Félix Emile Alphonse MARCHEGAY (1840-1895)


Marchegay, élève de l'Ecole des Mines de Paris
(C) Photo collections ENSMP

Né le 7/7/1840 à Ste Hermione (Vendée). Fils de Félix François Emile MARCHEGAY (1815-1878 ; X 1833, corps des ponts et chaussées) et de Louise Anna CHABOT. Petit-fils de Félix MARCHEGAY (1777-1853 ; X 1794, député), et de Louise Catherine MARCHEGAY (la mère était cousine germaine du père). Religion protestante.
Frère de François Emile Edmond MARCHEGAY (1842-1891 ; X 1860 corps des ponts et chaussées).
Marié à Jeanne Marie Louise Delphine Yvonne VEYSSIÈRE.
Père de François Alphonse Emile MARCHEGAY (1873-1916 ; X 1893 corps des manufactures de l'Etat, capitaine d'artillerie mort pour la France).
Arrière-grand-père de Edmond MARCHEGAY (né en 1939) qui fut PDG d'Intertechnique.

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1860) et de l'Ecole des Mines de Paris (promotion 1862). Ingénieur civil des mines (entré à l'Ecole des mines de Paris le 8/11/1862, classé 13 ; sorti le 3/6/1865, classé 11 des élèves externes). Voir bulletin de notes


Bulletin de l'Association des Anciens élèves de l'Ecole des Mines de Paris, Septembre 1895 :

L'Association vient encore de perdre un de ses membres les plus distingués, M. Alphonse Marchegay. Nous avons cru que nous ne pouvions mieux faire que d'emprunter les lignes qui suivent à la biographie écrite par M. A. Storck, de Lyon, où M. Marchegay avait passé une partie de sa vie.

M. Storck était un ami intime de notre regretté camarade.

Ce qu'il importe de signaler avant cette rapide nomenclature, ce sont ses hautes qualités morales et intellectuelles, c'est cet esprit de bienveillance, de dévouement, de droiture qui caractérisait les liens de Marchegay avec toutes les familles scientifiques quelles qu'en fussent les origines ou les tendances. Autour de lui, reçus avec la même aménité, se groupaient, naturellement pour ainsi dire, les élèves de toutes nos grandes écoles, ceux qui étaient fixés a demeure aussi bien que ceux que leurs fonctions amenaient a Lyon pour un séjour plus ou moins long. On allait tout d'abord voir Marchegay, et l'on y revenait, retenu dans cette maison hospitalière tout a la fois par le charme exquis de cet intérieur et par les qualités de coeur et d'intelligence du maître de la maison. Marchegay, disait-on, parfois aux nouveaux-venus, Marchegay, c'est la mère des compagnons ; cette expression familière convenait bien à la place qu'il occupait, et donnait une juste idée des qualités qui la lui avaient fait attribuer sans conteste.

Ses funérailles ont montré quel vide il a laissé dans la famille des ingénieurs, et combien chacun d'eux en avait le sentiment cruel et profond. C'était plus qu'un ami ou qu'un collègue qu'on accompagnait, c'était l'âme même de la corporation, celui en présence duquel ne pouvait s'épanouir que la cordiale fraternité dont il donnait incessamment l'exemple. Cette influence qui s'imposait autour de lui durera et portera ses fruits. L'oeuvre de solidarité bienveillante, que Marchegay a créée par le charme propre de ses qualités, lui servira ; nul de ceux qui en ont joui et en jouiront n'oubliera qu'il en a été l'auteur ; ce ne sera pas un de ses moindres titres à leur souvenir ému et reconnaissant.

Ce serait donner une idée incomplète de son caractère que de ne parler que de son coeur et de son aménité. Autant son commerce était sûr et sa droiture impeccable, autant son esprit était précis, sa science vaste et claire. Un de ses meilleurs et plus anciens amis écrivait quelques jours après sa mort : « Les lignes marquantes de son caractère peuvent se résumer dans ce trait qui dominait sa conduite et sa parole : l'horreur du faux et de l'à peu près. Étendez ce principe à la morale, à ses goûts, à sa pratique professionnelle comme à sa conduite privée, joignez-y un fonds inépuisable de bienveillance et de gaieté provenant d'une conscience irréprochable..., et voilà l'ami précieux que nous avons perdu. On ne rencontre pas souvent de pareils coeurs ! »

On ne saurait rien ajouter à ce cri douloureux qui exprime si justement le sentiment de tous ceux qu'un deuil profond réunissait autour du cercueil de Marchegay.

