Les cumuls de JULES CALLON, Inspecteur général des mines (1815-1875)


par R. Samuel Lajeunesse (1948) ; D'après GRANDS MINEURS FRANCAIS, édité chez Dunod.

Jules Callon, sans cesser d'appartenir à l'Administration des mines, dut à la libéralité des règlements de l'époque et à sa puissance fantastique de travail de jouer un rôle actif de premier plan dans l'industrie minière et sidérurgique. Il fut simultanément professeur, fonctionnaire du Corps des mines et directeur, ingénieur-conseil ou administrateur de multiples entreprises.

A ces activités principales venaient s'ajouter incessamment des tâches provisoires : rapports sur les expositions universelles, communications et mémoires sur diverses questions relatives à la géologie, à l'art des mines et à l'industrie lourde, expertises et consultations, enfin une correspondance immense.

Seuls des dons exceptionnels ont pu permettre à ce mineur polymorphe de cumuler avec succès tant de tâches.

Il était né au Houlme (Seine-Inférieure), d'une famille catholique d'origine anglaise. Son arrière-grand-père John Callon possédait une fabrique de velours dans le Lancashire. Ses six enfants furent élevés en France. Trois d'entre eux fondèrent en Normandie des filatures de coton et de velours pourvues de métiers mécaniques anglais. C'était en 1788; le moment était mal choisi. Des Anglais qui tentaient de substituer le travail mécanique au travail à la main ne pouvaient espérer un sort plus favorable que celui du malheureux Jacquart : les métiers furent incendiés par la populace et l'entreprise dut être abandonnée.

L'aîné des Callon retourna en Angleterre. Les autres se fixèrent en France. L'un d'eux, Charles, devint ingénieur civil. Son fils Pierre suivit la même carrière. C'est le père de notre Jules Callon.

Celui-ci vint avec sa famille à Paris en 1825. Il suivit avec succès les cours du collège Charlemagne. Excellent élève de lettres, il passa sans difficultés à l'étude des sciences et, après une seule année de mathématiques spéciales, fut reçu second à l'Ecole polytechnique, en 1834.

Il en sortit dans le même rang, mais passa en tête à l'Ecole des mines. Après le classique voyage d'études en Allemagne, il fut nommé en 1830 professeur de mécanique et d'exploitation des mines à Ecole des mines de Saint-Etienne.

Son séjour à Saint-Etienne dura près de six ans. En sus de la préparation de ses cours, il se livra à des études approfondies sur les mines et usines de la région, y compris les industries de tissus et rubanneries, en même temps qu'il poussait ses études littéraires et se plongeait avec ardeur dans les livres des économistes du temps. Il se signala par une analyse complète des oeuvres de J.-B. Say.

En 1844, il obtint du ministre des Travaux publics l'autorisation de faire un voyage de trois mois en Amérique du Nord. Il parlait couramment l'anglais, ainsi que l'allemand et l'espagnol.

Le ministre le chargea de mission en l'invitant à étudier l'exploitation des mines de houille d'anthracite et de minerai de fer d'une part, la fabrication de la fonte, du fer, des rails, des essieux et des bandages d'autre part.

A son retour, il fut nommé directeur de l'Ecole des mines d'Alais, qui venait d'être fondée par ordonnance royale, avec pour objet de donner une instruction théorique, modeste mais suffisante, à des jeunes gens justifiant, par la production de leur livret, qu'ils ont pendant un an au moins travaillé comme ouvrier dans une mine.

Le principe de cette école était fort attaqué. « On ne fera, disait-on, que de faux ingénieurs, que de demi-savants; on découragera les bons ouvriers. »

Callon assuma la tâche délicate d'organiser de toutes pièces cette nouvelle école. Il s'occupa aussi bien de la cuisine et des dortoirs que de l'établissement des programmes d'étude. Après avoir dressé la liste des matières enseignées, il allait jusqu'à fixer la composition de l'ordinaire et à imposer des mesures d'ordre, de discipline et d'hygiène, comme « la toilette à grande eau le matin, dans la cour, qui donnera à des mineurs le goût et l'habitude de la propreté ».

