TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.IX (1995)

Alain PERRODON
Un siècle de recherches pétrolières

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 8 mars 1995)

Comme toute histoire, celle du pétrole a une longue préhistoire. A vrai dire cette "huile de la terre" est d'abord et pendant longtemps utilisée sous sa forme pâteuse de bitume. Les récits de la Bible nous rapportent le rôle de ce produit si abondant en Mésopotamie pour calfater les embarcations ou cimenter les pierres des Ziggourats et vers le Vllème siècle avant J.-C. pour fabriquer le feu médique. Les Romains étendent ces applications à l'éclairage et à la lubrification des roues de chars. Le Moyen-Age valorise à des fins médicinales les produits plus liquides de certaines sources, comme celles de Pechelbronn en Alsace ou de la font de l'Oli à Gabian en Languedoc. Le pétrole vendu en petites fioles est recommandé pour le traitement des affections pulmonaires, des hépatites et de maintes autres affections. Comme les Européens le découvrent chez les indiens d'Amérique, les sources du pétrole jalonnent aussi bien les sentiers de la paix que ceux de la guerre.

L'aube des temps modernes : les XVIIIème et XIXème siècles.

Après la longue stagnation de l'Antiquité et du Moyen Age, l'histoire du pétrole s'accélère à partir du XVIIIème siècle en se modifiant profondément sur deux registres. Sur le plan des utilisations, l'éclairage d'abord, les transports un siècle plus tard, lui ouvrent des perspectives nouvelles.

En 1780 l'invention du brûleur par Quinquet et Lange, en France ouvre la voie à l'éclairage, une voie royale qui sera détrônée par l'électricité un siècle plus tard. Application plus importante à la fin du XIXème siècle avec l'invention des moteurs à explosion (1887) et à combustion (1897) qui vont révolutionner les transports et accroître considérablement la demande de pétrole.

Sur le plan de l'offre, les inventions et les transformations ne sont pas moins profondes. Les premiers progrès concernent la distillation qui permet d'obtenir à partir de bitumes ou de schistes bitumineux des produits liquides plus clairs, plus propres et plus performants.

Les distilleries se multiplient ainsi tout au cours du XVIIIème siècle dans les Carpates, dans la province de Bakou, en France, en Amérique du Nord. Le pétrole se substitue ainsi progressivement à l'huile de baleine à la fin du siècle.

Mais la découverte majeure du XIXème siècle est incontestablement l'exploitation directe de pétrole liquide par forage. On fait traditionnellement remonter cette invention à la découverte d'Oil Creek en 1859 en Pennsylvanie par le "colonel" Drake. En réalité, du pétrole liquide était déjà exploité à cette époque souvent par des puits à main, dans les Carpates, à Bakou et en quelques points d'Amérique du Nord.

La découverte d'Oil Creek n'en marque pas moins (on dirait aujourd'hui par son impact médiatique) le point de départ de la grande épopée du pétrole. Dès 1860 la production mondiale est évaluée à 100.000 T. Elle atteindra 10 MT en 1890, 20 MT à la fin du siècle.

Sur le plan des concepts, les changements sont aussi importants. Jusqu'à la fin du XIXème siècle, on puisait le pétrole là où il apparaît en surface, le plus souvent en le récoltant sur des sources, en exécutant des tranchées et des puits à main pour en faciliter la collecte. Un peu plus tard les prospecteurs, tels Drake, exécutent des forages, d'abord par percussion, au voisinage d'indices de pétrole en surface.

Cependant dès le XIXème siècle les géologues entrent en scène. Ils analysent la situation des venues de pétrole, observent des relations entre celles-ci et les structures anticlinales. En 1836, Hildreth constate ces relations dans l'Ohio. En 1860, Rogers les confirme en Pennsylvanie, puis Hunt en 1860, avant de les préciser par un long article dans le bulletin de la Société géologique de France en 1887. Entre temps, von Abich est arrivé aux mêmes conclusions dans le Caucase à partir d'observations qu'il publie en 1864, également à la Société géologique de France. Enfin I.C. White, souvent considéré, un peu à tort, comme le père de la règle anticlinale, fait la synthèse de toutes ces observations en 1885.

De la théorie, on passe prudemment à la pratique avec l'embauche des premiers géologues dans une entreprise pétrolière par les frères Nobel, à Bakou en 1885 puis par la formation du premier service géologique pétrolier par la Royal Dutch dans les Indes néerlandaises en 1898. Mais l'appui de la géologie dans la prospection pétrolière se fait lentement et non sans réticences, malgré les efforts et les connaissances des géologues des Services géologiques fédéraux des Etats-Unis. Les prospecteurs tiennent à garder leur indépendance en se fiant à leur expérience et souvent au hasard. Non sans quelques succès, il faut le reconnaître. Mais les forages sur anticlinaux, d'abord avec indices, puis plus difficilement, en l'absence d'indices, se généraliseront au tournant du siècle.

Le XIXème siècle, siècle du pétrole.

