Frédéric Claude Marie LAPORTE (1868-1922)


Frédéric Laporte, élève de Polytechnique
(C) Photo Collections Ecole polytechnique

Fils de Jean-Baptiste LAPORTE, magistrat, et de Marie Joséphine OZANAM. Epoux de Marguerite RÉCAMIER.

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1888, entré classé 91 et sorti classé 114 sur 181 élèves). Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1890). Ingénieur civil des mines.


Publié dans le Bulletin de l'association des anciens élèves de l'Ecole des Mines (mars 1923)

Issu d'une vieille famille lyonnaise, Frédéric Laporte était né à Paris le 16 mai 1868.

Sa mère était la fille du grand écrivain Frédéric Ozanam (1813-1853), l'illustre fondateur des Conférences de Saint-Vincent-de-Paul, une des plus belles figures catholiques du XIXe siècle, et, bien qu'il n'eût jamais connu ce grand-père auquel il ressemblait beaucoup, Laporte avait, dès sa jeunesse, imité ses charitables exemples en visitant comme membre de la Société de Saint-Yincent-de-Paul les pauvres de la paroisse Saint-Médard.

Reçu en octobre 1888 à l'Ecole Polytechnique, il entrait en 1890 à l'Ecole des Mines et, à la sortie de l'Ecole, il débutait comme ingénieur à la maison Richard. Il n'y passa que quelques mois, car il s'était senti attiré de suite par les questions scientifiques.

Après avoir suivi en 1894 les premiers cours faits à l'Ecole Supérieure d'Electricité qui venait de s'ouvrir à côté du Laboratoire central d'Electricité, Laporte était, le 1er août 1895, attaché au Laboratoire qu'il ne devait plus quitter.

Un an après, il épousait Mlle Marguerite Récamier, fille du général Récamier. Sa vie devait dès lors se partager entre ses occupations scientifiques et la belle famille de six enfants que lui donna la compagne admirable qui se consacra à son mari jusqu'à la fin avec un inlassable dévouement.

Au moment où Laporte entrait au Laboratoire Centra] d'Electricité, l'industrie électrique, si elle n'en était plus tout à fait à ses débute, cherchait encore sa voie. L'utilisation de l'électricité pour l'éclairage commençait seulement à se développer. L'esprit méthodique et chercheur de notre camarade se porta de suite vers l'étude des questions d'éclairage et de photométrie, dont l'importance ne lui avait pas échappé. Sans négliger les autres branches de la science électrique, il se spécialisa dans l'étude de ces questions et fit faire à cette partie si délicate de la science des progrès considérables. Je n'entrerai pas ici dans le détail des nombreux travaux exécutés par Laporte sur cette question, travaux qui pour la plupart ont été publiés par lui dans le Bulletin de la Société Française des Electriciens. Malgré la modestie de leur auteur ils l'avaient rapidement signalé à l'attention de ses chefs et, en 1901, Laporte était nommé sous-directeur du Laboratoire Central.

Dans ces nouvelles fonctions, il montra le même zèle et la même conscience qu'il apportait à tout ce qu'il entreprenait. Mais elles ne le détournèrent pas des recherches scientifiques pour lesquelles il gardait toujours une prédilection marquée et qui lui avaient déjà fait acquérir une grande notoriété dans le monde savant en France et à l'étranger. Aussi fut-il, à diverses reprises, délégué pour représenter la France dans des Congrès internationaux.

C'est ainsi qu'après avoir pris part en 1906 au travail exécuté par divers laboratoires français et étrangers pour comparer les principaux étalons à flamme en usage dans divers pays, il était délégué, en 1907, à la Commission internationale de Photométrie réunie à Zurich et y présentait sur cette question un remarquable rapport. Il ne devait pas cesser, depuis lors, de jouer dans cette Commission un rôle prépondérant et, en 1913, à Berlin, il prit la part la plus active à l'élaboration des statuts destinés à la transformer en Commission internationale de l'Eclairage.

Il s'était également occupé de la question des unités électriques et, avec le concours de ses collaborateurs du Laboratoire Central, avait fait d'importantes recherches sur cette question.

Aussi, lorsque sur l'invitation de l'Amérique on entreprit, en 1910, des expériences comparatives au Bureau of Standards de Washington, Laporte fut-il désigné pour représenter la France à Washington, où il travailla en collaboration avec des savants anglais, américains et allemands. Au cours de ces expériences qui durèrent plusieurs mois, il joua un rôle prépondérant. Sa science et la lucidité bien française de son esprit lui valurent d'être désigné par ses collègues étrangers, à l'unanimité, pour rédiger le rapport rendant compte des résultats obtenus.

A côté de ces problèmes dont Laporte s'occupa jusqu'à la fin, un autre vint bientôt élargir le champ de ses études.

Depuis longtemps déjà, l'emploi des accumulateurs, malgré leurs imperfections, rendait de grands services dans l'industrie, mais la création des sous-marins due à l'ingéniosité des ingénieurs français devait étendre considérablement leur emploi. Dès 1900, le Ministère de la Marine demanda au Laboratoire Central de procéder à une étude approfondie de ces appareils. Laporte fut appelé à entreprendre cette étude qu'il me cessa de mener de front avec ses travaux sur la photométrie et sur les étalons électriques.

