Pierre MUSNIER de PLEIGNES (1891-1915)

Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion admise à l'Ecole en 1912 et entrée effectivement après le service militaire en 1913). Ingénieur civil des mines.


Bulletin de l'Association amicale des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, Juillet-août-septembre 1920 :

Biographie, par F. de Maublanc

J'ai particulièrement connu Pierre Musnier de Pleignes. Plus que d'autres, j'ai vécu près de lui, et avec lui. J'étais, à l'Ecole, son voisin immédiat de cours et de laboratoire.

Pierre de PLEIGNES naquit le 1er août 1891 et sortit bachelier es lettres et es sciences de l'école Fénelon. C'est à l'école Bossuet qu'il prépara l'examen des Mines, pour le subir avec succès, en 1912.

Avant d'entrer à l'Ecole, il avait successivement conquis les galons de brigadier et de maréchal des logis, au 37e régiment d'artillerie, à Bourges.

Après la première année, pendant laquelle il s'était attiré l'estime et l'amitié de tous par sa droiture et sa gaieté, il devait faire un stage à Bully-Grenay.

Mais, fort de l'énergie qui le caractérisait, il avait tenu, même en sacrifiant une partie de ses vacances, à se présenter, avant ce voyage, aux examens de la première année de droit.

Le succès couronna, dans ces épreuves, un mois d'efforts extraordinaires et persévérants. Il en ressentit une joie protonde. Dès le lendemain, il partit pour Bully-Grenay où, peu de jours après, vint le surprendre la déclaration de guerre. Il regagna immédiatement Paris pour y retrouver sa famille, qui était elle-même venue de la campagne en toute hâte. Il rasséréna, par son calme souriant, par sa confiance inébranlable, les êtres bien-aimés que tourmentaient, sans pourtant amollir leur courage, les angoisses de la séparation. Nous savons qu'ils lui gardent une impérissable reconnaissance de les avoir ainsi réconfortés.

Mobilisé en qualité de sous-lieutenant d'artillerie, il passa une semaine à Rennes, fournissant un labeur écrasant pour se mettre au courant de son service, comme chef d'une section de munitions.

C'est en cette qualité qu'il commença la campagne. Mais ce rôle ingrat, où il eut cependant l'occasion de mettre en valeur ses qualités de courage et de sang-froid en ravitaillant les batteries sous le feu, ne lui plaisait pas. « Je bous d'être à l'arrière », écrivait-il. Il n'y resta pas longtemps. Dès le 15 septembre 1914, il obtint de passer dans une batterie de tir avec laquelle il participa aux affaires de Reims et de l'Artois.

L'hiver 1914-1915 se termina, dans des positions au sud d'Arras, dans un calme relatif, pendant lequel Pierre eut, cependant, le mollet traversé par une balle, mais refusa de se laisser évacuer.

Après une courte permission de détente, obtenue le 14 juillet 1915, qui fut, pour les siens, une immense joie, il repartit avec la même sérénité que la première fois, non sans que sa physionomie fût empreinte, cependant, d'une certaine gravité.

Hélas, il ne devait pas revenir.

Quand il rejoignit son régiment, le 7e d'artillerie, celui-ci s'apprêtait à partir. Il fut transporté à petites journées dans la Meuse, au sud de l'Argonne, et prit position dans la forêt, un peu au sud de La Harazée.

Pierre reçut pour mission d'organiser le secteur au point de vue de l'observation et de la liaison d'infanterie. Mieux que tout autre, il était apte à remplir ce rôle délicat d'artilleur-fantassin, où, aux qualités techniques d'un officier de batterie doivent s'allier celles d'un diplomate. Il y excella, et en peu de jours conquit l'amitié de tous les fantassins. Sa mort devait les remplir d'une respectueuse admiration.

Le matin du 8 septembre 1915, vers six heures et demie, au moment où la messe allait être célébrée, les premiers obus commencèrent à tomber sur le poste de commandement du chef de bataillon du 48e régiment d'infanterie auprès de qui Pierre était en liaison.

