COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 11 décembre 2002)
Les collections de livres et de tableaux et le cabinet de curiosités du président Christophe-Paul de Robien (1698-1756) sont à l’origine de la bibliothèque municipale et des musées de Rennes. Le président de Robien a découvert et décrit un certain nombre de monuments mégalithiques majeurs et est l’auteur d’une importante description historique de l’Armorique.
Mots clés : De Robien - collections - préhistoire - Bretagne - XVIIIe siècle.
Christophe-Paul de Robien (1698-1756) was the president of the High judicial court in Brittany. In Rennes the municipal library and the museums originate from his collections of paintings, books, minerals, fossils, plants and animals. President de Robien discovered and described some of the main megaliths of Brittany and has written a large historical description of the province
Key-words: De Robien - collections - prehistory - Bretagne - XVIIIth century.
Christophe-Paul de Robien, baron de Kaër et vicomte de Plaintel, président à mortier au parlement de Bretagne et membre de l'Académie des sciences de Berlin, fut, dans la Bretagne du Siècle des lumières, un historien, un naturaliste et un collectionneur dont la renommée dépassait largement les limites de la province. Le président nous a laissé des collections et une bibliothèque fabuleuses qui ont constitué le noyau fondateur de la bibliothèque municipale et des musées de Rennes. Ses écrits sont peu nombreux, mais il est l'auteur d'une monumentale Description historique et géographique de la Bretagne[1], laissée inachevée à sa mort et qui a été éditée en 1974[2].
Découvreur et descripteur de monuments mégalithiques importants, tels que ceux de Locmariaquer (Morbihan) et de La Roche-aux-Fées (Ille-et-Vilaine), il sera le premier à considérer les tumulus et les dolmens comme des tombeaux gaulois, rejetant ainsi l'attribution aux romains couramment admise à l'époque. Le grand historien breton, Arthur de la Borderie, le considérait comme « le père de l'archéologie bretonne ».
Christophe-Paul, marquis de Robien, Président à mortier au Parlement de Bretagne.
Gravure par Balechou avant 1745, d'après un pastel de Huguet
Par ses écrits et par l'importance des collections de son cabinet d'histoire naturelle, le président de Robien reste l'un des premiers en Bretagne à s'être intéressé à l'archéologie, à la minéralogie et à la paléontologie.
Dans une province, à l’époque sans académie et très peu alphabétisée, le marquis de Robien se rattache à la France des Lumières par ses goûts et ses activités, même si sa contribution au développement de la connaissance scientifique n'atteint pas, et de loin, l'importance de celle de certains autres Bretons tels que Bouguer et Maupertuis, nés, comme lui, en 1698.
La trace, encore très vive, que le président a laissée en Bretagne, justifie qu'on s'intéresse au personnage et à son œuvre et, durant les cinquante dernières années, de nombreuses publications ont été consacrées à cet « homme éclairé ». En 2001, Gauthier Aubert a publié un ouvrage important qui a nourri le présent essai et qui nous permet d'avoir une vue d'ensemble de l’activité du président et de la place qu’il a occupée parmi ses contemporains.
La famille de Robien a été représentée au parlement de Bretagne de manière continue pendant 129 ans, soit quatre générations. C'est l'une des plus célèbres familles de la noblesse parlementaire bretonne et elle est fréquemment qualifiée d'illustre par les contemporains.
En 1349, le baron d'Avaugour fait don à Jacques Boscher de la terre de Robien, située sur le territoire de la commune actuelle du Fœil, près de Quintin (Côtes-d’Armor). A la fin du XIVe siècle, les Boscher de Robien font disparaître la mention Boscher et la famille de Robien s'éteint à la fin du XVIe siècle, faute d'héritier mâle. En 1605, Christophe Gautron, qui a épousé une de Robien, obtient l'autorisation d'utiliser le nom de sa femme. L'orthographe actuelle n'apparaît que vers cette période et dérive par francisation de Roc bihan (petit rocher en breton), qui a donné Robihan, puis Robian, et enfin Robien. Au XVIe siècle, les de Robien entrent au service de la couronne de France. Le passage de la noblesse d'épée à la noblesse de robe s'opère en 1637, quand Jean de Robien achète une charge à la chambre des comptes de Nantes. L'entrée de la branche aînée des de Robien au parlement de Bretagne, en 1655, avec Sébastien, grand père de Christophe-Paul, marque le début d'une série où les présidents à mortier se succèdent de père en fils : Sébastien, Paul, puis Christophe-Paul puis Paul-Christophe-Céleste, élu à 19 ans, mais dont la carrière sera brutalement interrompue par la Révolution qui le contraindra à émigrer.
