TRAVAUX DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.VII (1993)

Claude LORENZ
La théorie des sables et minerais éruptifs tertiaires du Sud du Bassin parisien à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle.

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 26 mai 1993)

Dans la seconde partie du siècle dernier, se développa une théorie de l'origine éruptive de certains terrains sédimentaires. On rappellera plus loin la position ancienne de Maximilien Melleville, mais le principal défenseur et propagateur de cette théorie étant Henri Douvillé, on commencera par exposer ses idées.

Dans les années 1870, H. Douvillé, appelé dans la région entre Seine et Eure par le service de la Carte géologique, est intrigué par "des sables grossiers micacés bariolés parfois de couleurs les plus vives et mélangés d'une manière irrégulière à des argiles vertes, blanches et rouges. Ces sables se lient à des argiles rouges et brunes empâtant, tantôt des meulières, et contiennent souvent eux-mêmes des fragments de ces roches. Le tout constitue le terrain de sable granitique et d'argile à silex des auteurs de la Carte géologique de France" (il s'agit de ce que nous appelons les Sables de Lozère).

En 1872, avec Alfred Potier, il publie à l'Académie des Sciences (t.74, p. 1262) une note sur le terrain de sable granitique et d'argile à silex. Les auteurs précisent :

"Lorsqu'on cherche à délimiter les affleurements de sables, on les voit constituer de longues bandes étroites; les carrières où on les exploite s'alignent suivant un petit nombre de directions, dont la plus importante est D=140°. Ces exploitations montrent que les conditions de gisement de ces roches sont tout à fait différentes de celles des assises tertiaires. Les sables, épanchés et remaniés sur la plaine, s'y montrent avec leurs caractères véritables ; ils ne présentent aucun signe de stratification ; nulle part on ne voit de traces de l'action d'eaux tranquilles ou agitées : dans leur ensemble, leur aspect est celui d'une masse de granite en décomposition.

Les sables ne sont jamais purs, mais intimement mélangés d'argile (kaolin) qui les rend doux au toucher ; ils contiennent des silex à contours arrondis, et altérés souvent sur une épaisseur de plusieurs centimètres, des fragments de meulières et d'autres roches inconnues dans les environs".

Plus loin, ils remarquent que de chaque côté de ces bandes, les terrains peuvent être différents : craie d'une part, Tertiaire avec Sables de Fontainebleau de l'autre ; de plus les assises tertiaires "sont disloquées ou inclinées fortement", ce qui permet d'en déduire que :

"Les sables ont donc rempli en ces points deux fentes accompagnées d'une notable dénivellation ; il n'en est pas toujours ainsi : entre l'Eure et la Seine on peut compter au moins cinq bandes parallèles à la direction D=140° que nous avons signalée comme la plus importante, sur plusieurs kilomètres de longueur, et qui ne sont pas accompagnées de rejet sensible, (Il est à remarquer que cette direction est celle de l'Eure et de la Seine en cette région)". En conclusion : "on est ainsi conduit à attribuer au bief [il s'agit du "bief à silex", expression désignant la zone d'altération], aux argiles à meulières et à ces sables une origine commune, et à la chercher dans les mouvements qui ont accompagné l'émersion du calcaire de Beauce et les phénomènes éruptifs de cette époque".

L'interprétation était ainsi lancée et concrétisée par le dessin de la feuille d'EVREUX à l/80.000ème publiée sous la direction de M. Elie de Beaumont par un groupe d'ingénieurs des Mines. Les sables granitiques apparaissent en filons de direction N 140 sous la notation γ Θ τm1.

Dans la notice, la description succincte devient aussi plus précise (mais dans le texte le γ du caisson n'apparaît pas tandis que les notations sur carte sont très discrètes).

On peut lire (feuille Evreux, 1ère édition) :

"Ces sables et les argiles qui les accompagnent ne sont pas toujours en couches à la surface des terrains préexistants. On les trouve également remplissant de grandes fentes, dont les deux lèvres sont souvent à des niveaux différents et à l'approche desquelles les terrains prennent des inclinaisons notables... Il paraît légitime d'admettre que ces sables sont venus au jour par les failles dont on vient de parler".

Henri Douvillé reprendra cette interprétation dans plusieurs publications.

