Jean MALAVOY (1903-1945)

Publié dans Annales des Mines, Août 1953.

Citation à l'ordre de la Nation

Le Président du Conseil des Ministres cite à l'ordre de la Nation :
M. MALAVOY Jean, Ingénieur en Chef des Mines, Chef de l'Arrondissement minéralogique de Rouen, pour les motifs suivants :

Créateur en Afrique occidentale française du service des mines et du service géologique. Pendant l'occupation a mis toute son intelligence, son énergie et son inlassable dévouement au service de la Résistance. Affilié au réseau Johnny, a recueilli de précieux renseignements, notamment sur une base de sous-marins voisine du Havre. Arrêté par la Gestapo le 3 mars 1942 et déporté au camp de Mauthausen, a continué à servir sa patrie par tous les moyens et réussi à entretenir des contacts permanents avec les services de renseignements extérieurs au camp de concentration. A fait par sa conduite l'admiration de ses compagnons. Transféré au camp de représailles de Gusen, il fut astreint aux travaux les plus pénibles et y fut exécuté le 13 février 1945.

Fait à Paris, le 14 février 1947.
Paul RAMADIER.

Par le Président du Conseil des Ministres :
Le Ministre de la Production industrielle,
Robert LACOSTE.

IN MEMORIAM
Jean MALAVOY (1903-1945)
Ingénieur en chef des mines mort pour la France

PAR P. NIEWENGLOWSKI, INSPECTEUR GÉNÉRAL DES MINES

Le Corps des Mines avait déjà payé un lourd tribut à la libération de la France lorsqu'il apprit que Jean Malavoy ne reviendrait pas du camp de concentration où il avait été déporté. La consternation fut grande, la déception d'autant plus cruelle que des renseignements inexacts avaient représenté notre pauvre camarade comme vivant, et même bien portant, au moment de la délivrance du camp par les Armées alliées. On espérait que le retard de son retour était dû à des difficultés de transport. La découverte de la date de son décès - 13 février 1945 - dans les registres du camp de Mauthausen mit brutalement fin à cet espoir.

Né à Rochefort le 7 novembre 1903, le fils de l'amiral Malavoy se passionnait pour les récits de voyages maritimes. La vision du large hantait ses rêves d'enfant; et toute sa vie il a conservé, avec le goût du risque et de la découverte, la nostalgie des vastes espaces.

Il fit ses études dans de multiples lycées, suivant les résidences et les embarquements de son père, à Rochefort, à Toulon, à Ajaccio, à Paris, de nouveau à Rochefort, puis à Paris où il fit ses mathématiques spéciales à Henri-IV, sans souffrir de tous ces changements qui auraient désorienté un élève ordinaire. Partout il fut très bien noté, sauf dans un seul lycée où le proviseur affirma à la famille que ce futur major de sortie de Polytechnique n'arriverait jamais à rien. A quatorze ans et demi, il passe le baccalauréat avec dispense d'âge. A seize ans et demi, il est admissible avec le n° 1 à l'Ecole Navale, où l'attirent ses goûts, mais dont sa myopie lui interdit l'entrée. A dix-sept ans et demi, il est reçu à la fois à l'Ecole normale supérieure et à Polytechnique. Il opta pour cette dernière école où il entra le plus jeune de sa promotion. Il y eut comme voisin de salle Honoré d'Estienne d'Orves qui fut un des premiers chefs et des premiers martyrs de la Résistance. Dans la grande salle d'étude de la rue Lhomond, il montra sa ténacité et sa force de caractère, ainsi qu'une rare puissance d'abstraction, en travaillant, seul bottier, au milieu de camarades qui se détendaient bruyamment de la contrainte des amphis, étudiaient le calcul des probabilités dans les combinaisons des jeux de cartes et la mécanique appliquée dans le lancement des balles de tennis. Après de brillants examens, il sortit deuxième major de sa demi-promotion, et il entra à l'Ecole des Mines.

Là, comme à Polytechnique, il conquit très vite l'amitié et l'estime de ses camarades qui appréciaient à son prix ce caractère très droit, très ouvert, très franc, brutal même dans ses réactions, quand quelque chose ne correspondait pas à ses vues, mais aussi très dévoué et toujours prêt à rendre service. Tous admiraient son intelligence extrêmement vive, et la facilité brillante de son esprit original et distingué. Son coeur était chrétien et pur, jamais rien de trouble ne souillait ses conversations.