Christophe-Paul est né au château de Robien le 4 Novembre 1698 et, fait remarquable, est resté sans prénom pendant 16 ans, ce qui l'a contraint, pendant tout ce temps, à signer avec la mention Anonyme. Nommé conseiller au parlement à 22 ans, il est président à mortier en 1724. Il épouse une de ses cousines lointaines de la branche cadette qui lui donne sept enfants mais le laisse veuf à 46 ans ; il ne se remariera pas, sans doute pour préserver l'intégrité du patrimoine familial.
On dispose de peu de portraits du président : un tableau à l'huile, deux pastels et un portrait gravé auxquels il faut adjoindre un buste en marbre ainsi qu'un portrait de famille, peint en 1733 par Angillis. On sait cependant qu’au parlement, le greffier a noté sa « haute taille ».
Les possessions de la famille de Robien comptent un certain nombre de propriétés situées, pour la plupart, autour de Quintin (Côtes-d’Armor) et d'Auray (Morbihan). Les demeures les plus fréquentées par le président restent le château familial de Robien, le château du Plessix de Kaër, près d'Auray et, surtout, son hôtel particulier, acheté en 1699 par son père. Situé rue aux Foulons (actuellement rue Le Bastard), cet hôtel est épargné par l'incendie de 1720 qui a ravagé une bonne partie de la ville et Christophe-Paul va petit à petit acquérir les propriétés voisines pour l'agrandir. Il le dotera d'un jardin à la française et d'un pavillon à l'italienne. C'est au troisième étage de cet hôtel que sera abritée la majeure partie des collections.
Pour juger de l'œuvre de Christophe-Paul de Robien, il est indispensable de rappeler brièvement dans quelle situation se trouve la Bretagne en cette première moitié du XVIIIe siècle.
Sur le plan politique, la province bretonne suscite la méfiance de la couronne car les Bretons ont, à de nombreuses occasions, montré leur esprit frondeur. Ainsi, le parlement a dû être exilé à Vannes d'où il n'est revenu qu'en 1690, et, en 1717, la session des Etats a été annulée par le pouvoir provincial. Mais il semble que c'est surtout la conspiration de Pontcallec, en 1720, qui a le plus fortement marqué les relations entre la Bretagne et Paris et, comme le dit un des correspondants du président, en cette première moitié du siècle « le sang de Pontcallec est encore chaud ». A Rennes, le procureur général de Caradeuc de La Chalotais, décrié pour son ambition effrénée, pour ses relations avec les philosophes et pour sa haine des jésuites, finira même par dresser le parlement contre le commandant de la province.
Sur le plan intellectuel, la notion de « désert culturel » revient souvent chez les contemporains. Il est vrai que la Bretagne est peu peuplée et que Rennes atteint seulement 40 000 habitants à la fin de l'Ancien Régime. On compte uniquement deux bibliothèques publiques dans la province (les Oratoriens à Nantes et la Société des avocats à Rennes) et la première société savante n'est créée qu'en 1750. A Rennes, l'enseignement secondaire compte 500 élèves en 1763 mais la faculté de droit, transférée de Nantes à Rennes en 1735, reste le seul établissement d'enseignement supérieur avec une école de chirurgie civile. D’autre part, l'élite locale paraît assez peu sensible aux progrès scientifiques, sauf en ce qui concerne les améliorations de l'agriculture.
Quelques observations permettent cependant de nuancer ce tableau un peu sombre. Ainsi, c'est à Brest qu'est créée, en 1752, la première Académie de marine et, si la Bretagne ne fournit aucun grand artiste durant cette période, c'est quand même de cette province que sont issus des poètes comme Desforges-Maillard (né au Croisic en 1699) et des savants comme le croisicais Bouguer (né en 1698) et les malouins Maupertuis (né en 1698) et La Mettrie (né en 1709). L'assimilation culturelle de la Bretagne paraît avoir été très progressive au cours du XVIIIe siècle et il faudra le grand brassage de la Révolution pour que les Bretons se mêlent vraiment au reste de la nation.