En 1872, dans sa "note sur la faille de Vernon" au Bulletin de la Société géologique, il écrit (p.478) :

"Les sables granitiques, qui se présentent plusieurs fois avec les caractères propres aux filons d'injection, se rencontrent presque toujours aux points où la dénivellation peut être observée: il y a donc lieu de considérer la venue des sables comme intimement liée à la production de cette dénivellation, c'est-à-dire comme postérieure au dépôt du calcaire de la Beauce. Cette conclusion peut être vérifiée directement partout où l'on peut observer les sables au contact de cette dernière formation.

Nous avons déjà signalé dans notre première note que l'âge précis de la venue des sables granitiques est indiqué par ce fait que les dépôts sableux des bords de l'Eure se relient à ceux de la forêt d'Orléans ; on voit alors que la dénivellation étudiée plus haut est contemporaine des phénomènes qui ont amené l'émersion définitive de la région parisienne".

A la suite de cette présentation M. Benoit surenchérit en proposant aux Sables de Fontainebleau une origine comparable.

"Ces gisements ont, en effet, affecté les sables de Fontainebleau, qui sont en relation prochaine et qui sont probablement éruptifs, car ils sont purement quartzeux et un peu cristallins dans leurs grandes masses blanches, tandis que tous les sables de falaise sont toujours un mélange de minéraux distincts et de provenances diverses ; d'autres sables quartzeux tertiaires sont dans le même cas. L'éruption a été le plus souvent sous-marine". Et d'ajouter pour conclure : "On a donc tort de repousser l'origine éruptive de la plus grande partie des terrains sédimentaires".

En 1874 cette opinion sur les sables granitiques est adoptée par Stanislas Meunier.

Nous sommes alors en pleine recherche d'un "Deus ex machina".

En 1878 une discussion s'engage au cours d'une excursion de la Société géologique près de Vernon, de laquelle il ressort que l'interprétation de venues éruptives n'est pas entièrement partagée, notamment par Tournouer.

A partir de ces années-là, H. Douvillé s'intéresse au Sancerrois et au Gâtinais.

Arrivé à ce point de l'exposé, il est bon de rappeler que de telles venues profondes avaient déjà été proposées par Melleville (1860) au sujet des zones dolomitisées du calcaire grossier de la ville de Laon (Bulletin de la Société géologique, p.732) :

"La modification de texture du calcaire grossier... offre cette particularité qu'elle se présente généralement sur des espaces assez circonscrits, mais toujours entourés par les couches régulièrement stratifiées de cette formation. On ne saurait, selon moi, expliquer cette disposition étrange qu'en supposant (conjecture de tout point conforme à l'observation) que ces masses sont sorties à l'état de bouillie du sein de la terre dans les bassins où se déposait le calcaire grossier. Je dirai d'ailleurs dès à présent que les masses du calcaire grossier ainsi modifiées paraissent correspondre à d'anciens canaux souterrains qui percent la roche de part en part, en s'enfonçant sous terre jusqu'à des profondeurs encore inconnues".

L'auteur décrit alors des conduits karstiques emplis d'argile sableuse pourtant "parfaitement identique avec le limon rouge du diluvium" et contenant des graviers et des cailloux de quartz roulés dont le grand axe est vertical.

"Cette disposition remarquable démontre... que le remplissage de ces anciens canaux s'est opéré de bas en haut par des eaux bourbeuses, au sein desquelles nageaient des galets arrondis provenant de roches tout à fait étrangères au pays".

Quelques années plus tard, Albert de Grossouvre, lui-aussi ingénieur des Mines, publie, en 1886, une importante contribution, dans les Annales des Mines, intitulée "Etude sur les gisements de minerai de fer du Centre de la France".

Dans la région du Berry, les terrains détritiques, parfois riches en minerai de fer, couvrent de vastes étendues et ont fait l'objet d'une bonne description par Boulanger et Bertera, également ingénieurs des Mines (Texte explicatif de la carte géologique du département du Cher, paru en 1850) qui les interprètent comme des dépôts sédimentaires ("de transport"), ce qui nous paraît maintenant logique.

Or, De Grossouvre, faisant siennes les idées de H. Douvillé, retourne leurs observations et adopte entièrement l'origine éruptive.

