Jean MOREL (1897-1927)

Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1921). Ingénieur civil des mines.


Publié dans le Bulletin de l'Association des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, octobre 1927

DISCOURS PRONONCES AUX OBSEQUES DU CAMARADE JEAN MOREL MORT VICTIME DU DEVOIR PROFESSIONNEL

Discours de M. le Curé de Billy-Montigny

« En recommandant à vos charitables prières l'âme de M. Jean Morel, Ingénieur à la fosse 3 de la Compagnie dos Mines de Courrières, je me fais un pieux devoir, en ces circonstances si pénibles et si cruelles, d'offrir à Mme More] et à sa famille, au nom du clergé et de la paroisse, mes plus sympathiques, mes plus chrétiennes, mes plus compatissantes condoléances.

...

« Ce que je ne puis taire, ce que je ne veux pas passer sous silence, pour l'édification de tous, c'est que M. Morel était un excellent chrétien, un catholique pratiquant, à la foi solide et agissante, toujours prêt à se dévouer, à rendre service aux petits, aux nécessiteux, aux miséreux.

« Membre actif de la Conférence de Saint-Vncent-de-Paûl, de l'Union Paroissiale et du Cercle d'Etudes, ...

Discours de M. Guerre

« Au nom du personnel de la Compagnie des Mines de Courrières, j'apporte à la dépouille mortelle de celui qui fut notre dévoué collaborateur, Jean Morel, la tristesse émue d'un suprême adieu et l'hommage de nos douloureux regrets.

« Y a-t-il rien de plus poignant et de plus inique que ce geste de mort fauchant brutalement, en plein labeur et à son poste, cette existence frémissante d'ardeur et d'énergie, frappant d'une stupeur douloureuse tous ceux qui le connaissaient et, surtout, accablant d'une tristesse infinie ceux qui avaient mis en lui toute leur affection.

« Né à Bessèges, le 31 janvier 1897, Morel fit ses études secondaires au Lycée de Valence, puis à celui d'Alès, et entra ensuite au Lycée de Saint-Etienne, en octobre 1915, pour y suivre les cours de mathématiques spéciales.

» Mobilisé au début de janvier 1916, il est versé au 158e régiment d'infanterie.

» Après avoir combattu sur les fronts de Champagne et de Lorraine, il est appelé à l'Ecole militaire de Saint-lMiaixent, d'où il sort sergent.

» Passé dans l'infanterie coloniale et envoyé en Orient, il y conquit, de haute lutte, le grade d'aspirant, puis celui de sous-lieutenant.

« Démobilisé le 30 septembre 1919, il prépara au Lycée Louis-le-Grand, — dans des conditions matérielles particulièrement pénibles, qui exigeaient de lui un courage et une abnégation remarquables, — le concours de l'Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris, où il entra en octobre 1921 pour en sortir avec son diplôme d'Ingénieur des Mines, en juillet 1924.

« Resté d'abord aux environs de Paris pour s'occuper de sa vieille mère et de ses frère et sœur, qu'il entourait d'une affection digne d'admiration, Morel cherchât à entrer dans les mines.

« Admis par la Compagnie de Courrières, le 1er août 1925, comme Ingénieur adjoint de la 1re division, il avait été désigné pour prendre la direction du siège N° 3-15, le 3 mai 1927.

« Ce résumé succinct de la vie de celui que nous pleurons aujourd'hui vous montre ce que fut l'étudiant et le bon Français qu'il était.

« Comme Ingénieur, Morel s'était fait remarquer dès ses débuts par son allant et il rendit de précieux services à notre Compagnie en mettant au point la technique d'un nouvel appareil destiné à faciliter l'abatage du charbon.

« Il s'était adonné tout spécialement à cette étude parce qu'il considérait cette nouvelle méthode comme susceptible de rendre moins pénible le travail de ses ouvriers, qui étaient l'objet de ses constantes préoccupations.