En 1756, Christophe-Paul de Robien meurt à Rennes. Par son testament, rédigé en 1747 et 1752, il lègue une partie de ses biens, dont ses collections, à son fils qui émigre en 1791. En application de la législation sur les biens des émigrés[3], les collections sont saisies et seuls les objets d'art et de sciences sont réservés, le reste étant vendu.
En 1792, le ministre de l'Intérieur projette de réunir tous les biens des émigrés et de créer un musée national à Paris. L'administration communale de Rennes réagit vigoureusement, ce projet « enrichissant Paris des dépouilles de la Province ». Ce projet n'aura pas de suite. Les collections de Robien sont entreposées dans l'église de la Visitation en 1793. En novembre de la même année, les troupes républicaines engagées dans la guerre de Vendée s'étant repliées sur Rennes après le siège de Fougères et l’affaire d’Antrain, l'église de la Visitation est transformée en hôpital et les collections saisies chez les émigrés et dans divers couvents sont entassées dans les cellules et les couloirs du couvent des Carmélites.
Propriété de l’Etat jusqu’en 1794, les collections des émigrés sont ensuite confiées aux administrations de districts[4] qui procèdent aux inventaires. C'est ainsi que le citoyen Quéru[5] est désigné « pour procéder à l'inventaire et récolement du cabinet d'histoire naturelle du sieur de Robien », puis est nommé, en 1796, conservateur de la collection, ébauche du futur musée de Bretagne. En 1805 la propriété des collections est transférée à la ville de Rennes[6]. De son côté, avec ses 4 173 volumes imprimés et ses 135 manuscrits, la bibliothèque du président constituera le premier fonds de la bibliothèque municipale.
Il est difficile de se faire une idée précise de l'état des collections du président telles qu'elles se présentaient à sa mort, en 1756. Les seules pièces disponibles sont les inventaires dressés par Quéru de la Coste, les inventaires du musée de Rennes, diverses mentions et descriptions publiées au cours du XVIIIe siècle et l’inventaire partiel établi par de Robien lui-même, Description historique des différents objets composant le cabinet de M. de Robien[7] et connu sous le nom de Catalogue.
Le nombre d'objets rassemblés dans le cabinet d'histoire naturelle du président est estimé à plus de 7 000 (tableau 1). Ils s'agit essentiellement de fossiles au sens de l'époque, de végétaux et d'animaux auxquels il faut ajouter des « monstres », des « instruments de mathématiques et des machines » signalés par Dezallier d'Argenville en 1742 et, sans doute, un microscope. D'après les textes de l'époque, la collection, bien que ne comprenant aucune pièce spectaculaire de grande taille, était considérée comme l’une des plus importantes d'Europe.
Pour l'essentiel, les pièces du cabinet de Robien ont été acquises par le président qui apparaît ainsi comme le seul « curieux » de la famille et l'un des rares du milieu parlementaire rennais. L'héritage de son père concerne surtout les livres, et les acquisitions de son fils, postérieurement à 1756, sont très modestes.
Les échantillons rassemblés dans le cabinet proviennent de toutes les contrées du monde avec cependant une nette prédominance de l'Europe. La plupart des pièces étant de faible valeur, leur acquisition a sans doute été très facile, soit à Paris chez des marchands tels que Gersaint ou en province, chez les marchands et les particuliers.
Outre la rareté des sources utilisables, un certain nombre d’événements rendent très difficile la reconstitution de l’état initial des collections du président :
- l'inventaire, établi par de Robien, ne prend en compte que les antiquités et les pièces d'histoire naturelle et d'archéologie ;
- le legs testamentaire ne concerne les collections qu'à concurrence de 30 000 livres ;
- lors de la saisie révolutionnaire, un tri a été opéré par les commissaires et certaines pièces ont été vendues, en particulier les pièces en plusieurs exemplaires ;
- lors des multiples déplacements de nombreuses pièces de la collection ont été perdues et dispersées (tableau 2).