En dépit des fâcheux pronostics, le succès répondit aux efforts de Callon. Un de ses successeurs pouvait écrire, trente ans après lui : « Les plans d'études tout entiers et l'organisation de l'école ont été si bien étudiés par Callon que l'on n'a rien eu à y changer par la suite et qu'ils fonctionnent encore aujourd'hui comme le premier jour. »

En assurant ainsi le succès de l'école d'Alais, Callon a rendu aux mines françaises un service de premier ordre.

Au cours de son séjour à Alais, deux événements survinrent dans la vie de Callon. En 1846, le ministre des Travaux publics l'autorisait fort libéralement à cumuler ses fonctions avec celles de directeur des mines de La Grand-Combe. Et l'année suivante, il épousait la fille de Monet de La Marck, ingénieur en chef des ponts et chaussées, lui-même fils du grand naturaliste Lamarck.

A partir de 1846, nous ne pouvons plus songer à suivre l'ordre chronologique dans le récit de la vie de Callon. Il nous faut, pour éviter de sombrer dans la confusion, dresser des bilans séparés de ses diverses activités.

Nous suivrons tout d'abord le professeur.

En 1848, Callon est nommé à l'Ecole des mines de Paris comme professeur suppléant de mécanique et d'exploitation des mines. Il est en même temps attaché au service ordinaire des mines des départements de Seine-et-Oise, Seine-et-Marne et Loiret.

Peu de temps après, il est chargé du service des appareils à vapeur du département de la Seine, désigné comme secrétaire adjoint de la commission centrale des appareils à vapeur et enfin nommé répétiteur de mécanique à l'Ecole polytechnique. Il ne garda que deux ans ces dernières fonctions.

En 1856, il est nommé professeur titulaire des cours, dont il avait été chargé comme suppléant de Combes.

Il a professé en tout pendant vingt-quatre ans, de 1848 à 1872, à l'Ecole des mines de Paris. Dans l'intervalle des leçons, il voyageait de Paris au bout de la France pour ses affaires, passait en chemin de fer deux nuits sur trois à une époque où il n'y avait pas encore de wagons-lits, rentrait chez lui à 5 ou 6 heures du matin, mettait ses notes en ordre et pénétrait à 8 heures dans l'amphithéâtre.

Tout autre que lui aurait dans ces conditions fait un bien médiocre professeur !

En réalité, il avait non seulement rédigé des cours excellents, sans perdre de vue que l'objet de ses leçons était de former des ingénieurs et non des théoriciens, mais encore il savait retenir l'attention de son auditoire deux heures durant. « L'éducation d'un ingénieur n'est complète, a-t-il écrit dans son Cours d'exploitation, que lorsqu'il a vu par lui-même et dans le dernier détail un grand nombre et une grande variété de gisements. »

Il était bien dans ce cas. Il était au courant des moindres perfectionnements de l'art des mines.

En dépit de ses écrasantes besognes, il se refusa toujours à abandonner ses cours à un suppléant qui aurait pu faire pour lui ce que lui-même avait fait pendant huit ans pour Combes. « Mes cours, disait-il, sont pour moi un plaisir, un délassement. » Cela suffit à expliquer pourquoi, en dépit de la dispersion de ses efforts, il a été un bon professeur. L'amour d'une tâche assure son parfait accomplissement.

Au demeurant, Callon a fait ce que certains de ses successeurs moins surmenés que lui n'ont pas toujours réalisé : il a publié ses cours. Ceux-ci sont véritablement éducatifs, au contraire de certains qui ne sont que des catalogues technologiques.

Dans son cours de machines, il commence par indiquer qu'il s'adresse à des jeunes gens qui seront ou ingénieurs de l'Etat, ou directeurs d'établissements industriels. « En ce qui concerne les machines, ces jeunes gens ne seront donc pas des spécialistes. Ils auront à se servir de machines et non pas à en construire. Il faut dès lors, et cela suffit, qu'ils soient en état de discuter les conditions générales de l'établissement d'une machine dans un cas donné, ou le mérite d'une modification qui pourrait bien être proposée. »

Son cours contient donc, pour chaque sujet, les principes généraux, les explications de ces principes et le choix à faire dans les circonstances principales qui se produisent dans l'industrie.

