Fernand RAOUL-DUVAL (1833-1892)

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1852 ; entré classé 19ème et passé en 2ème année 18ème sur 106 élèves, il sort sans diplôme) et de l'Ecole des Mines. Ingénieur civil des mines.

Fils de Charles Raoul Edmond RAOUL-DUVAL (1807-1893), procureur général (il termina sa carrière comme président de la Cour d'appel de Bordeaux et fut aussi sénateur de la Gironde), et de Octavie Fanny SAY (1804-1865), fille de l'économiste Jean-Baptiste SAY et nièce de Louis SAY, fondateur de la raffinerie de sucre. La soeur de Fernand, Lucy, épouse l'industriel Louis SAUTTER, et leur fille épouse Jean REY. La famille Raoul-Duval, de tradition protestante, a dirigé depuis 1826 un groupe industriel et commercial.
Né le 25/10/1833 à Péronne (Somme). Père de René RAOUL-DUVAL (1864-1916) et de Maurice Raoul-Duval (1866-1916), agriculteur et patron de presse, tué à Verdun.


Bulletin de l'Association amicale des anciens élèves de l'Ecole des Mines, Mars 1892

Notre association si éprouvée depuis quelque temps, vient encore de subir une perte bien sensible dans la personne de notre camarade Fernand Raoul-Duval, qui a contribué pour une si large part à rehausser l'éclat et le renom de notre École.

Né en 1833, il manifesta de bonne heure une remarquable ardeur au travail et, après de brillantes études faites successivement à Dijon, à Nantes et à Amiens, et terminées à Paris, au collège Ste Barbe, il entrait en 1852 à l'École polytechnique.

Se sentant, dès sa sortie de cette école, attiré vers l'industrie, il donna sa démission d'officier pour entrer à l'École des mines en 1854.

Après avoir obtenu son diplôme d'ingénieur et complété ses études par un voyage en Angleterre où il visita les mines les plus importantes et les principaux centres industriels, il fut successivement nommé ingénieur de la Société des pyrites cuivreuses de Tharsis, en Espagne, et chargé de diriger une exploitation houillère dans l'Aveyron.

En 1861, il revint à Paris, où sa rare intelligence et son infatigable activité allaient trouver le champ qui leur convenait.

Il fut dès lors mêlé aux grandes affaires industrielles de cette époque et devint administrateur de plusieurs sociétés importantes où il fit vite apprécier sa puissance de travail, l'étendue de ses connaissances techniques, la netteté de son esprit et la rectitude de son jugement.

Son activité le poussant dans tous les sens à la fois, il ne se contenta pas d'être industriel, il devint agriculteur, et les succès constants qu'il obtint dans ses exploitations agricoles, lui procurèrent bientôt la Croix de la Légion d'Honneur. Plus tard, en 1880, il tint à honneur de se faire recevoir membre de la Société nationale d'agriculture.

Doué d'un esprit ouvert à tous les progrès, Raoul-Duval était toujours à la tête des entreprises nouvelles qui pouvaient améliorer les conditions économiques du pays, et c'est ainsi qu'il fut l'un des plus zélés partisans du projet du tunnel sous-marin entre la France et l'Angleterre, dont il s'occupa avec ardeur, et qu'il sut faire partager à ses collègues, sa conviction, que ce projet, malgré les oppositions momentanées qu'il rencontrait, finirait par triompher un jour de toutes les difficultés et pourrait enfin être réalisé.

Il comprenait merveilleusement que les découvertes nouvelles modifient chaque jour les conditions de l'Industrie et que celle-ci doit se transformer sans cesse. Nous nous souvenons tous des excellents et affectueux conseils qu'il nous donnait, en présidant notre Assemblée générale en 1887, et qu'il résumait lui-même, après nous avoir recommandé de conserver toujours le culte de nos savants professeurs, en nous disant: l'Industrie doit marcher, marcher toujours ; l'arrêt, c'est la stagnation, bientôt la mort.

La maturité de son jugement, sa connaissance approfondie des affaires industrielles, financières et commerciales, le firent nommer Régent de la Banque de France en 1888.

Comme tous les ingénieurs complets de notre époque, Fernand portait un vif intérêt aux classes laborieuses; il se conformait au conseil que nous donnait dans notre dernière Assemblée générale notre éminent camarade, M. Noblemaire ; aimant le travail, il aimait le travailleur. Et, c'est à la fin d'une réunion avec les délégués des ouvriers de la Compagnie parisienne du Gaz, dont il était le Président [à partir de 1887], que la mort est venue le surprendre au milieu de ses occupations favorites. Dans ses rapports avec les ouvriers, il savait faire la part exacte des idées chimériques et des aspirations justifiées de ceux qu'il aimait à appeler ses collaborateurs. C'est que Raoul-Duval avait un coeur excellent. Jamais on ne faisait, en vain, appel à sa générosité et c'est de lui qu'on pouvait dire, avec juste raison, ce qu'il disait un jour sur la tombe d'un de ses collègues, que lorsqu'on lui demandait un service, on pouvait croire, par la manière dont il vous répondait, que c'était à lui-même que le service était rendu.

Notre situation nous a permis de connaître tout ce qu'il a fait pour notre association, dont il était membre fondateur et donateur et dont il fut, jusqu'à la fin, un véritable bienfaiteur.

Dans des circonstances où nos modestes ressources ne nous permettaient pas de faire face aux demandes qui nous étaient adressées, il vint spontanément à notre aide et, il le fit avec une délicatesse et une discrétion qui doublaient la valeur du bienfait, en ne nous permettant même pas de faire connaître l'origine des dons qu'il nous faisait avec tant de générosité.

Aussi, nous sera-t-il permis d'exprimer le profond regret que nous cause la mort prématurée de notre excellent et dévoué camarade, enlevé à cinquante-neuf ans, au moment où toutes les affaires auxquelles il se consacrait, semblaient pouvoir utiliser longtemps encore ses aptitudes exceptionnelles, son expérience consommée, son activité extraordinaire et son intelligence supérieure.

Fernand Raoul-Duval fut un homme de progrès, un ingénieur éminent, un financier et un économiste de premier ordre, mais ce fut, avant tout, un homme de bien et un homme de coeur.

A. BOISSIÈRE.