Bulletin de l'Amicale des Anciens eleves de l'Ecole des Mines, 1899.
Au commencement du XIXe siècle, Saint-Etienne, en tant que cenlre métallurgique, n'existait pas ; aujourd'hui la Loire est un des bassins les plus importants qui soient : c'est l'histoire de cette transformation avec tout ce qu'elle comporte d'efforts, d'intelligence, de capitaux aussi, que retrace magistralement notre camarade Babu, Ingénieur au corps et professeur à l'École des Mines de Saint-Étienne (L'industrie métallurgique dans la Région de Saint-Étienne. Annales des Mines, tome XV, 1899).
Nous respecterons dans cette rapide analyse d'un travail considérable la division si claire adoptée par l'auteur en cinq périodes bien séparées l'une de l'autre par un événement important de l'Industrie métallurgique française.
I. La Métallurgie avant 1815. - Elle n'existe pas à vrai dire ; des familles d'habiles forgerons fabriquent, au moyen des fers du Berry et de la Champagne ainsi que des aciers étrangers, des armes ou des objets de quincaillerie : c'est la réputation locale.
Bien que la fabrication régulière des armes fût organisée dès 1716, les procédés d'armurerie restent très primitifs : ce n'est qu'en 1785 qu'on applique à l'étirage des canons de fusils le « martinet», depuis longtemps connu à Liège, et dès 1789, le mécontentement ouvrier se traduit par une émeute. On recommencera deux ou trois ans après à acclimater quelques rares machines-outils.
La Quincaillerie occupe de nombreux ouvriers ; on fabrique des clous, des vis, des couteaux (et notamment 1' « Eustache » à manche de bois ou de corne), des cuillers, des fourchettes, etc. Tout se fait à la main ; un essai d'installation mécanique avec roue hydraulique est tenté par Sauvade : les ouvriers ameutés détruisent l'usine en 1792 !
II. Période de 1815 à 1840. - Cette période, d'absolue transformation, est marquée par l'introduction dans la Loire des aciéries au creuset et des forges à l'anglaise, par l'établissement des premiers hauts-fourneaux et enfin par l'apparition des premiers chemins de fer.
Dès 1740, l'anglais Huntsmann avait eu l'idée, pour rendre homogènes les aciers naturels ou cémentés venant d'Angleterre, de Suède ou d'Allemagne, de les fondre au creuset ; c'est l'origine des aciers au creuset qui tirent la fortune et la célébrité de Sheffield. Soixante-quinze ans plus tard, le ministre Chaptal appelait en France l'anglais Jackson qui y débarquait avec ses huit enfants et installait à Trablaine la première aciérie au creuset de la Loire : dès 1816 il y fabrique des aciers fondus et cémentés valant alors 4 fr. et 2 fr. le kgr.
A la même époque Milleret et Beaunier installent à la Bérardière une usine analogue et y fabriquent des aciers fondus soudables et des aciers pour ressorts inconnus jusque-là en Angleterre.
Forcé de quitter Trablaine, Jackson crée une usine au Soleil, près de Saint-Etienne, et plus tard ses fils ouvrent les usines d'Assailly et de Lorette, où ils fabriquent des aciers fondus et cémentés et où ils installent des marteaux et des laminoirs. Enfin, en 1836, ils louent la Bérardière et y font surtout des aciers corroyés. Déjà en 1829, Jacob Holtzer avait fondé à Unieux, près Firminy, une usine où se faisaient surtout des aciers corroyés : ce n'est qu'en 1840 qu'il y entreprendra la fabrication des aciers au creuset.
En 1817, les aciers fondus valaient 3 fr. 50 à 4 fr.; ils valent 2 fr. 20 à 2 fr. 60 en 1835 et les usiniers ont un beau bénéfice.
A la suite d'un voyage en Angleterre où il avait remarqué l'affinage du fer au four à réverbère (procédé Cort), de Gallois introduit cette méthode en France en la perfectionnant et construit en 1820, à Saint-Julien, près de Saint-Chamond, la première forge à l'anglaise, où soit appliqué le puddlage sur sole de fonte dans la Loire. L'adoption d'une sole de fonte recouverte d'oxyde de fer ou des scories basiques est un progrès considérable, étant donnée l'influence fâcheuse de l'élément siliceux qui est inévitable avec les anciennes soles en sable, de Cort.