Dans son cours d'exploitation des mines, les considérations économiques tiennent une place essentielle. Il étudie le coût de la main-d'oeuvre, les prix de revient, le rendement de la mécanisation, l'avenir des mines de houille, la lutte entre les mines de l'ancien et du nouveau monde pour les métaux précieux, etc.

Bien des cours professés après lui sont en régression marquée par rapport à ces monuments pédagogiques.

Mentionnons à présent les tâches remplies par Callon en tant que fonctionnaire du Service des mines, depuis sa nomination à Paris.

Il abandonna assez rapidement le service ordinaire des appareils à vapeur de la Seine, mais il resta pendant toute sa carrière membre de nombreuses commissions permanentes, telle celle des machines à vapeur, des Annales des Mines, des règlements et inventions concernant les chemins de fer. Il fit aussi partie de nombreuses commissions temporaires, telles celle de la revision de la loi sur les mines et celles des tramways de Paris et des chemins de fer métropolitains.

C'est à la commission centrale des machines à vapeur, dont il fut rapporteur de 1860 à 1872, qu'il déploya la plus grande activité. Dans cette période de douze ans, il ne rédigea pas moins de quatre cent vingt-huit rapports.

C'était l'époque où le nombre des machines à vapeur dans le pays s'accroissait rapidement. Il était passé de 3.053 en 1842 à 15.816 en 1861 et de tous côtés surgissaient des appareils nouveaux que la commission avait tâche d'étudier.

Jusqu'en 1865, tout appareil à vapeur était soumis au régime de l'autorisation préalable et les règles de construction faisaient l'objet de minutieuses prescriptions. A la suite d'une vaste enquête sur l'opportunité d'un assouplissement de ce régime, Callon rédigea un rapport remarquable, dont nous extrayons les phrases caractéristiques suivantes :

« Les formalités auxquelles est soumise actuellement une demande en autorisation mettent en jeu sans utilité réelle un grand nombre de fonctionnaires ; l'enquête de commodo et incommodo n'amène dans la pratique que des lenteurs sans résultat utile; les délais réglementaires ne sont jamais ou presque jamais observés; en fait, les appareils sont habituellement établis et en activité quand intervient l'arrêté d'autorisation qui les concerne. Il résulte de cet état de choses, pour l'administration locale, une situation difficile et compromettante, soit qu'elle veuille tenir la main à l'exécution rigoureuse de toutes les prescriptions de l'arrêté d'autorisation, soit qu'elle en tolère l'inexécution partielle...

» Le moment semble venu d'entrer dans une voie nouvelle, de compter davantage sur les lumières et l'intelligence des industriels, sur le soin de leurs intérêts, qui sont en définitive les premiers compromis en cas d'accident, sur leur initiative personnelle, tempérée par une responsabilité réelle et sérieuse, en un mot de cesser de tout vouloir prévenir de peur d'avoir éventuellement quelque chose à réprimer. »

Callon remarque finement que les règles anciennes ont été adoptées par l'administration, non seulement avec l'assentiment, mais même jusqu'à un certain point sous la pression de l'opinion publique, empressée au moindre indice de danger ou d'incommodité de réclamer la tutelle du gouvernement, sauf à chacun à se plaindre des règlements qui l'entravent personnellement en applaudissant à ceux qui le protègent ou sont censés le protéger.

Le règlement nouveau, adopté par décret du 25 janvier 1865, à la suite de l'étude de Callon et de ses collègues, substitua le régime de la déclaration obligatoire à celui de l'autorisation préalable.

Il supprime toutes prescriptions détaillées sur l'exécution des appareils et institue en contrepartie l'épreuve de pression.

C'est encore le régime actuel en France et il a été adopté par nombre de pays étrangers.

L'action de Callon à la Commission des appareils à vapeur fait l'objet du jugement suivant : « Le caractère principal de l'oeuvre de Callon est une profonde connaissance technique de la matière, un grand sens pratique et un esprit de libérale et intelligente tolérance dans l'application des règlements. »

Avant de quitter le fonctionnaire Callon, nous mentionnerons ses nombreux rapports relatifs aux expositions universelles.

