TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.V (1991)
Jean GAUDANT
Analyse d'ouvrage : E. BUFFETAUT : "Des fossiles et des hommes".
(Editions Robert Laffont, Paris, 1991,135 F)

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 27 novembre 1991)

Sous ce titre steinbeckien se cache une histoire de la Paléontologie des Vertébrés qui se présente comme la version française d'un précédent livre du même auteur intitulé "A short history of vertebrate palaeontology" (1987). Réjouissons-nous de ce que ce livre, d'une lecture agréable, vienne enfin combler une grave lacune de l'édition française qui, jusqu'à ces dernières années, s'était montrée fort timorée dans le domaine de l'histoire des sciences naturelles.

Ecrit d'une plume alerte, "Des fossiles et des hommes" retrace à grands traits les principales phases successives, du Paléolithique au début du XXème siècle, de l'intérêt suscité par les Vertébrés fossiles. Ainsi, les trois premiers chapitres évoquent-ils fort à propos l'ère préscientifique, pendant laquelle les légendes relatives aux géants, dragons et licornes prirent évidemment une place prépondérante. Or, dès le début du XVIIème siècle, Fabio Colonna démontre la nature organique des glossopètres, portant ainsi un coup sévère à la théorie de la "vertu platique". Un demi-siècle plus tard, Sténon ruinera définitivement celle-ci. Les fossiles purent désormais apparaître comme les témoins du Déluge biblique... jusqu'à ce que Knorr et Walch réalisent, dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, que les fossiles n'ont probablement pas été tous contemporains.

C'est aussi l'époque pendant laquelle les explorations commencent à se multiplier. Les premiers restes fossiles d'Amérique arrivent en Europe. La molaire du "grand animal de l'Ohio" qu'étudie Buffon pose alors la question de l'existence d'"espèces perdues". A la fin du siècle, Blumenbach commence à envisager des créations successives qui diffèrent plus ou moins profondément des êtres actuels. Cuvier ne tardera pas, pour expliquer la découverte de faunes fossiles différentes, à parler de "révolutions du globe", responsables de catastrophes régionales.

Mais déjà l'idée d'une transformation des espèces se fait jour avec Lamarck et Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, bientôt contrecarrée par certains qui, comme Agassiz et Owen, expliquent l'histoire des Vertébrés par un "développement organique régulier" à partir d'un "archétype". Toutefois, Darwin lui-même, sous l'influence des découvertes réalisées en Amérique, pendant le voyage du "Beagle", ne tardera pas à faire triompher la notion d'évolution. Les paléontologistes se lancent alors à la recherche des "chaînons manquants", dont le plus fameux demeure sans nul doute l'Archaeopteryx, et entreprennent les premiers essais de reconstitution des phylogénies, en particulier celle des chevaux fossiles.

L'auteur a su fort opportunément ne pas limiter son propos au développement des concepts car l'histoire de la Paléontologie est aussi, et sans doute avant tout, celle des découvertes qui sont généralement plus ou moins négligées dans ce genre d'ouvrages. Or, comme cela est parfaitement démontré ici, ces découvertes sont directement liées à l'histoire économique et politique et notamment à la révolution industrielle, qui stimula l'exploitation des ressources minérales, et à la constitution des empires coloniaux.

Ainsi, en Amérique du Nord, la conquête de l'Ouest conduisit à de spectaculaires découvertes : Mammifères des "badlands", Oiseaux de la craie du Kansas, Dinosaures jurassiques du Colorado et crétacés du Montana... A cette occasion, Cope et Marsh, deux des plus grands paléontologistes de ce temps, se livrèrent une lutte sans merci, ce qui nous montre que les comportements irrationnels n'épargnent pas toujours les scientifiques de renom !

La politique coloniale des grandes puissances européennes permit pour sa part l'exploration paléontologique de vastes espaces encore vierges comme l'Inde, l'Autralie et l'Afrique australe, situées dans la zone d'influence britannique, tandis que les Français jouaient un rôle prédominant en Afrique du Nord et à Madagascar. Quant aux Allemands, ils se faisaient remarquer par la découverte de Dinosaures au Tendaguru (Tanganyika) et par leurs travaux sur le Cénozoïque égyptien où ils concurrencèrent Anglais et Américains. Reste l'immense Chine dont l'exploration allait bénéficier du concours des Français, Américains, Suédois et Russes, avant que naisse enfin une paléontologie nationale.

Voilà donc un livre riche en informations utiles et qui a le mérite de chercher à dresser un bilan mondial, bien qu'on puisse lui reprocher d'évoquer trop rapidement la période 1920-1940, au point de passer sous silence les découvertes décisives réalisées au Groenland et au Spitzberg, qui allaient conduire Stensiö à élucider à partir de 1925 la nature des Agnathes et des Poissons cuirassés. On regrettera également l'absence d'index, qui nuit beaucoup à l'utilisation de ce livre comme source d'informations ponctuelles. On se demandera enfin s'il était bien opportun d'exhumer, au début du dernier chapitre, un navrant ouvrage français de propagande dont le but évident était de dénigrer la science allemande. Le fait que ce livre ait été publié au moment où faisait rage la bataille de Verdun permet néanmoins de comprendre que l'aveuglement patriotique ait pu l'emporter alors sur les réalités objectives.