En 1841, les collections de géologie de la toute nouvelle faculté des sciences de Rennes ont été constituées sur la base d’un envoi d’échantillons par le Muséum national d’histoire naturelle de Paris et par prélèvement sur les collections stockées, à cette époque, dans les greniers du Présidial. On peut se faire une idée de la manière dont ce prélèvement a affecté le fonds de Robien en consultant les divers inventaires disponibles (Houlbert, 1933). L’inventaire, établi en 1794 après la saisie, compte 3 526 minéraux (tableau 2). En 1831, H. Pontallier fait parvenir à la municipalité de Rennes une liste des pièces issues du cabinet de Robien et où figurent 3 460 minéraux, les fossiles étant comptés avec les coquillages. Le prélèvement de 1841 a été opéré sur l’ensemble des pièces déposées au Présidial : cabinet de Robien, pièces diverses provenant d’autres saisies chez les particuliers et les établissements conventuels. L’énumération globale de ce prélèvement, établie également par Pontallier à la fin de 1841, fait état de 3 768 minéraux et, en 1852, dans un inventaire global du reliquat, il ne subsiste qu’un seul fossile. Il apparaît donc très clairement que la majeure partie des pièces du cabinet a été transférée à la faculté des sciences où elle s’est trouvée diluée, en particulier dans l’importante collection provenant du Muséum national.
Jusqu’en 1793
le Cabinet d’histoire naturelle est installé au troisième étage de l’hôtel de Robien,
rue aux foulons à Rennes
1756 : Ch.-P. de Robien lègue ses collections à son fils Paul-Christophe-Céleste
1791 : Paul-Christophe de Robien émigre
Après 1792
1792 : saisie révolutionnaire
1793 : stockage à l’église de la Visitation puis, en novembre, au couvent des carmélites
1794 : transfert à l’Evêché (Muséum national)
1815 : stockage dans les greniers du Présidial
1841 : prélèvement pour les collections de la faculté des sciences située au Présidial
1841 : installation au Présidial
1853 : installation à la nouvelle
faculté située au Palais universitaire
1860 : Le reliquat du Cabinet est toujours au Présidial et est pris en charge par la Société des sciences physiques et naturelles
1870 : installation au Musée de géologie
et au Musée d’archéologie
situés au Palais universitaire
1894 : installation à la nouvelle faculté
située Place Pasteur
1937 : installation à l’Institut de géologie
1939-1945 seconde guerre mondiale
Destruction partielle puis fermeture du
Musée de géologie. Le reliquat des pièces
minéralogiques des collections
de Robien rejoint l’Institut de géologie
1966 : installation sur le nouveau
campus universitaire de Beaulieu :
Collections de Géosciences-Rennes
Tableau 1 - Les tribulations du cabinet de Robien après la Révolution.
Nota : à partir de 1850 les rares échantillons provenant du cabinet de Robien et non récupérés par l’université ont été dilués dans les dons nombreux et importants : de la Pylaie (1851), M. Rouault (1853), Toulmouche (1876), Maudet (1888), Decombe (1890), de Limur et Micault (1892), Barret (1905) …
Catégories établies par de Robien |
Catalogue de 1740 |
Inventaire de 1794 |
Nb minimum de pièces |
Nb d'échantillons cités |
|
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Total minéraux |
756 |
3526 |
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Végétaux terrestres |
273 |
2015 |
Plantes marines |
69 |
|
Madrépores |
48 |
95 |
Total végétaux |
390 |
2110 |
|
|
|
Coquillages |
542 |
903 |
Crustacés |
65 |
90 |
Poissons |
38 |
32 |
Insectes |
207 |
183 |
Reptiles |
35 |
50 |
Oiseaux |
79 |
47 |
Mammifères |
38 |
68 |
Monstres |
17 |
|
Total animaux |
1021 |
1488 |
|
|
|
TOTAL |
2167 |
7124 |
|
|
|
Bretagne : 15,5% |
|
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France : 19,8% - Europe : 19%
|
Répartition des échantillons |
|
Amérique, Afrique, Indes or. : 40,6% |
d'origine connue (48,5% du total) |
|
Divers outre-mer : 5% |
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Tableau 2 : Collection d'histoire naturelle du président de Robien
(d'après G. Aubert, 2001).
Les échantillons ont probablement été étiquetés, mais vraisemblablement sans mention des fonds d’origine et, dans les collections actuelles de l’université de Rennes1 il est impossible de les identifier.