A l'Ecole des Mines il se passionne pour la géologie. Il avait l'âme d'un savant, il en possédait la joie de connaître. La science était placée très haut dans sa pensée comme un sanctuaire réservé, et il appréciait peu les efforts faits par les géo-poètes pour la rendre accessible aux profanes. Se rappelant le texte de la messe de la Fête-Dieu, il disait à un de ses amis qu'il était allé voir au séminaire d'Issy : « Les profondeurs de la science, c'est comme l'Eucharistie : non mittendus canibus ».

Il sortit de l'École des Mines avec le n° 1, et il aurait dû normalement prendre un poste dans la métropole. Mais sentant que sa forte personnalité aurait peine à se contenir dans le cadre rigide de l'Administration métropolitaine, et qu'elle pourrait s'épanouir plus librement dans un service de recherches, il décida de suivre une carrière coloniale. Il se fit nommer à Dakar, où il débarqua le 16 mars 1927.

A son arrivée, il trouva un Service des Mines squelettique, à l'état d'abandon, sans chef depuis quatre ans, sans archives, groupé avec le Service météorologique dans quelques pièces insuffisantes et inconfortables. Cinq géologues engagés par contrat (deux en Côte-d'Ivoire, un au Sénégal, deux au Soudan), dépendant uniquement des lieutenants-gouverneurs qui les employaient souvent à des tâches sans rapport avec leur profession, travaillaient sans plan d'ensemble, sans moyens, sans contrôle. Cette situation, bien propre à dérouter un jeune ingénieur débutant dans le service, ne diminua en rien l'enthousiasme de Jean Malavoy. Il comprit que le premier effort devait tendre à la reconnaissance systématique du pays, suivant un programme général, pour l'exécution méthodique de la carte géologique et il fit adopter le principe de l'affectation de tous les géologues contractuels au Gouvernement général, qui les envoie faire des missions dans les diverses colonies du groupe, pour revenir à la saison des pluies étudier leurs échantillons, rédiger leurs rapports, tracer leurs cartes et se remettre de leurs fatigues.

Le difficile était d'obtenir les crédits nécessaires, de vaincre l'indifférence et l'incompréhension des autorités locales ou des pouvoirs publics, qui ne soupçonnaient pas l'utilité qu'il pouvait y avoir à récolter des cailloux ou à identifier un terrain. Mais sa foi ardente dans l'oeuvre entreprise lui valait, auprès de l'Administration avec qui il était en bataille fréquente, la sympathie, l'estime et le respect. Très vite, il s'était imposé par la fermeté de son caractère, par son activité, par sa connaissance approfondie des vastes territoires de l'A. 0. F. A force de ténacité, il triomphe de tous les obstacles. A la suite d'une mission de M. l'ingénieur en chef des Mines Blondel, qui avait apporté une aide puissante et efficace, le Service géologique est officiellement créé (28 juillet 1930). Du personnel est recruté. Une dizaine de jeunes géologues sont engagés, provenant surtout de l'Ecole de Strasbourg. A Dakar, les bureaux et les laboratoires s'agrandissent et s'installent, et l'on voit se créer une bibliothèque, un centre de documentation, un laboratoire de minéralogie, des collections, tandis que le laboratoire de chimie se développe. Parallèlement, le Service des Mines s'organise, la réglementation minière s'améliore, le contrôle des exploitants se précise, une politique minière se dessine, des conventions sont passées avec des groupes privés, et l'une d'elles est à l'origine des exploitations diamantifères de la Guinée.

Sans se cantonner dans un travail de bureau pour lequel il avait peu de goût, Jean Malavoy, payant sans compter de sa personne, passait la moitié de son temps sur le terrain. Quatre semaines après son arrivée, il était déjà parti pour une tournée de cinq mois prendre contact avec le pays, les gens et les choses. Il revient passer un mois au chef-lieu, repart pour une tournée de cinq mois, et c'est le début de nombreuses et longues randonnées dans la brousse qui, pendant huit ans, lui font sillonner en tous sens l'immense Afrique occidentale. Avec une activité débordante et une énergie inlassable, il parcourt cinq fois la Côte-d'Ivoire, cinq fois le Soudan, trois fois la Guinée, deux fois la Mauritanie; il visite la Gold Coast. la Haute-Volta. le Niger, le Dahomey, la Casamance, la Gambie anglaise et la Guinée portugaise. D'un congé qu'il passe en France, il rentre en A. 0. F., en mars 1934. par voie saharienne. Il partait en tournée harnaché de marteaux, de baromètres et de boussoles, escorté de quelques méharistes, allant en camionnette ou à pied jusque dans les régions plus ou moins soumises, dans des tournées épuisantes qui remplissaient d'admiration et de crainte les vieux blédards. La préparation de ses voyages était un chef-d'oeuvre de prévoyance et de précision. Il ne ménageait ni son temps, ni sa peine, couchant n'importe où, se nourrissant de conserves qu'il ingérait sans préparation dans un ordre absolument quelconque. L'essentiel était de procéder aux opérations qu'il avait résolu de faire. Toute vision d'ensemble et même de détail était difficile dans des régions plates ou dans les forêts de l'Afrique tropicale. Il se renseigne auprès des puisatiers indigènes et vérifie leurs indications.

