Bulletin de l'Association amicale des anciens élèves de l'Ecole des Mines, Août-septembre 1881
Les ressources métallurgiques et minières de la Grèce pourraient dépasser de beaucoup les chiffres indiqués dans le tableau, si l'on se décidait à exploiter les nombreux et riches gisements connus tant dans les îles que dans la Grèce continentale.
Tous ces gisements ont déjà été fouillés plus ou moins profondément par les anciens, et l'on reste frappé d'admiration devant l'étendue de leurs travaux souterrains et l'accumulation des scories autour de leurs mines. Des quantités considérables de fer ont été extraites en Eubée, à Sériphos; de cuivre, dans la Béotie ; de plomb, dans les îles de la Thessalie, la Macédoine et l'Attique.
C'est dans cette dernière région que, grâce à la brillante civilisation athénienne, l'exploitation atteignit son maximum de développement sous l'habile administration de Périclès. Ce fut une des sources principales des richesses de la république, et les documents que ses historiens nous ont transmis, les découvertes dues à la reprise moderne des travaux ont permis de reconstituer avec assez d'exactitude les conditions de la vie industrielle chez les anciens. C'est ce que j'ai essayé de faire dans l'étude suivante divisée en cinq parties :
1° Géographie ancienne du Laurium ;
2° Étude économique des lois sur les mines;
3° Étude géologique;
4° Travaux d'exploitation;
5° Traitement métallurgique.
I. - GEOGRAPHIE ANCIENNE DU LAURIUM.
Le nom de Laurium désigne, comme on sait la partie sud de la presqu'île de l'Attique et sa superficie peut être évaluée à 20,000 hectares. Ses côtes, profondément découpées, présentent, surtout sur le rivage oriental, de nombreux ports qui facilitant les embarquements. Deux chaînes de montagnes parallèles, dirigées N.-S, et dont la plus importante, celle du centre, présente des altitudes de 300 mètres, donnent naissance à des vallées principales, des gorges nombreuses, qui découpent profondément les flancs de ces collines, et forment les traits secondaires de la topographie de cette région. Ce relief du sol a beaucoup favorisé le développement des travaux métallurgiques.
De l'examen des lieux où les anciens ont accumulé leurs résidu de fabrication, on peut déduire avec certitude qu'ils établissaient leurs usines en s'efforçant d'abord d'être à proximité des mines et en même temps, autant que possible, à proximité de la mer. Leurs travaux métallurgiques étaient groupés autour de cinq centres principaux :
1° A Thorico (aujourd'hui Porto Mandri), dans les environs de laquelle on retrouve des travaux anciens très importants. Ce port, le plus vaste de la côte, était le grand entrepôt de commerce avec la métropole ;
2° A Ergastiria, qui fondait les nombreux minerais des environs;
3° A Pacha, où se concentrait la fusion des minerais d'Agrilésa et Sauréza;
4° A Anaphlypte, qui desservait les mines de Vilia et Barbaliaki;
5° Les minerais de la partie centrale étaient fondus sur place à Berséco, Camarésa, Dimilaki, et évacués, ceux de Camérésa sur Thorico, les autres sur Sunium, à la pointe méridionale du Laurium. On retrouve encore les traces des routes antiques, et on a pu même, dans les parties dont le dallage s'est conservé, mesurer la distance d'axe en axe des ornières, qui est de lm,45 (Chateaubriand, Itinéraire).
Le passage suivant, de Xénophon, indique assez combien les Athéniens se montraient fiers de leurs richesses minérales :
« L'Attique, dit-il, n'a pas seulement l'avantage au regard de ses fleurs et ses fruits tous les ans, mais produit encore des biens ordinaires sans jamais y faillir. Car il y a eu icelle abondance continuelle de marbres dont se bâtissent des temples, des autels et des images des dieux, le tout d'un artifice exquis et merveilleusement travaillé. D'autant le terroir y est tel que le labourage le rendrait infructueux, mais, le fossoyant, il nourrit beaucoup plus de gens que si l'on y faisait moissons, et sans doute la bénéficence divine y a caché des mines d'argent. Il se trouve beaucoup de villes en terre ferme et au rivage de la mer, en pas une desquelles n y a veine quelconque de ce riche métal. Ce ne sera pas se mésescompter si l'on estime que la ville d'Athènes est le nombril de la Grèce, voire de tout le monde. »
Il ne serait peut-être pas téméraire d'affirmer que cette hérésie astronomique est encore en faveur chez les descendants de Xénophon, si maltraités par M. About . Il est plus important, en tout cas, de rechercher si réellement les Grecs d'autrefois ont justifié, par l'habileté de leurs travaux, les exagérations patriotiques de leurs historiens.
