Henry LE CHATELIER et l'Industrie Chimique

par Georges CHAUDRON et René DUBRISAY

Publié dans la REVUE DE METALLURGIE, janvier 1937

« MES travaux scientifiques se groupent autour de deux directions assez divergentes à première vue : la Mécanique chimique et la Chimie industrielle. Mais, en fait, ces deux branches de la chimie présentent entre elles des points de contact nombreux. Les lois de la Mécanique chimique régissent non moins les phénomènes mis en oeuvre dans l'industrie chimique que les réactions étudiées dans les laboratoires scientifiques »

C'est en ces termes que, dans un exposé de travaux daté de 1897, Henry LE CHATELIER a lui-même résumé son oeuvre scientifique. On a vu dans les articles précédents quelle a été son action directe sur la métallurgie, la fabrication des ciments et des liants hydrauliques, ou sur toute la science du chauffage. Pourtant, c'est peut-être par ses travaux sur les lois générales de la chimie et leurs applications à quelques cas concrets qu'il a le mieux mérité le titre de « Maître de la Chimie industrielle » qui lui a été décerné, ainsi que le rappelait le 21 septembre le Président de l'Académie des Sciences.


La mécanique chimique est, en somme, l'application à la chimie des données de l'énergétique. Elle avait été entrevue par Berthollet au début du XIXe siècle, mais elle a été définitivement fondée il y a quelque soixante ans par Berthelot et Sainte-Claire Deville. Les travaux de ces savants sur l'éthérification et sur la dissociation avaient, en effet, mis en évidence la réversibilité de certains phénomènes chimiques. Il était donc légitime d'appliquer à ces phénomènes des relations découlant des principes de la thermodynamique, ainsi qu'il avait été fait, par exemple, pour les changements d'état.

A la suite de travaux de Sainte-Claire Deville et de Berthelot, on avait reproduit et répété un grand nombre d'expériences et développé, à propos des résultats obtenus, de multiples considérations théoriques. Mais, il faut bien le reconnaître, tous ces efforts, au lieu d'éclairer le sujet, l'avaient, au contraire, rendu plus obscur. En particulier, sous prétexte que, dans les expériences de Debray sur la dissociation du carbonate de calcium, on avait constaté l'existence d'une tension de décomposition dépendant uniquement de la température, on en était arrivé à croire qu'il y avait là une loi générale, analogue à la loi de la vaporisation ou de la fusion, et qui devait être observée dans toutes les transformations chimiques réversibles. C'est seulement dans la seconde moitié du XIXe siècle, grâce aux petits efforts d'un petit nombre de savants, tant en France qu'à l'étranger, qu'il a été possible d'apporter dans ce chaos quelque précision : dans notre pays, H. LE CHATELIER a joué là un rôle essentiel. Lui-même a indiqué la méthode qu'il a suivie à cet effet.

« J'ai comparé d'abord entre elles les expériences antérieurement faites en discutant le degré d'exactitude qu'elles comportaient. Puis j'ai institué de nouvelles expériences pour vérifier les inductions premières ; enfin, je les ai rattachées aux lois de l'énergétique dont elles sont toutes, en somme, des applications particulières. »

Il reprit tout d'abord l'exposé des principes fondamentaux de la thermodynamique, en modifiant la forme donnée habituellement à l'exposé de ces principes. Pour cela, il faisait abstraction des notions d'énergie et d'entropie, auxquelles il reprochait leur manque d'objectivité, et faisait reparaître la notion plus concrète de « puissance motrice » antérieurement adoptée par Carnot :

« Un examen même très superficiel de la plupart de nos opérations industrielles (production du travail ou de l'électricité par les chutes, par les machines à vapeur, etc.) montre que ces opérations peuvent se décomposer en deux parties bien distinctes et même opposées : développement d'un premier phénomène qui pourrait se produire spontanément et indépendamment du second (descente de l'eau, combustion du gaz, dissolution du zinc dans l'acide) et d'un second phénomène (élévation du poids, compression d'un gaz, charge d'un accumulateur) qui présente le double caractère suivant : d'abord de ne pouvoir se produire indépendamment du premier, et, en outre, de pouvoir, une fois produit, changer spontanément de sens, se produire en sens inverse, de façon à jouer le même rôle que le premier phénomène envisagé. Dans toutes les opérations semblables, il y a échange, entre deux systèmes de corps en présence, d'une certaine propriété qui est perdue par l'un des systèmes et gagnée par l'autre : celle de pouvoir se transformer directement, soit isolément, soit en provoquant dans un autre système une transformation inverse. Cette propriété sera appelée « puissance motrice » : sa notion comprend à la fois une idée de causalité et une idée de réciprocité. »

H. LE CHATELIER fait remarquer ensuite que la puissance motrice de Carnot est identique à ce que Maxwell avait appelé « énergie utilisable », Helmoltz, « énergie libre », et que son expression algébrique est fournie par les fonctions caractéristiques de Massieu, appelées par Duhem « potentiel thermodynamique ».

Les principes de la thermodynamique conduisent alors à l'expression algébrique des conditions d'équilibre ou de possibilité des transformations. H. LE CHATELIER examine ensuite dans quelles conditions ces résultats peuvent s'étendre aux phénomènes chimiques. Il suffit de montrer pour cela:

1. Que les phénomènes chimiques peuvent développer de la puissance motrice ;

2. Qu'ils peuvent dans certaines conditions s'effectuer par voie réversible.

Ils peuvent développer de la puissance motrice, car un grand nombre de réactions chimiques s'effectuent spontanément avec production de chaleur ou changement de pression, susceptibles d'être utilisés directement comme source de travail. Quant à la réversibilité, elle fut, pour certaines réactions, mise en évidence, nous l'avons rappelé plus haut, précisément par les travaux de Sainte-Claire Deville, d'une part, de Berthelot et de Péan de Saint-Gilles, d'autre part. Depuis cette époque, on a découvert bien d'autres réactions susceptibles d'évoluer, soit dans un sens, soit dans un autre.

Telle est la voie qui a conduit H. LE CHATELIER, en même temps que Van t'Hoff et indépendamment de lui, à l'énoncé des lois de la mécanique chimique. On peut aujourd'hui préférer tel autre mode d'exposition, voire même discuter la rigueur de tel de ses raisonnements ; il n'en reste pas moins qu'au point de vue chimique les conséquences de ce travail essentiel ont été considérables. Nous y insisterons ici en nous limitant au domaine spécial de la chimie industrielle.

Après avoir mis en évidence les résultats d'une variation de pression sur l'équilibre chimique, et tenu compte d'une découverte analogue de Van t'Hoff sur l'effet de la température, H. LE CHATELIER énonçait en 1884 la loi du déplacement de l'équilibre sous la forme suivante :

« La modification d'une quelconque des conditions pouvant influer sur l'état d'équilibre d'un système de corps provoque une réaction dans un sens tel qu'elle tende à amener une variation de sens contraire de la condition extérieure modifiée. »

Ici encore, les physiciens ont pu discuter la forme donnée à cet énoncé : mais personne ne conteste que, dans les réactions chimiques, il donne l'expression de la vérité. Nous insisterons ultérieurement sur ses applications dans l'industrie chimique; retenons seulement ici que c'est là un des cas très rares, on peut dire exceptionnels, dans lesquels il est possible de prévoir a priori le sens d'évolution d'une réaction sous l'effet de l'intervention d'une action extérieure.