Trois ans après, l'usine de Terrenoire (Société de la Loire et de l'Isère) est mise en marche avec 14 fours à puddler; le travail des loupes et l'étirage des fers sont obtenus au marteau et au laminoir. En 1835, le fer puddlé revient à 210 fr. et se vend 250 fr. la tonne.
De Gallois qui a constaté la coexistence de la houille et du minerai de fer dans le bassin de la Loire s'efforce d'amener la création de hauts-fourneaux qui fabriquent le métal sur place ; en 1822, un premier haut-fourneau alimenté au coke est mis en feu à Janou, près Terrenoire. Au point de vue technique, les résultats sont bons, mais les conditions économiques sont moins satisfaisantes. On perfectionne alors de toutes parts. Le coke, fabriqué avec des menus de houille dans les fours à boulangers, ne coûte plus que 10 fr. la tonne en 1830 au lieu de 20 fr. [Le coût de] la main d'oeuvre s'abaisse par suite du développement normal d'une population ouvrière locale. Enfin le chauffage du vent au moyen des gaz du gueulard permet d'augmenter la production journalière du haut-fourneau et d'abaisser de douze francs par tonne le prix de revient de la fonte. En 1823, la tonne de fonte revenait à 250 fr., on la vendait 190 ; dix ans plus tard elle revient à 100 francs et se vend 150, laissant comme on le voit un joli bénéfice.
Une autre cause de progrès et d'économie marque cette période,, c'est l'apparition des chemins de fer. C'est surtout à l'initiative de De Gallois qu'est due la création du premier « chemin de roulement en fer » de Saint-Étienne à Andrézieux (1828) ; plus tard, en 1833, est inaugurée la ligne de Lyon à Saint-Etienne. Au début, les trains descendent seuls par la gravité, chaque voiture porte un frein, le démarrage s'obtient en poussant à l'épaule (!) ; la traction est exclusivement animale ; ce n'est qu'en 1839, que Claude Verpilleux applique à la traction, sur la ligne de Rive-de-Gier à Saint-Etienne, la locomotive-tender qu'il a inventée. Quoi qu'il en soit, Saint-Ëtienne est dès lors reliée au Rhône et le transport du fer, par exemple, qui coûtait 0 fr. 375 par tonne-kilomètre, ne coûte plus que 12 à 13 centimes.
III. Période de 1840 à 1860. - Cette période est caractérisée par la mise en oeuvre du marteau-pilon à vapeur. On voit apparaître l'acier puddlé, le métal mixte Verdié, les moulages d'acier. On assiste au développement de la fabrication des canons, blindages, bandages sans soudures, roues..., etc. On ne fait presque plus de métal sur place, mais l'extension des chemins de fer facilite les approvisionnements. Les compagnies métallurgiques individuelles se groupent, fusionnent : les grandes sociétés viennent au monde.
Hippolyte Pëtin se trouvant au Creusot en 1840 y voit le marteau-pilon à vapeur récemment construit par Bourdon; de retour dans la Loire, il en installe un dans les forges qu'il a créées trois ans auparavant à Rive-de-Gier avec son ami Gaudet. C'est la un événement considérable. Les services que peut rendre le marteau-pilon sont rapidement connus et appréciés et, grâce a lui, la forge prend un nouveau développement. Les ateliers se multiplient sous l'habile direction des Desflassieux, des Arbel, des Lacombe, des Marrel.. , etc.; le marteau-pilon augmente de puissance : on passe de 2 tonnes (1841) à 25 tonnes (1855) et on l'utilise couramment à l'étampage, au matriçage, a l'emboutissage et au forgeage des grosses pièces.
Les chemins de fer, qui deviennent d'importants clients pour les usines métallurgiques, ont besoin d'un métal plus dur que les fers à nerfs (au bois ou puddlés) mis jusqu'alors à leur disposition ; les aciers corroyés ou fondus sont à un prix trop élevé : il faut chercher autre chose, faire mieux.
On arrive bientôt à fabriquer au réverbère des fers à grains ou aciers puddlés qui répondent aux desiderata des chemins de fer. C'est le puddlage chaud (boiling process des Anglais) qui, par l'aflinage de fontes pures grises ou blanches lamelleuses (c'est-à-dire fortement carburées, siliceuses et aussi manganèsifères), permet d'obtenir ces fers supérieurs. L'opération, comparée au puddlage froid (affinage de fontes blanches peu carburées) donnant des fers courants, est plus longue et plus coûteuse ; comme elle nécessite une plus haute température, elle impose un refroidissement énergique des parois du four.
