TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Première série -
(1979)

François ELLENBERGER
Origine et histoire du terme Horizon en Géologie et Paléontologie : un exemple d'éclatement sémantique.

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 29 mars 1979)

Dans sa séance du 5 Décembre 1978, le Comité français de Stratigraphie a entendu deux exposés autorisés sur l'horizon en tant qu'unité de base, matérielle, de la biostratigraphie, par MM. D. Contini et H. Tintant. Pour le premier, l'horizon est "l'unité biostratigraphique que l'on ne peut plus diviser sur le plan régional" et c'est "une unité concrète qui comprend une tranche de sédiments et une faune homogène". Elle est plus petite que la zone. La succession des horizons (en l'occurence définis par des Ammonites) "donne une échelle de temps plus précise que toutes les autres" (27 horizons dans le Toarcien du Poitou, 26 dans le Carixien de Bourgogne).

Or, pendant ce temps, outre Atlantique, les glossaires géologiques successifs entendent fort orienter différemment l'emploi du terme horizon : (en laissant ici de côté le sens pédologique), l'horizon est : "The surface separating two beds and hence having no thickness" (Dictionary of geological terms, American Geological Institute, 1974, p. 236). Le key horizon (horizon clef) est: "The top or bottom of a bed or formation or a particular layer of fauna or flora that is so distinctive as to be of great help in stratigraphy and structure". - Le Glossary of geology (même éditeur, 1972) tout comme J.M. Weller (Stratigraphic principles and practice, 1960) déconseillent comme impropre l'emploi du terme horizon pour désigner une biozone ou une unité lithostratigraphique mineure et rappellent les recommandations de l'American Stratigraphic Commission "that horizon be recognized as being without thickness" (Weller, p. 439)

Il nous a donc paru intéressant de faire l'historique de ce terme en géologie, non pas tellement pour savoir qui a tort ou raison, des Français ou des Américains, mais pour analyser le pourquoi des fluctuations et divergences du sens qui lui a été attribué successivement et simultanément. Cette étude ne prétend pas être exhaustive.

Etymologie. - Horizon est un terme préexistant à la Géologie et comme tel, doté d'une inertie sémantique qui ne peut manquer d'influer sur les redéfinitions ultérieures spécialisées. C'est originellement un terme grec, participe présent actif du verbe horizein qui signifie limiter, borner, délimiter, fixer la ligne frontière. C'est le "délimitant", et plus spécialement, la ligne qui borne la vue, et en astronomie, la projection à l'infini du plan contenant l'observateur et perpendiculaire à la verticale du lieu. Tel est le double sens resté attaché au terme horizon passé du grec au latin et du latin au français.

A parler strictement, l'horizon est une entité spatiale géométrique, instrument de délimitation de deux domaines, l'un inférieur, l'autre supérieur; il y a autant d'horizons que d'observateurs et de lieux d'observations, mais un seul en chaque site considéré. Il n'a en principe ni volume, ni épaisseur. - Voyons donc dans quelle mesure les premiers introducteurs de ce terme en géologie ont respecté cette hérédité étymologique.

Alexandre von Humboldt et Elie de Beaumont. - Nous sommes dans la décade 1820-1830, marquée par une intense activité d'exploration et de systématisation dans tous les domaines de la Géologie, et spécialement en stratigraphie. Le principe de la datation des terrains par leurs faunes vient à peine d'être formulé par William Smith en Angleterre, Cuvier et Brongniart en France, mais n'est encore ni accepté de tous, ni même encore aisément applicable avant le Tertiaire faute d'un inventaire suffisant des faunes. D'énormes questions sont encore posées quant à la corrélation des stratigraphies respectives d'Angleterre, désormais bien au point, et d'Allemagne du NE, lentement élaborée depuis Lehmann et Fuchsel par l'école de Gottlob Werner, mais restée essentiellement lithostratigraphique. Le Trias est mal développé en Angleterre, le Jurassique manque en Saxe, où l'on a tendance à trop rajeunir Zechstein et Muschel-kalk,derniers termes fossilifères.