A l'occasion de l'Exposition universelle de Londres, en 1851, le ministre lui donna mission « à l'effet d'étudier les produits réunis dans l'Exposition universelle, en profitant de cette occasion pour visiter à Londres, même en Belgique, dans le Nord de la France et dans les provinces rhénanes, les principaux établissements industriels qui pourraient lui offrir un intérêt spécial en raison du double service dont il était chargé comme professeur à l'Ecole des mines et comme affecté à la surveillance des machines à vapeur ».

Dans son rapport, Callon présenta une statistique minière internationale plus complète que toutes celles qui avaient paru jusqu'alors. Il décrivit des procédés nouveaux d'extraction et d'aérage, il parle des mesures prises par le gouvernement britannique, à l'imitation de la France, pour instituer un service d'inspection dans l'intérêt de la sûreté des ouvriers et un enseignement spécial de l'art des mines.

A l'Exposition de Paris, en 1855, Callon fut nommé membre et secrétaire du jury de la première classe, art des mines et métallurgie, et à ce titre chargé d'un travail considérable.

A l'Exposition universelle de 1862, en Angleterre, Callon fut chargé, ce qui peut paraître étrange, du rapport sur la machine à préparer et à filer les fibres textiles.

En réalité, par tradition familiale et à la suite de ses études stéphanoises, Callon était très au fait de l'industrie textile.

La partie technique de son rapport sur les machines à éplucher le coton, à tailler le chanvre, à carder, à peigner, à filer, à trier, fut jugée remarquable. Mais ce qui est plus intéressant, ce sont les considérations générales. « Il faut, dit-il, qu'à la supériorité du goût que nul ne conteste à la France, celle-ci joigne un outillage aussi perfectionné que celui de l'étranger. Il faut aussi renoncer à réclamer en toutes choses l'intervention du gouvernement, qui sert aussi souvent de frein que d'aiguillon et qui a toujours l'irréparable tort d'affaiblir l'énergie de l'initiative individuelle. » Enfin, il souhaite qu'en France la tradition industrielle se perpétue de père en fils, comme en Angleterre, où un établissement industriel reste dans la même famille pendant plusieurs générations. Il regrette que la règle, chez nous, soit « de se retirer le plus vite possible dès que l'on a atteint un chiffre de fortune en rapport avec ses goûts ».

A l'Exposition de 1867, Callon fut un des principaux collaborateurs de Le Play. Il fut chargé notamment de donner la vie à la grande galerie des machines en distribuant l'eau, le gaz et la vapeur à la demande des exposants.

Il fut chargé du rapport du jury sur le matériel et les procédés d'extraction des mines.

Le terrain est à présent déblayé pour parler de Callon homme d'affaires et mineur d'action.

Callon assura sa collaboration permanente ou temporaire à plus de cent entreprises françaises ou étrangères, minières ou métallurgiques. Que le lecteur se rassure : nous n'évoquerons guère que la dizaine d'affaires auxquelles il a été attaché pendant plusieurs années.

Nous avons vu qu'en 1840 Callon, directeur de l'école d'Alais, fut autorisé à cumuler cette fonction avec le poste de directeur des Mines de La Grand-Combe. Il devait s'occuper de cette société pendant vingt-neuf ans. comme directeur de 1846 à 1848, ingénieur-conseil de 1848 à 1863, administrateur-délégué de 1863 à sa mort en 1875. A l'origine de cette situation était Paulin Talabot, qui faisait, pour ses multiples affaires de chemins de fer, de mines et d'usines, grande consommation d'ingénieurs des mines.

Ce « businessman » avait réuni en ses mains six petites concessions accordées dans le Gard de 1782 à 1817 à des sociétés impuissante, avait obtenu concession des chemins de fer d'Alais à Beaucaire et d'Alais a La Grand-Combe et constitué, en 1837, la société en commandite des Mines de La Grand-Combe et des chemins de fer du Gard.

La réunion des concessions en une seule main et la liaison par voie ferrée avec la vallée du Rhône permirent un développement considérable de l'extraction, qui passa de 34.432 tonnes en 1836 à 295.618 tonnes en 1845.

Cependant, l'exploitation se faisait « sans aucun projet d'ensemble, sans méthode et sans ordre; on attaquait les charbons les plus facilement accessibles et les plus rapprochés des routes ».

Callon fut chargé de remettre en ordre l'exploitation.

