Paul MARTY (1871-1916)

Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1902). Ingénieur civil des mines.


Publié dans Bulletin de l'association des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, Mars-avril 1917.

Paul Marty était né à Paris le 27 avril 1871. Il avait fait ses études à l'Ecole Alsacienne dont son grand-père, M. Rieder, avait été l'un des fondateurs au lendemain de la guerre de 1870. Cette guerre n'était plus, pour beaucoup de Français, qu'un épisode douloureux, mais déjà lointain, de notre histoire. Pour ceux d'entre nous, comme Paul Marty, que des liens de famille rattachaient à l'Alsace, elle était toujours « La Guerre », à laquelle nous ne pouvions pas ne pas penser souvent, parce qu'elle avait chassé nos parents de leur petite patrie, et que nous attendions, d'année en année, le moment où ce cauchemar se dissiperait.

Dans ce milieu ardemment patriote, Paul Marty n'avait pas seulement formé son intelligence pour la lutte industrielle ; il avait aussi trempé son âme pour les luttes sanglantes. Il n'aura pas la joie de voir son rêve entièrement réalisé, et de revenir victorieux dans les villages où nos parents ont été enfants ; mais déjà la vallée du Thann et de Wesserling, qu'il aimait particulièrement, est délivrée. Bientôt, toute l'Alsace sera, libre, et ceux qui sont tombés avant la fin de la guerre pourront dormir tranquilles, car ils ne seront pas morts en vain.

Dans sa dernière année à l'Ecole Alsacienne, Paul Marty fut désigné par les élèves des grandes classes pour le prix annuel de bonne camaraderie, récompense qui ne fut jamais-mieux décernée.

Après ses années de mathématiques, il fut reçu en 1900 à l'Ecole Centrale et avec le n° 1 à l'Ecole des Mines. Il opta pour cette dernière et y entra en 1901, après son année de service militaire.

Pendant ses voyages d'études, il commença à s'occuper plus particulièrement des questions électriques, notamment en faisant un stage d'un mois à la Société Siemens et Schuckert, à Berlin. C'est dans cette voie qu'il s'engagea décidément à sa sortie de l'Ecole. Il passa d'abord trois ans, de 1906 à 1909, dans les bureaux et les ateliers de Siemens Schuckert, à Berlin et à Nuremberg. Mais il avait hâte de revenir en France. Au début de 1909, il entra à la Société d'Electricité de Creil. où il ne tarda pas à se faire apprécier, par son intelligence et son esprit travailleur comme par la sûreté de son caractère.

Lorsque la guerre éclata, il était dans la pleine maturité de son esprit, et pouvait espérer que sa carrière lui apporterait les satisfactions désirées. Il venait de se marier et avait trouvé à son foyer un bonheur que tout permettait de croire durable.

Parti dès les premiers jours de la mobilisation comme lieutenant au 102° d'infanterie, il fut grièvement blessé le 22 août 1914 à Ethe.

Après, plusieurs mois d'hôpital et de convalescence, il rejoignit son dépôt en mars 1915, encore mal rétabli. Au début de juillet, il reparlit au front, d'abord au 66e d'infanterie, puis au 6e génie, où il fut chargé du commandement d'une compagnie de nouvelle formation. Il passa tout l'hiver de 1915-16 dans le rude secteur de Loos. J'ai eu plusieurs fois le bonheur de le revoir pendant cette période. Il était plein d'entrain et de confiance, et ces journées passées avec lui sont maintenant pour moi un précieux souvenir.

Au printemps, il partit pour Verdun : en avril il était près de la cote 304, au moment où les Allemands l'attaquaient avec fureur. Le 27 avril, il eut à diriger les travaux de dégagement d'hommes ensevelis en première ligne. Sa conduite, sous un bombardement terrible, fut admirable : elle lui valut une proposition pour la Légion d'honneur et presque aussitôt sa nomination au grade de capitaine (2 mai). Il •était justement fier de ces récompenses : il devait malheureusement bien vite les mériter mieux encore par le sacrifice de sa vie.

Le 4 mai, il fut grièvement blessé par un obus en parcourant le secteur de sa compagnie : deux jours après il mourait à l'ambulance de Froidos-sur-Aire, et la citation préparée pour lui devait être complétée par l'indication de sa blessure : « Excellent officier ; le 27 avril 1916 a donné l'exemple du plus grand, courage et du plus beau dévouement en dirigeant sous un violent bombardement le sauvetage d'hommes ensevelis en première ligne. Très grièvement blessé le 4 mai au retour d'une reconnaissance. »

A tous ceux qui l'ont connu à l'Ecole, Paul Marty laissera le souvenir d'un bon camarade, franc et cordial. Pour moi, qui étais son ami et son camarade d'études depuis notre enfance, je ne puis le laisser partir sans rappeler quel ami sûr et dévoué il était, et quel noble caractère il cachait sous son aspect parfois silencieux. Nous parlions souvent de l'avenir, de la guerre qui viendrait un jour, et je pouvais sentir combien profondes étaient en lui les espérances dont nous entrevoyions la réalisation au delà de cette redoutable épreuve. Lorsque le moment est venu, il est parti simplement, sans phrases inutiles, pour faire son devoir, et même plus que son devoir, pour la Patrie, et pour notre vieille et loyale Alsace.

L.-E. Gruner.