En 1825, Elie de Beaumont entreprend l'exploration détaillée et méthodique de la moitié NE de la France dans un esprit "géognostique", c'est-à-dire d'analyse objective, positive, de la constitution du sous-sol dans les trois dimensions. Il publie en 1828 dans les Annales des mines ses "Observations géologiques sur les différentes formations qui, dans le système des Vosges, séparent la formation houillère de celle du Lias". Ce titre est significatif, et dès l'introduction, l'auteur l'explicite ainsi :"Dans l'étude de la constitution géologique d'un pays d'une certaine étendue (...), il paraît convenable de s'occuper d'abord des terrains qui s'étendant à de grandes distances, et franchissant les limites des systèmes de montagnes et des bassins hydrographiques sans changer sensiblement de caractères fournissent, partout où ils se montrent, un point de repère assuré, et forment (...) une sorte d'horizon qui peut servir de point de départ pour fixer l'ancienneté relative des couches situées au-dessus et au-dessous". - Puis Elie de Beaumont mentionne un certain nombre de formations et de couches qui peuvent jouer ce rôle : le terrain houiller, le Lias, les premières couches tertiaires "y présentent des horizons géognostiques très nets", de même que le Muschelkalk, certaines couches du terrain oolithique, le "grès vert", la craie.

Ainsi donc, pour l'ingénieur des mines Elie de Beaumont, l'horizon (géognostique) est le "repère assuré" offert par certains terrains et qui permet de "fixer l'ancienneté relative des couches situées au-dessus et au-dessous". Si nous comprenons bien, l'horizon n'est pas le "terrain" lui-même mais le niveau de référence abstrait que forme ce terrain, ou que ce terrain présente, essentiellement aux fins de sjparer deux domaines, l'un inférieur, l'autre supérieur. Nous sommes donc très près du sens étymologique.

En 1834, dans son Traité de géognosie, Amédée Burat, qui suit de près Elie de Beaumont dans ses descriptions stratigraphiques, précise ainsi cette notion d'horizon géognostique : "La première nécessité est de rechercher des points fixes, afin de déterminer ensuite de proche en proche le rang des formations et les lignes de démarcations de chacune. On trouve ces points fixes dans certaines formations, qui sont très nettement caractérisées, soit minéralogiquement, soit zoologiquement; et qui servent d'horizons géognostiques, au-dessus et au-dessous desquels viennent se grouper les autres terrains".- Pour Amédée Burat, le "point fixe", l'"horizon géognostique" est dans la couche,mais n'est pas la couche; et celle-ci peut se distinguer du reste par des particularités aussi bien paléontologiques que lithologiques.

Bn fait, il apparaît que Burat en rédigeant son traité fusionne la définition précitée d'Elie de Beaumont (1828) avec celle, initiale, donnée par Alexandre von Humboldt dans son Essai géognostique sur le gisement des roches dans les deux hémisphères (1823, p. 16; 2e edit. 1826, p. 19) (Elie de Beaumont s'y réfère, mais en infléchissant un peu le sens). Pour Humboldt, il importe de distinguer avec soin et de nommer les subdivisions lithologiques des formations locales. Il ajoute : "De minces couches de terrains secondaires et tertiaires, renfermant des assemblages de corps fossiles très caractéristiques ont servi d'horizon au géognoste. On a pu, dans leur prolongement, rapporter à l'une d'elle ce qui se trouve placé au-dessus ou au-dessous dans l'ordre de la série totale". - Ici aussi des couches servent d'horizon (et ne sont pas l'horizon), mais pour Humboldt elles sont explicitement minces. Ces "assemblages de corps fossiles" qui les caractérisent ne semblent pas, d'après le reste du livre, être uniquement des organismes. Il serait excessif d'enraciner chez Humboldt la définition purement biostratigraphique de l'horizon. Mais chez ce grand voyageur, c'est bien toujours la notion originelle de surface de séparation repère qui sous-tend l'introduction de l'horizon en géologie.

A dire vrai, ce terme d'horizon est encore peu usité dans toute la période 1820-1850. Humboldt lui-même, ayant posé ce concept au début de l'ouvrage précité, n'y revient plus, ou parle simplement de "repaires" (sic). Le terme ne figure pas dans les tables de la Société géologique de France pour les Bulletins 1830-1892. Nous n'avons rien trouvé non plus dans les manuels ou traités de N. Boubée (1833), Reboul (1835), Chaubard (1838), Huot (1840), Barruel (1839), Conybeare et Phillips (1822), de la Bêche (1831), Buckland (1836), J. Phillips (1855), ni dans le Dictionnaire universel d'histoire naturelle (1845).

