Louis Lucien BACLÉ (1853-1938)


Baclé, élève de l'Ecole des Mines de Paris (photo prise en 1877)
(C) Photo collections ENSMP

Fils de Louis Marie BACLÉ, cultivateur (mort en 1918), et de Lucie Anasthasie CARRÉ. Né le 17/2/1853 à Auteuil (Oise). Mort le 20/11/1938.

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1872, classé 174 à l'entrée et 57 sur 207 élèves à la sortie) et de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1874, il entre classé 1 et sort en 1877 classé 3 sur 16 élèves). Ingénieur civil des mines.


Bulletin Revue des anciens élèves de l'Ecole des Mines de Paris, 4e tr. 1938 :

C'est avec une profonde et douloureuse émotion que tous nos camarades apprendront la mort de notre ancien Président, l'éminent Ingénieur Louis Bâclé, enlevé à l'affection des siens après une courte maladie le 24 novembre dernier.

Il fut à deux reprises le Président de notre association en 1905-1906, puis de 1912 à 1919 pendant la période angoissante de la grande guerre; et toujours il lui consacra une part importante de son temps, malgré les fonctions si assujétissantes qu'il remplissait dans l'Industrie.

Combien de camarades lui sont redevables de leur situation et de leur réussite dans la vie; car il s'est occupé avec une activité et un dévouement inlassables du placement des candidats sans place ou mal utilisés.

Tous ceux qui ont eu recours à lui se souviennent de sa grande bienveillance et de sa rare courtoisie.

L'Association lui adresse l'hommage de sa reconnaissance émue, pour tout ce qu'il a fait pour ses membres.

Mais il faut retracer toute sa vie pour bien comprendre la valeur intellectuelle et morale du camarade que nous avons perdu.

Né le 17 février 1853 à Auteuil (Oise) Bâclé était entré à l'Ecole Polytechnique en 1872 et à l'Ecole supérieure des Mines en 1874.

Il fut pendant quatre ans Ingénieur à la Compagnie du chemin de fer du Nord, puis il entra à la Compagnie des Forges de Chatillon et Commentry. C'est dans cette affaire qu'il commença à se spécialiser avec succès dans la fabrication du matériel de guerre.

Enfin en 1890 il entra aux usines de MM. Marrel Frères à Rive de Gier (Loire) où il put donner toute la mesure de ses qualités d'Ingénieur et d'administrateur pendant 48 ans. Il était encore Vice-Président de cette société au moment de sa mort et ses conseils y étaient toujours très appréciés.

Dès le début de sa carrière en 1882, il fut reçu membre de la société des Ingénieurs civils de France où il fut pendant 56 ans un animateur particulièrement actif : membre du comité en 1904, président de section en 1922 et enfin Président en 1926. Il fut aussi Président de la Société d'Encouragement à l'Industrie Nationale, Vice-Président de la Société des Agriculteurs de France, Président de la Nouvelle Société Auxiliaire, Président du Conseil curial de Saint-Vincent-de-Paul à Paris et à Saint-Crépin d'Houvilliers (Oise), Président du Comité du service annuel pour les défunts de l'Ecole des Mines de Paris.

Les services qu'il a rendus à l'Industrie et au Pays lui ont valu de nombreuses distinctions honorifiques : les croix d'Officier de la Légion d'Honneur et d'Officier de l'Instruction Publique ; la Médaille d'argent de l'Exposition de 1889, la Médaille d'argent de l'association française pour l'avancement des sciences et celle de la Société d'Encouragement à l'Industrie Nationale.

Il a fait de nombreuses publications dans le Génie Civil et dans le Bulletin de la Société d'Encouragement.

Mais ses fonctions techniques et administratives ne l'ont pas empêché de tourner son esprit vers les plus hautes spéculations morales; et c'est ainsi qu'il publia en 1907 « La vie future devant la sagesse antique et la science moderne » et plus tard : « La crise morale devant la science morale ».

En perdant Louis Bâclé, nous perdons un Camarade qui sût pratiquer la véritable camaraderie agissante en prêtant son appui efficace aux anciens Elèves de l'Ecole et en s'associant aux travaux des grandes Sociétés d'Ingénieurs.

Il restera pour tous un modèle de conscience professionnelle, d'activité intellectuelle et d'élévation morale.

P. de Retz (EMP promotion 1900)


Discours de M. Henry LE CHATELIER
prononcé à l'occasion de la fête donnée par M. Dufour à l'occasion de la nomination de M. Louis Baclé comme officier de la Légion d'honneur, samedi 21 décembre 1912, dans les salons du restaurant Weber, rue Royale à Paris.