Le reliquat du cabinet de Robien, encore conséquent, rejoint le Musée de géologie en 1870 et reste sans gestionnaire de 1876 à 1887, l’établissement étant privé de conservateur pendant toute cette période. Toussaint Bézier, nommé conservateur en 1887, procède alors à l’étiquetage des pièces en mentionnant leur collection d’origine.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, après la destruction partielle du musée de Rennes, un certain nombre de pièces sont récupérées parmi les décombres et intégrées aux collections de l’Institut de géologie. Actuellement les quelques rares pièces (moins d’une dizaine) provenant avec certitude du cabinet de Robien sont celles qui possèdent encore leur étiquette établie par Toussaint Bézier, et celles qui ont été figurées par le président.
Les objets d'art, les livres et le fonds archéologique sont actuellement déposés et gérés par les musées de Rennes et par la bibliothèque municipale. Il n'en est malheureusement pas de même pour le reste de la collection dont une bonne partie a disparu et dont les restes sont déposés, pour l'essentiel, à l'université de Rennes 1.
Les collections et la bibliothèque étaient, pour Christophe-Paul de Robien, un instrument de travail, mais il semble qu'il leur ait donné une certaine ouverture vers l'extérieur. En 1727, on trouve mention de « conférences savantes » à l’hôtel de Robien, mais on ignore quel public pouvait assister à ces réunions. De même, le président reçoit des visiteurs prestigieux tels que Desforges-Maillard et probablement Bouguer et Maupertuis. Ce lieu de sciences connaît donc une certaine notoriété : Dezallier d'Argenville le cite en 1742, Piganiol de la Force en recommande chaudement la visite en 1754 dans sa Nouvelle description de la France et Desforges-Maillard publie, à son sujet, plusieurs textes élogieux.
Les écrits scientifiques de Christophe-Paul de Robien sont très peu nombreux :
* Dissertation sur la formation de trois différentes espèces de pierres figurées qui se trouvent dans la Bretagne ;
* Nouvelles idées sur la formation des fossiles ;
* Description historique et géographique de la Bretagne.
Les deux premiers ouvrages ont été imprimés en 1751 en un seul volume de 155 pages[8]. La Description…, inachevée en 1756 à la mort du président, a été éditée en 1974.
La Dissertation ..., très courte, est consacrée à l'identification des pierres ayant servi à la construction d'un manoir près de Rennes et à la description de la chiastolite des Salles de Rohan (Morbihan) et de la staurotide de Baud (Morbihan). Le président a été frappé par la ressemblance des sections de chiastolite avec les figures du blason des Rohan et utilise le terme de macle.
Les Nouvelles idées... sont beaucoup plus ambitieuses et s'appuient sur l'étude des très nombreuses pièces de la collection. Le président présente une classification du monde minéral qui n'est que le prélude à la partie la plus importante de l'ouvrage, consacrée à l'histoire de la planète.
Prudemment, le problème de l'âge de la Terre n'est pas abordé et la Bible reste la référence obligée en ce qui concerne la naissance de la planète. Suivant Thomas Burnet, le président décrit, au centre du globe, un espace vide entouré par les « eaux inférieures » puis par la croûte terrestre.
Le Déluge est tenu pour responsable de l'empilement des couches de sédiments et les montagnes sont le résultat de la colère divine. Le président prend par contre ses distances avec ce qui est encore, en ce milieu de XVIIIe siècle, la position officielle de l'Eglise. C'est ainsi qu'il place le soleil au centre de l'Univers et considère, comme Fontenelle, que les planètes ont pu être habitées et le sont peut être encore.
L'aspect rétrograde de certaines affirmations doit-il nous conduire à penser que l’auteur du texte qui, de plus, pas une fois ne cite Buffon, est du type « savant amateur de province »? Cette opinion doit être nuancée, et le travail de Christophe-Paul de Robien doit être replacé par rapport aux travaux de l'époque. Ainsi, la question du Déluge, au XVIIIe siècle, est toujours d'actualité et plusieurs auteurs signalent que les savants, pour la plupart, lui attribuent une grande importance, sauf « quelques naturalistes modernes ».
En ce qui concerne les travaux de Buffon, on doit également rappeler qu'en 1749, Bouguer y trouve certaines hypothèses hasardeuses.
A l'époque de la publication, l'impact des Nouvelles idées... a été très faible et la longue liste d'ouvrages consacrés à la lithologie que publie Dezallier d'Argenville en 1756 ne le mentionne même pas. Dans les périodiques, c'est l'indifférence totale, sauf en 1751, dans le numéro d'octobre des Mémoires de Trévoux où les jésuites consacrent 10 pages élogieuses à la théorie de la Terre du président. C'est l'occasion, pour eux, d'opposer Buffon et de Robien, ce qui accorde à ce dernier une importance qui nous apparaît aujourd’hui sans rapport avec le mérite scientifique de ses travaux.