On verra plus loin qu'on peut évaluer à 15,000 le nombre des esclaves occupés aux travaux industriels. Il n'est donc pas étonnant qu'on retrouve en maints endroits des vestiges de villes florissantes, dont les plus importantes furent Sunium et Thorico.
Sunium, actuellement appelé cap Colonne, à cause des colonnes restantes du temple qui était à son sommet, occupait le promontoire méridional de l'Attique. « Ce temple est d'ordre dorique, et du bon temps de l'architecture. On découvre au loin la mer de l'Archipel, avec toutes ses îles; le temps a imprimé une teinte rosée aux quatorze belles colonnes de marbre blanc qui sont encore debout. » (Chateaubriand). Trois ont disparu depuis que Chateaubriand a passé. Sunium était une ville fortifiée, qui rendit de grands services dans la guerre du Péloponèse, en protégeant les convois de provisions destinés à Athènes. Les murailles, dont on voit encore les restes, étaient en pierres régulièrement taillées, et flanquées de tours carrées. La route qui reliait Sunium à Camaréra était bordée d'hermès, et sur chacun de ceux-ci était gravée, au dire de Platon, une inscription en vers renfermant une sentence morale.
A Thorico , on retrouve encore les ruines d'une colonnade d'ordre dorique, dont les dispositions particulières tendent à faire croire que c'était une stoa dans l'agora de la ville. On remarque aussi les restes bien conservés d'un amphithéâtre. Tous ces monuments, comme le temple de Sunium, et les fortifications mêmes de Thorico sont construits en marbre blanc grossier, provenant des carrières environnantes. Dans une de celles-ci, on a retrouvé une colonne ébauchée de 3m,20 de longueur et 0,97 de diamètre, ainsi que plusieurs architraves. On retrouve en outre à Thorico, de plus qu'à Sunium, des tombeaux, des citernes, des silos, etc.
Ces villes n'étaient pas seulement des cités industrielles, c'étaient aussi des places fortes dont l'importance n'avait pas échappé à la sagacité de Thémistocle : « Mon avis, disait-il aux Athéniens, est que les mines d'argent ne doivent point être abandonnées pendant la guerre, attendu que près de celles qui sont proches de la mer, au midi est la forteresse de Sunium, et celle de Thorico vers la région septentrionale, ces deux forteresses n'étant éloignées l'une de l'autre que de soixante stades. Si outre ces deux, on bâtit un fort au plus haut endroit de la forêt, les ouvriers pourront sortir de ces trois endroits et s'assembler en lieu propre ; puis, si l'ennemi fait quelque entreprise, se retirer bientôt en logis assuré. Mais si les troupes des ennemis sont grandes, et trouvent du blé, du vin, du bétail hors de ces forteresses, c'est de la proie pour eux; présupposons qu'ils s'emparent des mines, qu'auront-ils que des cailloux à leur service? »
Ces places fortes n'étaient pas seulement destinées à protéger contre les ennemis du dehors : elles servaient aussi à maintenir dans la dépendance les esclaves qui seuls étaient astreints aux travaux des mines, et qui plus d'une fois firent courir à Athènes les mêmes dangers qu'à Carthage les mercenaires.
II. - ÉTUDE ÉCONOMIQUE.
L'exploitation des mines date d'une époque très reculée. Les splendeurs, au milieu desquelles vivaient les souverains chantés par Homère, semblent prouver que l'or et l'argent, le cuivre et l'étain se rencontraient dans le pays en grande abondance, et cette hypothèse a reçu une éclatante confirmation par l'exposition, au musée d'Athènes, des magnifiques échantillons provenant des fouiles de M. Schliemann à Mycènes.
Les données, un peu positives, ne commencent qu'à l'époque de Solon (600 av. J.-C.). Ce législateur établit un impôt représentant la vingt-quatrième partie du produit brut des mines, et dont le montant était ensuite réparti entre tous les citoyens. On sait qu'au commencement des guerres Médiques, ce revenu s'élevait à 120,000 fr, et, qu'en 480, il atteignait 200,000 fr. ; la production des mines était donc de 4,800,000 fr.
D'après M. Cardella, aux habiles investigations duquel nous devons la reprise des travaux miniers et métallurgiques au Laurium, la quantité totale de scories, provenant des anciens, est de 2,000,000 de tonnes, représentant 4,370,000 tonnes de minerais traités, ayant produit 2,100,000 tonnes de plomb d'oeuvre. Si on prend comme teneur de ce plomb 4,000 gr. d'argent à la tonne, la quantité d'argent extrait s'élève à 8,400,000 kilos, et la valeur totale de ces deux métaux était de :
2,400.000,000 fr. pour le plomb,
1,760,000,000 fr. pour l'argent,
ce qui, en admettant une production régulière de 300 ans de durée, représente une production annuelle de 14,000,000, sur lesquels l'État prélevait le 1/24, soit 600,000 fr.