Le bombardement dura jusque vers dix heures, et Pierre, pendant ce temps, allait et venait, cherchant à se rendre compte de ce qui se passait, refusant d'abandonner sa mission de liaison rendue inefficace par la rupture des communications téléphoniques. Un cri d'avertissement retentit tout à coup. Les Allemands cernaient le poste.

Avec un magnifique courage, à la tête de quelques fantassins armés de grenades comme lui, Pierre se précipite dans un boyau par lequel l'ennemi menaçait de tourner la position française. Les Allemands ne passèrent pas, mais Pierre était mort pour la France.

Sur le point dont il interdit l'accès aux Allemands, un petit poste, qui porta longtemps son nom, fut installé après l'affaire du 8 septembre, et ne fut jamais, depuis, franchi par l'ennemi. Ses camarades du 7e d'artillerie retrouvèrent son corps dans l'église de Vienne-le-Château, où les brancardiers l'avaient transporté. Ils le firent ramener sur la position de batterie pour y être mis en bière, puis inhumé après une modeste cérémonie religieuse dans le cimetière de Moiremont, au nord de Sainte-Menehould. C'est là qu'il repose, entouré d'autres héroïques victimes.

La courte biographie qui précède suffirait déjà, à elle seule, pour mettre en lumière les qualités maîtresses de Pierre de Pleignes. Ses lettres, que sa famille conserve pieusement, achèvent de les faire connaître. Elles sont toutes pénétrées d'un immense besoin d'activité, du noble désir de donner l'exemple, de la témérité sublime qui s'expose au premier rang. Quand, au milieu des dangers du front, il se sent heureux, sa joie ne se manifeste pas, comme chez d'autres, par des éclats exagérés et sonnant faux. Elle est calme, intime, réservée, sincère. Il ne connaît qu'une seule tristesse, la pensée de l'inquiétude que sa mère et ses sœurs peuvent éprouver à son égard.

Si des juges sans compétence essayaient parfois de faire entendre que le courage des artilleurs pouvait avoir à redouter la comparaison avec celui des fantassins, Pierre était la preuve vivante du contraire. Il se mêlait souvent aux soldats d'infanterie. C'est dans leurs tranchées, c'est à leur fête et armé comme eux de la grenade et du fusil, qu'il prouva, par sa mort héroïque, la criminelle légèreté de ces insinuations.

La justice des hommes a magnifié cette force d'âme, qui lui valut la croix de guerre avec palme et l'inscription posthume au tableau de la Légion d'Honneur. L'immense sympathie des chefs, dans de splendides citations, salue à l'ordre de l'armée :

« Ce jeune officier, d'un dévouement absolu et d'une bravoure exceptionnelle, qui mérite l'admiration de tous. »...

Nous lui donnons, nous aussi, le nôtre, si humble qu'elle soit, avec toute !a ferveur dont nous sommes capables, et devant la cruelle et glorieuse douleur des siens, douleur chrétiennement acceptée, c'est Pierre lui-même que nous évoquerons pour l'adoucir, c'est sa parole même que nous emprunterons pour la consoler :

« Quand, au milieu des fournaises d'Arras, marchant à pied devant ma batterie, emportant tout mon harnachement, ma bonne jument ayant été tuée, je m'attendais toujours à recevoir un obus au milieu de mes voitures, je tenais en main mon chapelet, sans arriver facilement au bout d'une dizaine. Cela m'empêchait d'avoir la tète creuse et des idées noires. On se sent plus brave et plus calme, et cette bravoure-là n'est pas difficile.

« Comme nous le disions souvent avec mon capitaine, c'est un rude réconfort de pouvoir se dire en toute confiance : « A la grâce de Dieu ! » (Lettre de décembre 1914 de Pierre à sa famille).

F. de Maublanc.