Des raisonnements analogues ont permis à H. LE CHATELIER d'établir la loi qu'il a appelée loi d'isodissociation, qui est une généralisation des formules de Clapeyron, ainsi que la loi approchée dite loi d'action de masses que Van t'Hoff avait démontrée en faisant intervenir les notions de parois semi-perméables et de pression osmotique.

Enfin, il a établi de façon précise la différence essentielle qu'il convient d'établir entre l'absence de réaction résultant de l'état d'équilibre et celle qui provient de l'effet des résistances passives. Ici encore, les travaux de H. LE CHATELIER ont fait l'objet de discussions portant peut-être sur des questions de forme plutôt que de fond. Mais, en tout cas, il est impossible de lui contester le mérite d'avoir le premier compris l'importance de ces notions et d'en avoir montré les conséquences en chimie pure comme dans les applications. Je ne saurais mieux faire que de citer à ce sujet des extraits du Mémoire sur les équilibres chimiques, publié en 1894 dans le « Journal de Physique » :

« Les actions de présence, c'est-à-dire celles des corps qui reviennent finalement à leur état initial, n'ont aucune influence sur l'état d'équilibre. Leur seul rôle, analogue à celui de l'huile dans les organes mécaniques des machines, est d'atténuer l'influence des résistances passives qui s'opposent au retour vers l'état d'équilibre d'un système chimique hors d'équilibre......

« Dans certaines opérations industrielles, fabrication de l'acide sulfurique, du chlore, etc., il est incontestable, au point de vue pratique, que les actions de présence employées permettent d'obtenir un meilleur rendement, une réaction plus complète. Dans le procédé Deacon, on arrive, grâce à l'emploi d'un sel de cuivre, à décomposer 80 % de l'acide chlorhydrique, tandis qu'en son absence on n'en décomposerait que 40 %. La raison de ce fait paradoxal à première vue est que le sel de cuivre permet d'obtenir la réaction de l'oxygène sur l'acide chlorhydrique à la température de 450o, tandis qu'en son absence la réaction ne serait possible qu'au-dessus de 800o. Or, la température est une des conditions déterminantes les plus importantes de l'état d'équilibre et la réaction est ici d'autant plus complète que la température est plus basse. Ce n'est donc que d'une façon indirecte, en permettant d'abaisser la température, que le sel de cuivre augmente le rendement en chlore du procédé Deacon. »

Il est impossible d'exprimer avec plus de précision et de netteté le rôle des résistances passives et des catalyseurs dans les réactions chimiques équilibrées. Nous verrons d'ailleurs comment ce point de vue, universellement adopté aujourd'hui, a permis de déterminer les conditions de la synthèse de l'ammoniac, c'est-à-dire d'une des réactions essentielles de l'industrie chimique contemporaine.

Par la suite, H. LE CHATELIER avait connaissance du célèbre ouvrage de Gibbs sur l'équilibre des systèmes hétérogènes et en donnait la première traduction française. A cette occasion, il s'aperçut et se hâta de proclamer que toutes les lois de la mécanique chimique se trouvaient en puissance dans l'ouvrage de Gibbs.

« Ni Van t'Hoff, ni moi-même, a-t-il écrit, n'avons donc rien apporté de nouveau, en fait, des lois de la mécanique chimique. Nous avons cependant rendu service aux chimistes en leur faisant connaître les premiers des lois que personne n'avait alors reconnues dans les formules mathématiques de Gibbs. »

Et plus tard :

« Gibbs a été le véritable fondateur de la mécanique chimique, ayant abordé ce nouveau chapitre de la science à une époque où rien n'existait encore dans ce domaine......

« Mais », a-t-il ajouté avec raison, « Gibbs semble n'avoir possédé que des connaissances chimiques très sommaires. On se demande parfois s'il s'est lui-même rendu compte de la portée de ses formules et des services qu'elles pouvaient rendre aux chimistes. »

On ne saurait, sans doute, contester à Gibbs le mérite d'avoir, dans toute sa généralité, découvert et énoncé la règle des phases. Mais il convient d'ajouter que H. LE CHATELIER en avait eu en quelque mesure l'intuition, à une époque où personne en Europe ne connaissait les travaux de Gibbs. A la suite des travaux de Debray sur la dissociation du carbonate de calcium, on admettait, en effet, comme un axiome, la loi des tensions fixes, c'est-à-dire que l'on postulait, en somme, l'univariance de tous les équilibres chimiques. H. LE CHATELIER avait été frappé par les travaux de Schloesing sur la dissolution du carbonate de calcium par l'eau chargée de gaz carbonique, système dans lequel apparaissait nettement la possibilité de faire varier arbitrairement deux des paramètres définissant l'état du système. Dès 1885 il mettait en évidence une particularité analogue dans la décomposition hydrolytique de certains sels (chlorure d'antimoine, sulfate mercureux), c'est-à-dire qu'il démontrait, en somme, l'existence des équilibres polyvariants.


Comme nous l'avons signalé déjà, l'une des applications immédiates des lois générales à l'industrie chimique s'est manifestée dans la préparation synthétique de l'ammoniac. La production de ce gaz à partir d'azote et d'hydrogène conduit à une réaction réversible, et comme cette réaction est accompagnée d'un dégagement de chaleur et d'une diminution de volume, les lois du déplacement de l'équilibre montrent qu'il faut opérer, pour avoir un bon rendement, à une température aussi basse que possible et sous une pression élevée. Mais, en raison de l'effet des résistances passives, la réaction ne commence à se manifester qu'à une température relativement élevée, où le rendement théorique est faible. Il faudra donc, comme dans le procédé Deacon, dont il était parlé plus haut, ou comme dans la préparation de l'acide sulfurique par contact, mettre en oeuvre un catalyseur qui permettra d'abaisser la température de réaction.

Dès 1900, H. LE CHATELIER avait énoncé toutes ces conditions. Il avait même explicitement prévu l'utilisation du fer comme catalyseur, en s'appuyant sur une observation ancienne faite par Thénard. Ce chimiste avait, en effet, constaté que le fer accélérait la décomposition de l'ammoniac - et l'on démontre en mécanique chimique que dans une réaction équilibrée un catalyseur agit également dans les deux sens.

Néanmoins, c'est Haber qui devait, grâce à des moyens puissants, faire entrer ces conceptions dans le domaine de la pratique. Haber a d'ailleurs proclamé lui-même l'influence exercée par les travaux de H. LE CHATELIER sur le succès de son entreprise. Après la guerre, M. Georges Claude devait d'ailleurs pousser plus loin encore que Haber les conséquences de la mécanique chimique et réussir à travailler sous des pressions de l'ordre de 1.000 kilos, ce qui lui permettait d'améliorer encore les rendements obtenus par Haber. H. LE CHATELIER suivait avec intérêt les progrès ainsi réalisés : « Ce sont là, écrivait-il en 1926, des débuts extrêmement brillants; il est certain que le rôle bienfaisant de la mécanique chimique ne se limitera pas là. »

L'application de la loi d'équilibre iso-chimique et des formules de Raoult devait, en 1885, conduire H. LE CHATELIER a l'énoncé des lois de la dissolution ou, plus exactement, à l'établissement d'une équation qui relie la solubilité d'un corps à la température en fonction de la chaleur de dissolution. Cette équation permet en particulier d'interpréter l'allure des courbes de solubilité autour des points de transition - et de déterminer le domaine de stabilité des différents hydrates (plus généralement des combinaisons définies du solvant et du corps dissous). On a vu, à propos des diagrammes thermiques des alliages, les conséquences pratiques qu'il a été possible d'en tirer.