L'horizon au sens original de repère délimitant, selon Humboldt et Elie de Beaumont, reparaît encore dans le Grand dictionnaire Pierre Larousse (1866-1876), mais en perdant son caractère abstrait : désormais l'horizon est un objet concret, du moins en France. A l'article HORIZON, on lit en effet : "Géol. Horizon géologique. Formation bien caractérisée, qui peut servir de point de départ pour étudier tous les autres (...)" (suit une citation de Burat).

L'horizon, réalité lithologique ou paléontologique ?

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l'usage du terme horizon va devenir plus courant, du moins en France, mais on va noter une certaine tension entre le sens de repère et celui de couche matérielle concrète, considérée en soi et pour elle-même;-et aussi entre l'aspect lithologique et l'aspect paléontologique. Ces tensions persistent encore aujourd'hui.

Carl Vogt, dans son manuel Lehrbuch des Geologie und Petrefactenkunde (2e édit., 1854), ne fait qu'une seule fois référence à l'horizon (Horisont) dans la table-index, et en l'occurencc, c'est pour conserver à ce mot le sens d'un repère lithostratigraphique exceptionnel. Il décrit en Allemagne, proche de la base du Keuper, un banc dolomitique particulier, très fossilifère. Cette couche (nous traduisons) "par son gisement entre des marnes, forme, (bildet) un horizon aisé à reconnaître, que l'on suit sur de grandes distances, et qu'on a nommé horizon de Beaumont" (op. 375-376).

F. Beudant de son côté en France, dans son Cours élémentaire de géologie (5e édit., 1851, p. 186), cherche à trouver dans la spécificité des faunes (dans l'esprit si l'on veut d'Alexandre Brongniart) des instruments de datation et de classement des strates complémentaires de ceux fournis par la superposition, la continuité et le dérangement des couches. Il écrit :"Les restes organiques (...) nous fournissent aussi les moyens de nous reconnaître au milieu du dédale des couches successives. D'abord il y en a qui sont particuliers à certains dépôts, qui ne se sont jamais montré ailleurs, et gui par conséquent les font désigner nettement comme des horizons géologiques", mais pour Beudant, il ne s'agit ici nullement de niveaux minces; il a en vue les formations respectivement caractérisées par les trilobites, par la gryphée arquée, par l'exogyra virgula, par les baculites et turrilites, formes qui leurs sont exclusives.

Beudant était un représentant de la génération qui a vu naître la stratigraphie, dans ses premiers tâtonnements. Dès la génération suivante, la paléontologie stratigraphique a pris une importance décisive et va permettre, en principe, de dater chaque formation ou assise dans l'absolu et non pas seulement de façon relative, par rapport aux autres. Que devient alors la notion d'horizon ? C'est ce que nous allons rechercher chez trois maîtres de la nouvelle stratigraphie, à savoir Alcide d'Orbigny, Oppel et d'Archiac.

D'Orbigny précise sa méthode dans son Cours élémentaire de géologie et de paléontologie, t. II, fasc. 1, 1351, pp. 260-261 : "Pour faire l'histoire, il faut des dates; or, la date en géologie, comme en paléontologie, c'est l'âge relatif des terrains et des étages, donné par la superposition la plus rigoureuse des couches terrestres (...). Voici, du reste, comment nous sommes arrivés, dans nos recherches, à reconnaître la concordance des limites des terrains et des étages avec les faunes paléontologiques qu'ils renferment et qui en complètent les horizons stratigraphiques". - Suit un exposé de la méthode suivie durant quatorze ans de recherches, d'où il résulte que les même faunes fossiles se retrouvent partout dans un ordre constant de succession verticale, une même faune pouvant se trouver "dans des couches de la nature minéralogique la plus différente. Mous nous sommes alors attaché tout particulièrement à suivre les horizons paléontologiques partout où ils se trouvaient, pour nous assurer s'ils dépendaient d'une époque donnée ou d'un simple faciès local (...)."