Il rappelle (p.92) l'opinion d'Alexandre Brongniart sur l'origine des pisolithes de fer:

"Al. Brongniart (Annales des sciences naturelles, 1828, XIV), le premier, émit l'idée que le minerai de fer pisiforme peut être regardé comme un précipité d'oxyde de fer formé par des eaux minérales ferrugineuses qui sortaient par les fissures ouvertes dans les calcaires compacts, jurassiques ou autres, avec l'abondance, l'impétuosité, la saturation et avec toute la puissance d'action qui était l'attribut des phénomènes géologiques de cette époque.

Cet hydroxyde de fer pouvait être roulé en sphéroïdes par la double action du précipité et de l'émission de l'eau. Il pouvait se répandre en partie à la surface du sol avec l'eau qui s'épanchait des nombreuses sources, dont on voit partout les traces ; il pouvait rester aussi en partie dans les cavernes et fissures...

Cette théorie n'est que l'explication de ce que nous montre la nature dans quelques circonstances.

On sait ce qui se passe à la sortie des sources d'eau thermale de Carlsbad ; il s'y forme des pisolithes calcaires en abondance"...

Puis, p.93 : "Tout cet ensemble de faits confirme l'exactitude de l'opinion émise par Brongniart, opinion qui fut promptement acceptée par la majorité des géologues ; aujourd'hui il n'est plus contesté par personne que le minerai pisiforme ne soit un produit d'origine purement chimique : la discussion reste seulement ouverte sur l'origine première de la matière minérale".

De Grossouvre rappelait ensuite (p.93-94) que "d'Omalius d'Halloy paraît, le premier, avoir attribué certains dépôts d'argiles et de sables à des émissions internes.

Cette idée était hardie ; elle put paraître audacieuse surtout à un moment où étaient en vogue les théories de l'école des causes actuelles...

L'hypothèse soutenue par d'Omalius d'Halloy put vivement discutée, mais elle trouva néanmoins un grand nombre d'adhérents.

Il y a quelques années seulement, M. Douville a montré que les sables granitiques des environs de Ver non ne devaient pas être rattachés à la série sédimentaire, mais qu'ils étaient d'origine éruptive, des dépôts d'épanchement boueux".

De Grossouvre, en suivant les travaux des mines de fer du Berry dont l'exploitation venait de connaître son apogée, est fort impressionné par les conditions de gisement de ce minerai en grains qui présente deux dispositions géométriques.

L'argile (Eocène moyen à supérieur), dans laquelle les pisolithes de fer sont plus ou moins concentrés, peut reposer en couche sur le toit des calcaires jurassiques ou combler les vides de cavités karstiques ayant affecté ces calcaires au cours de l'Eocène inférieur. Les mineurs dégagent alors des puits et des galeries orientés suivant la fracturation régionale et donnant, en plan, l'aspect de champs filoniens. Il n'en fallait pas plus pour conforter une interprétation d'origine interne : le minerai étant "monté" par des "cheminées" pour emplir les vides des calcaires.

La discussion sur les gisements de fer est la même que pour l'ensemble du terrain sidérolithique qui les contient. A ce sujet, on doit souligner que la définition de ces terrains appartient à De Grossouvre qui écrit :

"En résumé on voit que les gisements de minerai de fer en grains sont subordonnés à de vastes dépôts d'argiles et de sables ; nous désignons cette formation sous le nom de terrain sidérolithique".

La description qu'en donne l'auteur est la suivante :

"Ce terrain doit être considéré comme formé de nappes irrégulières, discontinues et sans trace de stratification, d'argiles sableuses présentant des caractères très variables d'un point à un autre. Parfois ces argiles, mélangées de sables, de graviers ou même de silex roulés, sont blanches ou grises et constituent ce que l'on peut appeler des sables kaoliniques ou sables granitiques ; le plus souvent elles sont marbrées de teintes variées, jaune clair, jaune ocreux foncé, rouge, rouge rutilant, qui leur donnent un aspect caractéristique.

Par places, ces argiles sont chargées d'un excès de silice et se consolident alors en une roche à retrait prismatique qui offre un faciès tout particulier ; on pourrait les comparer à de l'argile durcie et rubéfiée par la cuisson ; nous les désignons sous le nom d'argilolithes.

