TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.XIX (2000)
Gabriel GOHAU
In Memoriam : Théodore Monod
(9 avril 1902 - 22 novembre 2000)

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 6 décembre 2000)

L'an 2000 aura vu partir deux membres éminents de notre comité, l'un et l'autre êtres d'exception. Dans les premiers jours de l'année, François Ellenberger, président-fondateur nous quittait. Et le 22 novembre, c'est Théodore Monod, vice-président et membre du COFRHIGEO depuis ses origines qui s'éteignait doucement, suite à une attaque cérébrale qui l'avait terrassé quelques mois plus tôt.

Né le 9 avril 1902, à Rouen, Théodore Monod était connu de nous tous, car il était fidèle à nos réunions. Et lorsqu'il était absent, nous pouvions être sûrs qu'il était au désert, le seul lieu pour lequel il nous faisait une infidélité. Nous nous promettions tant de fêter son centenaire que son décès fut pour nous un très grand chagrin. Sa vie entière fut consacrée à l'histoire naturelle. Il n'a que cinq ans quand son père, pasteur et fils de pasteur, installe sa famille près du Muséum de Paris. A 14 ans, il rédige sa première relation d'un voyage zoologique et botanique.

« Naturaliste d'exception » précisait le titre du volume édité lors de ses 95 ans, à l'occasion d'une belle séance d'hommage dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne[1]. Jean Fabre avait parlé de sa géologie. Je le remercie d'avoir bien voulu dire aujourd'hui quelques mots après mon propos. Pour ne pas interférer avec son exposé, je ne dirai rien de Monod géologue. Mais il se consacrait à tant d'activités qu'il ne nous est pas permis de faire mieux qu'une brève allusion aux principales.

Botaniste-voyageur, il avait décrit en 1940 une plante récoltée au Tibesti, et nommée, en son honneur, Monodiella flexuosa, par le docteur René Maire en 1943. Sa diagnose ayant brusquement été contestée cinquante ans plus tard, par un botaniste anglais qui pensait que l'espèce récoltée appartenait à un genre déjà décrit, il n'eut de cesse, dans les années 1990, de recueillir de nouveaux échantillons : je lui demandais où il en était à chacune de nos réunions. Hélas, il venait encore d'échouer dans sa tentative au moment où la maladie le cloua au lit.

Mais, bien sûr, il était d'abord zoologiste. En 1922, il est assistant au Muséum (chaire des Pêches et Productions coloniales d'origine animale). En 1938, il installe sa famille à Dakar, où il crée l'Institut français d'Afrique noire (I.F.A.N.). Quatre ans plus tard, il est nommé professeur au Muséum et directeur du laboratoire des Pêches d'outre-mer. Après sa retraite, il continuera de fréquenter le Muséum où il conservera son bureau sa vie durant. En 1948, il avait plongé au large de Dakar dans le bathyscaphe du professeur Piccard.

Et puis, bien sûr, il y a l'homme engagé, dont nous ne pouvons nous dispenser de dire un mot. En 1940-1941, il fait une série de causeries hebdomadaires à la radio de Dakar. J'aime à relire sa dernière causerie qui me fait sourire par la liberté avec laquelle il parle de l'arche de Noé (le pasteur de sa paroisse dira, lors de ses obsèques, combien il aimait poser des questions embarrassantes à ses ministres du culte). Elle fut censurée car il y discutait, sous prétexte que Noé, disait-il, voulait un couple humain de chaque race, de la distinction entre Aryens et Juifs, pour montrer, naturellement, que cette classification est « stupide ». Le texte de ces causeries a été réédité en 1993 dans l'ouvrage L'hippopotame et le philosophe, Actes Sud.

En 1944, il fait partie de ceux qui accueillent Charles de Gaulle à Dakar. En 1960, il signe le manifeste des 121, sur le droit à l'insoumission. En 1966, il fonde avec Jean Rostand le Mouvement contre l'arme atomique et, chaque année, le 6 août, anniver­saire d'Hiroshima il marche jusqu'à Taverny[2] pour protester. Enfin, il est de tous les combats pour les démunis et pour les animaux : contre la chasse et les corridas, pour le droit de l'animal, pour le droit au logement (DAL), contre l'alcool et le tabac.

C'est cet homme exceptionnel, ce citoyen exigeant avec lui comme avec les autres, rigoureux à l'extrême, que nous venons de perdre. Et plus spécifiquement, pour notre comité, c'est aussi le géologue saharien, dont Jean Fabre, qui fut son proche, va nous parler maintenant.



1)     BILLARD, R. & JARRY, I. (Coord.) (1997). Hommage à Théodore Monod, naturaliste d’exception. Muséum national d’Histoire naturelle, collection Archives, Paris.
Théodore Monod était Grand officier de la Légion d'honneur. Il avait tenu à se faire remettre sa décoration par Jean Coulomb.

2)     Siège du Commandement des Forces aériennes stratégiques