Cet idéal d'une subdivision objective de plus en plus poussée des terrains sédimentaires grâce à l'identification d'horizons repères paléontologiques de plus en plus nombreux et serrés va être encore affiné par les beaux travaux d'Albert Oppel, interrompus par sa fin précoce (à 34 ans). Lui aussi se garde de nommer horizons les subdivisions biostratigraphiques qu'il établit au sein des étages ou divisions préexistantes. Pour lui ce sont des zones. Voici l'usage qu'il fait du terme Horizont dans la préface (1856) de son ouvrage Die Juraformation Englands, Frankreichs und des Südwestlichen Deutschlands... (pp. 2-3)(nous traduisons) : déjà Quenstedt a pu subdiviser le Jurassique du Wurtemberg en 18 groupes et a ainsi fait que "de nombreux horizons soient fixés, jusque là observés nulle part ". Mais jusqu'ici, on s'est contenté de mettre en parallèle d'un pays à l'autre des groupes entiers de couches, "sans qu'il soit montré qu'un même horizon marqué en un lieu donné par un certain nombre d'espèces pour lui constantes, se retrouve aussi avec la même sécurité dans des régions éloignées". - Il poursuit : "Il est nécessaire, sans se préoccuper de la constitution minéralogique des couches, de déterminer l'extension verticale de chaque espèce individuelle dans les lieux les plus divers, puis de mettre en lumière ces zones qui, par la présence constante et exclusive d'espèces caractérisées, se distinguent des voisines en tant que (formant des) horizons déterminés", Mais cette mise en évidence des espèces caractéristiques reste souvent à faire : "Que de fois, dans la délimitation d'un horizon, l'on doit se contenter d'un faible nombre d'espèces bien déterminées".

Le terme Horizont n'intervient plus dans le reste de l'ouvrage d'Oppel. Il n'est question que de zones (Zonen); dans le tableau de corrélation final (p. 822), il les définit comme "Lager oder Stufen" (si l'on veut, "couches ou échelons") "c'est-à-dire complexes de couches déterminées paléontologiquement".

D'Archiac en 1862 (Cours de géologie et paléontologie..., 1ère Partie, p. 431) parle incidemment de "la continuité des horizons ou niveaux géologiques déterminés par la présence, sur d'immenses étendues, des mêmes animaux aquatiques marins", qui ont proliféré puis se sont éteints partout en même temps, en offrant ainsi un chronomètre naturel privilégié.

D'Orbigny, Oppel et d'Archiac font ainsi le même emploi du terme horizon. Ce n'est nullement pour eux une subdivision biostratigraphique mineure, ni pour Oppel le synonyme de zone (contrairement à ce qu'affirme Augustin Lombard en 1965 : Géologie sédimentaire, p. 402). Pour tous trois, l'horizon est clairement un niveau-repère, un marqueur, lui-même marqué par sa faune caractéristique. Il ne se confond ni avec cette étape faunistique, ni avec l'assise rocheuse délimitée par cette faune. L'horizon est bien plutôt ici le fait qu'une faune particulière définisse de proche en proche une coupure au sein du continuum sédimentaire. Il importe peu que de nombreuses coupures, de nombreux niveaux-repères existent dans la série : chacun d'eux considéré à part est horizon vis-à-vis du reste.

G. Hébert va introduire en 1864 un point de vue différent. Ses travaux sur la craie et ses surfaces durcies et perforées l'ont persuadé de la valeur des méthodes lithostratigraphiques et des coupures ainsi obtenues indépendamment de la paléontologie. Décrivant la craie glauconieuse et ses subdivisions lithostratigraphiques naturelles (Compte-rendus de l'Acad. des Sciences, t. 58,1864 pp. 475-479), il y distingue huit "horizons constants" d'emblée différenciés par leur lithologie, bien que tous liés par des fossiles communs. Soit qu'il identifie désormais horizon et matière des assises, soit que son exposé soit ambigu, Littré en rédigeant l'article Horizon pour son Dictionnaire de la langue française (1863-1872) se réfère à cette note d'Hébert pour définir ainsi l'horizon "Horizon se dit, en géologie, de couches superposées". La subtile nuance de l'horizon en tant qu'instrument, qu'opérateur de délimitation est pour de bon perdue de vue. La pédologie fera sienne cette conception (encore que chacun de ses horizons, à elle ait sa spécificité propre au sein d'un ensemble organisé).