Ces argilolithes, colorées de teintes vives et variées, présentent l'aspect des roches granitiques au point de faire souvent illusion. Nous citerons par exemple, sur la rive gauche de la Creuse, à quelques kilomètres au sud d'Argenton, des escarpements d'argilolithe qui ressemblent, à s'y méprendre, à des rochers granitiques".

Le sondage de Bellegarde, au Sud de Châteauroux, qui est resté jusqu'à 200 m de profondeur dans les formations "sidérolithiques", pose alors un problème difficile à interpréter par l'énorme épaisseur de ce terrain.

Il était tentant d'y voir une cheminée de montée des produits éruptifs alors qu'on considère maintenant (LORENZ et BAVOUZET, 1981) qu'il s'agit du comblement d'un bassin tectonique en extension.

Cependant, De Grossouvre remarque que :

"Lorsque l'on s'éloigne du massif central, le terrain sidérolithique disparaît ; il constitue, dans le bassin parisien, un faciès spécial qui paraît intimement lié au voisinage des roches primitives".

L'auteur conclut son ouvrage :

"Nous condiérons donc les dépôts sidérolithiques comme résultant d'épanchements boueux accompagnés de jaillissement de sources minérales chargées de fer, de silice, de gypse, etc.

Les épanchements boueux et les venues d'eaux minérales qui ont constitué le terrain sidérolithique sont en rapport avec les mouvements du sol qui ont eu lieu pendant l'ère tertiaire : ils sont le retentissement, sur la bordure du plateau central, des phénomènes volcaniques qui avaient lieu, sur une si grande échelle, dans l'Auvergne.

Les éruptions qui ont donné naissance aux dépôts sidérolithique s du centre de la France ont été provoquées par les mouvements du sol, caractérisés par les failles du système du Sancerrois, mouvements contemporains du soulèvement principal des Pyrénées. Les dislocations et les fissures qui en sont résultées ont facilité l'émission des matières sidérolithiques: nous retrouverons leur direction dans les alignements des gîtes de minerai.

Nous ne voulons pas d'ailleurs affirmer que les phénomènes éruptifs aient seuls joué un rôle dans la formation sidérolithique ; les phénomènes de sédimentation et de transport ont pu intervenir directement ou indirectement, mais seulement d'une manière très restreinte, ainsi que nous l'avons observé précédemment.

Il faut ajouter encore que les fentes et dépressions remplies par les dépôts sidérolithiques ont bien pu ne pas l'être toutes de bas en haut : les matières sidérolithiques, après s'être épanchées à la surface, ont pu également en opérer le remplissage de haut en bas".

Il fait appel à titre de confirmation à des diagnoses d'échantillons d'argilolithe du Cher et de l'Indre par son camarade Louis de LAUNAY (ingénieur des Mines) qui conclut :

"cette roche paraît avoir été formée par une arrivée de boue argileuse et siliceuse à travers des roches préexistantes probablement granitiques, auxquelles elle a enlevé ces parcelles".

Au passage, les sables et argiles de l'Orléanais se voient attribuer une même origine tandis que ceux du Bourbonnais sont considérés comme des alluvions.

De Grossouvre discute ensuite (p.94) l'opinion du géologue Van den Broek (Mémoire sur les phénomènes d'altération, 1881) qui ..."regarde l'argile à silex comme le résidu de l'action dissolvante exercée sur la craie par les eaux météoriques chargées d'acide carbonique. Les dépôts sidérolithiques sont également pour lui le résultat de l'infiltration d'eaux superficielles dans les roches calcaires; elles ont, par dissolution et oxydation, éliminé l'élément calcaire et laissé un résidu argilo-ferrugineux dans lequel l'oxyde de fer s'est concrétionnépar un transport moléculaire...".

Et il poursuit (p.95) : "M. Van den Broek explique d'ailleurs les phénomènes d'alignements que présentent les gisements de minerai de fer en grains par l'existence de cassures préexistantes qui ont facilité et localisé l'action des eaux d'infiltration.

Il est certain que cette théorie peut paraître séduisante, surtout pour les actualistes de l'école dont nous parlions tout à l'heure; elle rend compte de certaines circonstances des gisements...".