En même temps, Verdie trouve une seconde solution du même problème : en coulant de l'acier fondu sur du fer fortement chauffé, le métal dur enrobe l'autre, s'y soude, et on obtient les aciers mixtes, que l'usine de Firminy - créée en 1854 - fabrique aussitôt. Ces aciers, appliqués d'abord aux rails, le sont plus tard aux blindages dits " Compound ".
Vers la même époque, Holtzer, à Unieux, applique le procédé de puddlage de Wolf et Langwiller et produit des aciers puddlés soudables, qui sont cependant assez durs pour remplacer les aciers cémentés coûtant plus cher.
On n'a pas abandonné pour cela l'acier fondu et les usines d'Unieux en fabriquent, au moyen de fontes extra-pures, dans des conditions de perfection qui ne laissent rien à envier à Scheffield.
Enfin, dès 1857, l'acier moulé entre dans la pratique et, à l'exemple de Bochum, où le procédé a pris naissance, les aciéries Holtzer fabriquent des cloches en acier moulé.
Grâce au marteau-pilon d'une part, grâce aussi aux nouvelles qualités d'acier mises à la disposition de l'usinier, les forges de la Loire peuvent aborder des fabrications nouvelles, qui, de suite, prennent une grande importance.
Dès 1848, Pétin et Gaudet forgent un canon en acier fondu, destiné a la marine ; la fabrication des blindages suit également : les premières plaques (de 10 à 12 centimètres d'épaisseur et de 4 a 5 mètres carrés) sont en acier fondu et forgées au pilon, plus tard on réalise le blindage compound, plus tard encore on obtient au laminoir des plaques plus épaisses et plus grandes, auxquelles la trempe donne une remarquable supériorité.
Dès son apparition, l'acier puddlé est indiqué pour les pièces délicates. En 1849, Pétin et Gaudet font breveter un procédé pour le laminage des bandages sans soudure en fer à grain ; ce même métal se prête admirablement à la fabrication des frettes : dès lors, la Loire livre à l'artillerie des canons forgés en acier avec frettes sans soudure en acier puddlé.
En même temps, MM. Desflassieux et Arbel créent la fabrication de la roue en fer forgé obtenue d'une seule pièce par matricage au marteau-pilon. Enfin, de cette même époque, datent les premiers canons de fusils en acier, les premiers essais de tôles d'acier pour chaudières, d'essieux coudés, d'arbres à trois coudes, etc., etc.
Les capitaux immobilisés dans les affaires métallurgiques de la Loire sont déjà considérables, l'intérêt de certains groupements devient évident, des fusions s'opèrent.
En novembre 1854, la Compagnie des Hauts-Fourneaux, forges et Aciéries de la Marine et des Chemins de fer réunit Pétin, Gaudet, Jackson et d'autres encore : ses principales usines sont les Forges de Rive de Gier, les Aciéries d'Assailly, les Forges de St-Chamond.
En 1859, la Compagnie des Fonderies et forges de Terrenoire, la Voulte et Bessèges réunit des exploitations dans la Loire et le Midi : les usines de Terrenoire, la Voulte, Bessèges, Lorette, Tamaris, etc., lui appartiennent.
De la même période date la Société des Fonderies et Forges de l'llorme, avec les Forges de Saint-Julien et de l'Horme et la mine de Veyras (Ardèche).
IV. Période de 1860 à 1880. - Le procédé Bessemer, la mise en exploitation des gisements de Mockta, l'application de la récupération dans les fours Siemens-Martin, font faire un nouveau saut en avant à la métallurgie de la Loire. Le marteau-pilon atteint 100 tonnes ; la fabrication des canons, des blindages, des obus, des tôles d'acier, etc., devient importante. Les aciers spéciaux apparaissent.
Le procédé Bessemer révolutionna par sa simplicité la métallurgie de l'époque ; l'air injecté en nombreux filets dans le convertisseur au sein de la masse fondue, réalise justement toutes les conditions d'un bon affinage : il oxyde, il chauffe, il brasse. Pourtant la rapidité de l'opération constitua au début une très sérieuse difficulté : ou bien on obtient un métal insuffisamment décarburé, ou bien si on dépasse un peu le but on obtient un métal oxydé partiellement (brûlé).