Cette conception d'Hébert nous ramène tout simplement aux strata des premiers stratigraphes anglais, c'est-à-dire à une succession ordonnée de formations et assises bien caractérisées par l'ensemble de leurs caractères physiques. C'est ce qu'énonçait déjà Whitehurst dans le Derbyshire en 1786 lorsqu'il écrivait : "the strata (...) invariably follow each other, as it were, in alphabetical order, or as a series of numbers (...) insomuch that by knowing the incumbent stratum, together with the arrangement thereof in any particular part of the earth, we come to a perfect knowledge of all the inferior beds, so far as they bave been previously discovered in the adjacent country" (An Inquiry into the Original State and Formation of the Earth, 2e edit., pp. 178-179).

Le Congrès géologique international de Bologne (1881).

Obéissant aux recommandations du premier Congrès géologique international réuni à Paris en 1878, chaque pays avait constitué un Comité national (sous-commission) pour l'unification de la nomenclature géologique, afin de préparer les débats du Congrès devant se réunir à Bologne en 1831. Les rapports des diverses sous-commissions figurent dans les comptes-rendus de ce Congrès (pp.438-514), et l'on peut en extraire les données suivantes, concernant le sens normatif à donner au terme horizon (problème somme toute alors mineur face à des problèmes plus graves comme l'emploi du mot de formation). Nombre de pays n'y font même pas allusion. Parmi les autres des divergences fort instructives apparaissent, où l'on retrouve curieusement certaines préfigurations des positions abruptes américaines actuelles déjà mentionnées.

C'est ainsi que le rapport Espagne-Portugal propose (en français) :"Zone. Unité d'ordre inférieur (...). On préfère le nom adopté à celui d'horizon, car ce mot ne peut s'appliquer étymologiquement qu'à une surface".

L'Italie, après avoir énuméré les divers sens de zone, dont le sens paléontologique, ajoute : "Horizon niveau,(Schichten) peuvent indiquer le synchronisme des zones ou des subdivisions des zones, même dans l'absenco des espèces caractéristiques (...)".

Cf. J.M. Weller, (1960), loc. cit. ;"The word horizon (...) is properly used by geologists (...) to identify a plane or a position within a stratigraphic succession. It is correct to refer to "the horizon of Coal N° 6" at places where the coal is missing".
La Grande Bretagne et l'Irlande abondent dans le même sens ;"Zone (is)(...) always used for a part of a formation characterised by one or more well-marked species, and when such part of a formation is recognized elsewhere by other characters, though the fossils are absent, it is spoken of as the Horizon of that species".

Les deux sous-commissions précédentes proposent donc un sens du mot horizon qui conserve certes un peu de l'aspect abstrait originel, mais en le vidant de sa signification essentielle et étymologique de repère opérationnel.

La sous-commission française, présidée par Hébert, insiste tout au contraire sur le caractère privilégié et singulier de l'horizon :"Horizons. - Quelquefois, certaines zones présentent des accidents mineralogiques ou paléontologiques particuliers, d'une grande extension, comme les gypses de la partie inférieure du Trias, ou les schistes à poissons du Calvados et du Wurtemberg. Ces couches accidentelles, moins constantes que les zones dans lesquelles elles se montrent, porteront le nom d'Horizons. Il pourra y avoir plusieurs horizons de gypse ou d'oolithe ferrugineuse; on dira alors : l'horizon ferrugineux de la zone à Ammonites opalinus (...)." On notera qu'il n'est pas question ici d'identifier l'horizon à une sous-zone paléontologique; on veut garder à l'horizon sons sens implicite de repère concret exceptionnel, qui tranche sur le reste des couches, mais en l'identifiant à une couche.

La Commission internationale, dans son rapport de synthèse signé du Secrétaire général G. Dewalque, propose finalement la définition suivante : "On donne le non d'horizon à une couche ou à une série de couches qui possèdent des caractères tranchés, permettant de les reconnaître aisément sur de grandes étendues de pays. Par exemple, l'horizon ferrugineux de la zone à Ammonites opalinus". - La matérialisation de l'horizon est certes complète; mais son caractère singulier est à nouveau souligné.