Il discute ensuite l'épaisseur de calcaires jurassiques qui aurait dû être dissoute (40 à 80 m) et, niant tout transport, s'étonne que la concentration en fer ne diminue pas au voisinage des auréoles crétacées où les calcaires jurassiques auraient été moins altérés. Puis il insiste sur la structure des pisolithes nécessitant des eaux agitées comme dans les sources de Carlsbad.

Par ailleurs, les argiles "sont souvent blanches et semblables à de véritables kaolins : l'analyse n'y révèle qu'une proportion excessivement faible d'oxyde de fer. Cette circonstance est complètement en désaccord avec le mode de formation par dissolution et oxydation des roches calcaires : il ne peut se produire ainsi que des argiles rouges ferrugineuses...".

Comment, enfin, concilier l'existence de ces argiles imperméables et une altération des couches sous-jacentes, par les eaux météoriques ?

En conclusion (p. 101) il écrit : "la théorie de l'apport interne résout facilement toutes les difficultés que nous venons de signaler".

Telle est la situation au début du XXème siècle et la question ne soulèvera, semble-t-il, plus de discussions en tombant peu à peu dans l'oubli.

En 1929 paraît l'ouvrage capital de Lucien Cayeux sur les roches siliceuses dans lequel on ne trouve pas d'allusions à la théorie des sables éruptifs.

Cependant, H. Douville, en 1936, affirme de nouveau son opinion dans deux notes, l'une à l'Académie des Sciences et l'autre au Bulletin de la Société géologique, rappelant qu'il avait été l'auteur de la théorie des sables éruptifs en 1872. Dans la seconde (très détaillée : 24 pages et 2 planches) il passe en revue ces terrains détritiques dans le Bassin de la Seine, le Berry et la Dordogne auxquels il étend son interprétation. Il conclut du point de vue génétique :

"la surface de la terre se trouvant déformée devait se réajuster d'où, à l'Ouest, des craquelures, des brisures de l'écorce, accidents tectoniques qui à l'échelle des mouvements alpins ne pouvaient être que des failles importantes, ayant atteint les couches granitiques profondes.

Les eaux de la surface arrivant à leur contact ont donné naissance à des sources thermales ; celles-ci ont décomposé, hydrolysé les granites, transformés ainsi en boues plastiques qui sous la pression des blocs de l'écorce terrestre disloquée, ont été refoulées à la surface. Ainsi se sont formés les sables granitiques, en même temps que se déversant autour des points d'arrivée, ils donnaient naissance à des dépôts d'épanchement plus ou moins stratifiés, dans lesquels parfois la vie végétale a pu se développer...".

"Ces différentes actions se sont reproduites à trois reprises successives : au début de l'Oligocène avec le Sidérolithique, les sables granitiques de la Dordogne et de Royan, tandis que les dépôts d'épanchement étaient représentés par la molasse du Fronsadais. C'est le mouvement le plus important.

Un mouvement préparatoire s'était produit au début de l'Eocène avec les sables granitiques de l'argile à silex de l'Eure et les argiles plastiques de Montereau se prolongeant dans le bassin parisien.

Un troisième mouvement a donné naissance aux sables granitiques de la vallée de la Seine, aux argiles à meulières et aux sables de la Sologne, après le calcaire de Beauce, c'est-à_dire au début du Miocène".

Ce sera, me semble-t-il, la dernière publication sur ce sujet.

H. Douville, défenseur de cette étrange théorie, disparaît en 1937.

Comment juger cet aspect de la recherche en Géologie pendant un demi-siècle et qui constitue une résurgence d'une idée déjà ancienne ?

Ce qui frappe le plus est que la plupart des tenants de cette théorie éruptive ont en commun leur appartenance au corps des Ingénieurs des Mines. Loin de vouloir en faire une critique, ne peut-on y discerner une communauté de pensée et peut-être des rapports hiérarchiques étroits ? Il semble que le reste de la communauté géologique évite alors d'aborder ce thème conflictuel. L'hypothèse disparaîtra avec son auteur dont l'oeuvre géologique, par ailleurs, restera appréciée.

Bibliographie

TRAVAUX DU
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- Troisième série -
T.VII (1993)

François ELLENBERGER
Observations sur la communication de M. Lorenz.