Souvent il lui est arrivé de descendre dans des puits de 80 mètres de profondeur et de 80 centimètres à 1 mètre de diamètre, qui sont démunis de treuil et où l'on est forcé de caler le dos et les pieds sur les parois en s'aidant d'une corde quand il y en a une. Parfois il est reçu chez les tribus indigènes où son sang-froid et son adresse lui valent un grand prestige. Par une nuit de clair de lune, il affronte seul une hyène qui rôdait autour du camp et l'abat d'une balle de revolver entre les deux yeux. Il visite les géologues à qui il a donné rendez-vous en des points d'une piste; il leur avait donné mission d'établir une carte au 1/500.000 (la minute au 1/200.000) avec un quadrillage d'itinéraires de 20 kilomètres de côté, ou 50 kilomètres dans les régions désertiques ou peu peuplées, en faisant une prospection sommaire des affleurements ou des alluvions; il contrôle leur travail, leur donne l'esprit d'équipe, excite leur courage et les anime de sa flamme.

Il secoue l'inertie des autorités locales, et quelquefois le soir, en rentrant dans sa tente, il a pleuré de leur incompréhension ou de leur mauvaise volonté. Rien ne l'arrête, rien ne le décourage. Il se casse le bras gauche dans un accident d'automobile en Guinée portugaise et repart aussitôt guéri. Il le casse à nouveau dans une chute de montagne en Mauritanie et abandonne désespéré l'expédition commencée.

A Dakar, il fréquente le groupe polytechnicien dont il est à la fois l'enfant terrible et l'enfant gâté. S'imposant une discipline sévère, il part se coucher à heure fixe, quelles que soient les circonstances où il se trouve. Esprit trépidant, il ne dédaigne ni le paradoxe dans les discussions, ni une certaine fantaisie dans le comportement : une anecdote est restée célèbre où, pris pour un Libanais à cause de son accoutrement et non reçu par le Commandant du Cercle, il déploie sa tente sur la place du marché d'une grosse escale du Sénégal. Caractère fier et désintéressé, entier dans ses convictions, il méprisait les médiocrités et les compromissions; âme sensible, il parlait très souvent de sa famille avec beaucoup d'affection et de respect.

De ses tournées il rapportait une riche documentation et la versait aux archives de son bureau qui restaient ouvertes à qui voulait y fouiller; mais soucieux de ne rien dire d'incertain ou de prématuré, il se refusa pendant plusieurs années à la publication de travaux d'ensemble; ce qui découragea certains chercheurs. Parfois les premiers contacts étaient rudes avec les géologues isolés qui travaillaient et firent d'heureuses découvertes en dehors de son obédience; mais il reconnaissait franchement le mérite et tout finissait par s'arranger. A partir de 1932, il publia régulièrement les rapports annuels du Service géologique et du Service des Mines, où étaient exposés les travaux exécutés et les résultats acquis. Il participa au Lexicon de Stratigraphie pour l'Afrique dont la publication avait été décidée au Congrès géologique de Pretoria, et il exposa dans diverses notes à l'Académie des Sciences et à la Société de Géologie quelques-unes de ses découvertes et de ses idées, touchant notamment la géologie de l'Adrar mauritanien, la boucle du Niger, le Voltaien et l'Atacora (Gold Coast, Togo et Dahomey), la découverte d'un nautile dans la région de Fresco (Côte d'Ivoire), l'inexistence de dépôts quaternaires marins dans la région de Tombouctou, les formations géologiques de la Guinée portugaise (en collaboration avec Jacquet); il avait exposé en 1934, au congrès international de Varsovie, quelques particularités du littoral et des lagunes de la Côte d'Ivoire. L'orientation qu'il avait su donner aux travaux des géologues et des prospecteurs du service aboutit de son temps ou ultérieurement, à la publication de cartes géologiques au 1/500.000 en Guinée, au Soudan, au Dahomey, qui couvraient près du quart du pays, et provoqua la découverte de divers gisements miniers. Il prit part à de nombreuses recherches d'eau au Sénégal et en Côte d'Ivoire, et le sondage d'Abidjan permet de trouver l'eau qui alimente cette capitale. Il contribua à des prospections d'or et de diamant, et ses efforts tendirent à améliorer les méthodes d'orpaillage indigène. Mais il n'est pas toujours facile de faire comprendre à des gens qui ne sont ni mineurs ni géologues que ce n'est pas parce qu'un pays est neuf ou réputé tel qu'il doit offrir après quelques années de recherches superficielles des nappes de pétrole et de l'or à souhait.

