiche, plus large. Le Sénat consentit à reprendre cet amendement, mais introduisit l'exception relative aux assassins et incendiaires, condamnés contradictoirement. Pour ne pas laisser sombrer la loi, je dus me rallier à ce texte, que j'avais d'abord combattu, ce qui me valut de nouveaux sarcasmes. La Chambre, à son tour, désireuse d'aboutir à tout prix, revint sur ses premiers votes et consacra, le 10 juillet, la décision du Sénat. Tel fut le sort de cette loi, venue avant terme, marchandée, disputée, et qui n'eut pas l'autorité morale qu'aurait dû posséder une mesure semblable. Quant au ministère, il sortit de la discussion diminué par son attitude contradictoire et par les échecs successifs qu'il avait subis.

M. Gambetta se félicita malgré tout du dénouement : « Maintenant, dit-il, pensez aux congrégations. Puisqu'elles ne se sont pas mises en règle dans le délai fixé par le décret, vous devez les exécuter. Vous choisirez le moment, pendant les vacances ; la Chambre veut que cette affaire soit liquidée avant sa rentrée. » — « Une partie de la Chambre, observai-je : car la fraction modérée, la plus nombreuse dans la majorité, est disposée à patienter. La dispersion des Jésuites a donné au parti républicain une satisfaction qui nous vaut quelque crédit. » — « Vous ne pouvez laisser les choses indéfiniment en l'état. Les modérés eux-mêmes ne le souffriraient pas. »— « Je ne renonce pas encore à l'espoir d'une solution amiable, repliquai-je. Rappelez-vous que le décret ne fixe pas de date et nous laisse une certaine latitude. Je ne crois pas que nous soyons en présence de mauvaises volontés. Il y a seulement des difficultés matérielles dont il nous est permis de tenir compte. Les ordres religieux ont à faire réviser leurs statuts, avant de les soumettre aux autorités civiles ; ils consultent à la fois des hommes de loi et la Cour de Rome. Tout cela prend du temps. » Il n'insista pas davantage.

Le gouvernement préparait une manifestation grandiose à Cherbourg. M. Grévy avait consenti, sur les instances de l'amiral Jauréguiberry, à passer la revue de nos forces navales dans les premiers jours du mois d'août 1880. Nous étions certains que la cérémonie serait fort belle. M. Grévy, casanier d'habitude, et d'allures, semblait-il, un peu bourgeoises, savait, dans les circonstances officielles, prendre un air vraiment imposant et dire, en de courtes phrases, les paroles qu'il fallait. Je l'ai vu plus tard inaugurer l'Hôtel de Ville reconstruit, remettre la barrette de cardinal au nonce apostolique : il est impossible d'avoir plus de dignité dans le maintien et d'à-propos dans les allocutions. Les présidents des deux Chambres, MM. Léon Say et Gambetta, devaient l'accompagner. Quant à moi, dont la présence n'était pas indispensable, j'avais jugé bon de rester à Paris, afin de suivre des négociations assez délicates sur l'affaire grecque et sur les frontières du Monténégro.

Les fêtes de Cherbourg furent marquées par un incident qui n'aurait pas fait grand bruit si, depuis deux ans, une partie de la presse ne s'était évertuée à dépeindre M. Gambetta comme exerçant le pouvoir occulte et prétendant à diriger la politique de la France, à l'extérieur aussi bien qu'à l'intérieur. Le 10 août, un punch lui fut offert par le cercle du Commerce et de l'Industrie. En réponse au toast du député La Vieille, il prononça quelques phrases vibrantes, dont les journaux détachèrent celles-ci : « Les grandes réparations peuvent sortir du droit : nous ou nos enfants pouvons les espérer, car l'avenir n'est interdit à personne. » « Si nos cœurs battent..., c'est pour que nous puissions compter sur l'avenir et savoir s'il y a dans les choses d'ici-bas une justice immanente qui vient à son jour et à son heure. » Ces derniers mots furent interprétés comme un cri de guerre. On omettait à dessein d'autres membres de phrases, qui les atténuaient ou les expliquaient. Ainsi, après les mots : « Si nos cœurs battent », M. Gambetta avait dit : « c'est pour ce but (le relèvement de la France) et non pour la recherche d'un idéal sanglant; c'est pour que ce qui reste de la France nous reste entier. » Il n'y avait donc pas à s'y méprendre. La harangue était fîère, mais pacifique. Les feuilles qui cherchaient à ruiner le crédit du président de la Chambre se gardaient bien de citer le correctif; aussi, peu à peu, la « justice immanente » avec ses conséquences se fixa dans les esprits. Les chancelleries elles-mêmes — d'ordinaire plus attentives et plus calmes — s'émurent. Plusieurs ambassadeurs me firent entendre que le gouvernement, à l'occasion, serait bien inspiré de remettre les choses au point.

Juste à ce moment je projetais un voyage à Montauban, où mes compatriotes me pressaient de venir. Naturellement je parlerais politique au banquet, selon la coutume, et je pourrais incidemment glisser un mot qui donnerait satisfaction aux chancelleries. J'avais un autre but, mieux défini : c'était d'expliquer la conduite du gouvernement à l'égard des ordres religieux. En effet, depuis quelques semaines, elle était, dans la presse, l'objet des appréciations les plus diverses. Selon les uns, nous allions les exécuter tous; selon les autres, nous ne toucherions à aucun. Mes collègues estimaient avec raison qu'il était temps de dissiper l'équivoque. Il convenait de rappeler à ceux qui pouvaient l'avoir oublié que le gouvernement était décidé à ramener les congrégations à l'obéissance. Sous peine d'être dispersées, elles accompliraient les formalités prescrites par le second décret; le pouvoir législatif statuerait ensuite sur leur sort, en vertu d'une loi générale sur les associations, dont nous soumettrions le projet aux Chambres dès leur rentrée. Je préparai quelques phrases dans ce sens, que je soumis, la veille de mon départ, à M. Grévy : « Vos déclarations, dit-il, sont conformes aux explications que vous avez données au conseil des ministres. Je ne vois rien à y reprendre. Il importe que la liberté du gouvernement reste entière. » — « Soyez tranquille, répondis-je, je n'ajouterai pas un mot à ce que je viens de vous lire. »

Je priai le nonce de passer à mon cabinet : « Je vais, lui confiai-je, prononcer un discours à Montauban. Je parlerai des ordres religieux. Qu'ils se hâtent de se mettre en règle ; sinon nous les exécuterons. Aucun d'eux jusqu'ici n'a présenté sa demande en autorisation. Nous ne pouvons tolérer davantage cette attitude de résistance. » Le nonce protesta contre toute idée de mauvais vouloir. « Beaucoup de ces ordres, assura-t-il, sont de vrais enfants; ils ne savent pas au juste ce qu'ils ont à faire et consultent à droite et à gauche. Et puis, comme je vous l'ai dit, il y a les statuts, qu'ils sont obligés de remanier et d'envoyer à Rome. Du reste ils sont tout prêts à témoigner de leur respect au gouvernement de la République. Si vous le désirez, ils le diront publiquement, en attendant qu'ils envoient leurs demandes. » — « Cela vaudra mieux que rien, terminai-je, mais ne les dispensera pas du surplus. » Telle est l'origine de la fameuse « Déclaration des congrégations », dont l'effet fut désastreux.

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