Reproduit dans la Revue des anciens élèves de l'Ecole des Mines, janvier 1913.

MON CHER BÂCLÉ,

Vos très nombreux amis ont applaudi de tout coeur à votre promotion au grade d'officier. Retenus par leurs occupations, plusieurs ont dû manquer à regret cette aimable réunion, mais ils ont tenu à vous adresser directement leurs affectueuses félicitations.

Votre science et votre bienveillance sont universellement appréciées ; la réunion de ces deux qualités donne à votre caractère une pbysionomie toute spéciale et particulièrement sympathique. Vous avez eu une carrière heureuse et vous l'avez parfaitement méritée: votre exemple peut être proposé aux jeunes camarades dont vous présidez aujourd'hui l'Association avec un si grand dévouement. Vous avez fait deux parts égales de votre temps et de votre activité, pour satisfaire à la fois aux obligations du métier et aux nobles préoccupations de l'intérêt public. Dans les deux cas, d'ailleurs, vous avez toujours travaillé à la gloire et à la prospérité de la patrie française, car, en répandant à l'étranger (en Belgique, en Italie, en Espagne, en Russie) les produits de nos usines, vous n'avez pas seulement rendu service à quelques industriels, mais vous avez contribué du même coup à développer notre puissance nationale. Vous consacrez enfin les loisirs que vous laissent les affaires, aux travaux des nombreuses commissions, où l'on fait appel à votre expérience, tout particulièrement dans les jurys d'expositions et les Associations pour l'étude des méthodes d'essais des matériaux de construction.

A votre sortie de l'Ecole Polytechnique, vous êtes entré à l'Ecole des Mines que vous avez quittée en 1877. Vous fîtes d'abord un court séjour à la Compagnie des Chemins de fer du Nord et ce fut là l'occasion de vos premières publications techniques. Vous donniez en 1882 un volume de vulgarisation intitulé : Les Voies ferrées. Cet ouvrage eut un légitime succès et fut mis, par décision du préfet de la Seine, sur la liste des ouvrages à donner en prix dans les écoles de la Ville de Paris. L'année suivante, en collaboration avec notre regretté camarade G. Richard, vous publiiez : Le Manuel du Mécanicien conducteur de locomotives, volume destiné à faire suite au Traité de l'Exploitation des Chemins de fer de Couche. Vous sembliez définitivement installé dans l'industrie des chemins de fer ; mais, après quatre années passées aux ateliers de la Compagnie des Chemins de fer du Nord, vous donniez brusquement une orientation nouvelle à votre activité, trouvant cette fois la direction définitive de toute votre carrière d'ingénieur. Entré à la Compagnie des Forges de Châtillon et Commentry, vous vous consacrez de suite à l'étude du matériel de guerre. A cette époque remontent vos premiers succès industriels. Chargé de suivre à l'étranger différentes questions intéressant les fournitures militaires, vous négociez heureusement avec le Génie belge la fourniture des coupoles destinées à l'armement des forts de Namur et de Liège, associant ainsi votre nom à un brillant succès de l'industrie française.

Quelques années plus tard, vous quittiez la Compagnie de Châtillon et Commentry, mais sans abandonner pour cela les occupations où vous veniez de si bien réussir. En entrant chez MM. Marrel frères, vous deviez vous spécialiser plus encore dans les fabrications militaires. Pendant vingt ans, tous vos efforts ont été consacrés au développement de l'industrie des blindages, et votre concours n'est pas resté étranger aux progrès considérables que notre industrie a faits dans cette direction. Vos articles incessants publiés soit dans le Génie civil, soit dans le Bulletin de la Société d'Encouragement, l'ouvrage que vous avez publié sur : Les Plaques de Blindages, ont tenu les fabricants français au courant de tous les progrès réalisés à l'étranger.

Vous avez montré en même temps comment il était possible de comparer les résultats obtenus dans des conditions de tir différentes, et fait ressortir l'importance des progrès réalisés dans cette fabrication des blindages qui, au cours de ces cinquante dernières années, a subi successivement quatre transformations complètes, partant du fer forgé, pour arriver ensuite au métal mixte, puis à l'acier spécial au chrome-nickel, et aboutir aujourd'hui au métal cémenté qui est appelé sans doute à se modifier aussi à son tour. Grâce à ces transformations provoquées par des études savantes qui ont eu leur répercussion dans toutes les branches de la métallurgie du fer, la puissance de protection des cuirassements s'est trouvée quadruplée, et nous voyons en effet que les blindages actuels en acier cémenté peuvent arrêter un choc d'une énergie quatre fois supérieure à celle que pouvait supporter il y a cinquante ans un blindage en fer forgé de même épaisseur.

