TRAVAUX DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.VI (1992)

François ELLENBERGER
Commémoration du bicentenaire de la naissance de Roderick Impey Murchison (1792-1871).

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 25 novembre 1992)

Roderick Impey Murchison a joué un rôle de premier plan dans l'établissement de la stratigraphie du Paléozoïque européen. A ce titre, il mérite qu'en cette année 1992 son nom et sa carrière soient brièvement évoqués.

Heureux bénéficiaire de solides revenus privés, il se détourna en 1824 des plaisirs de la chasse au renard pour s'adonner pleinement à la géologie. Les quinze années suivantes furent avant tout consacrées à explorer les marches du pays de Galles, aux fins de percer le secret des formations sous-jacentes au Vieux-Grès-Rouge, encore vaguement qualifiées de "Grauwacke" des terrains de Transition. Il put y mettre en évidence toute une séquence de formations caractérisées par des faunes d'Invertébrés, et nomma le tout "Système silurien" (cf. son mémorable ouvrage de 1839). Murchison était un fervent partisan de la supériorité des fossiles sur la lithologie pour la datation des formations : dès 1826, il démontra de cette façon que la série à charbon de Brora (Ecosse) est d'âge jurassique et non carbonifère. Plus tard, il soutint contre Charles Lyell le fait de la progression des faunes.

Passablement imbu de ses mérites, il eut parfois le mauvais rôle dans des controverses célèbres, d'abord avec De La Bêche sur l'âge des terrains du Devonshire, puis avec Sedgwick sur l'existence même du Cambrien gallois : il tenait énormément à ce que ce soit dans son Silurien qu'on ait les premiers organismes apparus sur la terre. Par ailleurs, cet homme d'une grande activité et féru de voyages contribua à démêler la stratigraphie du Paléozoïque de Russie et à définir le Permien. Il alla étudier de près les structures alpines. Instruit sur le terrain notamment par Arnold Escher Von der Linth, il fait mieux connaître au public les superpositions anormales relevées en Suisse, et notamment celle, grandiose, de Glaris : il parle de "grand inversion", "lateral extrusion", "enormous overthrow" (1849). Ce stratigraphe célèbre avait en effet aussi un coup d'oeil remarquable en matière de structures. Il acceptait la notion de métamorphisme, mais ne put se faire à la glaciation quaternaire.

Ce très grand géologue de stature européenne était un catastrophiste affirmé, ce qui n'a pas nui à ses travaux. A partir des années 1840, il devient rigide, autoritaire, tolérant de moins en moins les novations scientifiques. Et déjà auparavant, il manifestait un don consommé d'utiliser les travaux de ses prédécesseurs en s'attribuant tout le crédit de leurs découvertes. Il appartient à l'historien de rétablir patiemment la vérité. Ne lire que les oeuvres des grands protagonistes est le plus sûr moyen de n'avoir qu'une vue biaisée des choses.

N.B. Le peu qui précède est largement extrait des articles de nos deux confrères Martin Rudwick (Dict. Scient. Biography, article "Murchison", et de Hugh Torrens, "The scientific ancestry and historiography of The Silurian System", Journ. Geol. Soc, London, vol. 147, 1990, p.657-662.