En juillet 1935. il partit en congé dans la métropole pour refaire sa santé ébranlée par une vie exténuante. Froissé et mécontent d'ingérences dans ce qu'il considérait comme son domaine, il protesta avec éclat, et ne retourna plus dans ce pays qui était, suivant son expression « si passionnant par certains côtés, si décevant par d'autres ».

Sa tâche était inachevée, et il avait surtout connu la période ingrate des débuts au milieu de l'indifférence et de quelques hostilités, mais il avait créé de toutes pièces un Service des Mines et un Service géologique qui sont encore les modèles dont s'inspirent les autres colonies françaises en pays noir, et qui, dix ans après son départ, conservaient encore l'impulsion qu'il leur avait donnée : il avait par son exemple suscité des vocations minières et géologiques qui ont continué sa grande oeuvre.

Le 27 juillet 1936, il fut chargé du sous-arrondissement minéralogique de Marseille-Nord, où il resta jusqu'au 1er juin 1937. Mais il regrettait le Sénégal, la Mauritanie et la Côte d'Ivoire, les voyages d'aventure et de découverte, et il proclamait avec amertume qu'il avait quitté l'A. 0. F. avant d'avoir réalisé ce qu'il avait conçu.

Dans la métropole il conserva cette forte empreinte coloniale qui apparaissait dans ses manières, dans ses conceptions, dans tous ses actes. Avec son caractère si indépendant il éprouvait une sorte de malaise en se voyant subitement enfermé dans des activités trop limitées, enserré dans une réglementation rigide qui le surprenait. Les papiers étaient pour lui dénués d'attraits; et bien souvent devant une table chargée de dossiers sa pensée s'évadait vers les pistes ensoleillées de l'Afrique occidentale. Aussi était-il enclin à dépenser son énergie dans tout ce qui lui rappelait la brousse, dans tout ce qui lui permettait d'évoluer en pleine nature, dans les courses à travers les hautes montagnes dont il aimait les horizons immenses. Les petites mines du Briançonnais l'intéressaient plus que les concessions des Basses-Alpes et la recherche ou la découverte de sables aurifères dans les alluvions de la Durance l'aurait certainement plus passionné que la mise au point d'une méthode d'exploitation dans une mine importante. Il se plaisait à visiter les sources minérales, les gisements de petits métaux, les sondages, les travaux de recherches. Le service dans l'arrondissement de Marseille le déçut d'autant plus que l'année 1936-1937 fut une époque de fortes convulsions sociales, où toute l'activité des ingénieurs demeura subordonnée à l'étude des conventions collectives, au réajustement des salaires, à de nombreux arbitrages entre patrons et ouvriers, toutes choses dont il n'avait pu soupçonner la nécessité sur les bords du Niger ou sur les pistes du Sénégal. Mais il mit à la résolution de ces problèmes sociaux toute son intelligence et tout son coeur.

Affecté le 1er juin 1937 au sous-arrondissement minéralogique de Valenciennes, il eut à diriger un service essentiellement minier. En dehors du contrôle technique des grands charbonnages, son esprit fut accaparé par l'étude des revendications sociales qui, depuis 1936, se faisaient de plus en plus pressantes. Il tint à maintenir un contact étroit avec les organisations ouvrières. Avide de connaissance et de nouveauté, il n'hésitait pas à assister ostensiblement aux réunions du parti communiste si fréquentes dans le bassin d'Anzin. En même temps il gagnait la confiance des exploitants par son attitude loyale et impartiale dans les conflits qui aboutirent, en novembre 1938, à la grève générale dans les mines et la métallurgie. Par sa ferme attitude, lors de la réquisition civile des mines, il contribua efficacement à apaiser les esprits. Son action lui valut, avec les félicitations du Ministre, la Croix de la Légion d'honneur. Mais il aurait préféré recevoir cette récompense pour ses services coloniaux, car, écrivait-il à son chef « en France, nous sommes trop encadrés pour faire des bêtises ou des exploits excessifs ».

La guerre avait éclaté depuis déjà huit mois lorsque, après des démarches répétées, il put se faire mobiliser au régiment d'artillerie coloniale où il était capitaine de réserve. Adjoint au commandant de son groupe, il prit part aux combats de retardement qui l'amenèrent du Nord de Paris jusqu'en Périgord et, suivant son habitude, il se fit remarquer par son zèle et sa grande bravoure. Démobilisé, il reprit son poste à Valenciennes; puis, promu ingénieur en chef, il fut chargé, le 15 novembre 1941, de l'arrondissement minéralogique de Rouen. Le service bridé par l'occupant n'avait plus à cette époque qu'un intérêt restreint.