On sait que Thémistocle affecta à la création d'une flotte les fonds accumulés de cet impôt. Le maximum de prospérité fut atteint sous Périclès; mais il dura peu. Pendant toute la désastreuse guerre du Péloponèse, les relations furent interrompues entre Athènes et les Lauriotes; les ennemis envahirent le territoire les esclaves se soulevèrent, et Xénophon tenta vainement, quand la paix eut ramené l'argent et la confiance, de faire reprendre les travaux. Les mines tombèrent, dans la suite, entre les mains des Romains, qui laissèrent les Grecs continuer l'exploitation jusqu'au 1er siècle après J.-C., époque à laquelle elle fut définitivement suspendue.
Les anciens ne paraissent pas avoir eu des notions bien exactes en géologie. Ils attribuaient aux gisements la faculté de se reproduire au même lieu et dans un court espace de temps.
« Chacun sait, dit Xénophon dans son Traité des revenus, que ces mines sont dès longtemps, et que l'on y travaille sans que personne puisse dire depuis quand. Or, vu que de toute ancienneté l'on tire de la terre de si grand rapport, considérez que ce n'est rien de ce qui a été tiré auprès de tant de coteaux qui restent, et qui sont pleins d'argent. C'est chose assurée que tel endroit abondant en matières si riches, ne diminue point, ainsi croît davantage. Et depuis que le nombre des ouvriers y est multiplié, tous y ont eu à quoi s'employer, et la besogne a toujours surmonté l'industrie et la diligence de tous les surveillants. Encore maintenant, nul de ceux qui tiennent des esclaves ès mines ne désire point en diminuer le nombre; au contraire, il en achète de nouveaux autant que faire se peut. S'il y a peu de gens employés à chercher et à fouiller, je tiens que l'amas est petit à l'équipollent; au contraire, il multiplie selon que le travail se renforce. Tout ce qu'on a fait jusqu'à présent montre qu'il ne peut oncques y avoir plus d'esclaves que les oeuvres n'en requièrent, car ceux qui creusent ne trouvent jamais ni le bout ni le fonds de ces mines. » De même Lucrèce, De natura rerum :
Inque brevi spatio quae sunt effossa reponit
Tempus, inexhausti servans alimenta metalli.
Les mines étaient la propriété exclusive de l'État, qui les concédait aux citoyens avec faculté d'aliénation et de transmission par héritage. Quiconque voulait exploiter une mine était tenu de faire sa déclaration devant les officiers publics préposés à cet effet, et d'obtenir une permission. La concession se donnait moyennant le prix de 1 talent et demi (environ 8,000 fr.). On a retrouvé plusieurs bornes de concessions : l'une d'elles, que d'après la forme des caractères on attribue à l'époque de Démosthènes, constate que les esclaves et les mines de la plaine de Thorico sont vendus à un certain Phéidon pour la somme de 1 talent, sous la condition que le vendeur pourra, moyennant remboursement du prix d'achat, rentrer en possession de sa propriété.
L'exploitant qui négligeait de faire sa déclaration était puni comme coupable de posséder une mine non enregistrée. Une loi s'exprimait ainsi : « Tout homme qui en empêchera un autre d'exploiter les mines ou qui lui portera dommage dans ses travaux, tout exploitant qui s'étendra au delà de ses limites, sera jugé comme coupable en matières de mines, et comparaîtra devant l'archonte.» L'acte de concession était accompagné de plans qui indiquaient les limites de la concession, et l'on devait laisser entre chacune de celles-ci des piliers-limites. Le concessionnaire qui ne remplissait pas ses engagements perdait le privilège de sa concession qui retournait au Trésor, et celui-ci la revendait aux enchères publiques.
Après la guerre du Péloponèse, l'État, voulant donner une nouvelle impulsion aux travaux, diminua les impôts et accorda même des concessions aux étrangers. Il chercha aussi à provoquer la formation de Sociétés :« Les particuliers, se joignant et s'associant ensemble, auraient plus ainsi moyen de se garantir de pertes. L'invention de l'un apporterait du profit à tous; mais dire que tous y perdraient leurs peines est chose qui ne peut se vérifier par des exemples quelconques. » Ainsi qu'on l'a vu, le succès ne répondit pas aux efforts des hommes d'Etat.