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 26 mai 1993)

J'ai écouté avec un grand intérêt la communication de M. Claude LORENZ, qui nous a exposé avec beaucoup de clarté ce mouvement d'idées pour nous assez étrange relatif à la mise en place "éruptive" de ces sables et minerais de fer associés. Que les protagonistes de cette affaire aient été en l'occurrence des ingénieurs des mines, n'est en effet peut-être pas tout à fait un hasard. Dans cette seconde moitié du XIXème siècle, ces professionnels sont désormais habitués à interpréter le gros des minerais métalliques usuels comme volontiers de type filonien, et dus à des apports ascendants (en opposition avec la théorie de l'école de Gottlob Werner pour qui, on le sait, il s'agissait de remplissages per descensum). Observant des alignements, il était somme toute assez normal que, dans leur optique, les gisements considérés correspondent à des accidents tectoniques "vivants". A défaut d'être vrai, c'était du moins empreint de logique. De plus, faute d'une profondeur d'exploitation suffisante, la preuve négative décisive manquait : à savoir, la fermeture des cavités à leur extrémité inférieure.

Si l'on voulait encore un peu plus excuser les auteurs cités de leurs vues irréalistes, il convient de remonter en arrière. Nous découvrons que ce que leur thèse comporte à première vue d'extravagance prend plutôt figure d'archaïsme, d'attachement anachronique à des idées anciennes dépassées. Cette filiation mériterait une plus ample étude ; je me contente ici de jalons isolés.

Glanons, donc dans les contextes contemporain et antérieur, des mouvements d'idées d'ordre similaire et des données de faits ayant pu leur servir d'incitations. - Nous voyons que dans l'édition de 1868 de son Cours élémentaire de géologie, d'Omalius d'Halloy (p.464-465) adhère apparemment à ce genre d'idées. Il parle de "matières éjaculées", notamment à propos de l'argile à silex du Thimerais (dont il note la ressemblance avec l'argile plastique de Paris). Il pense que par des fentes, des épanchements ont pu fluer en surface en donnant des minerais de fer dits "d'alluvion".

Or, les manuels et traités de l'époque ne manquent pas de décrire le phénomène bien connu des salses et "volcans de boue" (voir par exemple le Cours élémentaire de géologie de F. BEUDANT, 1851, p.57-58 ; ou le Traité de géologie d'A. de LAPPARENT, 2è éd., 1885, p. 515-517). En 1835, à Sassuola près de Modène (Italie), une violente éruption se produisit, accompagnée d'explosions, secousses, fentes dans le sol, et du rejet en surface d'environ 10 millions de mètres cubes de boue salée et de pierres. Selon Stanislas Meunier, Spallanzani en 1783 avait visité le site, notant que les coulées passées avaient recouvert une aire de 3 à 4 milles de tour. Bien que nos auteurs incriminés n'y fassent pas référence, il y avait là (et en d'autres sites connus) un modèle pouvant justifier, mutatis mutandis, la légitimité de leur vision.

Un autre facteur a fort probablement contribué à la genèse de la théorie d'apports sédimentaires issus du tréfond. Ce fut le creusement des puits artésiens pour capter la nappe aquifère des Sables verts. On sait combien l'on dut s'accommoder tant bien que mal d'importantes remontées de sable fin avec l'eau jaillissante.

Coïncidence ou non, en janvier 1843 (deux ans donc après l'achèvement du puits de Grenelle), un certain Maximilien Melleville (apparemment un amateur aisé) lit à la Société géologique de France un mémoire intitulé De la théorie des puits naturels (Bull. Soc. géol. Fr., série 1, t.XIV, p. 182-194). L'auteur a en vue d'expliquer notamment la disposition des terrains tertiaires parisiens en amas lenticulaires, voire en forme de cordons disposés à la manière de dunes, pour les trois grandes formations sableuses. Il constate l'existence un peu partout de "puits naturels". Il connaît le fait des grosses sources, où il voit à juste titre des résurgences, mais aime à imaginer qu'elles sont liées à des siphons d'immense envergure dans le sous-sol profond. De tout cela, il en déduit que, dans le passé, des sources jaillissantes apportaient dans le fond de la cuvette du Bassin parisien diverses matières empruntées aux couches profondes : du gypse et du calcaire en solution, du sable à plusieurs reprises, etc. Il rappelle qu'Alexandre Brongniart, ainsi que Croizet et Jobert, ont proposé d'expliquer par le moyen de sources calcarifères la formation de certains calcaires d'eau douce. Ainsi donc, Melleville imagine que le gros des terrains tertiaires parisiens est formé de matières remaniées remontées du tréfond. Il figure les choses sur une coupe, où l'on voit serpenter des familles de tubulures subverticales. La principale famille part sur son dessin du niveau des sables verts, pour déboucher en haut au niveau des trois grandes formations sableuses classiques tertiaires. Nulle allusion explicite au puits de Grenelle, mais il est fort tentant de penser que l'auteur en a été conforté dans ses spéculations, certes aventureuses, mais non absurdes.