Le Congrès de Bologne n'eut pas le temps d'examiner et d'adopter l'article en question. Les Congrès suivants s'en désintéressent. Celui de St-Pétersbourg (1897) ne voit ce terme d'horizon utilisé qu'en pédologie. Celui de Paris (1901) revient certes sur la terminologie stratigraphique, mais les plus petites subdivisions recommandées sont les "phases" (de temps) auxquelles correspondent les "zones" (à Psiloceras planorbis, etc.); l'horizon est ignoré.

Vers le sens français actuel.

Les Congrès n'avaient finalement rien tranché, et en France, l'horizon va redevenir essentiellement biostratigraphique, et se restreindre aux plus petites subdivisions possibles.

Dans son influent Traité de géologie (2e édit., 1885, p. 705), Albert de Lapparent tentera certes encore de préserver l'aspect lithostratigraphique des choses, mis en avant par Hébert : "Chaque série stratigraphique locale comprend, en dernière analyse, des lits, couches ou strates, se distingant par la constance de leurs caractères minéralogiques et, s'il y a lieu, par celle de leurs restes fossiles. Ces couches forment des horizons d'une étendue d'ailleurs limitée, qu'on peut désigner par le nom de l'espèce la plus typique, parmi celles qui composent leur faunule ou leur florule".- Cette définition ne manque pas d'intérêt. L'auteur retrouve (une dernière fois) la nuance initiale : "ces couches forment des horizons" (et donc ne sont pas les horizons), et ne cherche pas à identifier l'horizon à une zone ou sous-zone paléontologique. L'horizon doit se reconnaître sur le terrain par son individualité lithologique, étant sous-entendu que souvent ("s'il y a lieu"), cette originalité sera également paléontologique.

Outre-Manche, A. Geikie, en rédigeant son Text-book of Geology (1882) ne s'embarrasse pas de ces subtilités. Pour lui, zone et horizon sont synonymes : "A bed, or limited number of beds, characterized by one or more distinctive fossils, is termed a zone horizon, and (...) is often known by the name of a typical fossil, as the different zones in the Lias are by their special typical species of Ammonites" (p. 635).

Ce sera aussi, pratiquement, le point de vue du grand Emile Haug dans le Traite de géologie, t. I, 1911, p. 145 :" Depuis Oppel on considère les Ammonites comme les meilleurs fossiles caractéristiques et on les emploie, dans les terrains où on les rencontre, pour designer les zones paléontologiques ou mieux les horizons où se rencontre une espèce déterminée de ces Céphalopodes".

Cette phrase de Haug est cependant un peu ambigue : ces horizons sont-ils des coupures de temps, des couches rocheuses fossilifères ou des étapes dans la succession évolutive des faunes ?

Sn tout cas, la dégradation sémantique de l'horizon est en route : en 1898, on voit même un certain Edmond Nivoit, dans son Cours de géologie, prétendre se référer au Congrès de Bologne lorsqu'il désigne horizon comme la période de temps correspondant à la couche, comme la période s.str. correspond au système, etc.

En 1930, le Larousse du XXe siècle en six volumes (t. III), répercute à un vaste public une définition de l'horizon géologique déjà assez proche de nos biostratigraohes français actuels : "Terme par lequel on désigne les lits, couches ou strates bien caractérisées par un ou plusieurs fossiles. C'est l'élément le plus petit dans la série des niveaux géologiques". Cette définition est évidemment très partielle, et caractéristique d'un état d'esprit : matérialisation de l'horizon, primauté de la définition paléontologique, insertion organique dans la hiérarchie descendante des subdivisions stratigraphiques, oubli de tout rôle délimitant. Néanmoins, un vestige du caractère singulier attaché originellement à l'horizon survit dans l'exigence que ces lits, etc. soient "bien caractérisés" par le ou les fossiles (on ne nous dit pas s'il peut s'agir de simples thanatocénoses de formes ubiquistes, ou si ce sont des mutants propres à ces niveaux). La suite relève de l'actualité.

CONCLUSION ; De l'inertie des vocables emprunté au langage courant.

Introduit en Stratigraphie il y a un siècle et demi, le terme d'horizon, déjà alors tout gonflé de significations, savantes ou courantes, antérieures à la géologie, ne pouvait manquer d'évoluer avec les progrès mêmes de la nouvelle science au service de laquelle on le ployait. Et simultanément, mot toujours d'un large usage dans le langage commun, il avait son propre dynamisme interne, comme un moment d'inertie s'opposant au moins partiellement ou par à-coups à cette dérive sémantique.

