Jean Virgile SOLACROUP (1884-1914)

Fils de Emile SOLACROUP (1850-1927 ; X 1869, corps des ponts et chaussées) et de Marie HÉBERT.
Petit-fils de Antoine Emile SOLACROUP (1821-1880 ; X 1839, corps des ponts et chaussées, directeur de la Compagnie d'Orléans) et de Louise Henriette GAUTIER-DAGOTY.
Frère de Charles Emile SOLACROUP.
Cousin de Edouard Charles Emile HEURTEAU.

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1903, entré classé 79 et sorti classé 115 sur 179 élèves) et de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1906). Ingénieur civil des mines.

Lieutenant de réserve au 53e régiment d'artillerie, mobilisé en 1914 dans les Vosges, il reçoit l'ordre de marcher de nuit sur Baccarat fin août et rencontre l'ennemi. Après plusieurs jours de combats, il est grièvement blessé à la face et au thorax et succombe le 14 septembre 1914.


Bulletin de l'Association amicale des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, février 1916 :

Jean Solacroup, né à Paris, le 1er janvier 1884, fit ses études au lycée Condorcet et au collège Stanislas et fut reçu à l'École Polytechnique en 1903.

Après une année de service militaire comme sous-lieutenant d'artillerie, il entrait à l'École des Mines et, dès sa sortie, se dirigeait du côté de l'industrie métallurgique et demandait à entrer à la Compagnie des Forges et Aciéries de la Marine et d'Homécourt.

Son entrée à la Compagnie des Forges et Aciéries de la Marine et d'Homécourt avait été facilitée, en dehors de ses titres par des relations de famille déjà anciennes. Aussi bien Jean Solacroup — et c'est un joli côté de son caractère — sembla-t-il toujours se préoccuper de faire oublier ce qui, dans sa situation, pouvait paraître un peu privilégié, et de vouloir rentrer dans le rang.

Il commença à prendre du service à l'usine d'Assailly, aux laminoirs, installa son petit foyer d'ingénieur débutant dans une des maisons modestes de Lorette, y remplit sa tâche à l'entière satisfaction du directeur, jusqu'à fin octobre, date à laquelle il fut envoyé en mission à Aix-la-Chapelle.

Dès cette époque, la vivacité de son intelligence, la variété de ses aptitudes, l'ensemble des qualités qui faisaient de lui un homme et un ingénieur très complet, l'avaient signalé à l'attention de son directeur général qui lui confia une série de missions, d'abord à Aix-la-Chapelle où il collabora à des travaux de recherches délicats et aux débuts de la mise en œuvre d'une mine de houille, puis en Espagne, aux États-Unis où il étudia et mena à bien une importante affaire de laminage, enfin au Japon en passant par l'Angleterre et l'Amérique où le rôle à lui confié était plus important encore puisqu'il s'agissait de contribuer au développement général des affaires avec les pays d'outremer.

Entre temps, Jean Solacroup fusait deux séjours dans les usines de la Compagnie, le premier à Homécourt, le second à Hautmont, s'appliquant comme toujours à faire simplement son service, apportant partout un esprit de sage critique et de constant effort vers le progrès. Après cette formation durant laquelle il avait collaboré à l'étude de questions variées et montré tout ce qu'il valait, il avait reçu quelques mois avant la guerre la charge de chef du secrétariat technique de la direction générale.

La seule énumération des états de service de Jean Solacroup contient l'éloge de celui qui a su plier son activité et son intelligence à des occupations aussi multiples et qui avait gagné la confiance de son chef sur des terrains aussi divers. Un brillant avenir lui était évidemment réservé dans la Compagnie.

Partout où est passé Jean Solacroup, il a laissé un souvenir profondément gravé chez ceux qui l'ont fréquenté.

A l'étranger, il donnait l'impression du parfait Français cultivé, courtois, homme du monde accompli, joignant à ces qualités extérieures tous les sentiments profonds qui font la grandeur et le prestige du Français au dehors, pratiquant, en un mot, le patriotisme du temps de paix qui lui était aussi naturel que lui fut naturel et spontané le patriotisme ardent du temps de guerre et la crânerie devant le danger.

Dans les Usines de la Compagnie où il a fait des stages ou conduit des services, Jean Solacroup ne s'est pas moins fait remarquer, donnant toujours l'exemple du travail, de la régularité, de la discipline, acceptant avec une parfaite bonne grâce les conditions de la vie matérielle des usines quelquefois si différentes de celles auxquelles il avait été accoutumé. Et non seulement il faisait simplement tout son devoir, mais il le faisait gaîment, gagnant à son entrain ceux qui étaient autour de lui et dont il savait se faire aimer. Il m'est impossible de ne pas citer ici les impressions d'un ingénieur alors attaché à l'une des usines où la vie est certainement peu comparable à l'existence parisienne et qui s'était lié d'une solide amitié avec Jean Solacroup : « Du jour où Solacroup est arrivé, m'a-t-il dit, je n'ai plus connu l'ennui, ni le découragement; la vie s'est transformée pour moi et je n'oublierai jamais le charme de l'intimité d'un esprit aussi cultivé, d'une intelligence aussi droite, d'une âme aussi complète ».

Ceci est le témoignage d'un contemporain et collègue que nous avons pieusement recueilli; nous y ajouterons le jugement d'un aîné qui avait su l'apprécier au cours d'une trop courte collaboration au secrétariat technique.