En 1883, H. LE CHATELIER publiait au Bulletin de la Société de Minéralogie un mémoire sur le dimorphisme de la boracite. Par la suite, en collaboration avec Mallard, il étudiait le dimorphisme de l'iodure d'argent et l'influence de la pression sur la température de transformation de cet iodure. C'était là le point de départ de travaux importants sur l'allotropie, travaux qui devaient être poursuivis et où il trouvait, pour les lois de la mécanique chimique, un nouveau champ d'application. Bientôt, il abordait l'étude des phénomènes d'allotropie dans les composés du silicium.

Les premières expériences portèrent sur le quartz. Les minéralogistes s'étaient contentés auparavant, pour étudier les transformations des minéraux, de l'examen en lumière polarisée de lamelles chauffées sur la platine même du microscope ; les mesures étaient tout à fait incertaines et l'on ne pouvait guère dépasser 300o. H. LE CHATELIER, après avoir examiné diverses méthodes physiques, s'arrêta à l'étude dilatométrique, technique expérimentale qu'il créa et dont on connaît l'extrême fécondité.

Il commença par mesurer les coefficients de dilatation du quartz jusqu'au rouge, suivant les différents axes; c'est ainsi qu'il découvrit un point de transformation à 570o.

Il constata que la silice fondue a un très faible coefficient de dilatation et, en étudiant cet état amorphe, il découvrit que la cristobalite, variété extrêmement rare dans la nature, est l'un des constituants essentiels des briques de silice. Il montra que sa transformation à 230o est la cause de leur écaillage quand on chauffe trop rapidement les fours d'aciéries ou de verreries.

Après la guerre, il a fait préciser toutes ces études au moyen du dilatomètre Chevenard. Chaque variété de silice : quartz, cristobalite, tridymite, est caractérisée qualitativement et quantitativement par ses anomalies propres; c'est maintenant la méthode de choix pour suivre la fabrication des briques de silice.

A la suite de ses premières recherches sur la silice fondue et sur la dévitrification des verres pour la préparation de la cristobalite, il s'intéresse à l'industrie du verre. La viscosité est la plus importante des propriétés du verre; elle permet, d'une part, le façonnage des objets par soufflage, elle entraîne, d'autre part, des difficultés sérieuses dans la fabrication.

La variation de cette propriété avec la température est très brusque. H. LE CHATELIER discuta les résultats obtenus par différents auteurs et il donna la loi linéaire dite du double logarithme qui a des applications pratiques nombreuses.

Un fait fondamental est découvert par H. LE CHATELIER : les courbes dilatométriques du verre obtenues par l'un de ses élèves débutant montrent une brusque dilatation de l'échantillon peu avant son ramollissement. H. LE CHATELIER se rend compte de l'exactitude des résultats et de leur importance. C'est une transformation analogue à celle que l'on observe dans le soufre fondu, elle explique l'absorption de chaleur latente souvent signalée pendant réchauffement des verres au voisinage de la température de recuit et, dorénavant, il est possible de déterminer les conditions de trempe et de recuit des verres, c'est la base de la fabrication des nouveaux verres, dits de sécurité.

Les produits céramiques, les réfractaires ont souvent intéressé H. LE CHATELIER. Il trouvait fréquemment, dans ces industries, l'occasion d'appliquer ses théories et également ses résultats sur l'allotropie de la silice.

Dans l'industrie céramique, qui était essentiellement empirique, il rend les plus grands services en trouvant, très souvent par intuition ou par des essais très simples, les facteurs des principales opérations. Par exemple, pour la plasticité des pâtes céramiques dont dépend le façonnage des objets, il indique par ordre d'importance les facteurs suivants : finesse des constituants, structure lamellaire, proportion d'eau, vitesse de déformation et composition de l'eau de gâchage.

Avant H. LE CHATELIER, on avait déjà fait de nombreuses études sur les émaux qui servent à recouvrir les métaux pour arriver à éviter qu'ils se craquellent au chauffage. Pour trouver la solution, il fait tout simplement étudier par la méthode dilatométrique différentielle les émaux proposés et en utilisant le métal comme étalon; l'identité des deux lois de dilatation s'observe ainsi avec une grande précision et donne évidemment la condition d'adhérence de l'émail sur le métal.


Peut-être avons-nous, dans les lignes qui précèdent, réussi à montrer quelle a pu être sur l'évolution de l'industrie chimique l'influence des découvertes de H. LE CHATELIER. Mais ce serait réduire étrangement son rôle que de vouloir le limiter là, quelle qu'ait pu être par ailleurs l'importance de ses travaux originaux. Une part au moins aussi grande doit être réservée à son enseignement et, de façon beaucoup plus générale, aux idées qu'il a su répandre autour de lui.

Cela tient tout d'abord à l'importance qu'il n'a cessé d'attacher aux préoccupations industrielles aussi bien pour l'enseignement que pour les progrès de la science pure. « La fusion de la théorie et de la pratique, a-t-il écrit, doit être la préoccupation dominante de tous ceux qui s'intéressent tant aux progrès de la science pure qu'à ceux de l'industrie. L'isolement mutuel de ces deux branches des connaissances humaines, très accentué pendant la seconde moitié du XIXe siècle, a eu une influence néfaste. On ne saurait trop énergiquement lutter contre une tendance qui n'a pas encore perdu tous ses défenseurs, tant dans le corps enseignant que parmi les ingénieurs. Faute d'une semblable collaboration, la science privée de tout contrôle effectif se perd en vaines imaginations et l'industrie, privée d'une direction précise, s'immobilise dans des tâtonnements empiriques sans issue. »

Contre cette immobilisation, contre cet empirisme de l'industrie, H. LE CHATELIER a lutté toute sa vie. Ce fut d'abord en insistant toujours sur la nécessité des mesures dans toutes les opérations industrielles. C'est sous l'empire de cette préoccupation que lui-même avait, au début de sa carrière, institué des procédés de mesure des températures élevées ; on en a vu les applications en métallurgie et, plus généralement, dans toutes les industries où intervient le chauffage.

Mais, de façon beaucoup plus générale, on ne peut contester qu'il fut par excellence le créateur de la science industrielle, que l'on ne doit en aucune façon confondre avec la technologie.

« Pour éviter tout malentendu », a-t-il écrit dans la préface de son livre sur le Carbone, « il est utile de spécifier que les descriptions d'industrie chimique données d'habitude dans les cours de chimie ne constituent en aucune façon la Science industrielle, car elles passent complètement sous silence la raison d'être des détails de chaque procédé, les relations des faits entre eux, c'est-à-dire tout ce qui constitue essentiellement le propre de la Science. »

Et, plus loin :

« Quand on parle de la conductibilité électrique du cuivre, on ignore intentionnellement ses autres propriétés, et cependant, dans toutes les applications électriques du cuivre, on ne peut empêcher sa masse, sa chaleur spécifique, sa ténacité d'exister et de se manifester à l'occasion, parfois de façon très nuisible. Dans les dynamos à grande vitesse, l'inertie du cuivre est une cause de destruction très grave. De même, dans l'application de la thermodynamique aux machines à vapeur, on oublie trop souvent que ces machines sont construites en fonte, graissées avec des matières animales ou végétales se décomposant par la chaleur, et en transportant dans la pratique cette façon d'envisager les choses, on combine des machines incapables de marcher. L'habitude de regarder les choses par un seul côté est bien la caractéristique de l'esprit faux. »

Ce sont là des idées qui s'accordent singulièrement avec les conditions d'exploitation des usines chimiques actuelles. Elles nous semblent aujourd'hui banales, mais c'est encore à H. LE CHATELIER que l'on doit de les avoir, le premier, énoncées.