Il commença par étudier attentivement les terrains, la structure géologique du bassin et l'allure des différentes couches. Son champ d'étude avait une superficie double de celle du département de la Seine.

Le problème de l'aménagement rationnel de l'exploitation était singulièrement compliqué par les anciens travaux entrepris dans de mauvaises conditions; dans certains d'entre eux, des feux couvaient depuis de longues années; d'autres, au contraire, recelaient de traîtresses poches d'eau.

Callon réussit cependant à redresser les erreurs du passé et à mettre sur pied une exploitation moderne et rationnelle. L'extraction fut assurée par des plans inclinés débouchant au jour pour les faisceaux de couches supérieurs, par des puits pour les faisceaux inférieurs.

Le manque de main-d'oeuvre était un grave obstacle au développement de la mine; les plateaux de La Grand-Combe, couverts de châtaigniers et de bruyères, impropres à la culture des céréales, étaient fort peu peuplés. En 1830, la commune de La Grand-Combe n'avait que 574 habitants.

Callon s'employa à réduire les besoins de main-d'oeuvre en mécanisant l'exploitation, en particulier le roulage. Mais il s'efforça aussi de peupler la région. Il fit construire une cité ouvrière, d'ailleurs fort laide, du style « caserne », pourvue d'une église catholique et d'un temple protestant, de presbytères et d'écoles.

Il organisa un magasin de subsistances où les mineurs pouvaient se procurer le pain, le vin, la viande et autres denrées de première nécessité, en dessous des prix courants.

En 1874, La Grand-Combe comptait 10.000 habitants.

L'extraction de la mine atteignait 613.000 tonnes.

Callon était véritablement l'âme de l'entreprise. Il séjournait fréquemment à La Grand-Gombe, où il était aimé et respecté de tous. De 1848 à sa mort, il n'y eut aucune grève.

Un monument élevé à sa mémoire sur une des places de la ville rappelle que la mine lui est en grande partie redevable de sa prospérité.

Callon fut également ingénieur-conseil des mines de houille de Ronchamp (Haute-Saône). Il prit part au fonçage de six puits, de 300 à 600 mètres de profondeur, à travers des terrains difficiles: à l'établissement de fours à coke et à la création d'un réseau de voies ferrées.

Il eut à solliciter la réunion des concessions de Ronchamp et d'Eboulet. A la suite des abus engendrés par le monopole des Mines de la Loire, cette opération ne pouvait plus se faire sans autorisation, malaisément accordée à l'époque. Callon plaida ainsi : « L'objet de la réunion projetée n'est pas de constituer un monopole, mais au contraire de lutter contre un monopole, celui des mines de Sarrebrueck, monopole d'autant plus dangereux qu'il est entre les mains d'un gouvernement étranger. En cas de guerre, l'industrie de tout l'Est de la France pourrait se trouver paralysée s'il n'existait pas en France même des mines établies dans des conditions qui leur permettent de soutenir la concurrence des charbons étrangers. »

En 1867, Callon devint ingénieur-conseil des mines de Marles (Pas-de-Calais), qui ne comportaient encore qu'une fosse en activité et une en fonçage. L'extraction ne dépassait pas 100.000 tonnes par an. Il prit une part active au développement de cette exploitation, dont l'extraction quadrupla en quelques années.

Il se préoccupa là aussi du problème de la main-d'oeuvre : « Le recrutement, écrivait-il en 1872, est pour nous en ce moment la grande affaire; nous sommes limités non par la puissance de production des travaux, non par le manque d'habitations pour les hommes, mais par le manque d'hommes pour nos chantiers et nos maisons... Il faut éviter vis-à-vis des autres industries l'apparence d'une compétition trop directe, d'une sorte de mise aux enchères qui se traduirait bien vite en augmentations de salaires onéreuses et inefficaces. »

L'adjectif inefficace s'expliquait par l'observation qu'il avait faite que « la diminution de l'effet de l'ouvrier est une conséquence malheureusement assez ordinaire de l'augmentation du prix de la journée ».

Il passait à côté, semble-t-il, du délicat problème, resté à l'ordre du jour, du système de rémunération susceptible, tout en assurant à l'ouvrier une vie aussi large que possible, d'encourager l'amélioration du rendement.