La Description ... a, semble-t-il, été rédigée en plusieurs étapes, mais la majeure partie du travail date de la période 1727-1737. Le texte a été repris et complété en 1754 et 1755 et la préface est datée de 1751.
Le manuscrit, qui comprend 367 feuillets et 141 illustrations, est divisé en trois parties :
- Description historique et topographique de l'ancienne Armorique ou Petite Bretagne, de la conquête des Romains jusqu'au passage des Bretons insulaires dans la province.
Cette première partie doit beaucoup à d'Argentré et à Lobineau mais de Robien signale toutefois qu'il a visité tous les sites et 80% des illustrations sont originales.
- Description historique et topographique de l'ancienne Armorique ou Petite Bretagne du passage des Bretons insulaires jusqu'à présent.
Il s'agit là d'une tentative de synthèse des travaux de d'Argentré, Piganiol de la Force et quelques autres historiens bretons. Seulement 45% des illustrations sont originales et de nombreux chapitres sont inachevés et comportent des « blancs ».
- Description historique et naturelle de la province de Bretagne.
Cette partie est presqu'entièrement originale et constitue la première histoire naturelle de Bretagne et l'une des premières du Royaume. Elle est conçue comme un inventaire des ressources de la province. On y traite ainsi de l'agriculture, des eaux douces, des carrières, des mines, des forges et, enfin, du milieu littoral.
Sans faire un inventaire précis des différents thèmes abordés dans la Description... on peut cependant retenir quelques traits marquants :
* les illustrations sont abondantes et sont, pour une certaine part, de la main du président ;
* parmi ces illustrations on doit souligner la présence d'une Carte des fossiles de Bretagne. Ce document localise les mines et carrières de Bretagne et est accompagné d'une légende de la main du président qui comprend 69 « signes chimiques ». Dans sa conception, cette carte n'est pas sans rappeler la Carte minéralogique où l’on voit la nature des terreins qui traversent la France et l'Angleterre, dessinée par Buache pour Guettard en 1746 ; elle doit être considérée comme la première carte minéralogique de Bretagne ;
* en ce qui concerne la faune et la flore, les pièces figurées proviennent du cabinet d'histoire naturelle et correspondent, le plus souvent, à du matériel breton ;
* le président réfute l'idée, classique à l'époque, que les haches en pierre polie puissent être des « pierres de tonnerre » et les considère comme des outils des anciens gaulois ;
* de Robien s'intéresse beaucoup à la question des Vénètes et au problème de leur capitale que le grand historien d'Argentré a localisé à Vannes mais qui, pour les érudits locaux, aurait occupé l'emplacement de Locmariaquer.
Concentrant son attention sur Locmariaquer, de Robien fait, pour la première fois, dessiner tous les vestiges visibles et les reporte avec beaucoup de précision sur un plan du bourg, réalisant ainsi un des premiers relevés archéologiques de Bretagne. De plus, il s'intéresse aux tumulus présents dans les environs et refuse d'y voir des ruines de châteaux forts ou de constructions militaires de César. La présence, dans la région, de nombreux menhirs, le conduit à comparer tous ces vestiges avec ceux laissés ailleurs en Europe par les barbares du Nord. et à les attribuer aux Gaulois, les tumulus étant interprétés comme des tombeaux. En Bretagne centrale, le président adopte le même raisonnement avec le dolmen de la Roche-aux-Fées dont il est certainement le découvreur et dont il fait réaliser un dessin et un plan très précis.
En ce qui concerne les alignements de Carnac, qu'il fait également dessiner, de Robien reste hésitant et, s'il les qualifie de tombeaux gaulois, tout en leur gardant leur nom local de Camp de César, il reste très perplexe sur la signification du site.
Le président est pratiquement le premier à donner une grande importance aux Gaulois dans l'histoire régionale et en cela il s'éloigne très nettement de la plupart de ses contemporains, pour lesquels tous les monuments mégalithiques sont l'œuvre des Romains.
