Jean-Loup DHERSE(1933-2010)

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1952) et de l'Ecole des Mines de Paris : voir le bulletin de notes de Jean DHERSE à l'Ecole des mines. Corps des mines.

Fils de Louis Charles Albert DHERSE (1906-1994) et de son épouse née Evelyne COLONNA-CECCALDI.

Né le 17 janvier 1933 à Nice, décédé le 30 mai 2010.

Après des études chez les jésuites, puis en Ecoles d'ingénieurs, il exerce les fonctions suivantes :

Il préside la Fondation FIDESCO d'action humanitaire catholique. En 1987, il est nommé par Jean-Paul II secrétaire spécial adjoint du Synode sur les laïcs. Il signe avec le père Pierre Hugues Minguet un livre : L'éthique ou le chaos ?. Actif dans le Réarmement moral, Jean-Loup Dherse préside, en 1998, la Table ronde de Caux.

Il présida l'Observatoire de la finance, à Genève, à la fin de sa vie (Fondation d'utilité publique de droit suisse, dirigée par Paul Dembinski).


Homélie prononcée à sa messe d’enterrement par Monseigneur Dominique REY, évêque de Toulon-Fréjus :

Chère Nelly, chers amis,

Nous nous retrouvons aujourd’hui dans une église que Jean-Loup a souvent fréquentée et à l’époque où j’étais curé de cette paroisse.

J’ai connu Nelly et Jean-Loup bien avant, mais c’est en priant régulièrement avec eux dans le cadre d’une maisonnée de la Communauté de l’Emmanuel à laquelle nous appartenions, que ces liens d’amitié se sont renforcés et approfondis.

Dans sa première encyclique « Deus Caritas est », Benoît XVI dit ceci : « A l’origine du fait chrétien, il n’y a pas une grande idée ou une décision éthique, mais une expérience, une rencontre avec Jésus-Christ ». En pensant à Jean-Loup, j’ajouterais que cela vaut aussi de la vraie amitié. La véritable amitié qui peut se nouer entre des chrétiens s’enracine dans une commune recherche de sainteté, c’est-à-dire d’appartenance au Christ. Oui, l’amour du Christ était la racine et la mesure des liens qui nous unissaient. Plus encore, notre commun souci, l’exigence interne de notre foi, était de partager cet amour, de le faire connaître de toute manière, puisque notre vie ne peut contenir ce qui la finalise et la dépasse.

La foi rend la vie « belle ». Benoît XVI a évoqué à plusieurs reprises cette « beauté d’être chrétien ». Dans le Christ, non seulement la vie vaut la peine d’être vécue, mais à cause de Lui, elle se dilate, elle rayonne.

Officiant dans cette église, je me souviens de cette réflexion spontanée d’un enfant du catéchisme. Il avait 8 ans. Il s’appelait Stanislas. Je lui demandais : « Qu’est-ce qu’un saint ? » Son regard s’est brusquement porté vers le plafond de cette église, vers les vitraux où sont représentés les docteurs de l’Eglise. Alors d’une voix assurée, Stanislas m’a répondu : « Un saint, c’est quelqu’un qui est traversé par la lumière ! »

Un saint n’est pas une vedette qui se tient aux avant-postes sous les feux de la rampe, mais un humble témoin qui se laisse traverser par une lumière qu’il ne peut contenir.

La foi de Jean-Loup était contagieuse. Il ne s’était jamais remis de sa redécouverte personnelle du Christ en 1984. Son enthousiasme demeurait intact. Sa conversion était toujours d’actualité.

La grâce du premier appel peut s’altérer avec le temps, au gré des autres urgences que l’on s’accorde, des préoccupations mondaines qui nous rattrapent. On s’achemine peu à peu vers un christianisme « light » en voulant échapper à la radicalité de la foi, en se convainquant qu’en faisant beaucoup pour le Seigneur, on en fait de trop.

Ce qui frappait chez Jean-Loup, c’était la fraicheur native de sa foi. Une foi toujours vive, imaginative et en mouvement. Il avait choisi la communauté de l’Emmanuel pour être la gardienne de sa sainteté. Les réunions de maisonnée qui nous permettaient de nous retrouver à 7 ou 8 chaque semaine, étaient l’occasion de répondre plus précisément à l’appel du Christ, stimulé par le désir des autres de se donner à Lui davantage, en le portant au monde. Il s’agissait pour chacun de christianiser sa vie au quotidien, en assumant l’urgence de porter l’Evangile autour de soi.

La foi de Jean-Loup était ecclésiale. Il aimait l’Eglise. Elle était sa mère et sa maison. Il faisait sienne sa pensée. Sa participation active au synode sur les laïcs en 1987, comme secrétaire spécial adjoint, l’avait initié à la catholicité de l’Eglise, c’est-à-dire à l’universalité du message du Christ, que l’Eglise adresse à tout homme, à tous les hommes, à tout l’homme.

Jean-Loup avait acquis un instinct ecclésial. Il faisait sien la passion de l’Eglise pour l’Evangile par l’évangélisation.

Lorsqu’on est « saisi par le Christ », comme il l’avait été, le message de la foi nous déborde. Il nous déplace vers nos frères en humanité.

Jean-Loup était conscient que le prophétisme de l’Eglise l’amenait aujourd’hui à exprimer une parole contestataire et décalée par rapport au conformisme ambiant. La présence au monde des chrétiens ne devait pas les conduire à se rendre au monde, mais à le transformer en commençant par soi-même. Jean-Loup avait acquis l’intelligence missionnaire de la foi.

