Felice GIORDANO (1825-1892)

Ancien élève externe étranger de l'Ecole des mines de Paris (entré le 27/8/1847, sorti le 4/6/1851 sans diplôme ni certificat).


Bulletin de l'Association amicale des anciens élèves de l'Ecole des Mines, Novembre 1892 :

Nous avons reçu, au mois de juillet dernier, la douloureuse nouvelle de la mort du commandeur Felice Giordano, inspecteur général de première classe du corps des mines d'Italie, qu'un déplorable accident venait d'enlever à son pays, à sa famille et à ses amis.

Sa santé s'était altérée depuis quelque temps; au commencement de cet été, il s'était rendu à Vallombrosa, dans les Apennins toscans, espérant y trouver un soulagement à ses souffrances et il éprouvait, en effet, de bons résultats du repos relatif qu'il était allé prendre, lorsque, pendant la soirée du 14 juillet, il tombait dans un ravin et succombait, le 16 juillet, aux suites de ses blessures.

Nous devons à l'obligeance de MM. Pellati, inspecteur général du corps des mines italien, et Parodi, ingénieur des mines, les notes qui nous permettent de retracer la belle existence d'un homme éminent et modeste que notre association s'honorait de compter au nombre de ses membres depuis qu'elle est fondée.

Né à Turin, le 6 janvier 1825, Felice Giordano fit ses premières études à Savone; il revint ensuite à Turin pour y suivre les cours de l'université et recevait, en 1847, le brevet d'ingénieur hydraulicien et d'architecte civil.

Vers la fin de cette même année, il fut envoyé par le gouvernement piémontais à l'école des mines de Paris avec son condisciple et ami Quintino Sella, qui devint plus tard ministre des finances. Dans les premiers mois de leur séjour en France, les événements survenus en Europe les déterminèrent à rentrer à Turin, pour s'engager comme volontaires dans la guerre contre l'Autriche, mais leurs démarches ne réussirent pas; ils reçurent l'ordre de rejoindre leur poste et de continuer leurs études. Ces circonstances prolongèrent d'une année le temps qu'ils devaient passer à l'école des mines de Paris ; dans l'intervalle des cours, ils firent des voyages dans les régions minières et métallurgiques de la France, de la Belgique, de l'Angleterre et des provinces allemandes.

Rentré dans son pays en 1852, après avoir terminé ses études techniques et ses voyages d'instruction pratique en Europe, Giordano laissait parmi ses professeurs et ses condisciples de Paris les meilleurs souvenirs; il fut chargé par le gouvernement piémontais du service des mines en Sardaigne, où il étudia un projet d'aqueduc et de réservoir, qui fournissent encore aujourd'hui l'eau potable en abondance à la ville de Cagliari.

Rappelé à Turin, en 1859, pour prendre la direction du corps des mines, il remplit, à partir de cette époque, les fonctions d'inspecteur général dont le grade lui fut régulièrement conféré au mois d'août 1870.

Il prit une part très active à la rédaction de la loi sur les mines établie par le gouvernement italien et fit partie de toutes les commissions instituées depuis 1859: conseil des mines; conseils supérieurs de l'agriculture, du commerce et de l'industrie; comité d'enquête industrielle; commission monétaire internationale, etc.

Mais, en dehors de ses fonctions administratives et techniques, Giordano a produit une somme considérable de travaux et laissé des marques très nombreuses de sa prodigieuse activité.

En 1863, il fondait le club alpin d'Italie, avec MM. Sella, Gastaldi, Saint-Robert et Barracco.

En 1867, il organisait la section italienne de l'exposition universelle internationale de Paris.

En 1868, il accomplissait, par le versant italien, l'ascension du Cervin, réputé inaccessible, et parvenait à son sommet tout en étudiant sa constitution géologique, qu'il a décrite dans un très remarquable mémoire.

En 1871, il prit part à l'organisation de l'exposition maritime internationale de Naples.