Aucun citoyen libre ne travaillait dans les mines ; toute la main-d'oeuvre était fournie par les esclaves qui étaient la propriété des exploitants ou d'autres personnes qui les louaient à ceux-ci. Nicias, le général athénien, avait fait venir de Thrace mille esclaves qui lui rapportaient, tous frais déduits, une mine d'argent par jour, soit 150 fr. La location d'un esclave, outre son entretien, coûtait une obole par jour, 55 fr. par an. Suivant le plus ou moins d'habileté, le prix d'achat variait entre 450 et 900 fr. Nicias paya 1 talent (5,400 fr.) un esclave habile auquel il confia la direction de ses travaux. Le propriétaire devant, en outre, la nourriture à ses esclaves, le prix du blé influait beaucoup sur la main-d'oeuvre, sous Solon; la médinine de blé (35 kilog.), qui valait 1 drachme, atteignit 3 drachmes sous Socrate, et s'éleva à 6 drach. sous Démosthènes. Cette raison, jointe à celle de l'asservissement de la Grèce par les rois de Macédoine et la concurrence que firent aux Athéniens les mines récemment découvertes en Macédoine, contribuèrent encore au ralentissement des travaux.
III. - ÉTUDE GÉOLOGIQUE.
Le terrain métallifère du Laurium se compose d'une série de couches métamorphiques, schisteuses et calcaires, en stratification concordante, et qui ont été, en divers points, soulevées et déchirées par des masses éruptives, granitiques et trappéennes.
Les schistes sont presque exclusivement des schistes micacés, composés de quartz laiteux et de mica noir. En quelques points, et notamment à Plaka, ils passent à une roche de texture compacte composée de feldspath et de mica, et à laquelle M. Cordella, ingénieur grec, qui l'a le premier étudiée, a donné le nom de plakite.
Les calcaires sont tantôt saccharoïdes, et constituent alors les marbres qui ont servi à la décoration des cités antiques, tantôt ils sont à demi cristallins, à cassure compacte et de colorations variées.
Parmi les roches éruptives, le granite à grains fins se présente sous la forme de masses arrondies, bouleversant la stratification ; le granite récent, moins abondant, constitue des dykes euritiques traversant les assises du terrain.
La plus remarquable des roches trappéennes est une sorte de serpentine verte, qui se trouve souvent en stratification concordante avec les autres assises métamorphiques. C'est un mélange d'amphibole, de feldspath et de chlorite, empâtant des nodules de calcite ; elle a reçu le nom de Glaucophan-Trapp. Elle perce en maints endroits les terrains stratifiés et forme des pics isolés qui atteignent les altitudes de 200 et 250 mètres.
Enfin, dans le lit de tous les ravins, on rencontre des dépots quaternaires, composés d'une roche tendre, à texture oolitique, vulgairement appelée pourri et qui, se désagrégeant sous l'action das agents atmosphériques, donne naissance aux sables et aux dunes du littoral. '
Une émission métallique, d'une intensité extrêmement remarquable, a minéralisé toute cette région, en se faisant jour à travers les fissures de l'écorce, pénétrant dans les plans de contact des assises schisteuses et calcaires sous forme d'amas couchés et venant se terminer au jour en amas superficiels.
Les minerais que l'on rencontre sont ceux de plomb, de fer et de zinc. Les anciens ignoraient l'usage de ce dernier métal et ont laissé intacts ses gisements. Quant au fer, c'est sans doute le manque de combustible qui les a empêchés de l'exploiter ; mais ils ont extrait et traité sur place une quantité considérable de minerais de plomb argentifère. De nombreuses fentes, presque verticales, divisent les bancs calcaires : quelques-unes, entièrement dépouillées du minerai qu'elles contenaient, sont encore béantes sur des longueurs de 20, 30 et même 50 mètres. Ce sont ces fissures qui, en jouant le rôle d'évents, ont permis aux émanations métalliques de s'élever jusqu'aux schistes, sous lesquels elles se sont condensées en amas irréguliers, en même temps qu'elles remplissaient les fentes elles-mêmes. On a constaté, en effet, que partout les contacts sous toit de schiste étaient bien plus fortement minéralisés que ceux sous toit calcaire. C'est à la base du micaschiste supérieur que s'est arrêtée la minéralisation, et on n'a rencontré dans le calcaire supérieur que des fentes de peu d'importance. Les anciens ont exploité les principaux amas superficiels d'une façon régulière, comme on le verra plus loin, en s'enfonçant aussi loin que leur permettaient les moyens de transport dont ils disposaient : la profondeur de leurs excavations, suivant le pendage, atteint à Thorico plusieurs centaines de mètres et descend jusqu'au niveau de la mer.
L'exploitation des amas superficiels leur ayant fait découvrir les veines minéralisées qui traversent les roches du mur, ils furent ainsi conduits aux gîtes du contact immédiatement inférieur qui paraît avoir été d'une richesse considérable.