Souvent confus et pesant, cet ouvrage reste cependant l'une des premières études de la Bretagne conduite scientifiquement et apparaît comme l'œuvre d'un aristocrate érudit. Bien qu'il soit resté souvent prisonnier de son milieu, le président de Robien n'a pas hésité à remettre en cause un certain nombre de croyances bien ancrées. La Description... a permis de montrer que les Bretons n'ont pas à rougir de leur passé et que la Bretagne, par ses ressources et son activité, n'est pas la terre ingrate et arriérée que beaucoup imaginent au milieu du XVIIIe siècle.
Si l’on en croit Desforges-Maillard, Christophe-Paul de Robien a « tenté plusieurs fois de jeter les fondements d'une Académie » en Bretagne. Bien que les sources disponibles soient rares on connaît cependant deux de ces tentatives.
En 1727, de Robien et son beau-frère de Chateaugiron élaborent un projet de création d'une académie à Rennes. Ce projet est présenté à Mellier, alors Maire de Nantes, qui a été récemment chargé de créer une académie à Nantes, mais qui envisage sérieusement d'abandonner, face à l'indifférence générale. Mellier propose alors de créer une académie à Rennes, en correspondance avec Nantes. A cette date, la Bretagne n'est pas en retard sur le reste du Royaume où l'on compte seulement trois villes parlementaires ayant une académie : Toulouse, Bordeaux et Pau. On sait que le projet sera transmis au Maréchal d'Estrées, alors représentant du roi en Bretagne, mais on perd ensuite sa trace et les archives restent totalement muettes.
En 1738, le président reprend le projet d'académie. Ce nouveau projet est très complet et orienté principalement vers les domaines scientifiques et vers leur utilité pour la province : recherches sur la qualité des toiles bretonnes, des céréales, des farines, perfectionnement de l'industrie du papier et du verre etc. Ce nouveau projet, comme son prédécesseur, n'aura aucune suite, mais les archives font état « d'une fin de non recevoir d'un ministre de Louis XV », sans doute Maurepas.
A quoi doit-on attribuer ces deux échecs successifs ? Les raisons possibles sont probablement complexes et diverses mais on peut penser que la Bretagne, étant traditionnellement un foyer d'agitation, et les braises de l'affaire Pontcallec étant encore brûlantes, le pouvoir central a voulu éviter d'encourager le particularisme breton. Il est également vraisemblable que le haut clergé rennais a craint que l'académie ne devienne un foyer janséniste. A tout cela il faut certainement ajouter le poids des dissensions idéologiques au sein des élites locales, tant sur les relations de la province avec la couronne que sur l'attitude vis-à-vis des jésuites, fortement implantés à Rennes.
A partir de la publication des Nouvelles idées..., de Robien, qui était surtout connu comme collectionneur, voit se développer sa réputation de savant. Les jésuites lui ont fait de la réclame dans les Mémoires de Trévoux et, en 1752, leur représentation annuelle est une allégorie, dans laquelle la ville de Rennes est représentée en Rome incendiée et le président en ... Pline ! De plus ils ont annoncé à son de trompe la parution prochaine de la Description..., annonce relayée à plusieurs reprises, en particulier par Desforges-Maillard.
De son vivant, le président n'apparaît pas comme un inconnu des milieux scientifiques parisiens et, si l'on ignore presque tout de ses relations dans la capitale, on sait qu'il a rencontré Bouguer et Maupertuis et qu'il est très lié avec Desforges-Maillard, Dezallier d'Argenville et du Fay, alors intendant du Jardin du Roy.
Le 20 février 1755, le président de Robien devient membre externe de l'Académie de Berlin où il se retrouve en compagnie de Français illustres comme d'Alembert, Bernouilli, Maupertuis et Voltaire. Il est très fier de cette nomination mais, affichant une grande modestie, il écrit en août de la même année : « Je connois mon insufisance que le dérangement de ma santé augmente encore et a la place des talents que je n'ay pas, je ne puis offrir que mon amour constant pour les sciences, mon respect pour les savants et un grand désir de m'instruire ». Comme le montre cette correspondance, la santé du président est déjà altérée ; il meurt à Rennes le 5 juin 1756 et il est inhumé aux Carmes de Quintin le 9 Juin.
Connu de son vivant comme collectionneur et savant, le président de Robien tombe dans l'oubli pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle. La préservation de ses collections et de sa bibliothèque, grâce au legs fait à son fils et à la saisie révolutionnaire, va permettre à son œuvre de faire une réapparition éclatante au XIXe siècle, au cours duquel de nombreuses publications lui sont consacrées.