« Aussi, ses relations avec eux étaient-elles particulièrement affables et tous ceux qui l'ont connu savaient qu'il s'ingéniait à adoucir les frictions inévitables, tout en assurant avec la plus grande loyauté l'important service que notre Compagnie lui avait confié.

« Nous donnons ces détails parce qu'après le lâche attentat dont notre collaborateur a été la victime, nous estimons qu'il est de notre devoir de proclamer bien haut ce qu'étaient ses relations avec son personnel et l'estime dont celui-ci l'entourait.

« L'esprit de camaraderie de notre ami l'avait conduit à faire partie de la plupart de nos Sociétés et nous avions la joie de le compter parmi les membres les plus actifs du groupe du Nord des Anciens Elèves de l'Ecole des Mines et de l'Union des Officiers de Réserve de l'arrondissement de Béthune.

« Au nom de ces deux groupements, que j'ai l'honneur de présider, j'adresse à sa chère Famille mes condoléances les plus émues.

« La place que Jean Morel avait prise parmi le personnel de la Compagnie de Courrières et les groupements dont il faisait partie se mesure aux regrets unanimes que l'ami disparu laisse dans leur cœur ; elle se mesure aussi aux témoignages de profonde sympathie qui se pressent vers ceux dont l'affection reste à jamais meurtrie.

« Puisse la part que nous prenons au malheur qui les frappe être un adoucissement à leur cruelle douleur.

« Au nom de les collègues et de les chefs, au nom de cette nombreuses assislance, je t'adresse, mon cher Morel, le dernier adieu de ceux qui t'ont connu et dans le cœur desquels tu continueras à vivre par le souvenir. »

Discours de M. Brousse
Ingénieur aux Mines de Bruay
au nom de ses camarades de promotion

Mon cher Ami

« La guerre finie, lorsqu'il fallut reprendre les études interrompues, tu quittas la tenue d'officier et tu vins au Lycée Louis-le-Grand, où je t'ai connu ; les heures étaient bien longues, nous sentions combien la guerre nous avait vieillis et nous regrettions d'avoir perdu la liberté. Joyeusement, tu faisais ton devoir et ton optimisme nous redonnait courage.

« Nous étions à l'Ecole : l'avenir s'éclairait. Le sort n'était pas égal pour tous ; certains d'entre nous devaient travailler afin de poursuivre leurs études ; tu en étais, Morel.

« Qu'il était cependant loin de toi l'esprit chagrin ! Nous te voyions d'humeur toujours égale, joyeux, la plaisanterie sur les lèvres. Une ombre passail parfois sur tes yeux si clairs et nous sentions bien que l'optimisme dont tu faisais toujours preuve était un produit de ta volonté. Tu vibrais merveilleusement, aucune pensée désintéressée ne pouvait se présenter à ton esprit sans que tu ne lui donnes l'adhésion de ton cœur; tu étais un être lumineux et profondément mystique.

« Dans nos réunions du Nord, tu apportais sous notre ciel triste et gris la gaieté et la bonne humeur des terres ensoleillées où tu étais né.

« Tu me parlais, l'hiver dernier, de tes ouvriers, tu me disais combien tu étais heureux de sentir autour de toi la sympathie des hommes dont tu étais le chef. Tu partageais joyeusement avec tes mineurs l'égalité suprême : l'égalité devant le danger.

« Tu étais juste, tu étais franc, tu étais courageux, tu étais humain.

« Tu peux être sûr que l'affection que tu portais à tes ouvriers t'était bien rendue.

« Ironie cruelle du destin, tu devais périr lâchement assassiné.

...

« Vous étiez, Madame, la source profonde de l'optimisme de notre ami, vous avez le droit d'être fière de celui qu'aujourd'hui nous pleurons avec vous.

« Quand à nous qui partageons le privilège de l'avoir connu, nous garderons fidèlement son souvenir.

« Aux heures sombres de doute et de tristesse, nous nous souviendrons de sa vie sereine et claire et nous puiserons dans son exemple la force de vaincre.

« Au nom des camarades de la promotion 1921, qui tous t'ont aimé, Morel, je le dis adieu. »