Le plomb se rencontre à l'état de galène et de minerais oxydés (carbonates, phosphates et sulfates); le zinc à l'état de calamine et de blende, mais en quantité moins considérable ; le fer à l'état d'oxyde. On rencontre aussi des minerais mixtes de plomb, cuivre et zinc, et quelques minerais de nickel. On a constaté aussi, depuis quelques années, la présence de l'arséniate de zinc, ou adamine, minéral assez rare, et qui n'est connu jusqu'ici qu'au Chili et dans quelques gisements cuivreux du Var.
Le remplissage paraît s'être opéré à des époques et sous des influences diverses : les sulfures métalliques ont dû se former les premiers, par voie de sublimation; puis des sources hydrothermales ont donné naissance aux dépôts calaminaires et ferrugineux, qui ont agi par substitution sur les masses calcaires, en même temps qu'elles transformaient en partie les sulfures en sulfates et carbonates. Enfin, une troisième action a provoqué la formation des calamines par la décomposition directe des blendes : on trouve, en effet, de nombreux noyaux blendeux dans les masses calaminaires qui, dans ce cas, sont accompagnées de larges cristaux de sulfate de chaux.
Le minerai de fer constitue la gangue exclusive de ces divers minerais; lorsqu'il se trouve à l'état de minerai de fer proprement dit, il contient souvent jusqu'à 12 % de galène, et sert alors comme fondant pour les usines à plomb.
Les gisements plombifères ont été dépouillés avec un soin scrupuleux, c'est à peine si l'on retrouve des traces sur les parois des excavations vides. Les minerais de zinc, restés intacts, sont en général concentrés au-dessous des minerais de plomb, et c'est à la recherche de ces derniers que l'on doit leur découverte dans tous les amas; c'est toujours en contre-bas des exploitations anciennes que la calamine a été rencontrée.
Indépendamment de ces gisements irréguliers, il existe aussi au Laurium des couches puissantes et régulières de minerais de fer reconnues sur plusieurs centaines de mètres de front de taille, et que leur forte teneur en manganèse fait rechercher pour la fabrication des aciers de choix. Les anciens avaient également exploité par puits et galeries, comme on le verra plus loin, des filons plombifères dont la puissance, souvent très faible, atteint et dépasse parfois 2m.
De toutes les recherches entreprises jusqu'à ce jour, il résulte que nulle part les anciens n'ont poussé leurs travaux au-dessous du niveau de la mer. Sur les points les plus élevés, à Camarésa et Besséco, les puits, dont l'orifice est compris entre les altitudes de 150 à 200 mètres, ont une profondeur de 70 à 120 mètres; sur les points les plus bas, à Thorico et Esgastiria, l'orifice est à l'altitude de 20 à 50 mètres, tandis que la profondeur est de 10 à 35 mètres. Les besoins de l'exploitation actuelle n'ont pas encore exigé la poursuite des travaux en profondeur; mais tout indique qu'au dessous du troisième contact, siège actuel de la principale exploitation, on retrouvera des gisements calaminaires et galéneux aussi importants et aussi riches, et dont la mise en valeur ne pourrait être entravée que par la question de l'épuisement.
IV. - TRAVAUX D'EXPLOITATION.
Nous venons de voir que les anciens avaient attaqué les gîtes métallifères par les affleurements, et que, en suivant les fentes minéralisées, ils étaient arrivés jusqu'au deuxième contact, de sorte que leurs travaux de recherche se réduisirent à peu de chose, et qu'ils purent concentrer toute l'énergie de l'exploitation à l'abatage de la matière utile. On rencontre encore de petites galeries de recherche, poussées dans des couches de minerai de fer subordonnées aux strates calcaires, et atteignant la profondeur de 15 à 20 mètres ; mais les déblais accumulés à l'entrée ne renferment aucune trace de matières plombifères, ce qui explique l'abandon de ces travaux. De même, des puits verticaux ou inclinés, d'une section de 2 mètres environ, ont été foncés en plusieurs points pour rechercher le troisième contact à travers les massifs schisteux, mais ils ont été abandonnés dès que l'épaisseur des bancs stériles a dépassé 25 mètres.
Partout ailleurs où ils avaient la certitude de rencontrer le minerai, ils n'ont pas hésité à foncer des puits dont la profondeur atteint et même dépasse 100 mètres, et dont la section, toujours carrée, est de 4 mètres. Ces puits ont été, avec une remarquable régularité, creusés au burin, dont on retrouve, sur les parois d'une verticalité parfaite, la trace des coups multipliés. Dans les parois sont creusées des niches que l'on suppose avoir servi à recevoir des bois placés en guise d'échelles pour la sortie des ouvriers.