En 1873, il entreprit un long voyage, pendant lequel il visita l'Inde, explorant le Thibet et la chaîne de l'Himalaya ; il passa ensuite successivement en Chine, au Japon, en Australie, dans la Nouvelle-Zélande, dans l'Amérique du Sud et dans l'Amérique du Nord. Pendant ce voyage, qui dura près de quatre ans, Giordano fut chargé par le gouvernement italien d'étudier l'établissement de colonies dans la partie septentrionale de l'île de Bornéo et publia, au sujet de cette mission, un mémoire important et détaillé. Il laissa, en outre, comme relation complète de son voyage, 51 manuscrits inédits.

Revenu en Italie pendant l'année 1876, à part quelques autres voyages de courte durée dans la mer Rouge et dans diverses parties de l'Europe, il se donna principalement aux travaux de la carte géologique d'Italie, dont plusieurs régions importantes sont déjà complètement relevées et publiées : il laisse ce travail organisé de manière à pouvoir être facilement continué.

A l'époque du congrès géologique de Bologne, en 1881, il fonda avec MM. Sella et Capellini la société géologique italienne, et, plus tard, il fut délégué aux congrès géologiques internationaux de Berlin en 1885 et de Londres en 1888.

Ses ouvrages publiés sont si nombreux qu'il nous est impossible de donner leur liste complète ; nous nous bornerons à en citer les principaux et à rappeler le travail qu'il a fait en 1864, comme membre d'une commission instituée pour l'étude de l'industrie du fer en Italie ; une monographie, publiée en 1871, sur les conditions physiques et économiques de Rome et de son territoire ; des études sur les industries du soufre et du marbre, sur les tunnels projetés à travers les Alpes, sur les conditions géologiques et thermiques du grand tunnel du Saint-Gothard ; un rapport sur la géologie à l'exposition universelle de Paris en 1878.

Mais sa sphère d'action n'a pas été limitée aux sciences et à l'administration des mines. On a encore de lui des études très estimées sur les intérêts agricoles et commerciaux de la province de Turin, - sur l'application de la loi de richesse mobilière, - sur l'emploi des eaux de dérivation comme force motrice a Turin, - sur le meilleur système de concession des eaux d'irrigation, - sur les ressources de l'Italie pour la production du matériel de l'armée et de la marine, - sur les moyens d'accroître la marine marchande à vapeur, - sur l'aliénation de quelques forêts domaniales.

Doué d'un esprit vif et pénétrant, peu expansif mais facilement accessible, Giordano cachait sous des dehors un peu froids et réservés au premier abord, les qualités précieuses d'un noble coeur : il était bon, loyal, généreux, sensible aux moindres attentions et empressé à les reconnaître dans les formes les plus discrètes. Il a consacré sans réserve, avec une modestie et une abnégation rares, toutes les forces d'une intelligence d'élite, toute la puissance de son énergie et de son activité au service de son pays. Il sut toujours se concilier l'entière affection et le respect du personnel du corps des mines et il s'attachait particulièrement à faire valoir le travail de ses collaborateurs.

Felice Giordano était grand officier de la Couronne d'Italie, commandeur des Saints Maurice et Lazare, et, en France, officier de la Légion d'Honneur et officier de l'Instruction Publique.

Le 18 août un service solennel a été célébré pour lui dans l'église della Vittoria, à Rome. M. l'ingénieur en chef Muzzuoli, délégué par l'inspection générale des mines, avait bien voulu y représenter notre association et, par une attention délicate dont nous avons été vivement touchés, la couronne de fleurs déposée en notre nom au pied du cercueil avait été entrelacée dans celle offerte par le corps des mines d'Italie, de manière à réunir dans un sentiment plus intime de confraternité les hommages que nous rendions ensemble, à la mémoire d'un homme de grand mérite et de grand coeur, profondément regretté de tous ceux qui ont été assez heureux pour le connaître.

A. PETITJEAN.