Callon prit part à la fondation de la Société de Sarre et Moselle. Dès l'ouverture du chemin de fer de Metz à Sarrebrùck, des entreprises s'étaient efforcées de rechercher le prolongement en France des couches du bassin de la Sarre.

La plupart d'entre elles n'aboutirent pas, en raison notamment des difficultés que présentait la traversée de morts terrains très épais et très aquifères.

Cependant, la Compagnie de Carling, conseillée par Callon, réussit à vaincre ces difficultés techniques, après avoir lutté jusqu'à 160 mètres de profondeur contre de véritables torrents d'eau.

Une autre société, celle de l'Hôpital, réussit également, en employant les nouveaux procédés de fonçage Chaudron, à atteindre la houille.

Callon intéressa à ses découvertes la Société Générale dès qu'il en fut nommé ingénieur-conseil. Il prépara, sous le patronage de cette puissante société financière, la fusion des neuf compagnies concessionnaires qui devait engendrer la Société de Sarre et Moselle. La guerre de 1870 retarda la constitution de celle société, qui ne devint définitive que sous l'occupation allemande. Mais l'entreprise resta à peu près exclusivement entre des mains françaises, et Callon, lui, continua, à titre officieux, sa collaboration.

Callon s'occupa d'importantes mines à l'étranger. Il fut, de 1866 à 1875, administrateur de la Société des Charbonnages belges, qui extrayait dans le bassin du couchant de Mons quelque 400.000 tonnes par an.

Il s'intéressa surtout à l'Espagne et contribua fortement au développement de l'industrie minière et métallurgique de ce pays. Il parlait admirablement l'espagnol et aimait « ce magnifique pays qui ne manquait que d'une chose : le travail ou un instrument de travail. »

Il a étudié sur place les minerais de fer de Bilbao, les mines de cuivre gris argentifère de l'Aragon, les mines de plomb de Linarès, les mines de mercure des Asturies et les bassins houillers de presque toute la péninsule.

Il étudiait non seulement le gîte, mais aussi ses possibilités économiques d'exploitation, les voies d'accès à créer, les ressources en main-d'oeuvre. Il conseilla en certains points la construction d'usines. Sur d'autres, il fallait, selon lui, se contenter de chercher à vendre la houille ou le minerai.

Deux affaires furent en particulier créées par lui. Il fut chargé par la Société du Crédit mobilier espagnol d'étudier la formation carbonifère de la Castille et de déterminer les conditions d'ouverture d'une exploitation destinée à ravitailler les chemins de fer du Nord. Après un pénible voyage à cheval dans les Asturies et sur le versant méridional de la chaîne cantabrique, Callon proposa la création à Baruelo d'un grand centre minier.

Ses propositions furent adoptées et le charbonnage de Baruelo connut effectivement la prospérité.

Callon avait étudié le bassin houiller du Belmez et de l'Espiel, malheureusement éparpillé entre deux cents et quelques sociétés.

La loi espagnole de 1859 sur les mines avait poussé le système de morcellement des concessions au delà de toute mesure. Chaque gisement était divisé en une multitude de petits rectangles sur chacun desquels, à peine de déchéance, le concessionnaire était tenu d'employer un nombre déterminé d'ouvriers pendant un minimum de jours par an.

Callon s'employa à redresser cette situation; on lui offrit la présidence d'une société qui avait pour objet de réunir un grand nombre de concessions du bassin de Belmez.

L'autorité et l'influence de Callon furent assez fortes pour déterminer le congrès espagnol à adopter, en 1867, une nouvelle loi minière. La Compagnie houillère et métallurgique de Belmez put alors être régulièrement constituée sous sa présidence.

Callon a ainsi rendu à l'Espagne un immense service, car la nouvelle loi y permit un grand développement de l'activité minière.

Callon s'occupa aussi de la Compagnie soufrière de Grotta-Calda (Sicile).

Avant lui, l'exploitation, fort barbare, était restée la même qu'il y a mille ou quinze cents ans. L'extraction était confiée à des enfants qui rampaient le long des galeries tortueuses et étroites et rapportaient sur leur maigre des quelques kilogrammes de minerai. La mortalité chez ces enfants était effroyable et ceux qui résistaient quelques années étaient physiquement et moralement dégradés.

