Alphonse LEGRAND (mort en 1915)

Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1900). Ingénieur civil des mines.


Publié dans Bulletin de l'Association amicale des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, Juillet 1916 :

Nous avons à déplorer la mort glorieuse de notre excellent camarade Alphonse Legrand, promotion 1900, ingénieur à la Société de Maijdan-Peck (Serbie).

Revenu de Serbie à la mobilisation, il fut versé avec son grade de sergent dans un régiment territorial d'infanterie ; mais les travaux du génie convenaient mieux à son talent de mineur ; il demanda et obtint son affectation au génie.

Pendant l'offensive de Champagne, il fut atteint, le 1er octobre 1915, par un éclat d'obus dans la région lombaire et succomba, le 6 octobre, des suites de ses blessures, à l'hôpital de Châlons-sur-Marne, après avoir reçu la Médaille militaire.

A la sortie de l'Ecole où son esprit chercheur s'était révélé, il débuta comme ingénieur de la traction dans les carrières de phosphates de chaux de la région de Sétif, à Tocqueville. Mais la Direction, qui avait pu juger des sérieuses qualités de son jeune ingénieur, lui confia bientôt la mise en exploitation d'une région. Ces nouvelles occupations plurent davantage à Legrand ; elles satisfaisaient son désir d'études et lui fournissaient l'occasion d'appliquer pratiquement ses connaissances.

Travailleur infatigable, il se consacra à l'étude géologique des gisements de phosphates de la région de Tocqueville. Il ne négligeait aucune occasion d'exercer ses facultés naturelles d'observation et d'augmenter ses connaissances. Il découvrit un fossile qui porte son nom et qui figure dans les collections du Musée d'Alger.

En 1901, le départ du Directeur lui permit d'assurer provisoirement le service de la gestion de la mine. Il se révéla excellent administrateur autant que bon praticien ; il réussit si bien et obtint de si intéressants résultats que le Conseil d'administration de la Société le félicita et le nomma Directeur. Il avait vingt-sept ans.

En 1906, la Compagnie Algérienne succéda à l'Union des Phosphates et la nouvelle Société accorda à son Directeur toute sa confiance. Il apporta d'heureuses modifications à l'exploitation, mais son activité s'exerça également à l'extérieur. C'est ainsi qu'il prit part au Congrès des Industriels à Alger ; il présenta divers vœux tendant à faciliter le développement des exploitations de phosphates, notamment pour obtenir la réduction des frais de transport.

Ses qualités d'ingénieur étaient encore relevées par ses qualités morales. C'est avec un tact délicat qu'il sut manier l'ouvrier indigène ; il se plaisait à résoudre pacifiquement leurs petites querelles, à régler leurs différends. Il sut ainsi acquérir leur confiance et leur estime.

Il était très bon ; à chacun il réservait un accueil cordial. Sa bienveillante sympathie s'étendait à tous ses collaborateurs et les Européens voyaient en lui un ami plus qu'un chef. Compatissant, il fit une charité discrète aux malheureux.

Legrand dirigea pendant six ans l'exploitation de la Compagnie Algérienne qu'il quitta pour entrer à la Compagnie de Rio Tinto. Il était resté neuf ans à Tocqueville et il emportait l'estime et les regrets de tous.

Dans son nouveau poste, il sut se faire apprécier et montra son mépris du danger, son sang-froid et son dévouement.

Le 3 novembre 1913, un groupe d'ingénieurs anglais descendit dans le puits Saint-Dionysio qui était en feu ; il s'agissait de reconnaître les dégâts et de les circonscrire. Mais ce groupe ne remontait pas. Une deuxième équipe, dont Legrand faisait partie, descendit à son tour et fut assez heureuse pour remonter les corps de quatre ingénieurs, dont trois furent rappelés à la vie. Pour honorer le courage de ces sauveteurs, le Gouvernement espagnol leur décerna une médaille d'or. Ce fut Lord Milner qui décora notre brave camarade. Tous ses anciens collègues de Rio Tinto, dans une adresse de douloureuse sympathie qu'ils envoyèrent récemment à Mme Legrand, disaient : « Son abnégation de la vie et son héroïque conduite lors de l'incendie du puits Dionysio sont toujours gravées dans notre esprit. »

En 1914, quelques mois avant la guerre, Legrand quitta Rio Tinto. Son tempérament de chercheur et son activité lui firent accepter le poste d'ingénieur en chef des Mines de Maijdan-Peck en Serbie.

A peine installé dans son nouveau poste, il eut le triste avantage d'assister au prologue du grand drame actuel.

Legrand est mort en héros. Il a reçu la Médaille militaire et la Croix de guerre avec palme pour sa brillante conduite en Champagne.

La citation du général en chef montre qu'à l'Armée, comme dans sa carrière, Legrand fut tout de suite remarqué comme un sujet d'élite et un homme de cœur. Voici cette citation :

« Sujet pénétré de l'esprit de dévouement et de sacrifice ; a rendu les plus grands services à la compagnie, grâce à ses connaissances techniques. Très grièvement blessé le 1er octobre 1915 en dirigeant sous un violent bombardement un travail d'organisation d'une position ennemie récemment conquise. »

Sa veuve, qui fut sa compagne admirable dans les divers pays où l'appelèrent ses fonctions, a perdu le modèle des époux, et ses deux petits enfants le plus tendre des pères.

H. Catrice.