Ses qualités solides s'alliaient en effet a une verve communicative qui entraînait les plus moroses. Les saillies étincelantes et originales de sa conversation auraient pu sembler tout d'abord, à un esprit superficiel, des échappées d'un cerveau encombré de connaissances intinies mais peu coordonnées. Il n'en était rien. Nul n'était plus précis, plus pondéré. Avec sa loyauté primesautière, Marchegay était le premier à adopter momentanément les objections qui lui était opposées, à les faire ressortir; son esprit brillant les développait, en montrait toutes les faces, mais les pesait aussi ; sa logique rigoureuse en avait bien vite extrait ce qu'elles présentaient de fondé, et ses conclusions rigoureuses terminaient impartialement le débat, auquel il avait su donner l'attrait d'une passe-d'armes brillante, où chacun gardait l'illusion d'avoir eu sa part de victoire.

Charmeur par tous les dons aimables et solides, sa vie intime a été un modèle. Il ne convient pas d'en parler ici. Il a su trouver le bonheur, le goûter pleinement, et en faire jouir les siens et ceux qui l'ont approché.

Sa vie ne fut cependant pas exempte d'épreuves.

Si l'on a pu dire justement sur sa tombe que la récompense qui lui fut attribuée à la suite de l'Exposition de Lyon fut tardive parce que son mérite était exempt d'intrigue et d'ambition, on peut ajouter qu'à ce brave coeur les deuils les plus cruels ne furent pas épargnés. En peu d'années il perdit, en des circonstances particulièrement douloureuses, deux fillettes charmantes et adorées comme il savait adorer les siens ; puis son frère fut enlevé, dans la force de l'âge lui aussi, à une carrière où il avait su donner la mesure de son mérite. Ces épreuves n'ont pas été sans porter un coup funeste à la santé de Marchegay, on put espérer un moment que la puissante diversion qu'il trouva dans les travaux de l'Exposition auraient raison du chagrin qui le rongeait et qu'il dissimulait avec une pudeur jalouse ; que la dépense d'activité et de force qu'il dut faire alors éliminerait définitivement les germes morbides qu'il avait contractés, mais la détente qui suivit cette période intensive leur donna une recrudescence, à laquelle il ne résista pas.

Né à Sainte-Hermine, en Vendée, en 1840, Marchegay, dans les déplacements de carrière imposés à son père, qui était ingénieur des Ponts-et-Chaussées, fit successivement ses études dans les lycées de La Rochelle, Nantes et Paris. Quel élève il y fut ? Il suffit de dire qu'en 1859 et 1860 il eut successivement un prix et deux accessits au Concours général de mathématiques spéciales.

On a rappelé dans tous les journaux, lors des fêtes du Centenaire de l'École Polytechnique, qu'il descendait d'une famille de polytechniciens, dont toutes les générations avaient passé dans la grande école depuis sa fondation. Le grand-père de Marchegay fut en effet de la première promotion ; son père y passa également; son fils aîné y est encore, sur le point d'en sortir dans les premiers rangs.

Marchegay entra à l'École en 1860. Son frère y était reçu en même temps que lui. Dans la même promotion se trouvaient deux autres frères, fils également d'un ingénieur des Ponts-et-Chaussées, contemporain du père de Marchegay. Cette similitude assez rare de situation, l'amitié des parents, nouèrent entre les deux Marchegay et les deux Bazaine une amitié profonde dont la mort seule a pu rompre l'intimité.

Ils sortirent en 1862. Des deux Marchegay, l'un entra comme élève ingénieur à l'École du Génie Maritime, Alphonse entra à l'École des Mines comme élève externe.

Au bout des trois années d'études réglementaires, il en sortit ingénieur, et peu après fut attaché aux services de l'Exposition universelle de 1867.

Les travaux qu'il avait à y diriger achevés, il rentra à La Rochelle où il fut successivement nommé membre de la Commission des bateaux à vapeur et membres de divers jurys dans des expositions et concours régionaux.

La guerre vint. Dès août 1870, Marchegay s'engagea. Nommé capitaine d'artillerie, il fut envoyé à Lyon et chargé de l'armement des forts de Caluire et de Cuire. C'est alors qu'il eut l'occasion d'être reçu dans la famille où il rencontra celle qui devint plus tard la digne compagne de sa vie.