Les responsabilités managériales éminentes qu’il avait exercé chez Pechiney Ugine Kuhlmann, dans le groupe métallurgique mondial Rio Tinto, comme vice président de la Banque mondiale, ensuite comme directeur général d’Eurotunnel, puis président du Conseil d’administration de Media participations, l’avaient convaincu de la pertinence et de l’actualité de la doctrine sociale de l’Eglise. Dans son ouvrage « l’éthique ou le chaos », co-écrit avec le P. Hugues Minguet, Jean-Loup Dherse soulignait les défis de la crise économique, financière et morale que nous traversons, l’exigence de mettre l’homme au centre des choix économiques, de placer le souci du pauvre au point de départ du développement socio-économique.

Au sein de la fondation Fidesco et de l’association Présence et témoignage, dont il avait assumé les présidences, Jean-Loup a mis en œuvre pratique cette éthique de la charité, qui s’énonce dès le début des Ecritures : « Qu’as-tu fait de ton frère ? » Une éthique à hauteur de visage, une éthique de la diaconie.

Jean-Loup utilisait souvent la parabole du mollusque et du vertébré. Le mollusque se protège grâce à sa coquille. Posture du repli et de sécurité qui caractérise un christianisme campé en retrait, très en deçà du mandat missionnaire qu’il a reçu du Christ. Le vertébré, grâce à sa colonne dispose d’une structure souple et articulée. Il représente un christianisme de conviction et d’engagement. Le passage d’une foi hérité à une foi exposée. C’est à ce christianisme-là que Jean-Loup était rendu : le chrétien, prenant conscience de sa consécration baptismale, devenait alors participant de la transformation du monde, c’est-à-dire de son évangélisation. Jean-Loup portait cette conviction intime que cette transformation du monde ne peut résulter uniquement des efforts humains. Elle s’origine dans un acte de conversion que le Christ a opéré, en instituant l’eucharistie. Si le pain et le vin se changent en corps sacramentel du Christ, alors le monde et nous-mêmes pouvons aussi changer par l’action de l’Esprit. Jean-Loup et Nelly ancraient leur engagement apostolique (en particulier SOS Prière et le Monastère invisible) dans l’adoration du St Sacrement. Dans le petit oratoire qu’ils avaient aménagé à Gassin, ils puisaient dans la contemplation de Jésus offert pour le salut de tous, la force de croire en la conversion de notre société, en la vertu d’espérance.

Au sein de l’Emmanuel, Jean-Loup avait découvert que seul le témoignage communautaire dans la diversité et la complémentarité des vocations et des états de vie, pouvait efficacement attester de la Bonne Nouvelle du salut dans un monde atomisé et fragmenté ; la sainteté des uns portant le chemin de conversion des autres ; chacun étant reçu comme un don de Dieu ; chacun accueillant les richesses mais aussi les fragilités de son frère ; l’essentiel étant non pas ce qu’on fait ensemble pour Dieu, mais ce que Dieu fait en nous et entre nous.

Le socle et le point de départ de ce témoignage fraternel a été chez Jean-Loup l’amour indéfectible qu’il vouait à Nelly. Un amour tendre et délicat, mais combien exigeant !

Nelly, beaucoup ont été les témoins émerveillés de vos liens affectueux qui reposaient sur la convergence profonde de vos pensées, la connivence spirituelle qui n’effaçait pas le relief de la personnalité de chacun, ne portait pas ombrage à la liberté de l’autre mais faisait ressortir plutôt les lignes de fidélité et de cohérence mutuelle, fruit de votre prière de couple, de vos nombreux échanges et de la fécondité de vos ajustements réciproques. Au fil de la maladie de Jean-Loup, chacun était devenu de plus en plus indispensable à l’autre. Je me souviens, à l’hôpital de Grimaud, de cette main tremblante de Jean-Loup cherchant le réconfort de la présence de Nelly dès qu’elle s’approchait de son lit d’agonie. Une présence qui justifiait son combat pour continuer de vivre. Jean-Loup a pu compter jusqu’au bout sur la sollicitude des siens (de ses enfants, de ses amis) qui se relayaient à son chevet.

Il est des moments dans la vie où la foi repose sur celle des autres, quand la notre vacille. Oui, la foi de l’un se faisait charité tandis que celle de l’autre se faisait dépendance. C’est sur ce chemin pascal et par ce dépouillement que Jésus est venu chercher Jean-Loup, que Jean-Loup s’en est allé à Lui.

Paul VI disait que « le chrétien est un homme qui habite le monde, en venant à lui à partir de son avenir ». La mort de Jean-Loup ne nous rapatrie pas vers le passé, mais nous achemine vers une promesse qui est déjà accomplie pour lui. Et si nous évoquons ce que nous avons tous reçu de lui, ce qu’il nous a légué, c’est pour mieux nous diriger vers cette communion éternelle que Dieu prépare pour ceux qu’Il aime, et à laquelle Jean-Loup goûte désormais, sans mesure.

Son départ nous tire en avant, nous tire vers le haut, vers la lumière.

Merci Seigneur pour le don de Dieu que fut la vie de Jean-Loup. Merci Seigneur pour la joie de Dieu qui est maintenant son héritage.

+ Dominique Rey
Eglise de la Trinité, Paris

(Message transmis par Bernard Hoquetis, Promo 1955 de l'Ecole des mines)

Obsèques le 3 juin 2010 dans la Basilique de Paray le Monial.