La découverte de l'addition finale qui permet le raffinage et la décarburation à point voulu du métal oxydé, leva cette difficulté et dès 1861 deux convertisseurs de 5 tonnes furent installés à Assailly ; en 1863 de nouveaux convertisseurs sont montés à St-Chamond et à Terrenoire. L'addition finale primitivement employée était le « Spiegel » tenant à la fois du manganèse et de fortes proportions de carbone ; on obtenait ainsi un acier fondu notablement carburé, excellent pour les rails par exemple.
L'Usine de Terrenoire, en employant pour cette addition finale des ferromanganèses à 25, 70 et même 80 % de manganèse, parvint à obtenir des aciers extra-doux et dès 1868 ces produits sont assez réguliers pour que la Compagnie Transatlantique lui commande 300 tonnes de tôles d'acier pour chaudières.
La production des additions finales devient dès lors importante : on fait au haut-fourneau des fontes manganésées, des fontes siliceuses, des ferromanganèses, des silicospiegels, etc.; pour obtenir des ferromanganèses a fortes teneurs en manganèse on doit les fabriquer directement au four Siemens à sole de graphite.
L'application du procédé Bessemer, permettant de produire d'un seul coup de grandes masses d'acier fondu, exigeait absolument qu'on eût à sa disposition des minerais et des fontes très purs. La découverte des gisements de Mokta arriva à point nommé pour satisfaire à cette nécessité. En même temps, et grâce à MM. Paulin Talabot et Verdié, une entente avec la Compagnie des chemins de fer P.L.M. permit d'obtenir des tarifs assez réduits et des facilités de transports assez grandes pour que les approvisionnements de la Loire devinssent aisés et peu coûteux.
Lorsque, vers 1862, le principe de la récupération des chaleurs perdues au moyen de chambres à briques fut appliqué au four à réverbère, on put obtenir des températures beaucoup plus élevées que par le passé ce qui facilita singulièrement la fabrication des aciers sur sole. Le procédé Martin, consistant à fondre sur sole des fontes convenables, à y jeter des riblous de fer ou d'acier et à pratiquer sur l'ensemble le puddlage bouillant, fut appliqué à Firminy dès 1865 et se répandit rapidement. Il permettait de réutiliser les rebuts et les chutes de forge ainsi que les rails hors de service, et d'obtenir toutes qualités d'acier en dirigeant l'affinage à volonté (ce que la rapidité du procédé Bessemer rendait impraticable).
Les bandages, les essieux sont alors faits en métal Martin, les rails d acier se généralisent et les vieux rails en fer sont réemployés à l'Aciérie ; à Terrenoire, on obtient des aciers doux Martin dans des conditions de sécurité telles que en 1872 on s'en sert pour construire un grand navire à coque d'acier.
Une qualité de métal également intéressante est la fonte dure obtenue en partant d'une fonte très grise et en y ajoutant, au cours de la fusion sur sole, de bons riblous d'acier. Au début (1868-69) on l'applique heureusement a la fabrication des plaques de blindage ; plus tard, on l'emploie pour obtenir des projectiles de rupture dont on coule la pointe en coquille et le corps cylindrique en sable.
On découvre bientôt l'influence du silicium sur les soufflures qui entravent le développement des moulages d'acier ; il suffit dès lors de doser le silicium dans la fonte initiale pour savoir le maximum de riblous à y introduire en vue d'une composition finale déterminée : ainsi on peut obtenir des aciers sans soufflures mais seulement des aciers durs. Plus tard on constate que le silicium n'agit avec efficacité que si on le fait intervenir au moment même de la coulée ; conséquemment si on dispose pour une addition finale d'alliages riches en silicium et en manganèse mais pauvres en carbone, on pourra obtenir facilement des aciers doux sans soufflures et fabriquer d'une façon courante des aciers moulés de toutes catégories.
La facilité d'obtention d'aciers de qualités bien déterminées, le développement de l'outillage (on arrive en 1880 au marteau pilon de 100 tonnes et aux grues de 150), ont pour effet de multiplier les applications de l'acier. Des plaques de blindage de 55 centimètres sont fondues entièrement en acier, on aborde la fabrication des gros canons en acier pour la marine : des tubes de 38 tonnes sont obtenues ! Les Usines du Marais qui se montent en 1865 (Compagnie de Fonderies, Forges et Aciéries de Saint-Étienne) produisent presque de suite de grandes quantités de bandiges et surtout de tôles de fer ou d'acier également, bien fabriquées.
