TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.II (1988)

Jacques ROGER
La place de Buffon dans l'histoire des Sciences de la Terre.

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 25 mai 1988)

A. Les textes

Commençons par un avertissement. Beaucoup des éditions de Buffon publiées au XIXe siècle peuvent induire le lecteur en erreur, d'abord parce qu'elles comportent souvent des notes et des additions qui ne sont pas de Buffon, ensuite parce qu'elles réunissent souvent les articles du Supplément, paru à partir de 1774, aux articles de l'Histoire naturelle, publiés beaucoup plus tôt. D'où des contradictions apparentes, qui tiennent en réalité à l'évolution de la pensée de Buffon. Cela est particulièrement vrai pour les sciences de la Terre, où les Epoques de la Nature, parues en 1778, contredisent souvent la Théorie de la Terre, parue en 1749.

Par ordre chronologique, les oeuvres de Buffon traitant des sciences de la Terre sont donc les suivants :

B. La Théorie de la Terre de 1749

C'est une oeuvre très complexe, dont je ne signalerai que quelques aspects importants.

C. Le modèle historique

De 1753 à 1767 Buffon publie douze volumes de zoologie et semble avoir abandonné les sciences de la Terre. Cependant la "Seconde Vue" De la Nature en 1765 revient aux problèmes de la cosmologie et de la matière brute, et esquisse une théorie unifiée de la Nature, où la gravitation serait la force primordiale, responsable de tous les phénomènes physiques, y compris la chaleur et par conséquent la vie. Cet élargissement des curiosité de Buffon va se combiner avec deux autres types de réflexion.

Conclusion

Telle qu'elle se présente à nous, l'oeuvre géologique de Buffon est un mélange déconcertant d'hypothèses grandioses et peut-être géniales, d'observations dispersées, non systématiques, mais parfois très précises sur le terrain, d'expériences minutieuses, très originales, mais pas nécessairement bien conçues.

On a parlé souvent de "spéculations creuses", mais c'est un peu vite dit, et les historiens qui ont pris la peine de lire les textes ont généralement des avis plus nuancés. Buffon utilise une masse de faits, parfois directement observés par lui-même, le plus souvent observés par d'autres. En outre, il est dans son siècle, et l'évolution de sa pensée reflète dans une large mesure l'évolution de la géologie de son temps. Ce qui est le plus original chez lui, c'est la logique de ses théories et les champs d'exploration que cette logique l'a obligé à ouvrir. Les grandes questions qu'il a posées et le modèle historique qu'il a proposé resteront longtemps les cadres intellectuels de la géologie du XIXe siècle, ceux que l'on accepte ou contre lesquels on réagit. A cet égard, son influence sera durable, même lorsqu'on n'osera pas le citer.

L'échec visible des Epoques de la Nature en 1778, et la réaction "anti-buffonienne" qui suivra sa mort, ont des raisons complexes et qui ne sont pas toutes scientifiques. En ce qui concerne les sciences de la Terre, il est certain que Buffon n'a pas suivi leur évolution au cours du dernier tiers du siècle. Sa géologie reste "globale" et "synthétique". Elle ignore les analyses précises de terrain et la reconstruction détaillée de l'histoire d'une formation particulière, à la manière de Desmarest pour les volcans d'Auvergne ou de Cuvier et Brongniart pour le bassin parisien. Mais ses théories valent bien celles de Gottlob Werner, de De Luc et même de Cuvier. Et surtout, il a donné à la géologie le statut de science historique qu'elle conservera tout au long du XIXe siècle, malgré les efforts de Charles Lyell. Il sera désormais impératif d'identifier plus précisément ces fossiles qui servent à la datation relative des roches et conduiront inéluctablement à la notion d'évolution. Directement ou indirectement, par l'intermédiaire de Cuvier ou de Lamarck, l'influence de Buffon sera considérable. Mais ce qu'il y a peut-être de plus moderne chez lui, c'est cet "esprit philosophique" qui lui a permis de se débarrasser de préjugés archaïques, mais tenaces, et qui lui survivront, de donner à la géologie le statut d'une science "naturelle", et de poursuivre jusqu'au bout l'étude des questions fondamentales que cette science pouvait poser.