Je crois savoir que le problème de l'origine des sables éocènes et oligocènes du Bassin parisien est assez complexe ; il s'agit probablement de sables remaniés issus de terrains sablo-gréseux mésozoïques. Au mode de transport près, bien évidemment, l'idée de Melleville n'était donc pas totalement stupide. De plus, de toutes façons, l'idée de transports ascendants était alors "dans l'air" ; elle était "à la mode" (et toute l'histoire de la Géologie jusqu'à nos jours nous montre à satiété les graves méfaits de la tyrannie des modes scientifiques). En voici une démonstration :

On sait que Constant PREVOST a publié à plusieurs reprises une coupe synthétique du Tertiaire parisien. Or, voici ce que nous découvrons : par rapport à la version de 1835, la coupe remaniée de 1838 (cf. Bull. Soc. géol. Fr., 4 juin 1838) introduit une innovation caractéristique. Il s'agit, grimpant au travers des terrains sédimentaires nourris par ses chers "affluents", d'une colonne ascendante, renflée en plusieurs lentilles, de "Travertins siliceux et calcaires formés par des sources", issus directement du substratum. Déja, observant les anomalies de gisement des masses de gypse et sel de Sicile, il leur attribuait une origine "geysérienne".

Reportons-nous de plus à la très intéressante communication de notre confrère J.-Ch. FONTES, diffusée naguère dans les Travaux de notre Comité (1ère série, n°51, 16 décembre 1981, p.3). L'auteur, à propos du grand problème de l'origine du gypse parisien, nous rappelle qu'E. HEBERT, reprenant au vol une idée de GRESSLY, avait postulé que certains dépôts sidérolithiques sont "les produits d'épanchement analogues aux éruptions boueuses, de sources chaudes jaillissantes chargées d'oxydes de fer et de manganèse, de silice, d'alumine, de chaux et d'acide sulfurique" ; puis HEBERT enchaîne en étendant au gypse cette vision.

En revenant pour finir au brillant exposé de M. LORENZ, j'aimerais attirer l'attention sur l'intérêt général considérable, me semble-t-il, du problème posé incidemment par les gisements de minerai de fer pisolithique du Berry. Ancien karst profond : cela semble clair à la vue des documents présentés ; mais comment était-il drainé ? La réponse est loin d'être évidente, vu la topographie et la structure d'ensemble de la région. La genèse même des pisolithes est-elle aisément expliquée ?

Tout cela pour dire en conclusion que le devoir du géologue historien est de ne pas trop vite sourire des errrements de nos devanciers : ils ont souvent buté sur des difficultés objectives que nous aurions tort de minimiser. Parfois, il vaut la peine de rechercher si dans toute la paille de leurs dires, il n'y aurait pas quelque bon grain, à faire germer à neuf en réinterprétant les choses dans le contexte de nos connaissances actuelles. Après tout, n'oublions pas que c'est ce même Henri Douville qui a définitivement mis sur ses rails, en 1886, la théorie des "dunes" stampiennes, pour lui hydrauliques (ce que le bon Melleville disait déjà confusément).

TRAVAUX DU
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- Troisième série -
T.VII (1993)

Charles POMEROL
A propos des Sables de Lozère.