Au 1er janvier 1871, il était nommé à l'état-major du 24e corps d'armée, et quittait Lyon pour l'Est. Blessé à Avilley (Doubs), il fut dirigé sur Besançon et attaché à l'état-major de l'artillerie où il s'occupa activement de l'armement de la place.

Pendant l'armistice, il fut chargé de refaire le chemin de fer du Jura, de Mouchard à Lons-le-Saulnier, pour assurer le réapprovisionnement de la place.

Il avait donné la mesure de ses talents d'officier et d'ingénieur et fait la preuve de sa valeur comme administrateur et organisateur. Quand, le 15 mars 1871, il fut licencié, son ami, M. Regnault, nommé préfet du Doubs, se hâta de se l'attacher comme chef de cabinet.

Mais M. Regnault fut déplacé, et Marchegay quitta l'administration pour reprendre son métier d'ingénieur, auquel le poussait invinciblement sa vocation.

Il revint à Lyon, s'y maria et commença à y occuper cette place à laquelle l'appelaient les qualités dont nous avons essayé de donner un aperçu.

Sans s'attacher tout d'abord à aucune entreprise particulière, il s'installa comme ingénieur civil. Entre ses travaux de conseil et d'expert, il se consacrait à nos principales sociétés savantes. Appelé le plus souvent à y remplir des fonctions importantes, il sut leur imprimer l'activité qui lui était propre, y communiquer la flamme qui l'animait.

Tour à tour, trésorier de la Société d'Agriculture, président de la Société des Sciences industrielles qui languissait et qu'il revivifia, secrétaire de la Société d'Economie politique où il présenta plusieurs rapports remarquables, il s'attacha notamment à la Société des Touristes lyonnais, qu'il présida pendant dix ans. Son ardent patriotisme, son libéralisme, ses talents d'ingénieur, et d'officier - car il était encore capitaine d'artillerie dans l'armée territoriale - trouvaient là à se donner libre carrière, dans un but de la plus haute portée morale et sociale. On peut dire, sans diminuer la valeur de ceux qui l'ont précédé ou suivi à ce poste, que c'est lui qui a fait la Société des Touristes lyonnais ce qu'elle est aujourd'hui. La netteté de son esprit, l'étendue de ses connaissances géographiques et militaires, sa parole abondante, chaude, précise, en faisaient un chef incomparable pour inspirer aux jeunes gens l'amour de la patrie et leur faire saisir vivement la voie à suivre pour être prêts un jour à la servir efficacement. Dans les promenades qu'il organisait, rien n'était laissé à l'aventure, et chacun de ceux qui y prenaient part, quel que fut son degré d'instruction, pouvait bientôt s'en rendre aisément compte. Cartes en mains, avec une éloquence vibrante, dans une exposition limpide, Marchegay soumettait son plan à la critique de tous, en montrait les grandes lignes et les détails, en faisait saisir les raisons déterminantes et les conséquences. L'instruction militaire était complète ; c'est au souffle des plus hauts sentiments qu'elle était donnée et qu'elle s'inculquait dans les esprits.

Cette ardeur au bien, cette ferveur pour le drapeau trouvèrent encore à se dépenser dans la Société de l'Union des Femmes de France, dont Marchegay, depuis 1883 jusqu'à son dernier jour, resta le trésorier actif et influent.

Son nom restera particulièrement attaché à une oeuvre d'intérêt public dont il fut le créateur pour notre ville.

En 1880, il fut chargé d'installer le réseau téléphonique et d'en organiser le service. Il en resta le chef jusqu'au moment de sa reprise par l'État. Il le laissa avec près de mille abonnés, dans un état parfait de fonctionnement.

L'industrie lyonnaise se rappelle cette période que les fonctionnaires officiels ne sont pas parvenus à faire oublier.

Ce n'était pas cependant mince besogne que créer de toutes pièces un service si complexe, si l'on songe que l'invention était toute récente, que les appareils, de systèmes très divers dès la première heure, n'avaient point encore fait leurs preuves décisives. Une connaissance imparfaite pouvait en déterminer des choix dont les plus graves mécomptes eussent été la conséquence. Grâce à ses facultés d'assimilation, Marchegay avait su, de prime saut, se mettre au courant de cette nouvelle application de l'électricité, et la sûreté de son jugement l'avait infailliblement conduit aux solutions auxquelles plus rien ne devait être modifié.