Georges CHAUDRON. René DUBRISAY.


Henry LE CHATELIER et l'Industrie des Ciments

par Etienne RENGADE

Publié dans la REVUE DE METALLURGIE, janvier 1937

« L'oeuvre de Henry LE CHATELIER relative aux produits hydrauliques présente cette particularité remarquable d'être presqu'entièrement contenue, du moins au point de vue scientifique, dans sa thèse de doctorat ès-Sciences publiée en 1887. Du premier coup, le génial savant apportait dans un domaine encore presque ignoré des précisions telles, qu'elles restent à l'heure actuelle les fondements universellement reconnus de nos connaissances. C'est donc principalement cette thèse que nous allons analyser, nous réservant, à la fin de ces lignes, de passer en revue les principales applications qui en ont été faites à la fabrication et à l'emploi des liants hydrauliques.

Allant du simple au complexe, H. LE CHATELIER étudie tout d'abord le plâtre, composé binaire dont la constitution et les propriétés hydrauliques devaient être a priori plus faciles à explorer.

Déjà Lavoisier avait établi qu'en déshydratant le gypse par la chaleur, puis gâchant avec de l'eau le produit obtenu, celui-ci s'hydratait à nouveau en cristallisant d'une manière subite et irrégulière, et que de l'assemblage des petits cristaux ainsi formés résultait une masse très dure.

H. LE CHATELIER répéta l'expérience de Lavoisier souvent en chauffant le gypse au fond d'un tube à essais et notant la vitesse d'ascension du thermomètre; il observa deux points d'arrêt sucessifs, le premier, très marqué à 128o, et correspondant à la perte des 3/4 de l'eau d'hydratation, le second, plus faible, à 163o, correspondant à la déshydratation totale.

La première étape de l'expérience s'appliquait sensiblement à la composition du plâtre industriel, contenant environ 7 % d'eau. H. LE CHATELIER s'assura qu'il s'agissait bien d'un hydrate défini, SO4Ca, 1/2 H2O, qu'il reproduisit nettement cristallisé en chauffant du gypse en présence d'eau en tubes scellés entre 130 et 150o. C'est le même composé qui forme les incrustations des chaudières. En le broyant et le gâchant avec de l'eau, il fait prise comme le plâtre du commerce.

Restait à analyser le mécanisme de la prise du plâtre : on admettait en gros qu'elle provenait de l'enchevêtrement des cristaux de gypse produits par hydratation; mais comment ces cristaux pouvaient-ils se former et s'enchevêtrer, alors que la proportion d'eau de gâchage n'était que d'environ 50 %, c'est-à-dire à peine de quoi dissoudre 1/1.OOO du sulfate de chaux?

Une expérience de Marignac fournit la clef du problème : Marignac avait observé que le plâtre cuit, agité quelques minutes avec un excès d'eau, fournit une solution plus concentrée que celle qu'on peut préparer à partir du gypse, et que cette solution abandonnée au repos laisse déposer peu à peu des cristaux de gypse en revenant à sa concentration normale. La solution initiale de plâtre est donc sursaturée.

Dès lors le mécanisme de la prise s'explique de lui-même : le plâtre cuit se dissout dans l'eau de gâchage en donnant une solution sursaturée de gypse ; celui-ci cristallise tout d'un coup et la solution restante devient capable de dissoudre une nouvelle partie de plâtre, et ainsi de suite, en sorte que la quantité très limitée de l'eau de gâchage permet l'hydratation intégrale du plâtre à partir d'une solution sursaturée intermédiaire.

L'emplacement où se forment les cristaux de gypse n'est donc pas forcément celui des grains de plâtre primitifs; on le vérifie facilement au microscope, et mieux encore en observant, dans un tube à essai rempli d'eau, la transformation analogue du sulfate de soude anhydre en cristaux hydratés par le même mécanisme.

Cette explication si claire du mécanisme de la prise du plâtre ne s'appliquait pas à ce seul cas particulier, et le génie à la fois analytique et généralisateur du grand savant allait montrer qu'elle s'adaptait aussi bien à tous les liants hydrauliques.

L'étude des silicates de baryte lui fournit une étape intermédiaire particulièrement instructive.

Il montra, en effet, qu'il existe deux silicates anhydres définis, qu'on prépare par fusion des constituants, et dont on vérifie l'homogénéité au microscope : le silicate monobarytique et le silicate dibarytique.

En revanche, il ne put obtenir (par l'action de l'eau de baryte sur la silice colloïdale) qu'un seul silicate, dérivé de la combinaison monobarytique par fixation de 6 molécules d'eau. L'hydrate dibarytique ne put être préparé.

Gâché avec de l'eau, le silicate monobarytique anhydre fait prise en s'hydratant et laissant cristalliser le sel à 6 H2O, par une réaction tout à fait comparable à celle du plâtre. Par contre le silicate dibarytique anhydre présente une réaction de prise nouvelle et un peu plus compliquée : il se dédouble en hydrate de baryte et silicate monobarytique hydraté.

Arrivant à l'étude des ciments calcaires, H. LE CHATELIER commença, suivant les principes de la méthode scientifique, par déterminer systématiquement les diverses combinaisons qui peuvent se former entre les éléments principaux mis en présence : chaux, silice, alumine et oxyde ferrique, et les réactions sur l'eau de ces différentes combinaisons anhydres.

Ce lui fut une occasion d'étudier de nouveau et de plus près la dissociation du carbonate de chaux, récemment découverte par Debray, mais sur laquelle on manquait de données précises. A l'aide de son pyromètre thermo-électrique, H. LE CHATELIER dressa la courbe des tensions de dissociation en fonction de la température, et vérifia qu'elle répondait sensiblement à la formule de Clapeyron-Carnot dont il venait d'établir l'extension aux équilibres chimiques.

Quant aux combinaisons de la silice avec la chaux, H. LE CHATELIER reproduisit facilement le silicate monocalcique ou wollastonite, et prépara pour la première fois le silicate bicalcique, dont il remarqua la pulvérisation spontanée au refroidissement, phénomène déjà couramment observé dans le refroidissement des laitiers très calcaires et aussi dans la fabrication des ciments, et dont il découvrait ainsi le facteur déterminant; quant à la cause initiale de ce phénomène, il l'attribua à une transformation allotropique du silicate bicalcique; explication dont l'exactitude devait être démontrée ultérieurement par Day et Shepherd : le passage de la forme alpha à la forme gamma entraîne une augmentation de volume de près de 10 %.

Cependant ce composé, gâché avec de l'eau, peut être conservé durant six mois dans un tube fermé sans faire prise ; il ne saurait donc jouer dans la constitution des ciments qu'un rôle tout à fait secondaire.

Mais la silice peut encore fixer une quantité plus élevée de chaux, jusqu'à trois molécules, semble-t-il, puisque l'analyse des grappiers du Teil conduit presque exactement à cette formule.

