n°105 Septembre 2011
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par Pascal
LEFEBVRE
Editorialiste
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Ah ! Que la vie des entreprises serait belle sans ces fichus clients ! Et celle des enseignants sans les étudiants ! Et celle des médecins sans les malades ! Et celles des politiques sans les citoyens ! Demandez à Ben Ali, Moubarak et quelques autres : à peu de choses près, ils avaient réglé le problème. Résultat : 99 % de votes favorables, peu ou prou, parce qu’on respecte les formes et qu’on leur organise des élections libres, à ces moins que rien ! Et puis, patatras ! Ça ne leur suffit pas ! Ils réclament de la liberté, de la dignité, qu’on leur rende des comptes, que sais-je encore ! Et la fête est gâchée ! Et Moody’s, Standard & Poors, Fitch ? Tout pareil ! Ils pensaient avoir fait du bon boulot : tout le monde bien aligné, les bons élèves au premier rang, avec leur bonne note ; les mauvais derrière, avec leur bonnet d’âne, une petite leçon de morale et de bonne tenue en prime. Enfin, on avait un peu d’ordre, la raison calculatrice des fans de Milton Friedman avait presqu’eu raison de la prétention démocratique à vouloir se gouverner soi-même. Et gare aux récalcitrants, déviants, délinquants et râleurs de tout poil ! Les Argentins, c’était pour se faire la main, désormais on voit grand : on vise ces prétentieux d’Européens qui rêvaient d’union et d’une monnaie qu’ils contrôleraient eux-mêmes, et même, pourquoi pas, les Américains bien endettés eux aussi, à ce qu’il paraît. Après tout, qu’ils assument leurs errements, même si on les a largement incités à vivre à crédit. Business is business ! Et ce n’est pas parce qu’on a pignon sur rue à New York, qu’on n’est pas impartial. Demandez aux expulsés des subprimes et aux retraités spoliés par les fonds de pension en faillite : Américains pur sucre, certes, mais pas mieux traités que des Grecs ! Et ce n’est pas parce que vos erreurs, vos spéculations et votre cupidité sont largement responsables d’une crise financière majeure, en 2008, que vous vous remettez en cause : comme Hassad, vous tirez dans le tas, pour leur ôter de la tête tout velléité de se rebeller, à ces manants… Des responsables politiques, encore bien timides, commencent à s’élever contre ce contrôle que quelques organisations globales prétendent exercer, aux dépens des Etats et de leurs citoyens, et dont la légitimité, autoproclamée, ne s’impose que grâce à notre sentiment d’impuissance, parfaitement entretenu et intériorisé. La déviance, selon Robert Merton (1) est « un moyen illégitime pour assurer la maintenance d'un but ou d’une institution, valorisé par la société ». Il serait alors urgent de réaffirmer avec force les quelques buts que notre société valorise, la volonté de paix en Europe, par exemple, garantie par ses institutions communautaires. Et tout aussi urgent de se demander si les vrais déviants ne sont pas ces acteurs de la shadow economy, cette économie de l’ombre mue par le seul profit et qui transgresse sans vergogne toutes les règles démocratiques légitimes. (1)
Robert
King Merton, « Structure sociale, anomie et
déviance » in Eléments de
théorie et de méthode
sociologique,1953. |
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