Callon substitua à ce régime désuet et cruel une exploitation moderne. Il fit creuser un puits de 140 mètres, pourvu d'une puissante machine d'extraction, et des galeries à voies ferrées. Au jour, il fit construire des routes pour assurer le transport du minerai.

Des capitaux français furent employés à ces aménagements.

En dehors de la mine, Callon s'occupa, à titre permanent, de deux grandes entreprises sidérurgiques, les Etablissements d'Aubin et les Hauts Fourneaux et Forges de Denain et d'Anzin.

La régie d'Aubin comportait d'ailleurs, outre des hauts fourneaux et quatre usines à fer, plusieurs affaires minières : des concessions de houille dans les bassins d'Aubin et de Rodez, des concessions de minerai de fer, de cuivre et de plomb argentifère.

En 1857, la Compagnie des chemins de fer d'Orléans, héritière de la Compagnie du Grand Central, s'était trouvée de ce fait propriétaire des Etablissements d'Aubin. Le conseil d'administration, embarrassé des difficultés que paraissait présenter la gestion de ceux-ci, confia les fonctions d'ingénieur-conseil « à M. Callon, ingénieur en chef des mines, dont le nom fait autorité dans l'industrie ».

Callon s'aperçut que l'entreprise, qui était considérée comme une charge héréditaire par la Compagnie d'Orléans, présentait en réalité un grand attrait.

Elle lui permettait de fabriquer des rails à partir de ses propres minerais et de son propre combustible.

Il aménagea sagement les mines. Il substitua aux remblais de schistes charbonneux, qui s'échauffaient fréquemment, des remblais terreux.

Il fit passer la production houillère de 80.000 tonnes en 1858 à 186.000 tonnes en 1868. Il modernisa les fours à coke. Malgré la pauvreté des minerais, il assura aux hauts fourneaux une marche régulière, à faible consommation de coke. Enfin, il concentra la fabrication des rails en une seule mine. La production des rails passa de 7.000 tonnes en 1858 à 26.500 tonnes en 1868.

Il eut à lutter contre une difficulté spéciale : la mauvaise qualité des eaux utilisées pour l'alimentation des chaudières. Ces eaux contenaient de l'acide sulfurique et rongeaient rapidement les tôles. Callon prit le parti héroïque d'aller chercher les eaux du Lot, à 9 kilomètres de distance et à un niveau inférieur de 100 mètres à celui de l'usine. Il réussit ainsi à alimenter normalement celle-ci et, en passant, à assurer l'approvisionnement en eau potable du village de Gua, où habitaient 5OO à 600 familles d'ouvriers.

Callon étudia aussi les mines métalliques et réussit à assurer l'exploitation d'un filon de plomb argentifère. En 1867, l'extraction de 626 tonnes de minerai produisit un bénéfice de 300.000 francs.

Callon a été de 1866 à 1872 administrateur de Denain-Anzin « et il pouvait être considéré comme le directeur technique de ce grand établissement ». Durant cette période, l'organisation des mines fut perfectionnée et l'outillage renouvelé.

Callon dressa le projet d'une aciérie semblable à celles qui venaient de se créer dans le Centre du la France, avec convertisseurs et fours modernes. Il est ainsi à l'origine de la prospérité sidérurgique du Nord de la France.

Nous arrêterons là le récit de l'activité industrielle de Callon. La liste des consultations ou expertises souvent fort importantes qui lui furent demandées sur des sujets miniers sidérurgiques ou financiers, par des banques, des tribunaux, des industriels, des ingénieurs et même des diplomates débordent du cadre déjà trop rempli de ce chapitre.

Nous terminerons en indiquant un aspect imprévu de ce mineur : l'écrivain politique.

Les malheurs de la patrie ne pouvaient manquer d'émouvoir profondément son éminent serviteur technique. Il était rentré à Paris au moment de l'investissement de la ville par les troupes allemandes et s'était mis à la disposition du ministre des Travaux publics pour étudier ou contribuer à réaliser les inventions qui pourraient être proposées pour la défense nationale.