La partie supérieure de plusieurs puits présente une particularité qui mérite d'être signalée. Le puits ne devient vertical qu'à partir d'une profondeur de 4 à 5 mètres au-dessous du sol, et il débouche au jour par une descenderie à gradins. On suppose que cette disposition avait pour but d'éviter l'introduction des eaux de pluie dans la mine, mais elle présentait l'inconvénient de gêner l'extraction et l'aérage. Pour remédier à ce dernier défaut, on se contentait de percer une petite cheminée verticale, qui rétablissait le tirage.
Les puits étaient foncés dans les roches qui offraient la moindre résistance, les anciens paraissaient même avoir choisi de préférence les points où des fractures initiales rendaient le travail moins difficile et ils les suivaient autant que possible, et c'est sans doute à cette raison qu'il faut aussi attribuer le nombre considérable de puits inclinés que l'on rencontre.
« Nous n'exagérons pas, dit M. Cordella, en portant à 2,000 le nombre de puits et galeries inclinées dont les anciens se servaient pour pénétrer dans leurs travaux d'exploitation. Ces puits affectent ordinairement la forme carrée, et leur section moyenne est 4 mètres, leur profondeur varie de 20 à 120, suivant l'altitude des lieux où on les rencontre. Si donc nous prenons une moyenne de 86 mètres pour chacun d'eux, nous obtenons une longueur totale de 160,000 mètres, soit 640,000 mètres stériles. »
Cette multiplicité de puits était due, d'abord à la multiplicité même et à l'exiguité des concessions; ensuite à l'économie que réalisaient les anciens en évitant un long transport à dos d'homme ; et enfin, aux nécessités de l'aérage. On remarque en effet que partout les puits sont soigneusement mis en communication par de larges galeries. Sur le haut plateau central, vers Benéio et Camaréra, ou rencontre des puits de 80 et 100 mètres, en relation avec les mines qui affleurent sur chaque versant. Tous les déblais autour de ces puits sont calcaires ou schisteux; on n'y trouve aucune trace de gangues pouvant prouver qu'ils ont servi à l'extraction, laquelle se faisait naturellement à un niveau inférieur; ce sont des puits spécialement destinés à l'aérage.
Les matières à exploiter se rencontraient sous la forme de filons et d'amas. Dans le premier cas, après avoir foncé le puits, les anciens poussaient en travers-bancs jusqu'au gîte, qu'ils exploitaient ensuite par gradins droits. Lorsque l'inclinaison du filon le permettait, c'est dans son épaisseur même qu'ils pratiquaient la galerie d'extraction. On retrouve de distance en distance, sur les parois de ces galeries, les niches où se plaçaient les lampes servant à l'éclairage des esclaves chargés du transport. On a trouvé aursi plusieurs cadavres, dont quelques-uns avaient les fers aux pieds : ce sont deux anneaux terminés par une tige et reliés ensemble.
L'exploitation des matières plombeuses disséminées dans les minerais du fer était excessivement irrégulière. Dans une exploitation qui vient d'être reprise, on a rencontré une large galerie sinueuse qui s'enfonce suivant le pendage de la couche, et vient aboutir à une vaste chambre de plus de 10 mètres de diamètre, et de 3m,50 de hauteur, toute la puissance de la couche ; de cette chambre rayonnent diverses galeries, dont l'une, parallèle aux affleurements, a été suivie sur une longueur de plus de 100 mètres. Il y a toute probabilité pour qu'elle soit en relation souterraine avec un autre système de galeries dont le débouché au jour est à plus de 1 kilomètre de distance. Partout ces galeries se sont maintenues dans un état de conservation remarquable, sans piliers de soutènement, et sans qu'il se soit produit de mouvements de terrain importants.
Quant aux amas horizontaux des contacts, leur exploitation se faisait par piliers, à l'aide de puits verticaux ou inclinés, mis en relation par des galeries principales de roulage, et on prenait le gîte en un ou plusieurs étages suivant sa puissance. Souvent aussi la couche a été entièrement enlevée, et les piliers de soutènement se composent des matières stériles triées sur place, surtout lorsque la galerie était mélangée de blende. Dans les tentatives de reprise d'exploitation qui suivirent la guerre de Péloponèse, ces piliers furent abattus pour en extraire les parties qui pouvaient avoir encore quelque richesse en plomb, et remplacés par des piliers en maçonnerie sèche. On sait en effet que la loi exigeait que chaque concession fut limitée par une série de piliers.