« Jean Solacroup avait à un haut degré une qualité morale à laquelle on ne saurait trop rendre hommage, c'est le dévouement à son chef, le désir d'être pour son directeur général un auxiliaire modèle et utile, en un mot, un esprit de discipline, volontairement, respectueusement et affectueusement accepté ».

A l'heure où la France si cruellement frappée par la perte d'une élite intellectuelle et morale doit chercher dans l'exemple de ses glorieux morts la ligne de conduite des générations futures, il est bon de faire ressortir la noblesse de sentiments de cet ingénieur, semblant avoir de par sa naissance et sa situation tout ce qu'il faut pour s'affranchir des obligations de la vie et de la discipline industrielle, et au contraire se vouant au culte de cette discipline morale qui fait la force des grandes entreprises et qui prépare aussi les grands chefs.

Ces brillants débuts de carrière industrielle ont été procédés et suivis d'une courte carrière militaire où Jean Solacroup a su montrer toutes les ressources d'énergie, de volonté et de bravoure dont il était capable.

Là encore Jean Solacroup a laissé auprès de ceux qui l'ont fréquenté un souvenir profond et il suffit de causer avec ses compagnons d'armes pour en être touché.

Démissionnaire à la sortie de son année de sous-lieutenant pour entrer à l'École des Mines, Solacroup était cependant resté très artilleur; il était lieutenant de réserve depuis 1910. Il causait volontiers de questions militaires et avait toutes les qualités de l'officier.

Aussi, dès la mobilisation, un jour même avant sa convocation officielle, le voyons-nous se rendre à Clermont, craignant un retard possible et désirant avant tout se rendre le plus possible utile à son pays. Le directeur général de la Compagnie ne pense pas sans une émotion profonde à sa dernière entrevue avec Jean Solacroup au moment où en compagnie d'un de ses camarades et amis il vint lui faire ses adieux. Jean Solacroup les larmes aux yeux vibrait d'enthousiasme et il fallut au chef réagir fortement pour conserver à cet adieu, qui devait être le dernier, le caractère de fermeté convenant à la gravité de l'heure.

Jean Solacroup affecté à un régiment de réserve reçoit bientôt le commandement d'une batterie. C'est là que ses aptitudes militaires s'épanouissent tout de suite. Constamment préoccupé de donner l'exemple, il sait en imposer à ses sous-officiers et à ses hommes et s'acquitte avec succès de la tâche difficile de prendre vite en mains une batterie qui, cependant, ne comprenait presque aucun élément de l'armée active.

Quel témoignage éloquent de ces qualités d'organisateur et de chef trouve-t-on dans cet ordre du jour de l'Armée dont il fait l'objet, en même temps qu'il recevait la croix de la Légion d'honneur :

« A fait preuve en plusieurs circonstances de très belles qualités militaires. Très grièvement blessé le 4 septembre au coté droit par un éclat d'obus. »

Il a suffi à Solacroup de quelques jours de cette quinzaine qui a précédé le combat de Moyemont pour se signaler et faire preuve en plusieurs circonstances de très belles qualités militaires.

Ce courage qu'il avait montré sur le champ de bataille, notre héros le garde sur son lit de glorieux blessé où il souffre sans se plaindre, et où la Victoire de la Marne vient auréoler d'un dernier sourire la si sympathique figure que nous saluons comme une pure gloire de la grande guerre de France.

« J'ai contribué, je crois, écrivait à son frère un médecin militaire mobilisé à l'ambulance où il a rendu le dernier soupir, à lui donner quelques illusions sur son état ; mais ce n'est pas très sûr, car la veille de sa mort, les premiers échos de la victoire de la Marne commençaient à nous parvenir et nous étions allés lui en faire part ; il dit alors qu'il pouvait mourir à cette heure et ceci sans regret apparent, malgré la douloureuse agonie morale qui s'achevait.

« Nous l'avons accompagné jusqu'au petit cimetière situé non loin de l'ambulance et ce n'a pas été pour moi, pour nous tous, l'heure la moins pénible que celle où nos infirmiers l'ont déposé dans le fond de la tranchée, au-dessus et à côté de trois de ses frères plus humbles, morts comme lui pour notre tragique et sainte cause. Un de nos infirmiers volontaires, simple soldat décoré de la Légion d'honneur et qui n'est autre que le sous-directeur du Comptoir d'Escompte, M. Levandowski a rappelé ce que je viens de te dire, dans une émouvante allocution. On a limité la tombe avec quelques briques et sur une croix de bois, dans l'humble cimetière, à quelques mètres de la route, le nom rustiquement gravé de notre Camarade révèle l'endroit où il repose. »

Nous ne saurions terminer sans adresser à la famille de notre ami un témoignage de profonde sympathie. Il faut avoir suivi, comme il nous a été donné de le faire, les angoisses d'une mère, d'un père, cherchant pendant quinze jours la trace de leur fils qu'ils savaient grièvement blessé sans pouvoir le retrouver, pour comprendre ce qu'il peut y avoir de grandeur dans la résignation chrétienne d'une famille deux fois atteinte et qui accepte pour la France les plus cruelles des séparations et des sacrifices.

Th. LAURENT, E. DAMOUR.


Légion d'honneur (13/9/1914).