Les créateurs de ce vocable dans son usage géologique en usaient dans un sens fort précis qui semble avoir été perdu de vue dans les débats actuels entre stratigraphes français et américains. Pour Humboldt et Elie de Beaumont, l'horizon géologique est en somme un repère délimitant abstrait, incarné dans une couche de terrain privilégié et bien caractérisé. Tout se passe comme si le sens avait éclaté, faute de considérer simultanément tous les aspects de cette définition informelle mais précise.

Vouloir avec le Glossary of Geology que l'horizon n'ait pas d'épaisseur, ou soit une surface isochrone imaginaire, c'est ignorer la nature incarnée de l'horizon : pour ses introducteurs, une couche particulière sert d'horizon, forme un horizon, et c'est alors parfois plus qu'une assise, mais une formation entière qui joue ce rôle, dans l'état général d'indivision.

Réduire d'autre part l'horizon à une couche concrète, c'est méconnaître son autre nature, de repère séparateur idéal, d'opérateur abstrait.

On s'explique certes très bien l'usage particulier que les bio-stratigraphes actuels du Jurassique font du terme horizon : étant proches d'une stratigraphie idéale, poussée à ses limites, où tout est subdivisé en unités concrètes chacune parfaitement caractérisée par la plus petite gradation possible décelable dans l'évolution ces faunes - ils n'ont plus besoin de niveaux repères, puisque tout est repéré, tout est daté, marqué, séparé, identifié. L'horizon perd de ce fait son rôle relatif pour devenir horizon en soi, dans l'absolu. Tout est horizon, mais en toute rigueur plus rien n'est donc horizon, dès lors qu'il n'est plus besoin de se référer à l'espace encadrant chaque unité. (On rappellera d'ailleurs qu'Oppel dans son livre ne se sert du terme d'horizon que pour décrire la démarche de sa recherche en cours ; le cheminement une fois achevé, le stade fini est pour lui celui des zones, établies et décrites, en lesquelles toute la série est désormais subdivisée).

Pendant ce temps, l'horizon géologique au sens originel et plein du terme renaît constamment de lui-même, insoucieux des disputes éthérées, toutes les fois qu'un chercheur est confronté à une situation comparable à celle expérimentée par les premiers stratigraphes : à savoir un complexe stratifié indivis, métamorphique, ou non. La tâche la plus urgente est d'y découvrir un niveau repère, un horizon marqueur, quelle qu'en soit la nature (ainsi l'horizon à scheelite des Schistes X de la Montagne Noire). Nulle codification ne pourra prévaloir contre cette vitalité intrinsèque découlant des fortes racines étymologiques. Telle est la leçon de cette modeste enquête historique sur l'horizon.

COFRHIGEO (Séance du 29 Mars 1979)
Observation à propos de la Communication de M. ELLENBERGER

par M. J. SIGAL

Monsieur Sigal fait remarquer que étant en particulier intervenu au cours de la réunion du Comité français de Stratigraphie évoqué par le conférencier, il peut témoigner qu'il faut bien se résoudre à admettre une utilisation du terme "horizon" pour désigner une certaine épaisseur de sédiment, même faible. Ainsi entendu le terme est franchement entré dans l'usage.

Il fait remarquer qu'on aurait certes pu s'en passer, car bien d'autres sont disponibles : sous-zones, zonules, couches, lits, etc. ..., selon que l'on veut subdiviser la zone en éléments contigus ou non.

Il attire l'attention sur le fait que l'on pourrait, néanmoins, sauver en quelque sorte le terme "horizon" en lui conférant bien une acception conforme à son étymologie. Les stratigraphes ont en effet besoin d'exprimer une autre notion que celle d'une certaine épaisseur de sédiment correspondant à une tranche de temps. C'est celui d'exprimer qu'une surface (une ligne en section) sépare deux ensembles aux propriétés différentes : soit par le faciès, soit par le contenu faunistique, ou encore par l'image de réponse sismique, etc. On rejoint bien là sa racine étymologique, comme l'horizon sépare le ciel de la terre ou de la mer.