Mis en évidence dans les régions officielles par plusieurs rapports techniques, Marchegay fut appelé à siéger au Conseil d'hygiène et de salubrité du département du Rhône.

A ce titre ou comme ingénieur-conseil, il eut a étudier des questions d'intérêt général, de première importance, telles que celles des abattoirs, de l'éclairage électrique des théâtres et de la nouvelle Préfecture, de la station centrale de chauffage et d'électricité de l'École du service de santé, du chauffage de l'Hôtel-de-Ville, du service de la buanderie de l'Asile de Bron. Les titres de ces travaux suffisent à montrer quelle était la variété de ses connaissances.

Cependant, Marchegay avait été nommé membre du Jury dans plusieurs expositions régionales ressortissant à l'art de l'ingénieur. L'Exposition internationale de Lyon fut décidée. Son nom fut des premiers mis en avant pour le Comité d'organisation, le Conseil supérieur et enfin la présidence du groupe VII. Des nombreux dévouements que fit naître l'Exposition de Lyon, celui de Marchegay fut certainement des plus actifs. Il s'y consacra entièrement, organisa son Groupe avec sa compétence et sa maestria habituelle, et quand, grâce à ses soins, tout fut en place et en fonctionnement irréprochable, des conférences sur les sujets les plus variés, des promenades commentées au travers des galeries vinrent dévoiler aux intéressés comme aux curieux, aux savants comme aux profanes l'économie des combinaisons de l'organisateur, les particularités curieuses de chaque élément mis en évidence par ses soins. Outre l'installation générale à laquelle il consacra son temps, on lui doit l'idée de deux pavillons des plus remarqués où se manifestèrent surtout les tendances de son esprit vulgarisateur : celui des Eaux et Forêts et celui des Mines. Dans le premier, toutes les ressources de nos bois avaient été mises en oeuvre au double point de vue de la décoration et de l'instruction. Dans le second, sous une salle où s'étalaient les appareils et les produits de l'exploitation des mines de houille, serpentait une véritable galerie d'exploitation, avec ses boisages, ses lampes, ses voies et ses wagons, dans laquelle la foule amusée et instruite ne cessa de circuler.

Ce furent là les dernières oeuvres de Marchegay, comme ses dernières joies furent la décoration depuis longtemps méritée qu'on lui attribua à cette occasion, sa nomination, due a son seul mérite, d'administrateur de la Compagnie du Gaz de Lyon, et les succès définitifs de son fils a l'École Polytechnique.

Fort de ses précédents et sûr de son autorité il songeait à donner, à l'occasion de l'Exposition de 1900, une idée plus vaste encore de ce qu'il était capable d'accomplir.

Jusqu'au dernier jour, confiant dans une force de résistance, dans une vitalité dont l'activité de son esprit lui laissait l'illusion, il parlait d'un prochain voyage au pays natal qui le rétablirait de ses fatigues et lui permettrait de se remettre à l'oeuvre.

On voulait le croire, autour de lui ; comme lui on caressait, bien qu'avec une cruelle appréhension, ces projets d'avenir qui souriaient à tous. On espérait que tant de flamme et d'ardeur généreuse n'auraient pu subsister dans un corps épuisé, que les ressorts vitaux un moment affaissés pourraient reprendre leur énergie.

Les espérances furent déçues. Ce fut un déchirement pour les siens, une douleur intense pour ses amis, une peine profonde pour ceux qui l'avaient connu.

Mais il reste de Marchegay, à sa famille comme à ses amis, le culte pieux d'un grand coeur et d'un vaillant esprit, ayant accompli en ce monde la tâche entière qui leur était dévolue, le doux souvenir d'un homme intègre dont toute l'existence, dans ses moindres détails, a été une constante pratique des plus hautes vertus.


Portrait d'Alphonse Marchegay
(C) Collection familiale. Crédits photographiques et Copyright Edmond Marchegay


Inscriptions murales laissées par une équipe ("brigade") d'élèves de l'Ecole des mines de Paris lors d'une visite des catacombes. On reconnaît les noms de Javal, futur membre de l'Académie de médecine et député, de Marchegay et de son camarade de la promotion 1862 Nouguier qui construisit plus tard la Tour Eiffel.
Crédit photographique : Franck Albaret. Photo réalisée sur une idée de Gilles Thomas.
Voir aussi : Les murs de l'histoire / L'histoire des murs, par Gilles Thomas