Le XIXème siècle restera sans conteste le siècle du pétrole. Poussées par une demande en croissance rapide, l'exploration et la production se développent à un rythme accéléré.

La demande c'est d'abord celle de carburants pour les transports. Pour ne prendre qu'un exemple, le parc automobile des Etats-Unis s'accroît de 33% par an entre 1910 et 1930. Dès 1911, les carburants deviennent le premier débouché du pétrole dans le monde.

Par la suite, l'élévation du niveau de vie et la croissance de la population relayent cette demande initiale.

Cette demande est assurée par une offre en croissance exponentielle. La production mondiale de pétrole vole ainsi de records en records (fig. 1) :

-100 MT en 1920
-300 MT en 1940
-500 MT en 1950
-1000 MT en 1960
-2300 MT en 1970
-3000 MT en 1980

Cette croissance est rendue possible par la découverte de réserves considérables, celles-ci passant de quelque 5.000 MT avant 1940 à quelque 120.000 MT aujourd'hui. Longtemps les Etats-Unis ont fait la course en tête, leur production représentant jusqu'en 1945 sensiblement les 2/3 du total mondial. Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale leur part n'a cessé de décroître pour tomber aujourd'hui à 12%.

Des découvertes majeures ont en effet été réalisées au cours de ce dernier demi-siècle sur la plupart des autres continents et d'abord au Moyen-Orient. Ces succès sont le fruit de progrès techniques considérables mis en oeuvre dans le cadre de nouveaux concepts géologiques.

Les progrès techniques concernent en premier lieu les disciplines géophysiques et tout particulièrement la sismique et les diagraphies.

La première donne aujourd'hui une image précise, souvent en trois dimensions, de l'architecture profonde des bassins et permet de définir très précisément les pièges où le pétrole a pu s'accumuler et, dans certains cas, directement la présence de gaz. Le développement du forage Rotary accroît par ailleurs de façon spectaculaire l'efficacité du forage. L'application de ces techniques a été grandement valorisée par la formulation de nouveaux concepts géologiques et tout d'abord celui de la tectonique des plaques. Cette théorie a induit une nouvelle approche dynamique des bassins et des systèmes pétroliers permettant une plus fidèle interprétation des données physiques et une meilleure approche des bassins nouveaux.

S'appliquant à de vastes domaines encore largement inconnus, les nouvelles prospections ont permis à partir des années 50 l'émergence d'une cohorte de nouveaux pays pétroliers comme le Canada, l'Arabie, la Sibérie, l'Algérie, la Libye, le Nigeria, la mer du Nord.

Situation actuelle et perspectives.

Aujourd'hui [1995] la production mondiale de pétrole sensiblement étale depuis la fin des années 70 se maintient à hauteur de 3.200 MT portant la production cumulée à quelque 100.000 MT. Les réserves prouvées sont estimées à quelque 120.000 MT reparties dans une centaine de pays. Dans la réalité, la situation actuelle est pleine de contrastes. Le Moyen Orient produit 30% de la production mondiale avec des réserves correspondant aux 2/3 de celles du monde.

A contrario, les gisements "off shore" produisent actuellement le tiers de la production mondiale avec seulement le quart des réserves, les conditions techniques et financières liées aux opérations marines imposant cette exploitation accélérée.

L'augmentation artificielle des prix du brut par les pays exportateurs à faible prix de revient dans les années 70 a eu pour conséquence l'exploitation de pétrole techniquement coûteux à produire comme ceux de la mer du Nord et d'Alaska et une baisse de la production des pays du Moyen-Orient (fig. 1).

Autre contraste : la moitié des réserves mondiales, ont été découvertes depuis 1960, mais les réserves restant aujourd'hui à découvrir ne représentent plus guère que 15 à 20% de ce qui a déjà été trouvé. Et nous savons que les 30 000 à 50 000 MT encore inconnus seront plus difficiles et plus coûteux à découvrir, en dépit des progrès techniques que l'on peut raisonnablement espérer.

Nous sommes aujourd'hui en période d'abondance de pétrole avec des prix faibles mais nous ne pouvons que nous attendre à entrer dans les prochaines décennies dans une période de pénurie et de prix élevés, la production mondiale devant commencer à décliner au début du prochain siècle (fig. 2).

Aussi faut-il, dès maintenant, réserver le pétrole à ses usages non substituables. comme les carburants ou la pétrochimie

Oui, le XXème siècle est vraiment le siècle du pétrole.

Pour en savoir plus.

A. Perrodon
Histoire des grandes découvertes. Elf, 1985
Le pétrole à travers les âges. Boubée, 1989.

E. Dalemont et J. Carrie Owen
Le pétrole. Que sais-je ? PUF, 1992.
Trek of the oil finders. Mem. Amer. Assoc. Petr. Geol Tulsa, 1975.

A. Morange, A.Perrodon et F. Héritier
Les grandes heures de l'exploration du Groupe Elf Aquitaine - Elf, 1992.

J. Connan et O. Deschesne
Le bitume à Suse. Collection du Musée du Louvre. Elf, 1996.