Les renflements verticaux, entièrement dépouillés de minerais, offrent des vides immenses qui atteignent souvent 10 mètres de hauteur avec des épaisseurs de 2 et 3 mètres, sur plusieurs dizaines de mètres en direction.
On ne trouve nulle trace de galeries d'écoulement: cela tient à ce que les roches sont généralement remplies de fissures qui amènent directement les eaux à la mer.
D'après les empreintes que portent les parois des galeries, on suppose que les anciens se servaient, comme outils, de pics, de coins, de masses et de marteaux ; suivant la dureté de la roche, les pointes des masses étaient ou coniques ou taillées en biseau. Quant à l'extraction, elle s'opérait à dos d'homme : la forme des puits, que nous avons indiquée, le démontre suffisamment, et ne permet pas de supposer l'emploi de cordes et poulies. Les minerais, après avoir subi un premier triage dans la mine, étaient enlevés au moyen de sacs en peau de chèvre.
V. - TRAITEMENT MÉTALLURGIQUE DES MINERAIS.
Nous n'avons que des données très incertaines sur les procédés métallurgiques des anciens; mais ce qui est incontestable, c'est qu'ils ont su tirer très habilement parti de leurs minerais, étant donnée surtout la disette d'eau et de combustible dont ils souffraient.
La teneur des minerais, variant de 10 à 60 %, un triage à la main suffisait à en enrichir une partie. Ceux à gangue légère, c'est-à-dire calcaire ou quartzeuse, étaient broyés dans des mortiers en fer ou en tufs trachytiques de Milo et soumis ensuite à un enrichissement par lavage.
L'eau faisant défaut au Laurium, il était nécessaire de la recueillir avec soin dans de nombreux réservoirs, dont plusieurs ont jusqu'à 1,500 mètres de capacité. L'un des mieux conservés mesure 5m,70 de profondeur, 19m,00 de long sur 9m,00 de large. Il est formé d'un double revêtement de pierres calcaires, recouvertes d'un enduit imperméable, composé d'argile calcareuse empâtant des grains de schiste et de quartz. Ce ciment, qui a une épaisseur de 3 centimètres, est formé de deux couches : celle de dessous, composée des éléments les plus grossiers, est criblée de stries à sa surface pour faciliter sa prise avec la couche supérieure. Un escalier en pierres de taille facilitait l'accès aux esclaves qui venaient puiser de l'eau.
Un appareil de lavage a été rencontré près de Camaréra, sous un amas de scories. Voici la description qu'en fait l'auteur de la découverte :
Cet appareil comprend quatre aires, a, b, c, d, recouvertes d'un ciment sur lesquelles on déposait le minerai. L'aire a, qui est clôturée par des murs et qui était probablement le dépôt des produits finis, est de 30 centimètres plus élevée que les aires b, c et d qui sont sur un même niveau. Le sol b est horizontal, et les surfaces c et d sont inclinées de 5 et 15 centimètres vers le canal l de l'appareil.
Il y a à côté 3 bassins carrés e, f, g.
Des canaux, h, i, k, l, servant à la circulation des eaux, relient les trois bassins e, f, g.
A la tête du bassin e, le plus large et le moins profond, et à un niveau supérieur à celui-ci, se trouvait une table maçonnée, n, dont on ne voit plus que les traces. Dans les parois latérales de ce même bassin, on a ménagé deux niches, dans lesquelles était encastrée une poutre sur laquelle se plaçait l'ouvrier pour exécuter son travail.
Il est assez difficile, en étudiant la construction de cet appareil sans connaître ses accessoires, de se rendre compte de la manière dont on s'en servait. Cependant, il est probable que le bassin e, où commençait le travail, servait comme caisse de débourbage : les matières lourdes et riches s'y déposaient, tandis que les eaux entraînaient vers l'extrémité l de l'appareil les matières plus légères et moins riches qui se déposaient, suivant leur ordre de densité, dans les différents bassins et canaux servant de labyrinthe. La circulation de l'eau s'arrêtait lorsque son niveau arrivait au point culminant, de telle façon que le courant s'établissait par suite de la différence de niveau entre les points extrêmes; et cette différence se produisait soit en enlevant les minerais déposés dans l'appareil, soit en puisant les eaux à l'extrémité du canal l pour les verser dans le bassin initial e. Ainsi, la même eau pouvait servir à laver une quantité indéfinie de minerais.
La surface carrée totale des fossés et canaux est de 11 mètres, et la quantité d'eau nécessaire pour remplir l'appareil jusqu'à son point culminant est de 7 mètres cubes.