Pourtant H. LE CHATELIER ne peut réussir à reproduire le silicate tricalcique par synthèse directe : toujours une fraction de la chaux du mélange initial demeurait à l'état libre, s'éteignant par l'eau avec pulvérisation; le produit restant, après broyage, était cependant capable de faire prise, ce qui prouvait que le stade bicalcique avait été dépassé ; mais aucune combinaison définie n'apparaissait.

L'introduction d'un fondant (en l'espèce le chlorure de calcium) ne réussit pas davantage; au lieu du silicate cherché, c'est un chlorosilicate SiO2, 2 CaO, CaCl2 qui prenait naissance.

Mais précisément cette combinaison intermédiaire permit de tourner la difficulté : en la traitant à plusieurs reprises par la vapeur d'eau au-dessus de 4502 (température de dissociation de l'hydrate de chaux), il resta une poudre blanche dont la composition répondait presque exactemennt à la formule SiO2, 3 CaO, avec seulement 1,2 % de chlorure de calcium comme impureté. Or cette poudre, finement broyée et gâchée avec de l'eau, faisait prise et donnait après huit jours des briquettes de dureté tout à fait comparable à ce que l'on obtenait avec un ciment ; et cependant aucune trace de gonflement ne se manifestait, preuve de l'absence complète de chaux libre. Ces deux caractères montraient bien qu'on était en présence d'une combinaison nouvelle, facteur constitutif essentiel des ciments du commerce.

Restait à déterminer la composition des silicates de chaux hydratés. La réaction de l'eau sur les silicates anhydres n'y pouvait conduire directement puisque les uns sont indécomposables et les autres très lentement décomposables par l'eau. Comme pour les silicates de baryte, il fallut étudier la précipitation de la silice en solution colloïdale par un excès d'eau de chaux. En lavant à l'eau le précipité volumineux obtenu, on s'aperçoit qu'on lui enlève constamment de la chaux, mais qu'au fur et à mesure la concentration de la chaux dans le liquide de lavage va en diminuant jusqu'à ce qu'elle se fixe à une valeur constante de 0,052 mgr. par litre. Le début d'apparition de cette limite correspond à la combinaison définie SiO2, 2 CaO, 2,5 H2O, qui représente le seul silicate hydraté de chaux.

L'étude des aluminates de chaux fut faite en faisant fondre des mélanges à proportions variables des constituants et examinant au microscope des lames minces taillées dans le produit solidifié. Trois composés définis furent ainsi mis en évidence : l'aluminate monocalcique, correspondant au spinelle, très réfractaire, cubique, faisant rapidement prise avec l'eau; l'aluminate bicalcique, également cubique, facilement fusible, et un aluminate intermédiaire, orthorhombique, mais toujours mélangé, même après recuit, à une partie vitreuse, ce qui rend difficile la détermination de sa formule exacte; par analogie avec l'aluminate de baryte, on l'écrira 2 Al2O3, 3 CaO. Tous ces aluminates font prise avec l'eau et s'hydrolysent au contact d'une plus grande quantité de liquide, en laissant dissoudre des proportions variables de leurs constituants.

Comme aluminates hydratés, on est conduit à penser qu'il existe plusieurs combinaisons, mais une seule est stable en présence d'un excès de chaux; c'est donc la seule intéressante pour la prise des ciments, qui conduit à de la chaux libre en excès. On la prépare en précipitant par un excès d'eau de chaux la solution aqueuse récemment préparée d'un aluminate anhydre, et lavant à l'eau le précipité cristallin obtenu, jusqu'à alcalinité constante du liquide de lavage. On obtient ainsi l'hydrate d'aluminate tétracalcique Al2O3, 4 CaO, 12 H2O.

Reste encore, parmi les constituants habituels des ciments, le sesquioxyde de fer. Il forme avec la chaux divers ferrites dont aucun n'a pu être isolé; d'ailleurs, pour toutes les proportions des constituants, on observe extinction ou gonflement avec l'eau, mais pas de prise.

Quant aux nombreux silicates multiples d'alumine, fer et chaux, aucun n'est altérable par l'eau.

En contre-partie de cette étude synthétique des constituants possibles des ciments, H. LE CHATELIER effectua pour la première fois l'analyse microscopique des clinkers taillés en lames minces, par les procédés habituels de la pétrographie.

Il découvrit ainsi dans tous les clinkers l'existence de deux constituants fondamentaux :

1) Des cristaux incolores, faiblement biréfringents, à sections carrées ou hexagonales, constituant le plus abondant;

2) Un remplissage de couleur foncée rougeâtre ou brune, franchement biréfringent, sans aucun contour cristallin propre;

3) En outre, différents constituants accessoires, parmi lesquels le plus fréquent se présente en cristaux jaunâtres opaques, finement striés, d'autant plus abondants que la région examinée est plus siliceuse et moins calcaire.

Ces divers constituants devaient peu après être reconnus par le minéralogiste suédois Tornebohm, qui donna en particulier aux trois premiers ci-dessus les noms respectifs d'alite, célite et bélite.

De ces observations, on déduit que les cristaux d'alite, éléments de première consolidation, se sont formés durant la cuisson par précipitation chimique au milieu de la matière brune fusible (célite), élément de seconde consolidation qui, après avoir servi de fondant et rendu possible les réactions chimiques, s'est solidifié par refroidissement en remplissant tous les intervalles restés vides.

L'attaque de la lame mince au moyen de réactifs variés (acides étendus, sels ammoniacaux, chlorure ferrique) permit d'autres déductions non moins intéressantes :

a) Tous les constituants visibles renferment de la silice et de la chaux;

b) La célite est un silicate double d'alumine et de fer ;

c) L'alite, qui ne renferme pas de fer, ni vraisemblablement d'alumine, paraît seule assez altérable pour pouvoir jouer un rôle important pendant le durcissement des ciments.

Une nouvelle observation va permettre de déterminer la nature du constituant hydraulique principal : les « grappiers », séparés par extinction des chaux hydrauliques du Teil ou de Senonches et soigneusement triés, ont une composition qui s'écarte peu de la formule SiO2, 3 CaO. Par ailleurs, après broyage, ils ont les propriétés hydrauliques des ciments, et leur examen microscopique les montre comme formés presque uniquement de cristaux d'alite juxtaposés, sans presque de célite. Le constituant principal des ciments répond donc, sensiblement, à la formule du silicate tricalcique.

Quant à la bélite, dont la présence concorde avec la pulvérisation spontanée des ciments, ce doit être du silicate bicalcique, bien que son aspect micrographique conduise à penser qu'elle passe à l'alite d'une façon continue par solutions solides isomorphes.

Enfin, la chaux libre anhydre, regardée depuis Rivot comme un des constituants normaux des clinkers, ne s'y rencontre pas, tout au moins s'ils sont de bonne qualité : il suffit, en effet, d'incorporer au clinker 1 % de chaux libre pour obtenir un ciment gonflant.

Les ciments portlands traités par l'eau lui abandonnent une petite quantité d'alumine, les ciments prompts beaucoup plus. L'existence d'aluminates de chaux dans les ciments est donc probable.

Ces conclusions sont vérifiées par l'étude du ciment hydraté.