Pendant cette période, la production des aciers au creuset ne chôme pas. Poussées et encouragées par les commandes, auxquelles donnent lieu les modifications de l'armement, les recherches et les études se poursuivent avec succès. A la mise en service du Chassepot, puis du Gras, enfin du Lebel, correspondent des périodes d'activité et de progrès.
En même temps les beaux travaux de Brustlein, directeur de l'Usine d'Unieux, sont le point de départ des aciers spéciaux. Nous sommes alors en 1875 et ce sont d'abord les aciers chromés, dont les obus Holtzer utilisent la très remarquable dureté ; mais le mouvement est donné et déjà on étudie les alliages du fer avec le nickel, le manganèse, etc.
V. Période de 1880 à l'époque actuelle [1899]. - La concurrence des usines (mieux approvisionnées) du Nord et de l'Est, l'application du procédé Thomas, obligent les usines de la Loire à spécialiser leur fabrication aux produits supérieurs. L'outillage est augmenté en nombre et en puissance. Les fabrications relatives au matériel de guerre et les moulages d'acier se développent. Les études se poursuivent avec succès sur les aciers spéciaux au chrome, au nickel, au tungstène, etc...
Après l'exposition de 1878 la surproduction des années précédentes, la création de nouvelles usines, amènent une crise dont la métallurgie de la Loire souffrira pendant plusieurs années. D'autre part la découverte du procédé Thomas-Gilchrist pour la déphosphoration des fontes, permet d'obtenir a un prix bas des aciers courants au Bessemer basique.
Les usines de la Loire sont alors amenées, pour traverser cette crise, a développer la fabrication des produits spéciaux, délicats et chers que l'habileté professionnelle de leurs ouvriers les met à même de fabriquer aisément. Cela a pour conséquence une nouvelle augmentation de l'outillage.
On a vu que les additions finales se pouvaient fabriquer au haut-fourneau mais l'ouvrage et le creuset, ainsi soumis à de très hautes températures et a des laitiers ultrabasiques, se corrodent et se percent rapidement. L'usine de Terrenoire avait tourné la difficulté en faisant le creuset et l'ouvrage en graphite; procédé adopté d'ailleurs par les Etats-Unis où il est encore partiellement en usage.
Plus tard, vers 1890, Firminy s'inspirant du principe des water-jackets supprime tout revêtement en briques et Boivin donne son nom à un creuset constitué de voussoirs d'acier énergiquement refroidis. Ce système est très appliqué dans le Donetz.
La puissance de l'outillage destiné au travail mécanique s'accroît encore pendant cette période : toutes les usines se munissent de marteaux-pilons et de grues de 40 à 100 tonnes. St-Chamond possède depuis 1880 un pilon de 100 tonnes desservi par une grue de 150 ; en 1892 les Etaings mettent en marche un pilon de même poids desservi par une grue de 180 tonnes et un pont roulant de 120 tonnes.
Le matériel de forge s'enrichit encore, pour les grosses pièces, par l'installation de presses à forger ; ces appareils permettent de réduire le nombre des chaudes, il simplifie le forgeage sur mandrin, le gabariage des blindages, etc. En 1892, une presse de 2.000 tonnes est montée à Unieux et peu après St-Chamond en installe une, pour la grosse forge, capable de donner des pressions de 4.000 tonnes.
Les trains de laminoirs anciens, devenus insuffisants, sont désaffectés et remplacés par d'autres plus puissants ; en 1898, les Aciéries de la Marine installent elles-mêmes un nouveau train réversible dont la machine fournit 6.000 chevaux.
Les installations de trempe comme celles réservées au finissage et au montage se développent parallèlement. En particulier les installations de trempe avec chauffage vertical réalisées à Saint-Etienne, à Saint-Chamond, aux Etaings, a Unieux, sont colossales et honorent leurs auteurs : on peut tremper des pièces de plus de 10 mètres de longueur avec une vitesse d'immersion supérieure à 30 mètres par minute ; le contrôle et la régularisation des températures sont parfaitement réalisées (à St-Etienne on emploie le pyromètre Le Chatelier).