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 26 mai 1993)

"La science, mon garçon, est faite d'erreurs, mais
d'erreurs qu'il est bon de commettre, car elles mènent peu à peu à la vérité
"

Professeur Lindenbrock

Pour essayer de comprendre le raisonnement de Henri Douvillé et de Alfred de Grossouvre, attribuant une origine éruptive aux Sables de Lozère, il faut être conscient qu'il a fallu attendre des recherches en cours (1994) pour tenter de résoudre une double énigme, concernant leur âge et leur mode de dépôt.

Voir données récentes et bibliographie dans "Les écoulements successifs issus du Massif Central dans le Bassin parisien, tributaires de l'Atlantique et de la Manche au Néogène-Pléistocène : relations avec la tectonique" par C. Cavelier, L. Clozier, S. Debrand-Passard, Ch. Pomerol et J. Tourenq (1994), à paraître dans "Géologie de la France".

C'est ce dernier qui, depuis plus d'un siècle, intrigue beaucoup les géologues et, depuis quelques décennies, les sédimentologistes. En effet, les Sables de Lozère, lorsqu'ils ne sont pas remaniés, ont tous les caractères d'une arène granitique : grains de quartz millimétriques non émoussés (quartz "gros sel"), rares feldspaths et muscovite, empâtés dans une argile kaolinique et ferrugineuse, sans stratification ni triage. Ce faciès se rencontre depuis la Sologne jusqu'à la région de Rouen. Il évoque incontestablement une altération sur place du granite.

L'origine filonienne du granite peut expliquer les caractères de ces "sables éruptifs" et, à G.F. Dollfus qui, dès 1886, s'opposait à cette hypothèse, A. de Grossouvre (1908) répliquait : "Si les graviers des sables granitiques des environs de Rouen sont anguleux, ceux des alluvions de la Loire sont nettement arrondis et de forme ovoïde. Comme les graviers d'aval ne peuvent être moins roulés que ceux d'amont, toute relation de continuité doit donc être absolument exclue entre les graviers de la Loire et ceux des environs de Rouen".

En 1993 l'énigme du mode de dépôt des Sables de Lozère est toujours d'actualité.
Plusieurs auteurs ont proposé une hypothèse que je partage (Ch. Pomerol, 1958) : ce dépôt serait dû à la décomposition sur place de galets ou graviers granitiques apportés par un épandage en nappe (écoulement boueux de Denizot, 1927) ou par un fleuve de compétence suffisante, sur un glacis descendant du Massif Central et se prolongeant jusqu'en Normandie sur la plate-forme du Miocène d'où commençait à émerger, à l'aval, des buttes-témoins oligocènes.

Si on ne retrouve pas aujourd'hui de fantômes de galets dans les Sables de Lozère, comme c'est le cas dans les terrasses récentes des cours d'eau de pays granitique, c'est que la décomposition est trop ancienne et que les formes initiales ont été effacées comme déjà dans les hautes terrasses des cours d'eau actuels. Seuls les galets de silex ou de chailles qui accompagnaient les galets granitiques ont été préservés et sont le témoignage d'un apport détritique grossier. La présence parmi les minéraux lourds de minéraux de métamorphisme et de grains de quartz émoussés de type marin pourrait s'expliquer par une contamination par les sables stampiens.

La seconde incertitude concerne l'âge de ces dépôts. La base des Sables de Sologne datés dans l'Orléanais et le Blésois du Burdigalien et de l'"Helvétien" (= Serravallien) par leur faune de mammifères assigne aux Sables de Lozère au maximum un âge miocène moyen si l'on admet qu'ils prolongent vers le nord les Sables de Sologne. L'âge burdigalien des Sables de Lozère, traditionnellement admis, avait pour corollaire la capture, à l'Helvétien, de la pré-Loire par un fleuve côtier de la mer des Faluns, ce qui aurait conduit au tarissement des apports du Massif Central vers la Manche. Or, au cours des années 70, cette conception fut battue en brèche par plusieurs faits irréfutables :

A la lumière de ces observations, il faut admettre qu'après l'épandage des Sables de Lozère au Pliocène moyen une pré-Loire-pré-Seine ("fleuve à augite") a coulé vers la Manche jusqu'au Pléistocène moyen (Saalien) et peut-être supérieur (Wechsélien ancien), et que la capture de ce fleuve vers l'Atlantique est survenue au plus tôt au Saalien, âge des plus anciennes terrasses de la Loire entre Gien et Orléans.