L'examen des briquettes de pâte pure durcie de ciment portland y montre la présence de lamelles hexagonales d'hydrate de chaux pouvant atteindre plusieurs millimètres. Mais le restant de la masse est d'apparence amorphe, ce qui n'exclut pas sa constitution cristalline, mais montre que les cristaux qui la composent sont très déliés et que dans la faible épaisseur d'une lame mince il s'en superpose un très grand nombre orientés en tous sens. On peut apercevoir la formation de ces cristaux en immergeant la lame mince entre deux lamelles dans de l'eau de chaux et la retirant de temps à autre pour l'examiner au microscope : on voit se former sur les bords, en plus de l'hydrate de chaux, des aiguilles extrêmement fines n'ayant pas plus de 10 microns de longueur, qui sont l'hydrate de silicate monocalcique SiO2, CaO, 2,5 H2O précédemment étudié, et d'autre part des sphérolithes constitués vraisemblablement d'aluminate hydraté Al2O3, 4 CaO, 12 H2O. La formation d'un aluminate de ce genre est confirmée pour les ciments prompts par l'existence d'une solution à titre constant en chaux lors de l'épuisement progressif du ciment de Vassy par l'eau.

La loi fondamentale du durcissement des ciments peut donc s'écrire :

SiO2, 3CaO + Aq = Si02, CaO, 2,5 H2O + 2 Ca(OH)2

réaction analogue à celle que donne le silicate dibarytique. En outre, l'hydratation de l'aluminate intervient vraisemblablement à titre accessoire suivant:

A12O3, 3 CaO + Ca(OH)2 + Aq = Al2O3, 4 CaO, 12 H2O

Quant au fer, il ne joue aucun rôle.

C'est en rapprochant les particularités de cette hydratation des ciments de celles qu'il avait précédemment observées sur le plâtre et sur les silicates de baryte, et des phénomènes analogues constatés sur l'oxychlorure de zinc, qu'Henry Le Chateher est arrivé à donner une explication absolument générale de la prise et du durcissement hydrauliques :

a) Tout liant hydraulique est constitué par un corps ou un système de corps capable de se combiner à l'eau pour donner un système hydraté stable.

b) Le système anhydre étant ainsi instable vis-à-vis de l'eau, doit thermodynamiquement être plus soluble. Il doit donc se former au contact de l'eau de gâchage une solution sursaturée, qui bientôt déposera spontanément des cristaux hydratés : le déclanchement de la cristallisation constitue la « prise ».

c) Ce mécanisme se reproduisant indéfiniment, la pâte du ciment initial doit se transformer peu à peu en un enchevêtrement de cristaux qui, ayant pris naissance au sein d'une solution sursaturée, sont disposés en longues et fines aiguilles formant entre elles un feutrage par suite de leurs nombreux points de contacts. Ainsi se trouve expliqué le mécanisme du « durcissement ».

En définitive, les propriétés des liants hydrauliques résultent de la superposition de trois ordres de phénomènes :

phénomène chimique d'hydratation,
phénomène physique de cristallisation,
phénomène mécanique de durcissement.

Il est naturel que la durée de prise varie beaucoup suivant les circonstances de fabrication ou la mise en oeuvre des ciments : finesse ou porosité des grains, proportions plus ou moins grandes d'aluminates, température extérieure, composition de l'eau de gâchage, etc... Le début de prise, c'est-à-dire le début de cristallisation de la solution sursaturée, est caractérisé par un brusque dégagement de chaleur, après quoi la réaction se calme, et l'on entre dans la période de durcissement, correspondant à l'hydratation progressive du silicate de chaux ; la forme allongée des aiguilles cristallines est la condition primordiale de la résistance acquise; celle-ci augmentera donc avec le degré de sursaturation initiale, c'est-à-dire avec la finesse de mouture; elle variera également suivant les impuretés contenues dans l'eau de gâchage; et aussi, naturellement et dans de très larges limites, avec la proportion de cette eau de gâchage, toujours en pratique très supérieure à celle qui serait nécessaire pour l'hydratation, d'où formation de vides résiduels qui diminuent d'autant la résistance.

D'autre part, l'étude de la constitution chimique des clinkers permet de déterminer scientifiquement les conditions optima de fabrication des ciments.

Tout d'abord, en ce qui concerne la composition centésimale des mélanges : il y a évidemment une limite supérieure de la teneur en chaux, qui correspond à la formation de silicate et aluminate tricalciques ; au delà, on aurait un excès de chaux libre, d'où ciment gonflant; par contre, une trop faible proportion de chaux entraînerait la formation de silicate bicalcique fusant et non hydraulique. Il est cependant à noter, qu'en pratique, on n'arrive jamais à réaliser cette teneur maxima en chaux, qui serait de trois molécules par rapport aux éléments acides, et que ce rapport ne dépasse que rarement 2,5. Cela tient à ce que, durant la cuisson, les réactions restent toujours incomplètes à cause du manque de finesse et d'homogénéité des pâtes. D'une usine à l'autre, les conditions de broyage et de cuisson variant, la proportion de chaux varie, bien que dans chaque usine elle doive rester empiriquement constante pour obtenir un bon produit.

Les « chaux hydrauliques » diffèrent des ciments en ce qu'elles s'éteignent au contact de l'eau, ou mieux de la vapeur en foisonnant; on les obtient par cuisson de calcaires moins argileux que les ciments, d'où présence dans le produit cuit d'une proportion notable de chaux libre qui explique le phénomène de l'extinction.

En réalité, une partie de la silice ne se combine qu'imparfaitement, par suite du manque d'homogénéité de la matière première. Plus la cuisson est poussée, plus la combinaison est complète et plus le produit est hydraulique, mais plus difficile est l'extinction.

La thèse se termine par une étude des causes de destruction des mortiers et tout particulièrement du gonflement présenté par certains ciments de mauvaise qualité. Ce gonflement est dû à la présence de chaux anhydre libre rendue compacte par la présence de fondant et surtout de magnésie. Dans ces conditions, tandis que la chaux pure s'éteint en quelques instants au contact de l'eau, c'est-à-dire durant le gâchage, la chaux magnésienne résiste longtemps à l'hydratation, si bien que les mortiers qui en contiennent, exposés à l'air, peuvent ne donner de signes d'altération qu'au bout de plusieurs années, et tomber finalement en poussière.

Une autre cause d'altération des mortiers serait l'action dissolvante de l'eau sur les silicates et aluminates si celle-ci n'était pratiquement paralysée par la carbonatation progressive au contact de l'air ou de l'eau.

Avec l'eau de mer, la destruction devrait être encore bien plus rapide, les sels magnésiens qu'elle renferme dissolvant la chaux du mortier pour la remplacer par de la magnésie hydratée floconneuse. Là encore, l'acide agit heureusement comme protecteur.

Tel est ce remarquable travail qui restera un monument définitif par la puissance des idées générales exprimées et par la sûreté des déductions particulières, à tel point qu'après un demi-siècle de recherches poursuivies dans tous les pays, presque toutes les pages peuvent se lire sans retouche et gardent tout leur intérêt pour le spécialiste. Et pourtant, combien nous paraissent pauvres aujourd'hui les moyens dont disposait le chimiste à cette époque, quand on considère les progrès incessants de la physicochimie dont le grand savant disparu fut un des premiers et des plus remarquables pionniers, et qui ont révolutionné l'esprit et la technique de la recherche scientifique.