Il était assez difficile de trouver des matières premières de qualité suffisante pour servir de point de départ à la fabrication des produits fins et des aciers spéciaux demandés par la guerre et la marine. L'apparition - en 1885 - du Cubillot Rollet fut donc une bonne fortune ; on y peut épurer les fontes à la fois au point de vue du soufre et du phosphore : les résultats sont excellents mais le prix de revient est un peu élevé. On sait que le procédé consiste à opérer successivement une fusion réductive qui désulfure, puis en présence d'oxyde de fer une deuxième fusion qui déphosphore ; notons que le procédé n'est efficace qu'à la condition de laisser couler la fonte d'une manière continue, sans quoi la fonte fondue accumulée au fond du cubillot se recarbure et reprend une partie du phosphore qu'elle a abandonné.
Les fontes ainsi obtenues tiennent moins de deux millimètres de soufre et de phosphore : elles peuvent être directement employées au creuset. Leur puddlage est difficile à cause de leur faible teneur en carbone, mais avec des additions convenables on peut obtenir toutes qualités depuis le fer à nerfs jusqu'aux meilleurs aciers puddlés.
La fabrication des aciers fins au creuset s'est d'ailleurs beaucoup développée : on utilise comme matières premières des fers au bois, des fers de Suède, des fers puddlés avec des fontes fines enfin des fontes souvent mazées au cubillot Rollet.
On fabrique ainsi des aciers divers (au carbone, au chrome, au tungstène, etc.) pour outils, ressorts, coutellerie, matériel de mines, etc. Il faut citer, en particulier, les projectiles de rupture traversant un tir oblique, comme en tir normal, les plaques Harwey ou analogues : ce sont les obus au tungstène, d'Assailly ou les obus chromés d'Unieux. On obtient également au creuset des aciers pour canons de fusil, armes blanches, tôles et plaques pour la marine (aciers chromés avec ou sans nickel), etc.
L'acier Martin n'a pas diminué d'intérêt et son importance est toujours considérable ; on en produit toujours beaucoup, soit sur sole acide, soit sur sole basique, avec des fontes pures et des riblous choisis. Ainsi on obtient toutes variétés d'aciers depuis les extra-doux (résistance : 35 à 40 kil. par m/m carré ; allongement : 30 à 35 %) jusqu'aux extra-durs (résistance : 90 à 100 kilos ; allongement: 5 à 10 %). On a de sérieux débouchés pour ces aciers par les blindages, bandages, tôles, pièces de forges, moulages d'acier, etc.
Les moulages d'acier entrent dans la pratique même pour les grosses pièces ; Firminy, Assailly, Unieux, Saint-Chamond, arrivent, de perfectionnements en perfectionnements et, grâce au développement de leur matériel de forge et fonderie, à mouler des pièces de 20, 30 et même 120 tonnes. On arrive ainsi à fabriquer couramment des roues de locomotives, des cylindres de presse hydraulique, des pistons et des bâtis de machines à vapeur, etc., etc., et cela avec des qualités de métal excellentes (les pièces recuites donnant, par exemple, une résistance de 52 kil. et un allongement de 21 %). A Unieux, on arrive a obtenir des aciers extra-doux se ployant à froid sans se gercer !
La question des aciers spéciaux est en pleine étude ; les travaux et les essais intéressants abondent et se multiplient. Nous sommes loin des fers du commencement du siècle et les aciers au carbone ont des propriétés mécaniques maintenant insuffisantes, il faut mieux encore, et l'on poursuit les recherches qui ont déjà conduit aux aciers chromés. Ce sont bientôt les aciers au nickel qui font leur apparition, les plaques Schneider, du Creusot, donnent aux essais d'Annapolis (Amérique) des résultats tels que l'attention générale est fixée sur les propriétés des alliages au nickel. Dès 1891, les usines d'Assailly produisent sous le nom d'acier spécial des plaques en acier au chrome et au nickel qui, essayées au polygone d'Ochta (Russie) et à l'île Texel (Hollande), montrent une ténacité tout à fait remarquable, avec une résistance à la pénétration supérieure de 20 % à celle des meilleurs aciers fondus.
On étudie les influences du chrome, du silicium, du tungstène, etc.., sur ces mêmes aciers au nickel et on peut espérer de nouveaux progrès encore.
Le tableau suivant donne pour quelques types d'aciers naturels ou spéciaux des renseignements comparatifs relativement à la limite élastique E, à la résistance à la rupture R et à l'allongement A ; les deux premiers sont fournis en kilos par millimètre carré, le dernier est indiqué en % sur 100 millimètres.