Jean Malavoy souffrait profondément de voir la France aux mains d'un ennemi dont la domination se faisait sentir d'une façon chaque jour plus pénible. Il aspirait de toute son âme à la délivrance de la patrie et à la victoire finale dont il n'a jamais douté. Il se jeta corps et âme dans la Résistance, où l'avaient précédé sa tante et son cousin, et il s'affilia au réseau Johnny. Il savait qu'il risquait chaque jour d'être arrêté, torturé, déporté ou fusillé ; mais, animé du plus pur patriotisme, il était de ceux qui n'ont jamais capitulé. Il réussit à se procurer les renseignements les plus précis sur une base de sous-marins voisine du Havre, sur l'emplacement des ateliers, sur l'importance des réparations; il put surveiller le chargement des wagons, le trafic des trains. Des amis dévoués transmettaient par radio les informations qu'il recueillait. Le 2 mars 1942, la Gestapo l'arrêta, comme elle avait déjà arrêté sa tante et son cousin.

Quelques jours après son arrestation, on le retrouva à la prison de Fresnes. Dans les heures douloureuses de la captivité il affermissait par d'édifiantes lectures sa force de résistance. De Fresnes il fut transféré à Romainville, d'où il put faire parvenir à sa femme une lettre clandestine écrite sur une feuille de papier à cigarettes. Il 1'informait d'un voeu qu'il venait de faire. Lorsque l'Alsace serait rendue à la France, il devait offrir une statue de la Sainte Vierge à l'église d'Ottmarsheim qu'il avait visitée avec sa fiancée peu de temps avant le mariage. Après Romainville, il fut dirigé sur Saarbrück et ensuite déporté au camp de Mauthausen, qui est situé à 27 kilomètres de Linz, sur un piton dominant le Danube. Ce camp était un vaste dépôt, d'où l'on envoyait les prisonniers travailler dans les chantiers des environs. Jean Malavoy fut affecté d'abord au kommando de Redel-Zypl, puis à celui d'Ebensee, où existaient des ateliers souterrains de V2. Ces ateliers comprenaient quatorze galeries ayant chacune 300 mètres de long, 12 mètres de haut et 12 mètre de large, travail colossal qui fut achevé en sept moi-par des hommes astreints à un travail forcené et souffrant de la faim. Ce régime de mort lente amena plusieurs fois Jean Malavoy à l'infirmerie du camp. Là il étonnait les autres déportés par sa volonté obstinée de vivre et les mesures qu'il s'imposait pour maintenir la souplesse de son corps. Il n'hésitait pas, malgré sa sous-alimentation, à faire chaque jour à heure fixe des exercices de gymnastique suédoise, et puisant dans sa foi chrétienne une espérance invincible, il récitait à haute voix des prières qu'écoutaient avec respect même les incroyants. Il aurait pu prolonger son séjour à l'infirmerie en entretenant des plaies toujours renouvelées, comme faisaient d'autres détenus, qui voyaient là un moyen de se soustraire au travail exigé par l'ennemi; mais son caractère intransigeant se refusait à cette supercherie; et il pensait qu'il pouvait continuer à servir la France par d'autres procédés plus difficiles aussi et plus dangereux. Il fut mis en relation et travailla avec un interprète français d'origine lettonne, qui avait fait sauter un atelier de V2, et qui fut pendu en décembre 1944 au moment où il se disposait à s'échapper. Aussitôt après la mort de ce patriote, Jean Malavoy fut envoyé au camp de représailles de Gusen d'où l'on revenait rarement vivant.

C'est une grande perte pour le Corps des Mines que celle de cet ingénieur en chef hors de pair, qui avat marqué profondément sa trace dans le champ si vaste de l'Afrique occidentale française, et qui aspirait à y retourner pour compléter une oeuvre déjà magnifique C'est une grande perte pour le pays qui a besoin pour se relever d'hommes de son énergie et de sa valeur intellectuelle et morale. Jamais nous ne serons assez reconnaissants à ces Français héroïques qui, comme Jean Malavoy, à une époque où certains s'accommodaient de la domination allemande, ont résisté, et fait le sacrifice de leur vie, pour que d'autres vivent et soient libres.


Jean Malavoy, élève de Polytechnique
(C) Photo Collections Ecole polytechnique


Jean Malavoy, élève à l'Ecole des mines