Quelques analyses chimiques, quelques observations microscopiques, quelques déterminations de tensions de dissociation ou d'hydrolyse ont suffi à H. LE CHATELIER pour formuler des conclusions que n'ont fait que vérifier les recherches de longue haleine poursuivies dans des laboratoires équipés à l'échelle américaine en moyens et en hommes, avec toutes les ressources de l'analyse thermique, de la micrographie, de la difraction par les rayons X, etc... C'est que le génie supplée aux moyens matériels. En plus de sa hardiesse de vues, H. LE CHATELIER possédait au plus haut degré ces qualités moins éclatantes, mais peut-être plus rares : l'amour de la clarté et de la précision qui lui faisait rejeter toute explication approximative ou toute hypothèse invérifiable; un esprit critique aiguisé, avec lequel il disséquait toutes ses expériences et discutait impitoyablement leurs résultats; enfin, et par dessus tout, une intuition qui semble souvent une véritable divination.

Il est curieux à cet égard de suivre l'évolution des idées depuis cinquante ans sur deux points les plus marquants de la thèse de H. LE CHATELIER : la théorie générale de la prise et du durcissement, et le rôle du silicate tricalcique dans la constitution du ciment portland.

A l'explication fondée sur la cristallisation d'une solution sursaturée, on a fait l'objection que lesdits cristaux (à l'exception de l'hydrate de chaux) ne peuvent être décelés par l'examen microscopique des mortiers durcis. C'est d'ailleurs ce qu'avait expressément reconnu le Maître, en invoquant leur extrême petitesse. Et ainsi a pris naissance une « théorie colloïdale » imaginée par Michaelis en 1898, et constamment défendue depuis outre-Rhin. Cette théorie, qui semble n'avoir pour elle que son imprécision, ne donne aucune explication réelle du durcissement. Quant à la prise, on pourrait certainement concevoir qu'elle soit due à la coagulation d'un sel; mais jusqu'ici aucune preuve directe n'en a été apportée.

D'autre part, les expériences plus récentes de M. Chassevent ont établi, pour l'examen des spectres de diffraction aux rayons X, que dès les premières heures de la réaction entre une solution de chaux et un gel de silice colloïdale, il se formait des cristaux de silicate monocalcique hydraté.

Ainsi, les méthodes les plus modernes de la science viennent rétablir les conclusions primitives de H. LE CHATELIER.

Les discussions furent encore plus nombreuses et plus confuses en ce qui concerne le rôle de l'alite comme constituant principal du ciment, et surtout la formule réelle de l'alite. L'argument constamment invoqué était la limite pratique de dosage en chaux des ciments, nettement inférieure à la formule de H. LE CHATELIER. D'où de multiples formules empiriques où l'alite devenait soit du silicate bicalcique, soit une solution solide de chaux dans du silicate tricalcique, soit même un silicate hypothétique intermédiaire entre les silicates bicalcique et tricalcique. La question se compliquait encore quand on essayait d'isoler mécaniquement les cristaux d'alite et de les analyser. En raison de la petitesse de ces cristaux et de l'entraînement inévitable d'un peu de célite, l'analyse conduisait toujours à admettre une proportion non négligeable d'alumine, et l'on arrivait à des formules complexes bizarres, depuis celle proposée en 1897 par Tornebohm
9(3 CaO, SiO2) + 9CaO, Al2O3,
jusqu'à la Janeckeite formulée en 1914 :
8 CaO. Al203.2 SiO2.

Cependant, entre temps, un travail monumental avait été effectué aux Etats-Unis par le Geophysical Laboratory à l'exploration systématique du système ternaire chaux-silice-alumine, par Rankin et ses collaborateurs, qui, durant près de dix ans, étudièrent un millier de mélanges synthétiques et effectuèrent environ 7.000 traitements thermiques avec observations microscopiques.

Or, le diagramme ternaire ainsi édifié apportait une confirmation éclatante de la thèse de H. LE CHATELIER. Le domaine des ciments portland (exempts de fer) coïncidait précisément avec le système ternaire réduit SiO2, 3 CaO-SiO2, 2 CaO-Al2O3, 3 CaO, le liquidus du silicate tricalcique se trouvant parfaitement délimité entre les liquidus de la chaux, du silicate bicalcique et de l'aluminate tricalcique; en même temps, se trouvait expliquée la difficulté de préparer synthétiquement le silicate tricalcique à partir de ses éléments, celui-ci n'apparaissant pas dans le liquidus du système binaire SiO2-CaO, et ne se reformant qu'au cours du refroidissement au-dessous de 1.900o par réduction de la chaux sur le silicate bicalcique.

Malgré cette démonstration irréfutable, les conclusions de H. LE CHATELIER continuèrent à être contestées par de nombreux chercheurs, en Allemagne principalement, et ce n'est que dans ces toutes dernières années que ces contradicteurs ont dû se rendre à l'évidence. L'accord est maintenant enfin unanime, mais le nombre et la durée de ces errements aussi bien que la valeur scientifique du plus grand nombre de leurs auteurs, n'apportent-ils pas la preuve la plus éclatante du génie de celui qui, il y a cinquante ans, avait du premier coup et définitivement établi la constitution du ciment portland ?

D'ailleurs, alors que certains théoriciens discutaient encore, la pratique industrielle avait depuis vingt ans apporté la preuve de l'exactitude de la « formule de H. LE CHATELIER » en créant les superportlands, dans lesquels le rapport des molécules acides aux molécules de chaux est presque exactement de 3.

Mentionnons enfin que, dans ces toutes dernières années, un chimiste anglais, Mr F. M. Lea, a exécuté un ensemble de recherches absolument remarquables aboutissant au tracé du diagramme quaternaire silice-alumine-chaux-oxyde ferrique, dans le domaine des ciments portlands. Toutes les particularités de la formation du clinker pendant la cuisson, ainsi que l'influence d'un refroidissement plus ou moins rapide, se trouvent maintenant connues, de même que la limite théorique exacte de la proportion de chaux à combiner (qui ne correspond pas tout à fait à trois molécules par suite de l'empiétement du liquidus de la chaux dans le domaine des portlands, et aussi de la trop grande vitesse pratique de refroidissement des clinkers empêchant le maintien parfait de l'équilibre).

En définitive, à l'heure actuelle, les seuls petits changements apportés aux conclusions primitives de H. LE CHATELIER sur la constitution du ciment portland se résument à ceci :

L'alite est le constituant hydraulique principal, mais la bélite intervient aussi dans le durcissement, du moins à longue échéance.

La célite n'est pas un constituant homogène, mais un conglomérat eutectique formé principalement d'aluminate tricalcique et d'aluminoferrite tétracalcique.

Les recherches que H. LE CHATELIER poursuivit dans le domaine des ciments portlands postérieurement à la publication de sa thèse ne furent que pour vérifier ou mieux approfondir les questions traitées; constitution du ciment portland et dosage du cru, extinction de la chaux, limites d'hydrolyse des silicates et aluminates causes de dégradation des mortiers (rôle de la magnésie, action de l'eau de mer et des sulfates).

L'extinction de la chaux, ce phénomène en apparence si simple et si banal, fournit la matière de constatations et de déductions importantes, au double point de vue théorique et pratique.