Le dépôt des livres et des objets d'art dans des établissements ouverts au public a assuré la renommée du président comme bibliophile et comme « curieux » et diverses expositions récentes ont contribué à maintenir vivace la mémoire de l'amateur d'art : le Louvre en 1972 et 1987, Rennes en 1972 et 1990. Qu'en est-il de sa renommée de savant ? En effet, ses écrits publiés sont restés très modestes jusqu'en 1974, date de l'édition de la Description.... Il revient aux spécialistes d'analyser les bases de la renommée d'historien de Christophe-Paul de Robien et nous nous bornerons ici aux volets naturalistes et archéologiques de son activité.
Le naturaliste
Dès 1857, on reconnaît que cette partie de l'œuvre de Christophe-Paul de Robien est largement dépassée. Toutefois, la mémoire du président reste très vive au sein du Musée d'histoire naturelle de Rennes et l'ouvrage de Houlbert (1933), consacré à l'établissement, lui est dédié. On remarquera que dans cette histoire du musée, et à côté du portrait du dédicataire, figure également, parmi les portraits des conservateurs, celui de Paul-Christophe-Céleste, sans doute pour le remercier d’avoir, en émigrant, préservé les collections de son père et assuré leur intégration au patrimoine. Jusqu'à cette période, c'est surtout la mémoire du collectionneur qui est honorée.
La destruction partielle du musée pendant la Seconde Guerre mondiale est suivie par sa fermeture définitive et la partie préservée des collections est récupérée par l'Université. A partir de cette date, on voit se développer un renouveau de la renommée scientifique du président. Ainsi, est-il cité en 1957 dans l'Histoire de la science de Daumas et, en 1963, Yves Milon le qualifie de « précurseur de la géologie bretonne ».
L'archéologue
Depuis Maudet de Penhoët, au tout début du XIXe siècle, les travaux du président de Robien sont devenus une référence incontournable en matière d'archéologie armoricaine et, très récemment, il a été qualifié de « premier préhistorien de France à avoir travaillé sur le terrain ». Il est bon de rappeler ici certains aspects importants de son rôle dans le développement des recherches préhistoriques en Bretagne.
En 1870, le fonds de Robien a constitué le noyau initial du musée d'archéologie avec, entre autres, la première collection de haches en bronze jamais réunie dans la province. Le président est le découvreur de certains monuments importants et, dans la Description..., sont figurés des vestiges, aujourd'hui totalement ou partiellement disparus. Il faut enfin rappeler que le président est le premier à avoir établi le caractère funéraire des tumulus et des dolmens et à avoir retiré aux Romains la paternité des monuments mégalithiques pour l'attribuer aux Celtes.
Au terme de cet examen rapide de la carrière de Christophe-Paul de Robien, replacée dans l'environnement économique, politique et intellectuel de la première moitié du XVIIIe siècle, le président à mortier du parlement de Rennes nous apparaît comme un « curieux » et un authentique savant des Lumières, issu de la noblesse parlementaire de province. Ses ambitions nobiliaires ont été réalisées puisqu'il est le chef de la branche aînée d'une des plus illustres familles de Bretagne et que sa fortune patrimoniale est l'une des plus importantes de la province. Il en est de même pour ses ambitions parlementaires : président à mortier à 26 ans ! Enfin, malgré l'échec de ses projets de création d'une académie, ses ambitions scientifiques se sont réalisées, quoique tardivement, avec son accession à l'Académie de Berlin.
Le président de Robien reste marqué, comme beaucoup de ses contemporains, par un certain nombre de contradictions : d'un côté il aspire à être considéré comme un grand et veille à avoir, en province, un mode de vie et des goûts au plus près de ceux de la Cour mais, d'un autre côté, ses travaux historiques et scientifiques sont conduits dans le but d'affirmer les particularismes bretons.
Certes, la renommée de Christophe-Paul de Robien ne dépasse guère Rennes et la Bretagne mais, dans ces limites, et pour reprendre une expression de Gauthier Aubert (2001), le président fait figure de « monument historique régional ».
AUBERT, G. (2001). Le président de Robien, gentilhomme et savant dans la Bretagne des Lumières. Collection Art et Société. Presses universitaires de Rennes. 396 p.
HOULBERT, C. (1933). Le Musée d’histoire naturelle de Rennes. Imprimerie Oberthur, Rennes. 242 p.