Il rejeta sans hésitation des projets fantaisistes, tel celui de la forteresse-barricade, blindée, flexible et mobile, dite Batignollaise, dont le prospectus a été retrouvé dans ses papiers par son cousin Jacqmin, directeur de la Compagnie des chemins de fer de l'Est.

Mais il s'occupa de ballons captifs d'observation et étudia l'approvisionnement de Paris par les voies navigables et autres.

La défaite, puis la Commune l'impressionnèrent et il se décida à publier son opinion sous la forme de Réflexions sur les événements des dix derniers mois par un provincial habitant Paris ; la brochure parut en mai 1871, sans signature. Callon jugeait « inutile de faire connaître un nom qui n'avait en matière politique aucune notoriété ».

Il analyse les causes de la défaite. Il juge sévèrement la situation intérieure du pays :

« Dans les classes supérieures, les besoins, ou ce que l'on veut appeler les besoins dans un monde où il n'y a, dit-on, de nécessaire que le superflu, avaient crû plus vite encore que les fortunes particulières.

» ... Les classes laborieuses suivaient d'un oeil jaloux le développement des habitudes de luxe et des jouissances matérielles. Elles les imitaient dans la mesure de leurs moyens.

» ... Il fallait jouir, jouir à tout prix, et depuis le haut fonctionnaire jusqu'au dernier manoeuvre, chacun avait tendance à trouver que son travail était excessif et sa rémunération insuffisante, qu'il n'avait pas besoin de se gêner et que, quoiqu'il fit, il en donnait bien assez pour son argent à l'administration ou au patron qui l'employait. »

Callon montre ensuite « M. de Bismarck préparé de longue main, disant et redisant à ses Allemands et à l'Europe, qui ont fait semblant de le croire, qu'il ne faisait que se défendre contre un adversaire par lequel il avait eu l'art de se faire attaquer ».

Callon critique ensuite l'état-major qui « avait expédié nos troupes sans ordre aux frontières et les avait laissées entassées pour vivre et disséminées pour combattre », au contre-pied de la règle napoléonienne.

Il évoque les phases de la bataille, l'ennemi qui surgit de tous côtés à la fois, des surprises et toujours des surprises, enfin la catastrophe de Sedan.

La révolution du 4 septembre est qualifiée par lui « d'immense malheur public ». Il accuse, très injustement, le gouvernement de la Défense nationale de s'être préoccupé plutôt « de donner des gages à la démocratie que de la consistance aux troupes ».

D'autre part, du jour où M. de Bismarck « n'a plus eu devant lui que le gouvernement de la Défense nationale, il a dû être absolument rassuré sur toute éventualité d'une intervention tant soit peu sérieuse de la part des puissances européennes. Il est douteux, en effet, que la prétention de certains de nos républicains en France d'être les apôtres de la future République universelle soit du goût des autres peuples, ou du moins il n'y paraît guère; en tout cas, il est très certain qu'elle n'est pas du goût de leurs gouvernements. »

Callon croyait-il qu'une régente, épouse de prisonnier de guerre, aurait apitoyé une Europe hostile au point de provoquer son intervention ?

La brochure se termine par ces considérations : le courant peut etre remonté, mais au lieu de réformer le gouvernement, il faut que chaque citoyen se réforme lui-même. Il faut réveiller « le sentiment du devoir à accomplir sous toutes ses formes, envers soi-même, envers sa famille, envers la société; le devoir ainsi compris comporte en effet la renonciation à des habitudes de vie dissipée et irrégulière, l'ordre, l'économie, la modération dans les dépenses de la famille, l'assiduité et la conscience dans le travail, la ferme volonté de faire respecter en toute occasion le droit et la loi ».

Ces Réflexions d'un provincial sont intéressantes mais n'ajoutent évidemment pas grand-chose à la gloire de Callon. Il a fallu d'ailleurs l'émotion compréhensible que provoquait en lui de douloureux événements pour l'amener à cette anonyme intervention dans un domaine qui n'était pas le sien.

En tant que mineur, Callon fut vraiment à son affaire. Il laisse l'exemple d'une carrière prodigieusement remplie, au cours de laquelle il a bien servi le pays en formant pour lui des mineurs, en contribuant à l'amélioration de ses règlements, enfin en participant activement à la mise en valeur des richesses de son sous-sol.

Autre biographie de Callon