H. LE CHATELIER insiste en particulier sur les pressions énormes développées par l'extinction et qui ne proviennent pas, comme on pourrait le croire, d'une augmentation de volume due à la réaction chimique, car le volume de l'hydrate de chaux produit est très inférieur à la somme des volumes des constituants, eau et chaux anhydre. Il y a donc diminution de volume absolu mais augmentation du volume apparent de la matière, dont les grains s'écartent en laissant entre eux des vides. D'où les dégradations qu'on observe à la longue dans les mortiers de ciments renfermant de la chaux anhydre libre.

Cependant, la formation d'hydrate de chaux peut se produire sans gonflement sensible, par exemple dans la prise du silicate tricalcique, où les grandes lamelles hexagonales de chaux mise en liberté, loin de nuire au durcissement, y prennent part au contraire. Mais c'est que dans le premier cas la réaction s'effectue directement entre la chaux anhydre et l'eau, ou mieux la vapeur d'eau, au lieu que dans le second cas il y a d'abord dissolution, puis cristallisation. En généralisant, on conclut que toute réaction à partir d'un corps solide, si elle ne se borne pas à être purement superficielle, provoque des forces de désagrégation, tandis qu'à partir d'un corps dissous, la cristallisation s'accompagne de durcissement.

Ces mêmes considérations devaient être plus tard directement appliquées par M. Lafuma pour expliquer le mécanisme de la passivité des ciments alumineux vis-à-vis des sulfates.

Toutefois, dans le durcissement des ciments portlands, ou plus généralement de tous les liants hydrauliques, on retrouve la double constatation d'une augmentation du volume apparent en même temps que d'une contraction du volume absolu. Ici, la dilatation est si faible qu'elle ne compromet en aucune façon le durcissement, mais elle est encore très facile à observer, par exemple en enfermant la pâte cimenteuse dans la boule d'un thermomètre, qui se brise à longue échéance.

Mais dans l'intervalle, la diminution du volume absolu est rendue évidente par la rétrogradation continue du niveau du liquide dans la tige, rétrogradation qui permet de mesurer à chaque instant la vitesse d'hydratation du ciment.

Le souci constant de remplacer les évaluations qualitatives par des données quantitatives, et de mesurer exactement toutes les manifestations possibles des phénomènes à étudier, était trop dans la nature de H. LE CHATELIER pour qu'il ne manquât pas de consacrer aux essais de ciments une part importante de son activité. En particulier, pour déceler le gonflement dû à la présence de chaux libre, il imagina deux modes opératoires aujourd'hui partout employés : les pastilles comprimées dont on détermine le gonflement à la vapeur d'eau au moyen d'un pied à coulisse, procédé simple et rapide pour contrôler l'extinction à l'atelier; et le « moule a aiguilles » universellement adopté dans les normes de tous les pays pour le contrôle des liants hydrauliques.

Grâce à ces méthodes, l'industrie put bientôt livrer avec certitude des ciments exempts des phénomènes de gonflement qui avaient occasionné auparavant de véritables catastrophes.

Il mit également au point un picnomètre pour la détermination rapide et exacte du poids spécifique des ciments - appareil aujourd'hui classique.

Pour l'étude des phénomènes de décomposition, il imagina « l'essai de diffusion » dans lequel on détermine la pénétration progressive dans un cube de mortier d'une solution sulfureuse, par le noircissement qu'elle produit avec les combinaisons ferrugineuses; et l'essai au gypse, où l'on mesure le gonflement progressif en atmosphère saturée de vapeur d'eau, d'une pastille comprimée d'un mélange de gypse et de ciment ayant fait prise, préalablement pulvérisés.

Il imagina aussi un procédé simple et élégant pour le dosage chimique des alcalis dans les ciments.

Pour les essais de résistance mécanique des mortiers, il avait montré depuis longtemps la supériorité de la compression sur la traction, et proposé de classer les différents liants uniquement d'après leurs résistances mécaniques et non d'après leurs procédés de fabrication.

Depuis longtemps aussi, il avait suggéré la substitution, au calcul de la moyenne des briquettes, avec élimination plus ou moins arbitraire des ruptures aberrantes, de la prise en considération du « chiffre médian », laissant de part et d'autre le même nombre d'éprouvettes et éliminant automatiquement, sans en être modifié, les chiffres extrêmes aberrants. Ce principe de calcul a été récemment adopté dans le nouveau cahier des charges de 1' « AFNOR » de 1934.

Enfin, H. LE CHATELIER présidait la « Sous-Commission des échantillons normaux de ciments » fondée dans le but d'améliorer l'étalonnage des différents laboratoires d'essais de ciments, et de mettre à leur disposition à cet effet des échantillons spécialement stabilisés et étalonnés.

La principale préoccupation de H. LE CHATELIER, celle sur laquelle il a insisté toute sa vie, l'union intime de la science et de l'industrie, a été son guide dans le domaine des liants hydrauliques aussi bien qu'en métallurgie ou en céramique. C'est dans l'industrie qu'il devait chercher ses sujets d'études, et c'est à des réalisations industrielles qu'il devait apporter le bénéfice de ses découvertes scientifiques.

Il a raconté lui-même comment il attribuait au souvenir des essais de son grand-père, intime ami de Vicat, l'idée d'avoir pris comme sujet de thèse l'étude des liants hydrauliques. Au cours de cette étude, ce fut l'examen des grappiers de Lafarge qui lui révéla le rôle et la constitution de l'alite, et ce fut dans cette même usine que, dix ans plus tard, il étudia les particularités de la cuisson dans les fours à chaux et, pour l'améliorer et la régulariser, imagina, avec son élève Jules Bied, les fours chauffés au gaz, encore utilisés aujourd'hui pour la fabrication du ciment extra-blanc.

Il montra d'autre part que la composition moyenne du calcaire de Lafarge correspond exactement à celle d'un ciment portland siliceux, que la production de chaux hydraulique n'était due qu'à une cuisson insuffisamment poussée de fragments partiellement hétérogènes, et que par suite une cuisson convenable d'un mélange parfaitement homogénéisé de la pierre de la carrière devait donner un ciment artificiel de qualité parfaite : c'est ce qui fut réalisé par la cuisson au four rotatif de la chaux déjà cuite, éteinte et broyée; ainsi naquit le « ciment artificiel double-cuisson ».

Il imagina d'autre part de substituer à l'extinction empirique des ciments, par arrosage et silotage prolongé, une extinction rationnelle dans un cylindre tournant rempli de vapeur à 150o. A cette température, la chaux s'hydrate rapidement, sans que soient altérés les silicates ou aluminates. L'essai de laboratoire fut immédiatement transposé à l'échelle industrielle avec un plein succès pour l'extinction du ciment de grappier de Lafarge et, quelques années après, pour l'extinction du ciment blanc et des chaux hydrauliques.

Enfin, pour l'obtention d'un ciment résistant aux sulfates et à l'eau de mer, il ressuscita la formule du ciment de tuileau des Romains et conduisit ainsi à la fabrication du ciment indécomposable Lafarge, par mélange de ciment de grappiers et d'argile convenablement torréfiée.

Cette collaboration industrielle, H. LE CHATELIER la poursuivit jusqu'aux derniers moments de son existence. Sans cesse, il s'informait de l'état des recherches entreprises, critiquant les résultats obtenus, suggérant de nouvelles expériences. Quelques jours avant sa mort, il nous écrivait encore à ce sujet de sa maison de campagne de Miribel-les-Echelles. Car il était infatigable, et il avait gardé une fraîcheur de mémoire et une lucidité d'esprit vraiment merveilleuses.

Etienne RENGADE.