Vous avez su mettre en évidence tous ces progrès auxquels vous avez collaboré et contribué aussi au bon renom de notre industrie dans les pays étrangers. Enfin, tout récemment, vous parveniez, par des négociations habilement conduites, à faire appliquer en Italie, aux usines de Gio Ansaldo et Cie, le procédé spécial de M. Marrel pour la fabrication des blindages, mettant ainsi un terme au monopole de fait dont jouissait jusqu'à présent le procédé Krupp, le seul appliqué en France et à l'étranger par les forges préparant les blindages.

Dans un ordre d'idées tout à fait différent, vous avez rendu de non moins grands services à la métallurgie par les lumineux rapports que vous avez présentés en 1893 et en 1900 sur les travaux de la Commission française des méthodes d'essais. Ces questions, familières aujourd'hui à la plupart des ingénieurs, étaient à peine soupçonnées il y a vingt ans. Vous avez contribué à diffuser les notions très utiles en extrayant de recherches multiples, mais non coordonnées, quelques idées directrices qui ont pénétré aujourd'hui dans le patrimoine commun ; les jeunes ingénieurs en font journellement usage sans se douter de la part que vous avez eue dans leur établissement. C'est la loi commune, la science est impersonnelle et l'on oublie vite le rôle de ses fondateurs. Mais, dans cette Commission, vous ne vous êtes pas contenté de mettre au point les travaux de vos collègues, vous avez apporté une contribution plus directe encore à l'oeuvre de tous par vos recherches personnelles sur l'emploi du poinçonnage comme méthode d'essai, étude que vous aviez entreprise en collaboration avec M. Frémont.

Vos rapports ont servi de point de départ aux études qui se poursuivent aujourd'hui sous les auspices de l'Association internationale pour l'essai des matériaux. En voyant la netteté et la précision qui s'introduisent peu à peu dans les cahiers des charges modernes, vous pouvez revendiquer une bonne part dans les progrès accomplis, vous avez le droit d'être fier de votre oeuvre.

Si vous êtes un bon ingénieur, vous êtes aussi un excellent camarade. Comme président de l'Association des Anciens Élèves de l'École des Mines, vous avez mis au service de vos jeunes camarades tout le dévouement dont vous êtes capable, toute l'influence que vous avez acquise auprès de nombreux industriels. Beaucoup pourraient, en invoquant leur expérience personnelle, dire ce que vous avez fait pour eux, comment vous avez su, aux uns trouver des places, aux autres faciliter un avancement toujours désiré, mais toujours trop lent à venir.

Et cependant l'on ne vous connaîtrait pas encore complètement, si l'on ignorait que derrière l'ingénieur il y a l'homme de coeur toujours prêt à mettre en oeuvre la maxime du poète latin : Nihil humanum a me alienum esse puto. Vous me permettrez de soulever un coin du voile en signalant les services que vous avez rendus à l'agriculture et l'intérêt que vous portez aux écoles de votre département natal. Malgré vos multiples occupations, vous trouvez encore le temps d'aller y faire des examens et d'apporter vos conseils toujours écoutés.

Les études philosophiques occupent enfin les quelques loisirs que peut vous laisser une vie aussi bien remplie. Sous vos deux initiales L. B., vous avez publié des considérations profondes sur les relations de la science moderne avec le problème de la vie future. Vous avez voulu rattacher sur ce sujet les enseignements de la sagesse antique aux théories lumineuses de la physique moderne ; les conclusions que vous tirez de ces dernières se confondent avec l'affirmation contenue dans les deux vers du poète latin, cité au cours de votre étude : « La terre retient la dépouille mortelle, l'ombre semi matérielle flotte autour du tombeau, les mânes se rendent dans l'orcus et l'esprit s'élève jusqu'aux deux ».

Vous avez mené une existence harmonieuse et pondérée. Non content de formuler des préceptes de sagesse, vous avez voulu en donner l'exemple. Votre promotion dans la Légion d'honneur est simplement la consécration publique de l'estime que tous vos amis vous accordaient depuis longtemps. Je suis fier de l'honneur qu'ils m'ont fait ce soir en me chargeant de vous remettre en leur nom votre croix d'officier. Je vous prie de la recevoir comme le témoignage de notre très sincère affection.