Ce fut au milieu de ces laborieuses recherches que Laporte fut surpris, en 1914, par la déclaration de guerre. Mobilisé comme capitaine d'artillerie territoriale, il prit immédiatement le commandement de la batterie du fort de Béru, au nord-est de Reims, et dès lors se consacra entièrement à l'administration de sa batterie.

Pendant la foudroyante avance allemande qui devait être brisée à la bataille de la Marne, Laporte se préparait à défendre énergiquement le poste qui lui avait été confié, quand, le 2 septembre 1914, il recut l'ordre d'évacuer la batterie qu'il occupait. Il dut, par une marche forcée, se retirer dans la nuit vers Epernay avec ses canonniers après avoir détruit des pièces trop lourdes pour pouvoir être emmenées. Cette marche s'accomplit avec un ordre admirable. Laporte avait pris toutes ses précautions pour assurer la sécurité et le bien-être de ses hommes, mais il ne s'était pas ménagé lui-même dans cette retraite au cours de laquelle il avait-même cédé son cheval à un canonnier incapable de marcher, et c'est à ce moment qu'il contracta l'affection du coeur qui devait plus tard l'emporter.

D'Epernay. la batterie était dirigée sur Dijon et ce n'est que là que Laporte pouvait enfin se reposer un peu. Son séjour à Dijon fut court. Le 12 février 1915, il reparlait avec sa batterie pour Verdun, mais là, complètement épuisé par les efforts surhumains qu'il avait faits en septembre, il fut terrassé par la maladie de cœur qu'il avait contractée et il dul entrer à l'hôpital militaire le 13 mars.

On le crut d'abord perdu, puis un mieux se déclara dans son état et à la fin du mois de mars, il put être transporté à Paris pour être soigné dans sa famille. Il avait eu alors grand besoin de prendre enfin un repos prolongé, mais l'inaction lui pesait et, quoique insuffisamment remis à la fin de son congé de deux mois, il obtint de reprendre du service. Son état de santé ne lui permettait pas de retourner au front comme il le désirait ardemment, et l'autorité militaire l'envoya comme professeur à l'Ecole d'Artillerie de Fontainebleau. Il y resta du 31 mai 1915 au 31 décembre 1916.

A ce moment, le Ministère de la Marine venait de demander au Laboratoire Central de reprendre les travail qu'il avait entrepris dès 1900 sur les accumulateurs des sous-marins et que la guerre avait arrêtés. Le laboratoire, désireux de profiler du concours de Laporte, demanda son rappel, et c'est comme capitaine d'artillerie que Laporte vint reprendre son poste au Laboratoire. Il se remit à ses travaux scientifiques avec acharnement et consacra ce qui lui restait de forces à des recherches dont l'importance était si grande pour la défense nationale. Il s'y employa sans compter et acheva ainsi de compromettre sa santé si ébranlée par toutes les fatigues éprouvées depuis 1914.

Il eut la consolation de voir ses services récompensés par la croix de la Légion d'honneur qui lui fut accordée en janvier 1918 à titre militaire.

Démobilisé après l'armistice, il reprit ses fonctions de sous-directeur au Laboratoire. Mais sa santé était irrémédiablement compromise : ses forces le trahissaient et il ne pouvait plus apporter un concours aussi actif que par le passé à ce Laboratoire qu'il avait vu naître et où toute sa carrière scientifique s'était écoulée. Ce fut pour lui une grande souffrance, dont pouvaient se rendre compte ceux qui le voyaient dans l'intimité. Il lutta longtemps, mais en mars 1922. il dut s'aliter et abandonner complètement ses travaux. Il supporta cette cruelle épreuve avec un courage et une sérénité incomparables qu'il puisait dans ses profondes convictions chrétiennes. Se sentant perdu, il voulait jusqu'au bout donner un bel exemple d'énergie à ses enfants et on ne peut s'empêcher de faire un rapprochement entre la belle fin de cet homme encore jeune, en pleine possession de tous ses moyens intellectuels, et celle de son grand-père Ozanam, qui, à 40 ans, frappé par un mal impitoyable, faisait avec une admirable sérénité le sacrifice d'une vie qui s'annonçait pour lui si pleine de promesses.

Le 15 juillet 1922, il était transporté à la campagne à Sèvres. Il désirait beaucoup ce déplacement et espérait que l'éloignement de Paris lui apporterait un soulagement au moins momentané. Mais cet espoir ne devait pas se réaliser et le 17 juillet, il était brusquement enlevé à l'affection des siens, et s'éteignait entre les bras de sa femme qui l'avait si admirablement soigné.

J'ai retracé ici très rapidement la carrière scientifique de Laporte, mais je n'ai pu que donner une idée très imparfaite de l'homme et du chrétien qu'il était.

Sous des dehors un peu froids et réservés qui ne laissaient guère apercevoir aux étrangers qu'une faible partie de ses qualités exceptionnelles, il cachait une nature d'élite. Ceux qui ont eu le bonheur de le voir dans l'intimité, se rendaient vite compte de sa haute valeur morale, de la vivacité de son intelligence et de l'étendue de ses connaissances. Il n'était jamais aussi heureux qu'en famille et consacrait à l'éducation de ses enfants tous les loisirs que lui laissaient ses occupations scientifiques si absorbantes.

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E. Rivet