Par suite de ces opérations, le minerai paraît avoir été amené à une teneur moyenne de 60 %, et voici comment sont classés les résidus de cette préparation qui ont reçu le nom d'eckvolades:
1° Des minerais argileux pauvres, à 6 ou 7 %, qu'on ne peut enrichir par le lavage, réfractaires et inutilisables;
2° Des minerais à gangue douce, à 10 ou 15 %, qu'on peut repasser au jour en les mélangeant avec les scories ;
3° Enfin des minerais en fragments, plus ou moins gros, tenant en moyenne 6 %, et que leur état physique permet d'enrichir par préparation mécanique. Mais la galène s'étant oxydée en partie sous l'influence des agents atmosphériques, il y a, au lavage, des pertes considérables qui ne permettent pas d'élever la teneur à plus de 18 %, et en employant 5 tonnes d'eckvolades pour une tonne de minerai enrichi.
La masse totale de ces résidus a été évaluée à 100,000,000 de tonnes, représentant 3,000,000 mètres cubes.
Le minerai ainsi enrichi se trouvait prêt à subir la fusion; celle-ci avait lieu dans des fours primitifs, construits partie avec les micaschistes du Laurium, partie avec des trachytes réfractaires de Milo. Le vent était donné par des soufflets mus à bras d'hommes, et le four était probablement surmonté d'une cheminée mobile pour activer le tirage. La maigre végétation du Laurium, qui ne consiste qu'en bouquets parsemés de pins, poussant exclusivement sur les coteaux schisteux, n'a pas pu suffire à alimenter une industrie si considérable, et il est probable que les provisions de bois étaient tirées des riches forêts de l'Eubée par le port de Thorico. On est incertain si le bois était employé vert ou carbonisé ; les quelques fragments carbonisés que l'on a trouvés mélangés aux scories ne sont pas des preuves suffisantes pour trancher la question.
Ces vestiges de fourneaux ont été trouvés tantôt sous les amas mêmes de scories, tantôt dessus, ce qui confirme bien l'hypothèse qu'il y a eu plusieurs périodes distinctes de marche, et que les premières scories ont été refondues, sans doute à la même époque où nous avons constaté le remaniement des piliers de soutènement.
Les minerais de plomb, étant le plus souvent à gangue ferreuse et calcaire, rarement à gangue de quartz, présentaient peu de difficultés à la fusion; néanmoins les scories riches, ou de la première époque, renferment encore 10 % de plomb en moyenne, avec un maximum atteignant parfois 15. Les scories pauvres ou gatchas, produits de la refonte de ces premières scories avec des minerais pauvres, sont à une teneur de 1,75 à 3,50.
Les études de commissions nombreuses ont conduit à admettre que la surface totale du terrain occupé par les divers amas de scories représente plus de 600,000 mètres carrés ou 900,000 mètres cubes, équivalant à plus de 2,000,000 de tonnes.
La teneur des minerais traités étant de 65 %, la teneur moyenne des scories 10,67, les pertes par volatilisation pendant la fusion étant évaluées à 6,33 ; il en résulte que les anciens ont retiré 48 % de leurs minerais, en produisant 45,67 % de scories, et que les 2,000,000 de tonnes de scories représentent 4,370,000 tonnes de minerais et 2,100,000 de plomb d'oeuvre.
Ce plomb d'oeuvre était ensuite soumis à la coupellation. Il ne nous est parvenu aucun débris des fours dans lesquels se faisait cette opération. On a retrouvé seulement, du milieu des scories, des litharges jaunes et rouges provenant de l'oxydation des plomb et se présentant sous la forme d'une masse cylindrique percée suivant l'axe, ce qui semble indiquer qu'on se servait d'un ringard en fer rond pour les retirer du four. Les essais pour argent se faisaient dans des coupelles en terre, analogues à celles actuellement en usage : on en a retrouvé plusieurs. Les litharges étaient ensuite ou revivifiées ou vendues directement.
Un produit accessoire des fonderies était la cadmie de zinc qui se déposait dans les régions supérieures des fours; selon sa teneur en plomb, on la repassait aux fours ou on la livrait à la médecine qui paraît en avoir fait grand usage.
Telles sont les données, malheureusement trop vagues, que nous possédons sur l'exploitation des mines en Grèce. Elles suffisent en tout cas pour prouver qu'en dépit de leurs erreurs géologiques, et malgré les entraves que le travail d'esclaves, sans esprit d'émulation, apportait au perfectionnement des procédés , les anciens étaient arrivés à un résultat remarquable. Aujourd'hui, de nouvelles richesses ont été découvertes. Ergasticia est redevenue une ville de 7,000 habitants, possédant un port toujours animé, et de nombreux fours de fusion et de calcination desservis par un chemin de fer, un fil téléphonique, et dont le travail de nuit est facilité par l'éclairage électrique.
REVAUX.